Revue

13es Rencontres sur les Pratiques philosophiques (22 au 24 juillet 2011, Sorèze )

Compte rendu par Michel Tozzi, coordonnateur des rencontres

Les 13e Rencontres sur les Pratiques philosophiques se sont déroulées du 22 au 24 juillet 2011 au Moulin du Chapitre à Sorèze (Tarn). Elles ont, dans un climat convivial, un double objectif :

  • approfondir une ou deux questions d'un point de vue philosophique. Cette année il s'agissait de réfléchir à deux thèmes : "Y a-t-il une façon masculine ou/et féminine de penser, et plus particulièrement de philosopher ?". Et "La création" ;
  • traiter ces questions avec des dispositifs nouveaux ou renouvelés, expérimentés et analysés : cette année la table ronde, le café philo, le philo théâtre de l'opprimé, le traitement dialogique d'une question, la rando philo, la consultation philosophique...

I/ Quelques dispositifs

A) Table ronde et café philo

La table ronde permettait des apports préparés et complémentaires sur le premier thème, base de la discussion ultérieure pour un café philo qui suivait. On articule ainsi une matière préalable structurée avec un échange interactif, plus peut être que dans la formule conférence puis questions au conférencier ou réaction. Sur l'animation du café philo, nous nous sommes interrogés sur l'intérêt d'une reformulation, qui donne de la cohérence aux échanges, par rapport à une seule présidence démocratique de séance.

B) Le philo théâtre de l'opprimé

L'utilisation de la formule du théâtre de l'opprimé d'A. Boal, qui illustrait une situation de domination masculine où la femme sacrifiait sa promotion professionnelle sous l'influence de son mari, nous faisait réfléchir sur l'intérêt de sa mise en perspective philosophique : assister à la scène, réfléchir ensuite en quatre groupes non mixtes au repérage d'habitus et stéréotypes sur le masculin/féminin mis ensuite en commun, puis interventions de participants dans le scénario rejoué pour modifier la situation dans le sens d'une sortie de l'oppression.

Le théâtre met ici en scène concrètement, par une situation jouée, la notion de domination masculine, et fournit un support commun, différent d'un texte par exemple, pour exercer une pensée collective de la notion à analyser. C'est une idée en acte. La réflexion sur la situation permet d'en extraire des éléments plus abstraits. Les groupes non mixtes autorisent une pensée au sein de chaque sexe. De plus, en intervenant sur le scénario, on comprend le processus possible d'émancipation, autre notion analysée, et l'on fait l'expérience de l'efficacité de cette idée lorsque l'on veut transformer le réel. La réflexion s'appuie ici sur un ancrage dans les affects, par les processus d'identification, qui nourrit une réflexion plus intellectuelle, favorise la conscientisation et la volonté d'agir. On s'appuie sur les émotions pour mieux penser, au lieu de les proscrire de la pensée (Cf. Damasio : on pense avec son corps et sa sensibilité, pas seulement sa raison).

C) La rando philo

Elle était expérimentée par groupes de trois une demi-journée pour la troisième année, dans la tradition des philosophes péripatéticiens qui philosophaient en marchant. L'analyse de l'exercice dégageait deux éléments essentiels :

1) l'importance du corps dans l'exercice. Il doit être disponible (le froid était gênant, il faut un rythme sans essoufflement) ; l'oxygénation du cerveau active les idées (mais une personne trouve difficile de penser en marchant) ; il peut y avoir des tentations d'évasion mentale par les sens (dans le cadre du beau lac de Saint-Ferréol) ; il est difficile d'écrire en marchant, d'où la priorité à l'oralité, et la nécessité de mémoriser et synthétiser (il y avait des compte rendus de groupes) ; le côte à côte avive l'ouïe, l'attention et la compréhension, sans le face à face favorisant l'affrontement. Certains s'arrêtent pour penser ou parler, ou parfois changent de place dans le trio. Les rythmes de marche diffèrent beaucoup selon les groupes. Mais la synchronisation des pas dans chaque groupe pour un rythme collectif de marche satisfaisant pour tous synchronise aussi la cohésion du groupe, en développant l'écoute corporelle des autres...

2) Le groupe de trois, opérationnel pour marcher de front et s'entendre sans effort, favorise une intimité collective et une grande interactivité par le petit nombre, chacun étant sensible à ce que la parole tourne entre les trois. La discussion est plus spontanée, moins contrainte que dans un café philo où il faut des règles pour réguler la parole à cause du nombre. On se répond directement sans beaucoup différer son tour...

D) La consultation philosophique

Il s'agit d'un entretien duel où une personne, consultante, vient poser une question qui lui pose personnellement problème à un praticien philosophe, qui va l'aider à y voir plus clair avec une démarche philosophique rationnelle (et aussi de mieux comprendre comment elle pense), par opposition à une démarche thérapeutique (qui ferait appel à l'inconscient ou viserait le soin), ou de coaching. Il s'agit de traiter une question où le consultant est impliqué (et non de faire dans sa généralité une dissertation sur un sujet), mais avec un type de traitement spécifiquement philosophique.

