Revue

Bénin : L'élaboration d'une pédagogie ajustée à partir des contes et proverbes en régime d'oralité

Introduction

Comme partout ailleurs dans le monde, l'éducation a connu au Bénin des avancées très importantes depuis une vingtaine d'années. Ce progrès se situe tant au niveau des curricula officiels que du curriculum effectivement mis en œuvre (curriculum réel).

L'objet du présent article ne consiste pas à faire un point de ces différents progrès, mais plutôt à décrire une innovation, objet de recherche en thèse de l'auteur : l'élaboration d'une pédagogie ajustée à partir des contes et proverbes en régime d'oralité, en prenant le cas des Ouémènou du Bénin).

Trois préoccupations sont visées :

  • primo, la problématique de la recherche que nous mettrons en exergue à travers le contexte ;
  • secundo, la portée philosophique et éducative du conte et du proverbe ;
  • et tertio, quelques principes pédagogiques pour améliorer l'éducation morale, sociale et civique des apprenants de nos écoles modernes à partir du conte et du proverbe.

I) Contexte

La nécessité du retour aux sources de la culture africaine a été défendue par les intellectuels africains au lendemain de l'accession de la plupart des anciennes colonies d'Afrique à l'indépendance. En effet, d'abondants discours relatifs aux nouveaux programmes de décolonisation culturelle étaient en vogue. L'occident était accusé de détruire nos valeurs culturelles et par conséquent, était tenu responsable de l'aliénation culturelle des peuples africains à travers sa philosophie de domination ainsi que ses institutions, dont le système éducatif.

Cependant, nous disposons de nombreux mécanismes de transmission culturels comme le folklore, le théâtre, la musique, les chansons populaires, le dessin, la peinture, les contes, les proverbes, les légendes, les mythes, ces derniers étant en voie de disparition. Parmi ces vecteurs traditionnels d'éducation, notre intérêt pour les contes et les proverbes comme véritables "manuels scolaires", moyens d'instruction, leviers d'éducation, de socialisation pour les sociétés d'oralité, s'inscrit dans le contexte d'une véritable indépendance culturelle. Des questions se posent. Pourquoi, malgré la valeur des contes et des proverbes, la politique éducative béninoise a consciemment ou non décidé de les écarter des points d'entrée dans le curriculum ? L'approche d'éducation (pédagogie à partir des contes et des proverbes) ne serait-t-elle pas adéquate ? Peut-elle répondre à une socialisation plus culturellement appropriée ? Être efficace ?

Par curriculum, D'Hainaut (1977/1983) entend "un plan d'action pédagogique beaucoup plus large qu'un programme d'enseignement ; il comprend en général, non seulement des programmes dans différentes matières, mais aussi une définition des finalités de l'éducation envisagée, une spécification des activités d'enseignement et d'apprentissage qu'implique le programme de contenus et enfin des indications précises sur la manière dont l'enseignement ou l'élève sera évalué.[...] Un curriculum opérationnel comprendrait non plus des programmes de contenus mais des "programmes pédagogiques opérationnels" ou tout au moins, à défaut, des profils pédagogiques (il s'agirait alors plutôt de curriculum fonctionnel) ; en outre selon nous, le curriculum opérationnel devrait préciser non seulement les résultats attendus chez l'enseigné mais aussi les résultats attendus dans la société ou le groupe intéressé par l'action éducative (p. 27).

Il s'agit donc d'examiner la question de la sauvegarde ou de la valorisation de ces ressources. Et c'est justement à ce niveau qu'il nous paraît surprenant que ceux qui parlent de l'introduction de nos valeurs traditionnelles dans le système éducatif ne pensent même pas à aller puiser dans le tréfonds de ces valeurs de chez nous pour construire les curricula. Quelles sont ces valeurs ?

II) Portée philosophique du conte et du proverbe

"les contes sont souvent organisés en contenu très riche et très varié touchant à la fois à plusieurs disciplines : la langue, le langage, le chant, la zoologie, la psychologie, la morale, etc. Ils jouent un rôle moralisateur :
- ils montrent souvent à l'enfant et à l'adulte comment le mal est puni et le bien récompensé à travers l'exaltation des vertus et des comportements condamnés ;
- ils véhiculent des valeurs morales essentielles (vérité, sincérité, loyauté, probité intellectuelle, amour, beauté...) ;
- ils portent en eux une force émotionnelle ou philosophique puissante, même s'ils sont conçus pour distraire ou édifier ;
- ils forgent le discernement et enracinent dans la culture".
Quant aux proverbes, ils jouent essentiellement un rôle didactique, parce qu'ils forment l'homme en lui donnant une ligne de conduite telle que souhaitée par la société, dictée par la prudence, la méfiance, la modestie...
"Ils servent aussi comme témoignages du passé, résultant par exemple d'une observation circonstancielle généralisée par la suite1".
Pour Gbénou, (2009, pp. 42-47),

Contes et proverbes, cet ensemble de formes symboliques, constituent, en tant que modes privilégiés du discours traditionnel, autant de condensés théoriques de réflexions éminemment philosophiques de nos ancêtres2. Mieux, il s'avère souvent que toute la vie culturelle constitue une voie d'accès à la philosophie à exhumer, dans la mesure où elle se trouve"dans la conscience collective, dans les comportements socioculturels, dans les convictions morales, dans les institutions sociales et politiques, dans la logique du raisonnement"3.

