Revue

Rando philo - L'éthique de l'enseignant - Atelier des Rencontres du Crap-Cahiers pédagogiques - Juillet 2011

"Marcher en pensant ! Je dirai même plus, penser en marchant !"

Cette rando philo s'est tenue sur des chemins dans les environs de Saint-Affrique, dans l'Aveyron, sous forme de plages horaires de deux à sept heures pendant quatre jours.

I/ Présentation

Marcher, comme dans une rando ; et réfléchir, comme dans un atelier philo. Marcher, en méditant seul, en réfléchissant à deux ou à trois, avec des pauses de discussions collectives.

Problématique de la réflexion : "Enseigner, c'est transmettre du savoir, faire apprendre, mais aussi éduquer des personnes. Cela met en jeu des valeurs et engage une pratique. Il s'agira dans cette rando philo de faire un parcours à la fois pédestre et intellectuel pour s'interroger :

  • sur la clarification des notions de norme, valeur, loi, règlement, statut, déontologie, morale, éthique...
  • sur la déontologie et l'éthique de l'enseignant.

Nous nous questionnerons : enseigner et faire apprendre, évaluer, travailler avec des enfants ou des adolescents, des élèves, des groupes, d'autres adultes, vivre ensemble... dans toutes les activités de notre métier : qu'est-ce qui nous tient à coeur ? Qu'est-ce qui nous fait douter ? Comment le vivons-nous chacun et ensemble ?

Nous élargirons nos horizons : à quoi et à qui nous référons-nous pour agir dans ce domaine ?

Nous débattrons : qu'est-ce qu'il est important de garantir quand nous travaillons dans la classe ? Dans l'école ou l'établissement ?".

II/ Les moments forts du cheminement

A) Se questionner à partir de l'évocation de situations à dimension éthique (approche de l'éthique par des situations vécues). Voir les autres questions en E.

Situation : Ecole maternelle, le RASED. L'équipe dysfonctionne, il y a des mutations en chaîne.
Question : Que faire face à un dysfonctionnement d'une partie de l'équipe sans se brûler : complicité passive, connivence, inaction ?

S : Primaire. Relation entre un professeur débutant et une mère d'un élève harcelé.
Q : Comment se positionner dans la gestion des conflits et éviter les injustices : l'enseignant arbitre, juge, éducateur ?

S : Essai de travail de groupe en français, en seconde. Bilan du professeur décevant.
Q : Comment lâcher ma peur de ne pas coïncider avec l'image du prof tel que je me l'imagine, et accepter de me mettre en insécurité professionnelle pour innover ?

S : 0/20 pour dissertation de philo non rendue malgré des délais accordés.
Q : À quelles conditions une sanction peut-elle ne pas être purement répressive, mais éducative ?

B) Définir des notions proposées en groupes de trois (processus de conceptualisation collectif)

Norme

  • Ce qui est pratiqué par la majorité dans une société donnée.
  • Ce qui caractérise la majorité des individus dans un groupe donné et n'est pas questionné ou remis en cause (comportements, modes de pensée, idées...).
  • En lien avec des usages contextualisés à un moment précis. Elles fixent une limite sur ce qui est normal et anormal. Elles sont liées aux préjugés sociaux, religieux.

Règle

  • Ensemble de contraintes que s'impose un groupe.
  • Ensemble des obligations qu'un groupe se donne pour vivre ensemble.
  • Déclinaison pratique des normes fondées sur des valeurs. C'est la mise en musique.
  • Modalité pratique de mise en oeuvre (des valeurs ou des normes).

Valeur

  • Idéaux qu'une société se choisit (liberté, solidarité, individualisme...).
  • Ce qui dans un groupe donné représente un idéal que le groupe revendique.
  • Peuvent avoir une reconnaissance universelle ou ne se référer qu'au contexte d'une société, d'une culture. Elle fonde un socle commun de principes sur lesquels sont d'accord les membres d'une société humaine.
  • Idées sur lesquelles on porte un jugement.

Ethique

  • Respect de règles fondées sur des valeurs humanistes.
  • Ensemble de valeurs individuelles et explicitées. Dans une situation, l'éthique permet de faire le choix le plus proche des valeurs auxquelles on adhère. Cela suppose un débat avec sa conscience. Individuelle et relative.
  • Espace de réflexion et de définition des principes moraux.
  • Est-elle personnelle ou non ? Explicite ou non ?