Dans la démonstration proposée avec une volontaire, et l'exercice qui a suivi où les participants proposaient des questions possibles pour poursuivre l'entretien après la réponse du consultant à la question précédente, il a été noté dans l'analyse plusieurs attitudes du praticien philosophe qui peuvent être mobilisées : le questionnement pour demander de préciser sa pensée, définir une notion avancée, chercher une raison, argumenter une thèse ; la reformulation de ce qui a été dit pour vérifier la compréhension ; l'écriture des questions et réponses pour garder trace du cheminement et revenir éventuellement sur certains points ; la demande d'un exemple infirmant la thèse proposée ou d'un contre exemple à une exemplification, pour s'interroger soi-même ; le dégagement des présupposés ou conséquences d'une affirmation et leur examen critique ; l'exploration de la position contraire et de ce qui permettrait de la soutenir valablement ; le relevé des contradictions du consultant ; la question provocatrice pour faire réagir ; le déplacement de la question etc.

II/ Le contenu des échanges

A) Premier thème : "Y a-t-il une façon masculine ou/et féminine de penser, et plus particulièrement de philosopher ?"

Quelques extraits de la table ronde.

1- M. Tozzi précise qu'il peut y avoir trois positions possibles au moins sur la question. Une position unitariste et universaliste : il n'y a pas de différence entre pensée masculine et pensée féminine, mais une pensée, celle du genre humain, celle de la raison humaine (E. Badinter). Une deuxième position, différentialiste : il y a une différence entre les deux. Et soit elle peut être biologiquement fondée, en nature : un cerveau masculin plus cortical et hémisphère gauche, un cerveau féminin plus limbique et hémisphère droit - ou : si le corps pense, comme il est sexuée, la pensée doit l'être aussi. Soit cette différence de pensée est socialement construite par l'éducation et la culture, qui font intérioriser des habitus, conditionnant un genre - masculin et féminin - (et cette distinction peut évoluer...) : par exemple les femmes seraient, selon C. Gilligan, plus sensibles à une morale du care et de l'amour que de la justice et de la raison. Troisième position : une pensée féminine n'est pas forcément une pensée de femme et peut être portée par un homme et inversement.

On constate aussi qu'il y a peu de femmes dans l'histoire de la philosophie, une seule femme au programme français de philosophie de terminale (H. Arendt et depuis seulement 2003) ; et que la philosophie est statistiquement plus masculine chez les enseignants que les mathématiques : M. Le Doeuff, dans L'étude et le rouet, en conclut qu'elle est très machiste, surplombante. Il est significatif que l'Unesco ait lancé, sous l'impulsion de B. Cassin, un réseau international de femmes philosophes : est-ce que les femmes ont quelque chose de spécifique à apporter à la philosophie, historiquement construite par des hommes ?

On peut enfin penser que le féminisme est une pensée de femme révoltée contre la "domination masculine", selon le titre de P. Bourdieu. Ce serait l'émergence sociohistorique de la pensée collective d'une oppression millénaire, par lesquelles les femmes commencent à "se penser" dans l'histoire et la relation interindividuelle, comme sujets individuel et collectif en voie d'émancipation. Une pensée née de et par la lutte, qui alimente en son sein le débat entre universalisme et différentialisme, genre et sexe, et à travers les genders studies une analyse genrée des rapports sociaux, une nouvelle façon de penser le féminin, le masculin et leurs rapports...

2- F. Tolmer affirme que la philosophie classique est masculine, blanche, européenne, logocentrée et anthropocentrée. Est-elle l'expression d'une pensée de la domination ? Des femmes, mais aussi des hommes, poussent aujourd'hui à féminiser la philosophie, au "devenir femme de la philosophie" (Derrida). Comment penser la femme hors d'une philosophie classique très masculine, phallo-logocentrée, qui a si souvent maltraité et abaissé la femme, et en faire un nouveau "personnage conceptuel" (Deleuze) ? Peut-on continuer à dire de façon indifférenciée que "la femme est un homme comme les autres", après Simone de Beauvoir affirmant qu'"on ne nait pas femme, on le devient" ? Après la psychanalyse, dévoilant notre inconscient d'être fondamentalement sexué ? Après la découverte que nous pensons autant avec nos émotions qu'avec notre raison (cf. L'erreur de Descartes et Spinoza avait raison de Damasio) ? Comment fertiliser la "raison philosophique", déchue de sa visée totalisante-totalitaire, de son progrès contesté, et l'ouvrir à la vulnérabilité ? C'est bien une femme, Diotime (et qui plus est une étrangère), qui a permis à Socrate de penser l'amour (Cf. Le banquet de Platon).

3- G. Gorhan développe les idées suivantes.

Il convient de distinguer soigneusement la libération des femmes et la libération/mise en valeur/défense du féminin.

Le principe qui permet de s'orienter dans le combat pour la libération des femmes est indiscutable : égalité de droit absolue entre hommes et femmes.

Ce qui pose problème, en revanche, est la distinction entre le féminin (au sens de Goethe, à la fin de son Faust :"C'est l'éternel féminin qui nous attire vers le haut", mais il y a d'autres définitions) et le masculin.

