Revue

11e Rencontre sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) - Unesco, 16 et 17 novembre 2011-11-28 - Compte rendu

Plus de 400 adultes inscrits, représentant seize nationalités, une centaine d'élèves du primaire et de collège dans cinq ateliers de philosophie avec les enfants, un café philo sur "Avons-nous besoin de citoyens philosophes ?" : la 11e Rencontre sur les NPP a été un succès. Long cheminement depuis la première Rencontre qui s'est tenu en 2001 à l'Inrp, puis chaque année dans le réseau des Crdp, elle est accueillie depuis 2006 à l'Unesco à l'occasion de la Journée Mondiale de la Philosophie, et avec son soutien. C'est l'association Philolab qui l'organise depuis plusieurs années, dont l'objectif est de promouvoir la philosophie en tout lieu et pour tout public, avec des modalités nouvelles, concernant les enfants, la cité, l'entreprise etc. Ces rencontres francophones permettent d'échanger, dans une dimension internationale, entre différents courants de pratiques philosophiques et de couvrir les différents champs d'application des NPP.

Depuis deux ans, Philolab a mis en place des groupes de travail durant l'année, qui permettent une réflexion entre deux colloques (pour s'y inscrire, aller sur le site : www.philolab). La 11è Rencontre a permis de faire le point sur leur avancement, et de tracer des perspectives pour 2011-2012 (voir plus bas). Ouvert par Michel Tozzi, la parole fut donnée à Phinit Chatalangsky, représentant Mme Moufida, responsable du secteur couvrant la philosophie à l'Unesco. Il présenta les travaux de la dernière des six réunions organisées par l'Unesco dans le monde à la suite de la parution de l'ouvrage La philosophie, une école de la liberté, en 2007. Elle a réuni à Milan les représentants d'Europe et d'Amérique du Nord, a confronté les apports de nombre d'associations de philosophes et d'Etats, et formulé pour l'Onu un certain nombre de recommandations pour les pays sur l'enseignement et le développement de la philosophie. Une brochure de synthèse vient de paraître, que l'on trouvera sur le site :

http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002140/214090F.pdf

Après la présentation de Philolab par son président J.-P. Bianchi et le compte rendu des différents groupes de travail de l'association, c'est Alain Berthoz, professeur honoraire au collège de France, qui prononçait la conférence introductive, sur "Changer de point de vue, esprit critique et fondement cognitif de la tolérance". Ce physiologiste, qui travaille de manière très interdisciplinaire, expliqua que le racisme et la haine s'originent dans une éducation où la structure psychique de l'individu ne parvient pas à changer de point de vue. Et qu'au contraire la tolérance repose sur la capacité cognitive à pouvoir et savoir changer de point de vue, en dépassant la perspective de la sympathie, où l'on se met à la place de l'autre mais en restant de son point de vue, égocentré (c'est le cas dans la contagion affective), pour entrer dans un processus d'empathie, où l'on se met à la place de l'autre "en changeant son point de vue", de façon allocentrée. La période critique se situant entre 7 et 12 ans, d'où l'importance d'une éducation adaptée à la "rotation mentale des points de vue", à laquelle la pratique de la philosophie avec les enfants peut grandement contribuer... Il concluait par l'exigence d'un "droit de l'enfant à une pluralité d'interprétations".

Bilan de Philoécole (E. Chirouter)

Si le colloque de 2010 a été pour Philoécole le moment d'un bilan nécessaire pour faire le point sur 20 années de recherches et d'expérimentations pédagogiques à l'école primaire, les rencontres de novembre 2011 ont acté la volonté d'oeuvrer à l'essor et à la diffusion toujours plus grande de ces pratiques, dans toutes leurs diversités respectées.