Morale

  • Différence entre le bien et le mal, qui permet à une société ou un individu de fonctionner.
  • Ensemble d'énoncés normatifs et / ou prescriptifs que se donne un groupe.
  • Corpus de règles permettant de définir le bien et le mal sans discussion. Sociale, absolue, valeurs imposées par le groupe.
  • Ce qui définit en fonction des moeurs et du temps les principes devant régir la vie en société.

Déontologie

  • Règles que se donnent les professions ou un groupe plus large fondées sur le respect de l'engagement et de la personne.
  • Ensemble de règles référées à des valeurs que se donne un groupe professionnel.
  • Principes et valeurs définis par une profession, que ses membres doivent respecter.
  • Ensemble des règles qui régissent l'exercice d'une profession.

C) Échanger sur ce processus des définitions

Bien si on ne se prend pas le chou.

On définit transitoirement les notions.

Ça suppose de discuter. C'est conflictuel, mais ça permet de rentrer dans l'univers de l'autre.

Difficile de trouver d'autres mots que ceux que nous devons définir.

Expérience d'intelligence collective.

Etonnement devant l'altérité.

Le changement de groupes est difficile parce qu'on a envie de réutiliser l'acquis du groupe précédent, alors que les nouvelles personnes ont des définitions différentes... ce qui permet de se déplacer à nouveau.

J'ai apprécié l'explicitation de sa pensée avec des exemples. Ce ne sont pas des digressions, parce que l'intime élargit la palette du champ de la pensée et permet le va et vient entre l'expérience et l'abstrait.

J'ai aimé la différence de processus d'échange à l'intérieur des deux groupes : dans l'un, discours construit ; dans l'autre, ping-pong de mots-clefs par associations.

Le choix des mots à définir nous amenait à nuancer notre pensée. Il faudra regarder les définitions sur le dictionnaire...

Un polycopié est apporté.

D) Quelques apports

- Max Weber distingue, dans Le savant et le politique, éthique de conviction et éthique de responsabilité. On peut agir selon les maximes de l'éthique de conviction, faire ce qu'on doit sans se poser la question du résultat, ou agir de manière à "répondre des conséquences prévisibles de nos actes" (p 206). Mais "aucune éthique au monde ne peut nous dire à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses." (p 207). Max Weber reste donc dans une certaine ambivalence dans ce qu'il nomme "ces paradoxes éthiques". L'éthique de conviction semble vouée à l'échec du fait de son irrationalité, mais les grandes figures qu'elle anime ne sont pas sans influence sur le monde, ainsi Jésus oui d'autres. A l'inverse, l'éthique de responsabilité, qui tient compte de la réalité telle qu'elle est et cherche à agir sur le monde en toute humanité, est toujours susceptible d'entraîner l'homme dans des compromissions avec les "forces diaboliques" de la violence. "L'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l'une et l'autre et constituent ensemble l'homme authentique, c'est-à-dire un homme qui peut prétendre à la "vocation politique". p 219

- Mireille Cifali, s'inspirant de la psychanalyse, définit l'éthique de l'enseignant comme une éthique de la responsabilité : respect de l'élève et de l'enfant comme personne ; aide à la construction de sa personnalité ; assumer d'interdire à cause des pulsions agressives de l'être humain ; le pouvoir de l'enseignant lui confère une responsabilité : le charisme ou la séduction sont des pièges, il faut réinventer l'autorité éducative...

- Paul Ricoeur, dans Soi-même comme un autre, distingue deux approches fondamentales, dans l'histoire de la philosophie : Aristote, dans L'éthique à Nicomaque, qui définit l'éthique comme "ce qui est bon pour moi" ; et Kant, dans La métaphysique des moeurs, qui définit la morale comme un impératif catégorique supérieur qui s'impose universellement à tous les hommes ("Traite toujours autrui comme une fin, jamais comme un moyen"). Pour Ricoeur, l'éthique est "la visée d'une vie bonne, par et pour autrui, dans des institutions justes". Cette visée d'une vie bonne pour moi doit faire l'épreuve kantienne de l'universalisation ("Agis comme si la maxime de ton action pouvait être érigée en loi universelle"), mais reste en dernière instance la source de l'éthique, car celle-ci pour Ricoeur est supérieure à la morale, au-delà de tout formalisme.