Y a-t-il un roc physiologique ou pas pour diagnostiquer un lien privilégié entre le sexe (la nature, la physiologie : les organes sexuels, la grossesse, etc.) et le genre (ou "gender" : la culture, les conditionnements sociaux-psychologiques) ? Autrement dit, le féminin et le masculin sont-ils des pures constructions sociales ou non ? Mona Ozouf exprime ce roc physiologique "brutalement" ainsi :"Si l'homme peut forcer, la femme peut tricher"

Que serait alors une pensée proprement féminine ? Ne s'agit-il pas d'un oxymore : la pensée par définition n'est-elle pas universelle, s'élevant au-dessus de tous les particularismes (ethniques, générationnels, sociaux, sexuels, etc.) ?

Or, des femmes de plus en plus nombreuses revendiquent leur particularité, y compris dans le domaine de la pensée : Luce Irigaray, Antoinette Fouque, Isabelle Stengers, Catherine Malabou, pour ne nommer que quelques-unes.

Des poètes et certains philosophes de sexe masculin font pourtant part de leur inspiration de nature féminine : "Je suis une femelle éléphant, je mets dix-huit mois pour accoucher de mes oeuvres" (Nietzsche), et la métaphore de l'accouchement est fréquente chez les poètes et autres artistes.

En ce qui me concerne, la vraie pensée, à savoir la pensée créatrice, implique la bisexualité de l'humain, qu'il soit femme ou homme ; un adage chinois traduit bien cette articulation du féminin et du masculin : "Avant de peindre (élément masculin) le bambou, deviens le bambou (élément féminin) !"

Ce qui reste pour moi énigmatique, est la question de savoir, si cette articulation (pour simplifier, entre l'accueil féminin - une "impression"- et l'expression masculine) est la même qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme. Nous sommes renvoyés à la question du roc physiologique. Selon C.G. Jung il y a une différence essentielle entre l'animus (élément masculin de toute femme) et l'élément masculin de l'homme d'une part, et l'anima (élément féminin de tout homme) et l'élément féminin de la femme. Il ne s'agit certainement pas d'une simple question de proportions. De quoi peut-il bien s'agir ? (Je ne lis guère Jung, un psychosynthiste, mais sa distinction entre animus et anima me paraît intéressante).

4- C. Morzelle soutient que c'est la connaissance qui nous éclaire sur le masculin et le féminin. On ne connaissait pas dans la préhistoire le lien entre copulation et enfantement. Le 20ième siècle connait mieux la femme, anthropologiquement, biologiquement, culturellement... Celle-ci a remplacé le travail des hommes pendant la guerre, accédé à la contraception, développé des compétences sociales. La culture masculine est une culture du pouvoir, de la maîtrise, des normes rationnelles et universelles. Il y a intérêt à valoriser - ce à quoi peuvent aider les femmes - une culture du viscéral, pas seulement du cérébral, qui puise dans le vécu, le ressenti, plus inductive que déductive... Qui soutient non que L'un est l'autre (E. Badinter), qui ne vise pas l'un contre l'autre, mais l'un avec l'autre, dans une pensée dialogique où masculin et féminin acceptent chacun d'être altéré l'un par l'autre...

B) Deuxième thème : "La création"

1- Intervention de P. Vallet.

"Création et créativité - "I get no satisfaction, but I try..."

(...) Mon hypothèse est que la création est la forme émergente d'une irruption de l'inconscient ; la possibilité qu'il trouve (trouver-créer dit Winnicott) pour émerger sous une forme "neuve" et je mets des guillemets, car il n'y a pas de création "pure" : cette forme est toujours située dans une filiation, une histoire des formes, toute culture prescrit un certain genre de formes ; mais le symptôme ouvre la voie d'un petit quelque chose de singulier ; il y a toujours une intériorisation de modèles préalables, culturels, esthétiques, et une façon peut-être "originale" de les recomposer.

La création serait non pas une nouveauté mais une surprise, un éclair d'intelligence, impossible à préparer comme à reproduire, une remise en cause, une remise sur le tapis au point où se rejoignent l'universel et le contingent.

Schéma proposé pour représenter le cheminement de la création : "Effraction du Réel - Angoisse - Origines de la création - Incarnation et transformation des matériaux - Objet créatif ou de création".

"L'artiste est celui qui, mieux que d'autres, rejoue par sa création une origine qui le dépasse." (Thierry Delcourt, p.11) Cette ouverture sur l'inconnaissable de nos origines est promesse de naissance autant que gouffre effrayant ; s'en approcher expose à l'étrangement inquiétant, source d'angoisse." (p. 21)

Narcissisme et création : tous les auteurs insistent sur le caractère traumatique de l'inspiration créatrice, où se mêle la revendication narcissique : le sujet lutte pour créer un monde dans le monde, aux prises avec l'affolement narcissique. C'est une phase d'ébranlement du Moi qui peut aller jusqu'au vacillement de l'identité. La menace est permanente sur la stabilité du sentiment d'identité.

Le narcissisme peut alors être seulement un cri d'affirmation de soi, il s'agit de faire le Beau, comme on l'a fait un temps pour sa mère...On peut constater un amour de soi complaisant chez celui qui n'a rien à donner et qui ne peut alors que s'exhiber. Cette impuissance à donner signe là un narcissisme primaire inentamé, qui baigne et qui barbote dans lui-même avec délice et ce qu'il produit alors ne donne rien de très pertinent, hormis l'exhibition de ce symptôme plutôt banal : l'incapacité à donner. Loin d'être restaurateur, il mène à la sclérose du Moi, à l'extinction des sources vivantes de la créativité. Le renversement créateur, qui retourne le symptôme en force de vie, n'a pas lieu.