Mais, il reste à sortir d'une philosophie africaine collective pour s'engager véritablement dans le débat philosophique, en évitant les analyses condamnées par le philosophe béninois Hountondji, analyses que ce dernier qualifie d'ailleurs de "philosophologie"4 ou, pour employer un terme moins barbare, de "métaphilosophie" (pp. 32-43)5.

III) Portée éducative des contes et proverbes

Selon Gbénou, (2009), "Le conte joue un rôle éminemment formateur. En effet, c'est un puissant moyen pour préparer l'intégration au milieu et à la vie selon les règles de la communauté. Il transmet des valeurs sociales et assure l'intégration sociale, le renforcement des relations interpersonnelles, bref la cohésion sociale. Il a un impact sur la formation intellectuelle, affective, morale et sociale. Loin d'être un simple divertissement, il contribue au développement de la mémoire, de l'attention soutenue, du raisonnement logique, de l'imagination, de l'esprit de discernement et suscite la curiosité intellectuelle. Il contribue au développement de la sensibilité, de la bravoure et de la volonté de par les images et les émotions exprimées, les récits des héros à travers la lutte, le courage et la détermination. Il développe les valeurs de paix, de tolérance, d'amitié et de solidarité à partager avec l'entourage, l'imagination, le goût, la structuration du temps et de l'espace. Les aptitudes à la compréhension orale sont exercées de même que l'ordre et la chronologie" (p. 47). C'est certainement pour ses nombreux objectifs éducatifs qu'il est inscrit dans les programmes d'études et à l'emploi du temps des écoles maternelles en République du Bénin.

En ce qui concerne les proverbes, ils jouent un rôle juridique parce que souvent les vieux s'en servent pour trancher les palabres. Ils servent, dans la vie courante, à donner des conseils, à enrichir le discours et surtout à donner de la force aux propos. Ils servent à cultiver la sociabilité : amitié, honnêteté, politesse, solidarité, entraide, mariage, travail, et d'autres notions de philosophie. Au regard de ces contenus riches d'enseignements, que peut tirer la pédagogie, entendue comme une activité déployée par une personne pour développer des apprentissages précis chez autrui, ou tout simplement pour provoquer des effets précis d'apprentissage ?

Pour tirer profit de ces valeurs tant philosophique qu'éducative chez nous, donc valoriser en somme la culture béninoise voire africaine, il faut inscrire les contes et les proverbes dans les curricula et former les enseignants en conséquence. A propos des principes pédagogiques à proposer pour orienter l'action pédagogique, nous nous inspirerons du rapport élaboré pour l'Unesco sur la session de formation lançant l'expérimentation de la philosophie avec les enfants en Tunisie par Tozzi (2009). Il s'agira de faire réfléchir les enfants, en les amenant à développer certaines compétences réflexives : interroger et s'interroger (problématiser), définir des notions (conceptualiser), argumenter son point de vue (ou faire des objections, ou répondre à des objections) sur des questions essentielles pour la vie en groupe.

D'où quelques principes pédagogiques pour l'éducation morale, sociale et civique des apprenants de nos écoles modernes à partir du conte et du proverbe.

La démarche consiste selon Tozzi, (2009, p. 7) à proposer aux apprenants plusieurs postures successives les amenant à comprendre un discours oral, s'y projeter, l'interpréter, puis se saisir d'une question qu'il suscite chez ses lecteurs et en discuter. Les étapes suivantes sont à observer (2009, p. 8) :

"Etape 1 : la posture "compréhensive"

Il s'agit de faire comprendre le conte ou le proverbe par chaque apprenant.

Etape 2 : la posture projective ou identificatoire

Il s'agit de faire appel à l'imagination en mobilisant la sensibilité à travers des activités d'identification des héros, par un transfert (au sens d'une projection des affects) de l'auditeur.

Etape 3 : la posture interprétative de l'histoire

Il s'agit d'appréhender, non plus le sens manifeste du texte, (la compréhension de l'histoire), mais son sens caché, profond, anthropologique et philosophique, puisque le conte et le proverbe visent à nous faire comprendre quelque chose de l'homme.

Etape 4 : la posture philosophique

La difficulté est de se dégager du texte, de décontextualiser la réflexion, de formuler un problème illustré par le texte, plus général, dont le texte n'est qu'un cas particulier.

La séquence, qui suppose le passage des participants d'une posture à une autre, dans un ordre progressif (on ne peut par exemple interpréter le sens profond d'un discours sans avoir compris l'histoire qu'il raconte), se déroule généralement sur plusieurs séances, chaque posture proposée s'enrichissant de celle(s) qui précède(nt)".

Conclusion

Contes et proverbes sont sans conteste des ressources fécondes en pédagogie. Leur exploitation pédagogique peut provoquer une mobilisation sans précédent autour des curricula du système éducatif béninois. Cette mobilisation sera même comparable à celle provoquée par l'avènement de la pédagogie par objectifs.


(1) Kossou, B. T. (1983), Sè et Gbè Dynamique de l'existence chez les Fon, SEG., 33, rue Béranger, 92320 Châtillon-Sous Bagneux.

(2) Premier sens du mot philosophie considéré ici.

(3) Sylla, A. (1978), La philosophie morale des Wolofs,Dakar, Sankoré, page 19.

(4) Hountondji, P. J. (1977) Sur la philosophie africaine, critique de l'ethnophilosophie. Paris : François Maspéro, 257 p

(5) Hountondji, P.J. (Op.Cit.).

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