E) Revenir sur des situations évoquées pour les travailler sous l'angle de la question éthique.

1) Inventaire de situations autour de l'élève

- Rapport au savoir
S : CE2 interculturelle. Cours sur l'origine de l'homme.
Q : Comment accueillir les croyances religieuses des élèves quand on doit enseigner des savoirs institutionnels contraires aux principes de laïcité ? Quand on n'adhère pas aux programmes sur des points polémiques, doit-on et peut-on les enseigner ?

- Relations entre élèves et pédagogie
S : Exclusion d'un élève de collège par ses camarades en travail de groupe.
Q : Comment gérer l'exclusion d'un individu par un groupe et construire la valeur de tolérance, le sentiment du collectif, ce de manière concertée et cohérente en équipe éducative ?

- Le professeur entre un élève et la classe
S : Lycée. Un nouvel élève de seconde, orphelin, vivant en foyer, monopolise le professeur principal, déborde en classe. Malgré toutes les tentatives d'intégration, il est exclu en première après un conseil de discipline.
Q : Comment faire la part de l'affectif dans ses relations à l'élève comme vecteur d'accompagnement, pour rester juste avec tout le groupe ?

- Professeur / élève : entre le privé et le professionnel
S : Un élève interpelle son prof sur sa vie privée (préférence homosexuelle). Le prof apprend plus tard que, depuis la séparation récente de ses parents, l'élève vit depuis peu avec sa mère et la compagne de sa mère.
Q : Comment entendre ce qui fait question pour un élève quand il interroge un adulte dans l'espace de l'intime, sans le prendre d'abord pour soi, sans réagir et sur le registre institutionnel, en s'efforçant d'aider cet élève à trouver des éléments de réponse dans l'espace du collectif, tout en tenant compte des évolutions sociétales ?

2) Inventaire de situations de travail entre adultes

- Tension entre collectif de travail et engagement syndical
S : Tutorat prof-stagiaire dans le secondaire.
Q : Doit-on aider un collègue stagiaire quand on veut s'opposer au système institutionnel mis en place ? Doit-on accepter d'être tuteur d'un professeur stagiaire ?

- Tension entre direction et autres acteurs
S : Voyage scolaire. Le principal exclut une élève d'un voyage à la suite d'un conflit avec sa mère, contre l'avis de tous : trois profs, l'assistante sociale, la FCPE, et les autres élèves. Lettre à l'IA, manif. Le voyage a lieu et la mère change sa fille d'établissement pour alléger sa souffrance.
Q : Comment exprimer au mieux ses valeurs dans un conflit imposant un choix ?

- Souffrance au travail
S : Inspection 1er degré. Problème de relation entre conseillers pédagogiques. Suicide évité. Blâme administratif.
Q : Sur quelle éthique s'appuyer quand le cadre institutionnel brise des personnes pour des raisons professionnelles ?

- Tension entre deux causes légitimes
S : Conseil de classe. Un prof règle ses comptes avec un élève délégué et quitte le conseil.
Q : Comment choisir entre solidarité de corps et défense des droits d'un élève ?

3) Reformulation des échanges : à travers toutes ces situations, qu'est-ce qui nous semble important à garantir ?

Principales remarques des participants

Respecter à la fois l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité (situation 6). Cela suppose de renoncer à obtenir satisfaction sur un point considéré comme important, d'accepter de perdre du terrain sur le concret, même si c'est insatisfaisant, en résistant à la toute-puissance du chef. On voit d'ailleurs là un exemple de la "violence du politique" dont parle Max Weber. Renoncer à être idéalement validé.

Il peut y avoir conflit entre l'autorité et les valeurs institutionnelles d'une part, et la valeur de tolérance, d'accompagnement à laquelle on tient personnellement d'autre part.

Dans un 1er temps, on voit surtout le conflit des valeurs en présence. Mais dans un second temps, on se demande comment les concilier. Et on cherche des solutions pour le faire, on trouve un compromis, une position acceptable. Ou quelque chose comme une cohabitation, par exemple entre la croyance et la science ( situation 1) entre la logique syndicale et la responsabilité professionnelle (situation 5). Une recherche de cohérence.