Mais le narcissisme n'est pas forcément l'amour de soi complaisant : Le narcissisme secondaire s'inscrit alors comme un travail de deuil et de reconnaissance de l'altérité, l'épreuve narcissique commence par la façon d'encaisser les coups de faillite et de leur donner la réplique : de s'arracher à ce qui nous a blessé (la vie, le destin, l'histoire...), pour poser un acte qui nous paraît vivifiant, donne naissance à quelque chose pour ex-sister ; on va tenter alors de surmonter ce qu'on a vécu pour le revivre autrement mieux, en l'incarnant dans une production, voire un objet d'art...

Dans ce sens, réaffirmer son narcissisme, c'est tenter quelque chose, dire non au désastre, à la déprime, au conformisme, au déjà vu, au consensus, aux modèles etc.

De la créativité à la création :

"La créativité transforme le rien en quelque chose, la création est la puissance de dire ce rien." (Y. Breton). La créativité évoque l'expression des sensations, des idées innovantes, des souhaits, des rêves, des fantasmes, elle orne la réalité, c'est une mise en scène de l'espérance et du divertissement... L'espérance est celle de retrouver l'objet perdu. L'artiste entrouvre son imaginaire et laisse émerger des fragments d'inconscient, générant certaines trouvailles, images, notes, mélodies... La créativité est un pont sur l'abîme, sur ce versant l'art est satisfaisant, voire ludique, léger, plaisant, vivifiant, merveilleux...

En revanche, la création entretient un rapport au Réel qui peut aussi bien guérir que détruire, et qui prend acte du tragique de l'existence. Sur ce, l'art révèle le manque initial qui nous fonde. Le Réel est cet impensé, cette part inassimilable et qui ne cesse de se dérober, qui signe le rapport de l'homme à la vérité de son être. Dans la création, l'objet perdu fait trou et demeure à jamais perdu, c'est de cette perte même que témoigne la création.

D'après Wajman, la sublimation renvoie à l'idée de colmater un manque, à l'idée de bouche-trou ; on part d'un manque, d'une perte, qu'on cherche à combler. Alors que l'art contemporain semble inscrire le manque au coeur absolu de l'oeuvre ; il s'agit de montrer le trou, il vise à ce qu'il y a de plus réel dans le réel, c'est-à-dire l'absence, le trou... L'art de ce siècle a donc trouvé son objet : c'est la présence, sa pure présence d'objet ; qui ne sert plus à rien, même pas à faire beau, même pas à dire quelque chose d'une signification, et moins ça sert, moins "çà veut dire quelque chose", plus sa présence d'objet s'impose... La dimension moderne de la présence s'impose hors signification et hors ressemblance ; c'est un art en rupture avec toute analogie ; il s'affranchit de tout rapport avec la réalité ; mais çà ne veut pas dire qu'il soit affranchi du réel, tout au contraire, il le vise... quelque chose comme la chose même... c'est un art qui réinjecte ce qui ne peut se dire, l'absence, dans le visible même, il a une fonction de dépôt. Ainsi pour Wajman, l'art vise au Réel. Il vise à faire voir, sans représenter. C'est un art qui fait voir le Réel. Il refuse le renoncement, l'épuisement, la dénégation, et cherche une piste hors de l'ornière, dans une grande présence à l'ouvert...

Pour moi, la création est une protestation contre la fatalité et pour l'ex-sistence, une façon de chercher à résister aux Moires de la désespérance sans les dénier pour autant, en essayant de vivre davantage et de donner vie à quelque chose qui n'existe pas. C'est un accroissement des possibilités pour faire disparaître son Moi derrière son oeuvre. Aller et tenter cette aventure implique que plus rien ne sera comme avant ; le Moi se sera déplacé. "Le Moi est fait pour être perdu", dit A. Philipps.

P. Vallet conclut par quelques références bibliographiques :

  • Audi Paul, Créer, introduction à l'esth/éthique, Verdier poche, 2010. (Première édition, encre marine 2005)
  • Audi Paul, Jubilations, Christian Bourgeois éditeur, 2009.
  • Breton Yannick, Sublimation et langage plastique, Thèse de troisième cycle, Doctorat d'Etudes Psychanalytiques, Montpellier, 2001.
  • Delcourt Thierry, Au risque de l'art, Lausanne, éditions l'âge d'homme, 2007.
  • Maline Henri, Existence, crise et création, Encre marine, 2001.
  • Phillips Adam, Trois capacités négatives, éditions de l'Olivier, 2009.
  • Wadman Gérard, L'objet du siècle, éditions Verdier, 1998.

2- Intervention d'A. Bouillait (extraits) : "Sur l'impertinence du terme de "Création", la nausée qu'il colporte et l'urgence qu'il y aurait de s'en débarrasser...".

