Revue

Editorial du n°56

L'idée d'un travail réflexif avec les enfants gagne peu à peu les esprits en France, après les ateliers philo à l'école primaire depuis 1996, et le film Ce n'est qu'un début, qui retrace un atelier philo mené pendant deux ans en moyenne et grande section de maternelle. Historiquement, la philosophie avec les enfants de M. Lipman a été introduite dans les années 1985 dans les cours de morale belge et québécois. C'est ce qui va peut-être se passer en France, en donnant une dimension philosophique à un cours de morale.

Le projet de loi sur la refondation de l'école propose, dans les objectifs énoncés à l'article 28 : "Il s'agit de construire un enseignement moral et civique de l'école au lycée permettant de croiser une approche de nature plus philosophique, adaptée à l'âge des élèves, à la formation sociale et citoyenne aujourd'hui dispensée par l'éducation civique".

Le challenge selon nous sera d'articuler une approche de "socialisation démocratique", porteuse des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité, laïcité, adossée aux Droits de l'homme inscrits dans notre constitution (la "morale républicaine"), avec une conception du jugement moral faisant appel à la clarification et à la hiérarchisation des valeurs dans une perspective plus personnelle. Et d'articuler vie bonne pour l'individu et Bien commun pour la société. Ou, pour reprendre Ricoeur, citant Aristote et Kant, d'allier morale et éthique. L'une des questions est aussi de savoir si pour le développement du jugement moral, on s'étayera surtout sur la tradition rationaliste, où la délibération argumentative est centrale, ou/et si l'on fera aussi appel à la sensibilité (par exemple à ce que les anglo-saxons appellent le "care").

Faire appel à une "vie bonne"1 engage une réflexion sur les finalités de la morale. Visera-t-on seulement le développement du jugement moral2, ou la formation d'une conduite morale ? Le projet de loi propose : "L'enseignement moral vise notamment à amener les élèves à être des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi ".

Nous publions par ailleurs un dossier sur "Philosophie et soins", mêlant les articles théoriques sur la question avec des pratiques de terrain en France et à l'étranger, qui traite de l'un des aspects de la question soulevée ci-dessus. Car si nous sommes interpellés par P. Hadot, considérant la philosophie antique comme "une manière de vivre" par des "exercices spirituels" prenant soin de notre âme, la théorie jungienne, tentant d'articuler philosophie et thérapie, ou l'enseignement de Wittgenstein, considérant le dimension thérapeutique de la philosophie, n'est-il pas nécessaire d'aborder un enseignement philosophique d'éthique en soulevant cette question du "soin de l'âme" ?


(1) "Je n'ai pas dit instruction civique mais bien morale laïque. C'est plus large, cela comporte une construction du citoyen avec certes une connaissance des règles de la société, de droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l'on se pose sur le sens de l'existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne" (Interview du Ministre Vincent Peillon au Journal du Dimanche).

(2) "Il existe aussi une "laïcité intérieure", c'est-à-dire un rapport à soi qui est un art de l'interrogation et de la liberté. La laïcité consiste à faire un effort pour raisonner, considérer que tout ne se vaut pas, qu'un raisonnement ce n'est pas une opinion. Le jugement cela s'apprend" ( Journal du Dimanche).

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