Dans ces questions, il y a une dimension temporelle : une valeur peut nous apparaître essentielle à un moment donné, puis moins pertinente après réflexion.

Pragmatisme en situation : à un moment donné, on peut trouver mieux de donner la préférence à une valeur plutôt qu'à une autre.

Certaines valeurs se contextualisent pour être pertinentes. Comme quand on pense qu'il faut respecter à tout prix "tu ne tueras pas !" et qu'il y a une guerre...

4) Mais de quelles valeurs parlons-nous ? Pouvons-nous les nommer ?

Les apports des participants.

L'ordre. Valeur évidente quand on y réfléchit mais on n'y a pas pensé spontanément. Valeur ou condition nécessaire au reste ? Est-ce une valeur ?

La responsabilité individuelle et la responsabilité collective. Elles s'appuient l'une sur l'autre mais cela donne lieu à beaucoup de conflits, de mésententes... Dans les équipes, comme ce n'est pas clarifié, elles entrent en conflit.

La logique syndicale versus logique professionnelle : avatar de la tension éthique de conviction versus de responsabilité ?

L'obéissance n'est pas une valeur. Ça ne me concerne pas plus que les valeurs institutionnelles d'injonction.

Respecter la vie privée. Parler de la vie privée de quelqu'un sans son consentement est une violence. Mais il faut aussi respecter le pouvoir d'en parler. La valeur : le droit d'expression.

Egalité entre les élèves.

Justice.

Respecter sa place, tenir sa fonction. Faire ce pour quoi on est là. Ne pas dépasser la limite.

Donner des noms aux valeurs, c'est très difficile : pourquoi ?

Etonnant : on ne pense pas à la liberté, à la fraternité. Pourquoi ?

Ça dépend des situations. Par exemple : la liberté d'utiliser son pouvoir.

Solidarité : une valeur délicate. Respect du corps enseignant : faut-il être solidaire avec quelqu'un qui ne respecte pas l'éthique enseignante ?

Ce que l'on fait au nom de la justice peut s'avérer injuste par rapport à un élève.

Engagement militant et fidélité à ses engagements peuvent entrer en tension.

Ainsi, la fidélité à un investissement professionnel, la fraternité aussi, peut amener à accepter d'être tuteur d'un jeune collègue malgré la conviction qu'il faut refuser pour des raisons politiques ou syndicales. On accepte d'en retrancher de ses convictions par fraternité avec les jeunes ?

Dire non à l'institution et oui au collègue ?

Un principe : la défense des plus faibles. Des élèves. D'un élève. Mais la solidarité avec les adultes entre-t-elle en tension avec une solidarité avec les enfants, avec l'accompagnement dû aux enfants ? Solidarité, fraternité ?

Hors les dérives, quelque chose de fort : la loyauté à l'institution. Valeur fortement affirmée dans la formation des chefs d'établissement. Ne pas trahir parce que tu es assez courageux pour dire aussi quand ça ne va pas.

A propos de la "solidarité de corps", un certain malaise se fait jour. Il semble difficile de dire pourquoi on y tient, tout en ne trouvant pas cela tout à fait juste. Est-ce trop intime ? On peut éclairer cette question par les apports de la psychodynamique du travail.

Si l'on appelle solidarité de corps les défenses collectives construites par un collectif pour "tenir" face aux assauts de la souffrance au travail, au prix de l'indispensable capacité à débattre de ce qu'il est bien de faire ou pas au travail, alors, sans doute, cette solidarité a partie liée avec quelque chose de l'ordre du mensonge, du silence, de la rigidité en tout cas. Mais comment s'en passer ? Dans bien des cas, le collectif est trop en difficulté ou en souffrance pour pouvoir y renoncer sans risque excessif.