(...) Le philosophe, comme le poète, l'écrivain et tout autre utilisateur de langue - mais peut-être plus que d'autres parce qu'il se doit d'être conscient, comme tout bon artisan, de la nécessité d'employer l'outil approprié à la formulation, au développement et à la diffusion de sa pensée - qui est également un "inventeur de concepts" (Deleuze)1, est responsable de la langue qu'il emploie. Philosopher, c'est a minima n'être pas dupe du vocabulaire qu'on utilise, n'employer que des termes (et s'il le faut, les inventer : forger des concepts) dont on soit en mesure de rendre compte de l'origine et de s'assurer qu'ils ne véhiculeront pas autre chose que ce que nous souhaitons faire entendre2.

Or - et peut-être serons-nous au moins d'accord sur ce point ? - le vocabulaire n'est pas aussi transparent que certains d'entre nous aimeraient qu'il le soit et il n'existe pas de mot, de terme, de notion, de concept... neutres. (...) Les exemples en sont multiples. En voici - non au hasard - quelques-uns, et non des moindres : le mot "Dieu", dont Baudelaire écrivait qu'il était une "paresse de la pensée" ; celui de "Nature", cache misère des infirmités de la pensée à saisir les processus culturels qui ont contribué à nous faire devenir ce que nous sommes et dont - par incompétence, par intérêt, par habitude ou par crainte ? - on continue d'ignorer les contingences qui les font différer d'une culture l'autre engendrant ainsi une diversité humaine qui n'a rien de naturelle. Souvenons-nous que, si comme l'énonce le proverbe : "L'habitude est une seconde Nature", la "Nature", elle, est certainement une première habitude..." D'ailleurs, rien de moins culturel que l'idée de "Nature" ! Interrogez l'anthropologie.

Le terme de "Don" qui, selon Bourdieu empruntant cette réflexion à plusieurs anthropologues, ne serait "qu'un prêt à intérêt qui ne veut pas se faire passer pour tel" ;

La notion de "Beau" - "le Beau", celui de l'Hippias, notion qui longtemps a fait le fonds de commerce de l'esthétique - dont François Jullien redoute, à juste titre, le bavardage qu'il favorise en faisant taire toute interrogation.

(..) En outre, les mots qu'on emploie - on s'excusera évidemment de ce que ce serait par "habitude", voire pour "être compris" (l'excuse pédagogique - faire simple, accessible, compréhensible - n'étant pas la moins infectieuse...) - sont souvent révélateurs de l'effort que l'on s'abstient de faire pour être à la hauteur de ce qu'on aimerait penser. Partant, ils transportent, par défaut, notre adhésion implicite à des valeurs que l'on colporte sans trop se donner la peine d'y réfléchir ...Et, encore une fois, on ne saurait simplement s'en sortir en invoquant la mauvaise compréhension de l'autre : "Vous m'avez mal compris..." Ou : "Ce n'est pas ce que je voulais dire...".

Ainsi en irait-il de la notion de "création"... Si le mot "chien ne mord pas" - le terme de "création" lui, depuis quelques temps déjà - et parce que, de plus en plus, je m'occupe d'écrire à propos et aux alentours de ce qu'on nomme la "création artistique" ("artistique"...un autre mot qui devrait susciter la défiance...) - le terme de "création" m'attaque furieusement le mollet...Et cette morsure répétée, porteuse d'un virus rabique particulièrement virulent3) a fini par me convaincre de me vacciner contre l'emploi d'un terme qui, insidieusement, persiste à véhiculer des signifiés pour le moins sujets à caution...

Car le terme de création - et, si vous souhaitez en savoir plus, vous vous reporterez tant au Trésor de la Langue Française (l'ouvrage de référence du CNRS) qu'au Dictionnaire Robert Historique de la Langue Française en deux volumes qui s'intéresse tant à l'origine étymologique qu'à l'histoire de l'usage des mots - est une notion fortement polysémique, au champ sémantique étendu : On parle de création du monde, de création d'une oeuvre d'art, de celle d'une nouvelle collection de mode voire d'une entreprise. La vie même pouvant être à son tour une création. "Créer sa vie !" un impératif bien contemporain. Misère de la disette langagière ! Sa "Vie" (au fait, de quoi parle-t-on ?), il est déjà difficile de la pro-duire (voire : de la con-duire) sans trop verser dans la reproduction, alors, de là à la "créer" !

Certes, la foi en un "Créateur" étant sérieusement ébranlée et tout un chacun étant persuadé (au moins depuis Les Chants de Maldoror d'Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont et le pamphlet Asphyxiante Culture de Jean Dubuffet) qu'en lui sommeille un créateur (même s'il y en a qui ont le sommeil plus lourd que d'autres, la société se chargeant de distribuer les somnifères à tout va...), la notion s'est popularisée en prenant un sérieux coup de nivellement démocratique. Mais, néanmoins, le mythe persiste...l'illusion demeure.

C'est une notion qui tire son aura d'un paradigme. Le paradigme, c'est évidemment - du moins, pour le monde judéo-chrétien qui les nôtre - "La Création", celle des premiers versets de le Genèse (l'Ancien Testament), le "bara Elohim", la création ex nihilo, du néant, de rien (encore que cette formulation soit sujette à de nombreuses discussions, non seulement entre créationnistes et évolutionnistes, mais encore entre philologues et traducteurs4).