Plus d'une centaine de personnes (français, belges, espagnols, canadiens, libanais) ont participé au chantier Philoécole les 16 et 17 novembre. Ces journées ont été l'occasion de mutualiser les points de vue, les pratiques et les perspectives de recherches : chercheurs, praticiens de tous les courants et de tous les niveaux d'enseignement, étudiants, auteurs, éditeurs y travaillant dans un esprit de coopération.

P. Ricoeur écrivait au début des années 90 : "Préparer les gens à entrer dans cet univers problématique me paraît la tâche de l'éducateur moderne". En ces temps de crises (financière, démocratique, de sens), il est plus que jamais nécessaire de donner aux futurs citoyens les outils d'une pensée critique. Notre urgence pour le chantier est ainsi de travailler à la fois à l'élargissement du public visé (une place de plus en grand grande a été ainsi accordé à l'enseignement spécialisé), et aux outils qui très concrètement peuvent permettre la diffusion des ateliers de philosophie sur le terrain.

Ainsi lors des deux journées dans le chantier Philoécole :

  • sur la recherche, nous nous nous sommes intéressés aux effets de la mise en place d'ateliers philo sur le rapport au savoir et l'estime de soi des élèves les plus en difficulté. Nous avons ainsi constaté qu'au-delà de la problématique de la didactique du philosopher, les pratiques philosophiques à l'école permettent de redonner du sens à l'expérience scolaire et d'oeuvrer ainsi à l'idéal de démocratisation et à l'égalité des chances.
  • du côté des pratiques, nous avons mutualisé et croisé les différentes méthodes et outils qui permettent la diffusion sur le terrain.

Forts de l'enthousiasme et de l'énergie de tous les participants, le chantier Philoécole attend avec impatience les 12ème rencontres. En attendant, notre réseau international continuera d'échanger à distance. La plateforme Planzone nous servira d'espace de mutualisation et de discussion.

Bilan de Philoformation (N. Frieden et V. Delille)

Depuis plusieurs années, Philoformation réunit des personnes qui travaillent de façon très diverses à la formation d'animateurs de nouvelles pratiques philosophiques. Il y a historiquement plusieurs "écoles" ou méthodes d'animation. Depuis deux ans, nous construisons ensemble un manuel de formation et d'autoformation "pluriel" à l'intention des animateurs. Par "pluriel" nous entendons nourri de toutes les approches, méthodes ou écoles existantes dans ce domaine, et enrichi de la mise en commun des outils développés par tous. Nous comptons publier gratuitement ce manuel en ligne, avec l'appui de l'Unesco, afin que tous ceux qui veulent s'informer, se former ou progresser dans le domaine de l'animation y aient accès.

Pour Philoformation, le rendez-vous du colloque à l'Unesco de novembre 2011 a été un moment fort et riche, et ceci pour cinq raisons principales.

1) Nous venions pour travailler. Notre intention était que plusieurs personnes écrivent ensemble un article de leur choix dans le manuel de formation. Cela s'est fait. Une dizaine d'articles sont en train d'être élaborés, certains sont presque terminés.

2) Nous voulions que la collaboration soit intense entre les personnes de différentes écoles. Et le travail a prouvé que cette participation est possible et surtout enrichissante pour chacun, ce qui donne raison à l'intention première de notre manuel d'être pluriel.

3) Notre visée était que chacun apporte une contribution originale. Or ce qui frappe est que toutes les personnes qui travaillent dans le domaine nouveau des NPP, conçoivent, imaginent, réalisent et créent, en fonction des circonstances et des besoins pragmatiques des participants. Et ces inventions sont des richesses que les personnes veulent mutualiser.

4) Notre dessein était de créer une équipe de travail. Elle existe. Elle va grandir. Bien des participants d'autres ateliers nous ont demandé de les associer à notre projet.

Aujourd'hui, quels sont nos défis? Le prochain défi est la collecte de tout ce qui s'écrit pour le manuel ainsi que l'encouragement du plus grand nombre de personnes à se joindre à notre engagement. Le chalenge reste le temps, il faut oeuvrer vite parce que les besoins sont vastes.