L'alternative, possible quand le collectif est en suffisante bonne santé et que le contexte n'est pas trop violent, donc pas toujours, c'est la construction de la confiance entre les membres du collectif à travers "l'activité déontique" et les va et vient entre échanges verbaux et regard sur la réalité du travail des uns et des autres. "Activité déontique", c'est-à-dire activité de production de règles, informellement, en discutant à deux ou trois pendant les pauses par exemple, sur des anecdotes de travail qui donnent à voir les questions qu'on s'est posées et les choix qu'on a faits en situation, dans l'urgence et l'imprévu, à l'intuition. Les discussions, les réactions, permettent de dire peu à peu ce qui est du bon travail et ce qui n'en est pas, à la fois et de façon imbriquée dans le domaine technique, relationnel et éthique. Le bon travail contient les trois. En discutant ainsi, on décide donc progressivement, collectivement, informellement, de règles valables dans ce collectif. Ceux qui les enfreignent, qui ne les respectent pas, qui en ont d'autres, sont exclus du collectif, ils perdent la confiance des autres... Ceux qui poussent les limites de ces règles peuvent à l'inverse être perçus comme innovateurs, libres, à nul autre pareils, ils ont un style à eux que le collectif peut reconnaître sans toutefois en faire une règle : "oui, mais toi, bien sûr, tu peux le faire !" Avec le risque que parfois, ces façons de faire apparaissent en situation comme mettant en cause les règles communes ordinaires et attaquent la confiance. Qu'il faut alors reconstruire...

Ne pas arriver à faire du bon travail, en être empêché, cause une souffrance qui est en grande partie d'ordre éthique. Etre exclu du collectif voue à la solitude, expose à la souffrance et aux attaques, empêche d'être reconnu comme un bon professionnel par ses pairs. C'est difficilement tenable à long terme.

F) retour sur ces réflexions à la lumière de l'analyse du travail.

Quatre textes sont proposés : en quoi éclairent-ils l'éthique enseignante ?

- De P. Molinier : les réceptionnistes (in Les enjeux psychiques du travail, p. 126).
On retient : Un vécu individuel en décalage avec un consensus collectif.
On fait le lien avec :
La déploration en salle des profs, qui pointe bien une difficulté mais en même temps la masque et rend impossible le travail sur cette difficulté.
La tension entre "bien faire son travail" et "ne pas mentir". Parfois, il faut un peu tricher pour bien travailler ?

- De P. Molinier : extrait de La haine et l'amour, boite noire du féminisme ? Une critique de l'éthique du dévouement.
On note le processus d'enjolivement de la réalité chez les personnes qui travaillent avec de jeunes enfants. Et les actes de maltraitance d'abord dénoncés par des collègues, dénoncés, sont ensuite très vite oubliés. Et l'analyse de la "muliérité", la question du genre dans un métier très féminisé.
Pour les enseignants, il y a plutôt critique des élèves qu'enjolivement !
L'éthique du don de soi dans un métier où il y a plus de femmes que d'hommes, renforcée par les attentes des parents, peut aboutir à l'obligation du don de soi illimité, et à la même culpabilité. Nécessité de poser des limites. Un travail professionnel, pas caritatif.
Poser des limites à l'investissement est profitable à celui qui travaille et à celui pour qui il travaille.
La négation de la difficulté rencontrée avec une classe s'apparente à l'enjolivement.
On retrouve aussi l'agressivité déniée.
Et le même rapport à la dénonciation du collègue : conflit de solidarités.

- De P. Davezies : extrait de Sur le rapport à l'autorité en clinique du travail
La définition de l'autorité fait référence à Hannah Arendt. L'autorité renforce le lien à la fondation de l'organisation et le respect de l'autorité est partagé, elle est donc ciment de collectif.
Etymologie. augere : augmenter.
Tension entre autorité et argent. L'autorité comme ciment de la culture de l'organisation est mise à mal par l'intérêt particulier, incarné dans l'argent. Il n'y a plus de langue commune.
Pour l'école : le même conflit de valeur traverse l'institution en ces temps de rentabilisation.
Le métier de chef d'établissement expose à la schizophrénie : "tout va bien" discours de loyauté, versus "on coule !" ; lucidité au niveau local.
La notion de respect partagé de l'autorité dans la classe ou l'établissement.

- De C. Dejour "Ethique et morale", p. 170 et "Autorité, respecter ou obéir ?", p. 144 (in Travail vivant, tome 2 : travail et émancipation)
Définition des deux termes : morale (travail pour autrui) versus éthique (faire face à la souffrance, mieux vivre).
Mais ce n'est pas si simple. Réflexion sur la représentation idéale du travail. Respecter l'autorité versus obéir. Genèse du respect de l'autorité. Obéir versus soumission.
Pour l'enseignement : peut-être faudrait-il trouver différentes façons de fonder l'autorité selon l'âge des élèves : de deux ans à la majorité, il y a de grandes différences ! Fonder son autorité sur ses compétences professionnelles.