Et, même, si la plupart d'entre nous a finit par admettre contre le Numide Augustin, l'Evêque d'Hippone et Thomas d'Aquin, le docteur angélique, qu'il n'y avait pas de "création ex-nihilo", il demeure néanmoins que le terme de création charrie dans ses phonèmes des relents du tour de passe-passe démiurgique, de ceux qui font d'un foulard sortir des colombes. On admirera le talent du prestidigitateur mais, question : " Qui, dans cette affaire sera le pigeon ?".

Ainsi, à partir du moment où - parce que, paraît-il, on a grandi - l'on exclut le ex nihilo, la nécessité se fait de devoir accepter l'existence d'un "donné" primordial (aussi infime soit-il ?), et simultanément de concevoir la possibilité et les conditions de la transformation de celui-ci. Mais là encore, l'empoissement du langage nous guette. Car le "donné"... est sans doute un terme à soupçonner et peut-être à bannir ! D'une part, parce que c'est une mauvaise traduction de l'anglo-américain : data. Et puis, parce que cette formulation suppose l'existence d'un don, dont on a vu plus haut le caractère problématique.)

Faut-il rappeler qu'en terme d'épistémologie et de méthodologie de la recherche, il n'y a pas de don, que rien n'est jamais donné, que tout est affaire de prises ; il n'y a que du "prendre", que des "prises" : prise de position, prise d'informations, prises de parole, prises de vues, prises de son..., et non pas "recueil de données"5, comme on le répète niaisement à l'envi, c'est-à-dire : sans jamais avoir interrogé le sens de ces mots. Que prend-t-on ? Comment le prend-on et pour en faire quoi ? Comment s'y est-on pris pour prendre ? Ainsi, l'objectivation (et non pas l'objectivité, qui n'existe pas...) consiste à tenter de savoir - et à rendre compte - d'en quoi et jusqu'où notre subjectivité est engagée dans ce que l'on prend et dans le comment on s'y est pris pour prendre... et rendre compte.

Soit, en vérité, on ne crée rien ; et dire que l'on crée, c'est faire l'impasse sur tout ce qui a été transmis, acquis ou engrammé - consciemment ou inconsciemment - dont la mémoire nous fait souvent défaut et que, faute d'en trouver la raison, l'origine, on revendique sans la moindre humilité comme étant une "création" personnelle. On retrouverait cette formulation dans la célèbre réplique : "Moi, Monsieur, je me suis fait tout seul !". Encore que le verbe "faire" connote - à juste titre - plus l'artisan que le créateur. En ce sens, ce serait presque un progrès.

C'est aussi nier le travail de l'inconscient, la lente alchimie interne de déplacement et condensation, de liaison et déliaison, de métabolisation et de transsubstantiation qui, massivement, nous échappent. Employer le terme de "création" plutôt que tout autre terme, c'est participer à cette idéologie qui semble ignorer ou persiste à vouloir occulter - et donc à dévaloriser - tout le travail infime, minutieux, répétitif, peu glorieux, souvent invisible, souterrain, latent, rhizomique... qui peu à peu contribue à l'humanisation de l'humain.

C'est persister dans l'entretien de la dépréciation de la lenteur des processus de production, de maturation, de transformation, et béer d'admiration devant la fulgurance des apparences et la perfection du sine manu factum (on voit bien qu'il y a là, latentes, des qualités que l'être humain à prêtées aux dieux qu'il s'est construit, faute de pouvoir lui-même les mettre en oeuvre. "Il serait certes très beau qu'il y eut un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie future, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes." remarquait Sigmund Freud, dans L'avenir d'une illusion). On comprend mieux pourquoi le pire ennemi du créationnisme, c'est Darwin : extrême lenteur des changements, déplacements irrepérables et de multiples fois répétés pour l'un ; soudaineté de l'avènement pour l'autre (les coups de baguette magique opèrent dans l'instant, avec la promptitude de la foudre : "Et, soudain...le prince se transforma en crapaud !", le carrosse en citrouille et mes certitudes en doutes...). Eh bien non ! Et même si je n'ai jamais eu beaucoup de certitudes, j'ai mis beaucoup de temps pour oeuvrer à l'élaboration de mes doutes. Ce fut un travail, du travail ; pas une "révélation soudaine".

Dire que l'on crée - en dehors de la revendication d'orgueil et d'immodestie que suppose cette formulation, ainsi que du manque d'humilité dont elle atteste - c'est afficher son mépris pour les transformations invisibles, latentes, imperceptibles, pour le travail (qui n'est pas, tant s'en faut, une notion "romantique"...).

