Ci-après le compte rendu d'un Atelier philo avec des enfants de 8 à 12 ans aux Rencontres du Crap/Cahiers Pédgogiques en août 2011
Avant de commencer véritablement le débat, un responsable de la distribution de la parole est désigné, puis Michel l'animateur interroge les enfants sur les règles du débat : donner la priorité à ceux qui ont le moins parlé et aux plus jeunes leur semble-t-il juste ? La réponse est clairement oui puisqu'il ne faudrait pas que certaines personnes ne parlent pas. De plus les plus jeunes ont moins de facilité à formuler des réponses aux questions posées.
Après avoir expliqué que leurs interrogations sur le temps provenaient de l'aperçu d'un économiseur d'écran représentant une horloge de manière originale, les enfants déclarent que le temps passe plus vite lorsqu'une activité que l'on fait nous plait et inversement, lorsque l'on fait quelque chose d'ennuyant, le temps parait plus long.
Une nuance est apportée à cela lorsque certains avouent que c'est lorsqu'ils ne comprennent pas que le temps passe plus vite. Alors pourquoi ? Il semblerait que le cerveau en réflexion ne pense pas au temps et donc quand il y a compréhension, le cerveau va plus vite à la solution, faisant apparaitre un ressenti d'inactivité. Ainsi, en classe, quand c'est intéressant, ça passe plus vite.
Il est intéressant de remarquer que lorsque le temps ne passe pas, on regarde sa montre, comme pour trouver un moyen de le faire aller plus vite.
Mais quelle est la différence entre trouver que le temps passe très vite et trouver que le temps passe trop vite ? C'est une question de perception personnelle. Le temps varie en fonction de l'intérêt que l'on porte à l'activité pratiquée.
Ainsi, la perception du temps varie selon la personne. Ou selon l'âge : l'un des enfants postule que plus on est âgé, plus le temps passe vite. En se basant sur des témoignages des adultes autour d'eux, les enfants valident la thèse autant qu'ils la remettent en question. Une situation normande où un "ptet ben que oui, ptet ben que non", ne leur suffit pas. Ils demandent alors leur avis au public d'adultes présents pour assister au débat. Ils ne semblent pas non plus pouvoir trancher mais relancent la question en mettant en valeur la place des souvenirs. L'un des enfants reprend en évoquant son souvenir de l'arrivée d'un nouvel élève devenu un ami, le souvenir est resté puisque l'on pense souvent à son ami. Cependant, certains trouvent que l'on pense autant aux amis qu'aux ennemis.
Ressortent alors deux thèses :
- on se souviendrait plus facilement des bons souvenirs.
- nous garderions autant de mauvais que de bons souvenirs.
Les souvenirs étant rattachés aux événements exceptionnels de la vie, la mémoire est sélective et le passé reste inscrit dans la mémoire, qu'il s'agisse d'une grosse chute de vélo ou d'une nouvelle amitié.
L'un des enfants propose alors de nous lire une fable philosophique d'un livre qu'il avait préparé avant le débat. Un aviateur raconte à un nomade qu'il met quatre heures pour parcourir la distance que l'autre fait en deux mois. Le nomade répond : "Et le reste du temps, tu fais quoi ?"
L'aviateur est un adulte comme les enfants les connaissent : il veut toujours aller plus vite. Mais pourquoi aller plus vite ? En allant trop vite, on ne profite pas du moment présent, ou bien on peut bâcler son travail. Il semblerait que les enfants préfèrent donc prendre leur temps.
Michel pose la question : que préfèrent-ils : la vitesse et la lenteur ?
En voiture, prendre son temps est mieux, on voit le paysage.
À l'école, être trop pressé empêche de donner le meilleur de son travail. La lenteur est ici synonyme de concentration.
À l'école toujours, les plus rapides ne savent plus quoi faire lorsqu'ils ont terminé tout leur travail. Alors que les plus lents se le font reprocher.
Pour aller plus loin, les enfants font la liste des avantages de la lenteur.
Etre lent permet de ne pas s'ennuyer après ses devoirs à l'école. En étant lent, on fait un beau travail car on a le temps de réfléchir, mettant en avant l'importance de la réflexion dans son travail. Deux exemples sont proposés : un jeu de cartes rapide du type Jungle Speed, où il n'y a pas besoin de se concentrer puisque seuls les réflexes visuels sont impliqués ; et un devoir de maths, plus compliqué, nécessitant une réflexion et donc du temps.
Et dans la société d'aujourd'hui, que privilégie-t-on ?
La vitesse est plus appréciée par les patrons : faire plus en moins de temps pour gagner toujours plus d'argent. Il existe donc une relation vitesse/richesse.
Retour au conte, à quel personnage les enfants s'identifient-ils le plus ?
La majorité préfère le chamelier qui prend son temps pour regarder le paysage.
Le choix de la vitesse ou de la lenteur dépend de son métier. Les livreurs, pilotes de course et d'autres encore ont besoin de la vitesse pour maximiser la production propre à leur travail. Ainsi, si quelqu'un n'a pas besoin d'être rapide, il n'a pas à l'être. Cela dépend de la personne, de ce qu'il fait, de ce qu'il est.
Mais alors, quels sont les avantages à vouloir gagner du temps ?
Aller plus vite fait gagner de l'argent, alors que prendre son temps c'est profiter plus simplement de la vie.
Les enfants ne démordent pas de leur apologie de la lenteur. Ils appliquent même cela à leur vie puisque pour eux, la vitesse est rattachée à la période scolaire alors que la lenteur correspond aux vacances et au repos.
Mais attention à ne pas perdre son temps. Qu'est ce qui caractérise l'impression de perte de temps ? Et surtout, comment ne pas le perdre ?
L'un des enfants préconise de toujours faire des choses qui nous plaisent, des choses utiles, ce qui correspond à philosophie de vie bien particulière que tous n'adoptent pas. En effet, à toujours faire la même chose qui nous plait, on se lasse.
La question est donc de faire la distinction entre une activité utile et une activité provoquant le plaisir.
Quel serait alors le bon emploi du temps ?
D'occuper son temps uniquement pour le plaisir ne serait pas forcément tenable, il faut donc équilibrer avec des occupations par contrainte ; pour d'autres, passer d'une activité de plaisir à une autre dès que l'on commencerait à se lasser.
Mais interviennent alors les notions de prévu et d'imprévu
Ce qui est prévu ne provoque aucune surprise, et cela manque, alors que l'imprévu étonne et surprend.
Une autre fable philosophique raconte l'histoire de singes mangeurs de noix de coco, qui se laissent vivre en ayant trouvé le moyen de toujours avoir de la nourriture. Ils ne font plus qu'attendre que leurs réserves s'épuisent et aucune surprise ne vient interrompre le cours de leurs vies.
Prévoir a-t-il donc des avantages ?
Une vie faite uniquement d'imprévus serait du grand n'importe quoi. Il faut une vie organisée mais laissant tout de même une place à la surprise. De plus, la vie sans planification permet à certains de se sentir plus libres. D'un autre côté, si on organise, on saura et on ne sera pas déçu par la finalité du programme.
Mais puisqu'il y aura toujours possibilité d'une évolution des gouts avec l'âge notamment, il faut toujours planifier un peu des activités que l'on aime et un peu de celles que l'on n'aime pas.
Malheureusement, le temps s'étant écoulé, le débat est interrompu, prouvant qu'une discussion s'arrête lorsque l'on est à court de temps mais jamais parce que l'on est à court d'idées. En conclusion, les enfants seront d'accord pour dire que la grande question de la confrontation des hommes au temps est : "Que fait-on de notre temps ?".