G) Quelques phrases ludiques pour terminer

- "Marcher en pensant ! Je dirai même plus, penser en marchant !"

- "Tous ensemble, tous ensemble, tous, éthique générale !".

- "En rando philo, je pense donc je suis, et aussi je marche donc je suis !".

- "Marcher c'est bien, penser c'est mieux, penser et marcher, c'est top !".

- "La marche, ça marche mieux pendant qu'on pense...".

- "Rando philo ? Donnez du poids à vos idées sans prendre un kilo !".

- "En rando philo, l'éthique c'est un pic, c'est un roc, c'est une canicule".

- "Avec l'épisode caniculaire, rando philo est devenue rando au fil de l'eau...".

- "Pour les rencontres, mieux que Meetic, l'éthique !".

III/ Quelques réflexions après coup

A) À propos de l'éthique du travail de l'enseignant

Très grande richesse des restitutions dans la deuxième partie de l'atelier, même si elles sont difficiles à mettre en forme. Une pensée qui se construit.

- A propos des thèmes abordés : rien sur la sexualité, le désir, la séduction prof / élève, prof/groupe ou élève / prof. Ces questions sont-elles dépassées ? Ou font-elles peur, sont-elles considérées comme a-normales et renvoyées au pathologique ou au judiciaire ? Cifali dit le contraire, et ça n'a pas été repris.

Rien non plus sur l'intérêt général opposé à l'intérêt particulier, pierre angulaire de la déontologie du fonctionnaire de la République. Ni sur la continuité du service public. Sont-ce des valeurs ? Et sinon, quoi ?

La loyauté est-elle une valeur démocratique ? Oui, s'il s'agit de l'engagement et de la parole donnée entre égaux. Par opposition à la trahison. A soi autant qu'à l'autre, d'ailleurs. On est dans le registre de l'honnêteté, de l'intégrité, et de la confiance à construire et à faire vivre. Du lien social. Non, s'il s'agit de la loyauté à l'Institution, car on retrouve là des valeurs féodales, le devoir de loyauté du vassal à son suzerain, sans réciproque dans les mêmes termes. L'inverse serait de l'ordre de la protection due par le fort au plus faible. Ce qui reste une valeur en démocratie, mais pas liée à une hiérarchie de corps sociaux dissymétriques dans leurs valeurs mêmes. N'est-ce pas l'Institution qui devrait prêter allégeance aux valeurs de la République et y être loyale, si l'on veut se référer aux valeurs. Mais ce point aurait à être creusé : qu'est-ce qui reste des valeurs féodales en démocratie ? Pour le meilleur (le chevalier toujours modèle ? de quoi ?) et pour le pire. Et qu'est-ce qui est démocratique ou pas dans notre République ? Et la démocratie est-elle une valeur ?

- L'éthique de l'enseignant va bien au-delà de la déontologie du corps, car elle touche aux valeurs essentielles qui lui permettent d'orienter et de juger sa pratique. Elle peut entrer en conflit avec celle-ci, par exemple si l'esprit de corps ou les valeurs de l'institution malmènent des principes auxquels on tient.

- La souffrance au travail peut être d'ordre éthique. Ainsi quand un rythme de travail ou une contrainte de productivité m'empêchent de "bien faire mon travail", je souffre de ne pas faire aussi bien que je considère comme juste, je souffre à plus forte raison de me trouver en situation de faire ce que je trouve injuste de faire, parce qu'on me l'ordonne ou parce que "c'est comme ça qu'on fait ici". Ce qui vu de l'extérieur est bavardage peut être tout à fait essentiel pour travailler parce que c'est dans cet informel entre pairs qu'on discute de ce qu'il est bon de faire ou pas, à la fois sur les plans technique et éthique, l'un n'étant pas dissociable de l'autre en situation.

B) Question de genre ou question de démarche ?

Il y a une dimension éthique de l'analyse des pratiques enseignantes, quand celles-ci convoquent des valeurs essentielles, ou des conflits de valeurs. On peut ainsi mettre en perspective philosophique et éthique l'analyse des pratiques professionnelles.