Bilan de Philocursus (M. Tozzi)

Le groupe de travail Philocursus a élaboré à l'intention de l'Unesco 12 principes à recommander aux Etats membres de l'Onu pour l'élaboration d'un curriculum de philosophie de la maternelle à la fin de l'enseignement secondaire.

"Compte tenu de la diversité des traditions philosophiques, de l'institutionnalisation de la philosophie, et de l'histoire des systèmes éducatifs des pays membres de l'Onu, source de richesse dans les échanges, il serait vain et dommageable de proposer des objectifs, une méthode, des supports uniques pour la diffusion de la philosophie dans les institutions scolaires. Un certain nombre de principes peuvent en revanche être soumis à la discussion et à la recherche en vue de recommandations pour un cursus".

Il est proposé par exemple qu'un cursus peut se mettre en place sous forme d'extension horizontale, à un même niveau d'enseignement, ou sous forme d'extension verticale, sur plusieurs années. Cette extension peut être progressive dans le temps. Elle peut se faire sous forme disciplinaire, ou sous des formes diversifiées : impliquant la discipline dans l'un de ses champs, ou sous forme interdisciplinaire, ou sous forme d'enseignements transversaux pris en compte par des professeurs de philosophie...

La notion de cursus philosophique implique de clarifier ce que l'on entend par philosophie comme champ de la culture, et comme discipline scolaire ; et ce que l'on entend par philosopher comme démarche de pensée. S'agissant d'un apprentissage scolaire, une approche didactique semble souhaitable. La notion de cursus philosophique implique aussi celle de progressivité dans l'apprentissage du philosopher L'idée d'une conception spiralaire de l'apprentissage philosophique semble utile à creuser. Pour penser cette progressivité, la démarche d'une approche par compétences semble heuristique en la matière, ainsi que celle de degré ou niveau de compétence à progressivement maîtriser dans le temps. Les programmes doivent intégrer dans leur formulation les compétences visées, et dans la mise en oeuvre de ces compétences les contenus mobilisables souhaitables. On privilégiera dans l'apprentissage une évaluation formative, car elle accompagne un processus de formation plus qu'elle ne juge un résultat.

Pour acquérir ces compétences philosophiques, les élèves doivent être confrontés à des situations et des activités variées à visée philosophique : par exemple discussions, lectures, écrits... Les supports didactiques utilisés doivent être pertinents, adaptés à l'âge des enfants et contextualisés. Au primaire par exemple, on peut s'appuyer sur la tradition locale des contes, sur des mythes, des albums de jeunesse permettant, en vue d'une reprise plus conceptuelle, l'ancrage des problématiques dans la sensibilité et l'imagination des enfants.

Bilan de Philocité (A. Ahouandjinou, P. Hardy)

Le groupe de travail Philocité a permis de manifester la diversité des pratiques possibles du philosophe dans la Cité, notamment à travers des méthodologies de débats telles que le Ciné philo, les ateliers philo dans les prisons ou les hôpitaux psychiatriques, mettant notamment en exergue le rôle du philosophe dans la ville, qui s'évertue à adapter ses méthodes à travers l'écoute attentive des personnes et du contexte.

Le colloque a également permis de révéler d'autres pratiques émergentes de la philosophie dans la ville à travers l'intervention de participants engagés dans cette action. Pratiques qui gagneront à être présentées lors des prochains colloques. On trouve notamment des méthodes de débat étroitement liées aux phénomènes de société, telles que l'intérêt accru pour certaines pratiques sportives comme le football, où par exemple, une réflexion philosophique sur l'idolâtrie et l'identité nationale qui peut s'avérer intéressante dans des ateliers dédiés, dits encore " PhiloFoot".

Une autre pratique philosophique émergente et symptomatique d'un phénomène sociétaire lié à l'exclusion se constitue actuellement dans les maisons de retraite, à travers des débats organisés entre jeunes et personnes âgées. Pratique dite "intergénérationnelle", qui gagnera à être exposée lors du prochain colloque.