De fait, "création" - avec ou sans "c" majuscule - est donc un mot que je n'emploie jamais (comme l'énonçait Lacan à propos de celui de "liberté"), tant il est en occident connoté, saturé, infesté, empoissé aurait dit Roland Barthes de doxa théologique. Et d'"esthétique romantique" ajouterait avec raison le philosophe et phénoménologue J.-F. Lyotard, qui cherchant à définir ce qu'est un "intellectuel" dans un article du Monde du 8 Octobre 1983, s'interrogeant sur le fait de savoir si l'artiste, l'écrivain, le philosophe seraient des intellectuels :

"Un artiste, un écrivain, un philosophe en tant que tel n'est responsable qu'à l'égard de la question : "Qu'est-ce que la peinture, l'écriture, la pensée ?" (...) Disons qu'il expérimente. Il ne cherche nullement à cultiver, éduquer, former qui que ce soit. Toute incitation à soumettre son activité aux enjeux culturels lui parait justement irrecevable. Il n'est donc pas pour autant un "intellectuel" non plus. Il n'a pas besoin de s'identifier à un sujet universel et de prendre en charge les responsabilités de la communauté humaine pour assumer celle de la "création". Et, tandis qu'il écrit ce mot entre guillemets, il ajoute ce commentaire entre parenthèses - je cite : "Je mets des guillemets pour protester contre les connotations de théologie chrétienne et d'esthétique romantique dont ce mot reste chargé. Trouverons-nous jamais le terme propre pour désigner une activité essentiellement dépropriée et dépropriatrice ?"6.

Réflexion qui ne peut que nous faire que réfléchir ; d'autant que, comme le signalait Albert Camus : "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". Partant, au sien propre. Ce à quoi je ne souhaite pas m'employer.

Alors, une fois le mot "création" éliminé, et faute, comme le signalait Lyotard, d'en trouver dans l'immédiat un qui ne soit pas plombé par la glue théologique ou le pathos romantique - à vos concepts, philosophes ! - j'opterais pour :

  • Produire, faire, fabriquer (qui a le mérite de renvoyer à l'homo faber).
  • OEuvrer. Encore que ce terme ait des relents romantiques qui m'exaspèrent. Encore une fois, c'est privilégier l'inspiration (ce qui vient d'en haut) à la transpiration (ce qui connote l'effort). G. Flaubert a dit à propos de ses ouvrages: "95 % de transpiration ; 5% d'inspiration" et ajoute G. Sand : "L'inspiration, c'est le prétexte des paresseux". "C'est mon oeuvre !" : on en a plein la bouche. Cela ajoute l'empâtement à l'empoissement. Mais les dérivés ouvrier, manoeuvre, manoeuvrier connotent la tradition artisanale (Cf. la signature des tableaux par les peintres du quattrocento : "Antonello da Messina fecit". Antonello de Messine l'a fait, le fit. Et non pas le créa...
  • et ce que produit un processus de production, ce ne sont pas des oeuvres (l'oeuvre divine, forcément divine), mais des "artefacts" (et non pas des "Sine manu factum").
  • Inventer : parce que, en plus d'être des homos sapiens et des homos faber, nous sommes également des homo demens (capables d'imagination).
  • Découvrir : on découvre quelque chose qui était déjà là, que l'on n'a pas produit soi-même ; mais que personne avant nous (pense-t-on) n'avait rencontré. (cf. Cristobal Colòn découvre l'Amérique - en fait, c'est Americo Vespucci. Et puis bien d'autres la connaissait avant lui : celles et ceux qui y vivaient). Mais l'Occident chrétien pense que ce que lui ne connaît pas n'existe tout simplement pas. En ce sens, Cristobal Colòn invente l'Amérique.
  • Et par-dessus tous, un que j'affectionne tout particulièrement et que donc je privilégierais : "bricoler", qui dit mieux que tout autre l'activité empreinte d'humilité de celle ou celui qui sait faire "feu de tout bois" (ce qui, quand on connaît mon penchant pour la flogistique, a de nombreux mérites : il n'est évidemment pas aisé de faire du feu avec n'importe quel bois...), activité qui suppose de multiplier les associations incongrues, de constamment déjouer l'anesthésie des habitudes, de développer un sens aigu de la mètis (la ruse) et du kairos (l'opportunité). C'est un terme qui dit avec acuité et pertinence la façon que chacun à de combiner à sa manière ce que, d'une façon ou d'une autre, il a acquis et qu'il détourne, transforme, déplace, noue et dénoue, recombine autrement, simplifie ou complexifie.

Un terme qui suggère la combinaison des différents types d'intelligence qui entrent en jeu dans nos bricolages inventifs et productifs : l'intelligence sensible, l'intelligence technique, l'intelligence pratique, l'intelligence sociale. Et connote le peu, l'infime, l'humilité, la modestie, l'intime, "le presque rien", et "le je ne sais quoi" (dont d'autres ont démontré la complexité et la richesse)... Synthèse de l'homo faber, de l'homo démens, de l'homo promenans (celui qui, comme, Montaigne - et David Hume - devait se lever et marcher pour dégourdir leur imagination et ainsi, continuer de penser), de l'homo calculans (celui qui est capable d'anticipation et d'algorithme)... l'homo bricolant est aussi celui qui ne souhaite pas se leurrer sur le d'"Où venons-nous ?" et le "Où allons-nous ?"7mais qui plutôt questionne le "D'où allons-nous ?" et d'où nous viennent nos désirs, nos envies, nos idées. Pas de "génie" dans cette affaire ; "pas de don", de divinité... et peut-être même pas de transcendance. Mais du travail : obscur et lumineux, obvie et obtus, souterrain et apparent ; irrepéré et pourtant repérable si l'on veut bien s'en donner la peine : "Etre moderne, écrivaitCioran, c'est bricoler dans l'incurable".

Bref, je privilégierais des mots qui n'en appellent pas à l'Inspiration, au Génie, au Don, à la Divinité ou toute autre fatrasie... Soit - et pour le dire en un autre langage plus contemporain - des mots "qui ne se la pètent pas" (...).

Sur ce thème de la création, plusieurs groupes furent ensuite constitués sur : "Création, production et reproduction", "Création et créativité", "Peut-on créer à l'école ?", "Création et post modernité" ; et pendant la rando philo : "La vie (et la sienne) est-elle reproduction, production, création" ; puis : "Peut-on créer en politique aujourd'hui ?"...

III/ Rencontre 2012

Pour la rencontre 2012, qui aura lieu du 21 au 23 juillet, deux thèmes ont été retenus pour la réflexion sur le fond : philosophie et religion ; philosophie et poésie. Sur la forme, nous continuerons à pratiquer et analyser de nouvelles pratiques philosophiques (café philo, rando-philo), et en expérimenterons de nouvelles (méditation philosophique, atelier d'écriture philosophique, disputatio, discussion avec temps de silence, balade sensible et intellectuelle, entretien d'explicitation philosophique, forme tétralogique de l'échange...). La philo danse ou le philo massage ont été évoqués, mais sans précision sur ces "genres" philosophiques...


(1) G. Deleuze Gilles et F. Guattari Qu'est ce que la philosophie ?Paris, Les Editions de Minuit, 1991.

(2) Du moins, du côté de l'émetteur car, de celui du récepteur, c'est encore une autre question.

(3) Se souvenir de la déclaration du Maréchal Patrice de Mac Mahon à propos de la fièvre typhoïde : "La fièvre typhoïde est une maladie terrible : on en meurt ou on en reste idiot. J'en sais quelque chose : je l'ai eue.". Alors, la rage...

(4) La scène d'ouverture du récit de la création de Genèse 1 - 2 décrit une terre déjà existante dans l'obscurité, sous les eaux dans un état chaotique, sans faire mention de l'identité de son créateur, ni du moment où celle-ci a été créée, si seulement elle a été créée. Dans l'Ancien Testament, le mot Hébreux bara (créer) se prête de lui-même à la notion de création ex nihilo. Dieu est presque toujours le sujet de ce verbe. Il y a toutefois quelques exceptions notables. Josué 17 - 15 "Josué leur dit : "Si tu es un peuple nombreux, monte dans la forêt ; tu te défricheras (bara) un endroit au pays des Perizzites et des Rephaïtes" ou bien Ezékiel 23 - 47 "Cette assemblée les lapidera et les abattra (bara) à coups d'épée." Ainsi, le verbe barra implique invariablement l'apparition de quelque chose de radicalement nouveau. Par exemple : "Car le Seigneur crée une chose nouvelle sur la terre. La femme recherche l'homme ! " (Jérémie 31- 22) et "Car je crée un ciel nouveau et une terre nouvelle " (Esaïe 65 - 17). Lorsque ce verbe est utilisé, il est rarement fait mention de ce qui est utilisé, si quelque chose est utilisé dans le processus créatif. Il est donc très compréhensible que la plupart des chrétiens supposent que barra signifie : créer à partir de rien. Pourtant, une analyse attentive montre que barra n'implique pas exclusivement cette notion. Bara apparaît environ cinquante fois dans l'Ancien Testament avec pour signification créer, faire, modeler, former et défricher. Les langages du Proche Orient Ancien reliés à l'Hébreux avaient des mots ("cognâtes") provenant de la même racine que barra pour dire : créer, modeler, former, fonder, construire, séparer, diviser... De façon significative, une grande partie de l'activité créatrice de Genèse 1 implique des actes de séparation, en particulier dans le modelage de matière préexistante (la lumière des ténèbres, les eaux d'en bas de celles d'en haut par le firmament, la mer de la terre ferme...). Ainsi, Genèse 1 contient une activité divine créatrice ex aliquote (à partir de quelque chose). Dans cette optique, Genèse 1 - 1 peut se traduire : "Au commencement, Dieu sépara et créa les cieux et la terre." De plus, dans l'Ancien Testament, bara est utilisé de manière interchangeable avec le mot courant dans l'usage quotidien "asa" (faire). Ainsi, les auteurs inspirés ont utilisé comme synonyme de bara un mot qui signifie le plus souvent l'action de faire à partir de matériaux pré existant.

(5) Encore un terme le donné, les données (datas) qui laisse supposer que quelque chose nous aurait été donné alors qu'il s'agit bien évidemment de "prises".

(6) Une activité dépropriée ? Qui n'est pas propre à...Le contraire d'une activité appropriée. Qu'est-ce qu'une activité appropriée ? Appropriée : "Rendu propre à ; Convenable à. Adaptée à. Mis dans un état de propreté, dans un nouvel état d'agencement.
Dépropriée ? Qui n'est pas adaptée à ? Qui n'est pas convenable ?
Dépropriatrice ? Qui n(e s')'adapte pas ? Qui ne contribue pas à l'adaptation ? au convenu ? Qui désapproprie ?)

(7) Se souvenir des réponses de Pierre Dac à ces deux questions : "Je viens de chez moi et j'y retourne."

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