Enfin, Philocité se propose d'analyser le contenu de toutes ces méthodes en collaboration avec Philoformation, pour permettre de les rendre disponibles à toute personne disposant d'une formation ou d'une culture philosophique, et souhaitant la rendre active dans la ville. Dans l'idéal, une formation d'animateur pour chaque type de pratique serait souhaitable, permettant une plus grande qualité des diverses interventions philosophiques dans la ville.

Bilan de Philosoin (J. Ribalet, M. Agostini)

Le chantier Philosoin a travaillé le thème Philosopher et prendre soin de la souffrance des enfants. Le 11ème colloque sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques a été l'occasion de mettre en débat certains points émergents de ce travail.

Plusieurs pratiques significatives du philosopher et du thérapeutique (cure) concernant la souffrance des enfants et adolescents se sont dégagés ; quatre pôles de dialogues philo-soin ont été exposés : La Traversée (Canada), La Maison de Solenn, à l'Hôpital Cochin (France), l'Hôpital Universitaire des Enfants (Belgique), l'Institut Ouverture, Développement et Formation de Genève ( Suisse). Chacun de ces pôles a ses propres modèles d'évaluation des effets des ateliers philosophiques sur le développement du philosopher et du soin. A noter un 5ème pôle émergeant, l'expérience argumentée d'une consultation philosophique virtuelle.

Sur le terrain du philosopher et du soin (care) de la souffrance des enfants par le philosopher et la culture, la dimension préventive de la violence envers les autres apparaît comme indication première des ateliers philosophiques ; en deuxième motif, la prévention de la violence envers soi-même (suicide), les troubles de l'identité et les souffrances liées à des traumatismes environnementaux.

Dans l'exploration des processus à l'oeuvre dans le philosopher et le prendre soin par la CRP (Communauté de Recherche Philosophique), un certain nombre de praticiens font souvent référence à deux concepts ; celui de résilience et celui d'empathie, pour rendre compte des effets observés. L'empathie, la possibilité d'expérimenter et de changer de point de vue semble favoriser des actions développant des compétences pour le philosopher et le soin chez les enfants.

Philosoin propose de poursuivre cet axe de recherche durant l'année 2012, avec Alain Berthoz, Alexis Cukier et les mouvements à l'oeuvre au coeur du "moment du soin" avec Frédéric Worms.

Bilan de Philotravail (C. de Chesse)

Il s'agissait de poursuivre la réflexion engagée en 2010 sur "Manager autrement", en mettant cette année l'accent sur "L'esprit d'utopie", à travers la tentative de définition de cet esprit, la présentation de plusieurs cas pratiques en entreprises, puis de confronter cet esprit aux sciences de gestion, enfin d'évoquer quelques entrepreneurs de l'utopie, comme les fouriéristes.

On assista aussi à une séance passionnante de "regards croisés", animée par J.-C. Pettier, sur une séquence tirée du film Ce n'est qu'un début, sur l'amour, avec une classe de maternelle. Différents praticiens, formateurs, chercheurs en sciences de l'éducation et en sciences du langage, didacticiens de la philosophie, confrontèrent leurs analyses de la séance, avec leurs outils spécifiques d'analyse (nous publierons quelques analyses dans le prochain numéro de Diotime).

Cinq ateliers de philosophie pour enfants permirent enfin de comparer différentes méthodes utilisées : Les Petits Platons, Agsas-Lévine, Lipman, Tozzi, Brenifier-Millon...

Le lendemain 18 novembre, Philolab coorganisait un colloque sur l'égalité des chances avec le Collège international de philosophie (CIPH), dont nous rendrons compte dans le prochain numéro.

Rendez-vous fut donné pour les 12es Rencontres sur les NPP les mercredi et jeudi 14 et 15 novembre 2012 à l'Unesco.

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