Analyse de pratiques ou philosophie ?Beaucoup de point communs aux deux genres : le respect de la personne, la convocation de la réalité, de l'expérience, forcément subjective, mais vécue dans et par rapport à un collectif (local, situé) et une société, la référence à des principes abstraits pour éclairer l'action, le recours à des discours construits de type théoriques, la discussion, la mise en débat ou en tension. Et surtout le récit de situation, d'anecdote de travail.

Mais la co-animation entre philosophe de profession et non-philosophe induit sans doute un genre mixte, hybride. Le dispositif et le type de questionnement qu'il sous-tend sont plutôt à visée philosophique : définition de notion, problématisation, questionnement mutuel... La réflexion n'a pas porté sur les situations éducatives, mais sur le questionnement éthique de chacun face à une situation. L'objectif n'est pas la formation par retour sur expérience - même si ça peut être un effet induit - mais la réflexion sur l'activité éthique dans le métier, sur ses fondements, sur ses processus. Et sur ce qu'est l'éthique elle-même. En référence à des systèmes philosophiques : Aristote, Kant, Ricoeur.

Et pas dans l'optique d'écouter un philosophe. Plutôt de se mettre à philosopher, grâce à l'accompagnement d'un philosophe. Est-ce que ça recoupe la distinction : apprendre des savoirs / acquérir des compétences ? Pas forcément, si l'on pense qu'écouter un philosophe met en cheminement personnel ? Ou dialoguer avec un philosophe ?

Pas non plus dans l'optique d'une synthèse sur la question. Il s'agit moins de produire un savoir sur l'éthique que de parcourir un processus de déplacement des questions d'ordre éthique qu'on se pose, et de se construire des repères clairs mais provisoires. Car il s'agit là d'une pensée au travail, dans les deux sens du terme : une pensée qui travaille, comme on dit qu'un bois travaille, et qui travaille le sujet qui pense, comme on dit que quelque chose vous travaille. Et la pensée d'un sujet qui travaille, qui va travailler, réellement. Donc peut-être une démarche proche de l'analyse du travail pour une praxis moins douloureuse et (parce que ?) plus assumée, qu'une analyse de pratiques pour une plus grande efficacité professionnelle ?

C) Marcher en pensant ? Comment ça se passe ?

- Sur l'activité de marcher en pensant, penser en marchant, on retrouve quelques constantes par rapport à l'an dernier : intérêt de chemins assez larges et peu fréquentés ; de groupes au maximum de trois, pour marcher de front et bien s'entendre ; varier les formules : seul, en binômes, par trois, groupe plénier. Pas trop de chaleur (on a dû se baigner pendant l'épisode caniculaire), ni de forte montée qui essouffle en marchant. Difficile d'interrompre des groupes en cours d'échange, quand on fractionne beaucoup les consignes. Activité orale avec ses avantages (interactions fortes) et ses limites (mémoire sans écrit). S'arrêter pour écrire, marcher lentement et à plat pour lire un texte. Contraintes de la gestion du temps quand on doit rentrer à telle heure.

- Un environnement magnifique mais dur : la recherche de l'eau mouvante, bruissante, fraîche, de l'ombre apaisante, humaine, face à un soleil menaçant, surplombant, écrasant, une chaleur brûlante, un air étouffant, une terre sèche, les cailloux, la pente parfois. L'expérience de la fragilité humaine dans son environnement changeant ?

Un sujet dur : impliquant, complexe, taraudant, ravivant les épreuves et les soucis de la nuit, le côté obscur du métier et ses exaltations ?

Une co-animation paisible, sérieuse, dans le travail commun pour élaborer ensemble le cadre, les déclencheurs de pensée, la trace des questionnements, le souci d'adapter les destinations à la réalité des chemins et de la canicule. Dans le temps du cheminement, des alternances entre un partage des tâches (Michel qui dialogue dans un groupe ou un autre, Sylvie qui guide le grand groupe et gère le temps), une animation participante pour les deux (chacun dans un petit groupe), une co-animation des échanges collectifs... Une souplesse possible grâce à un dispositif assez cadré.

Un groupe qui se construit, la confiance qui se renforce et qui s'expérimente à travers l'écoute, l'échange, la parole, la discussion, et la réalité bien présente dans les récits, les anecdotes discrètes du quotidien exhumées au regard des autres, au risque des valeurs, et au bénéfice de la reconnaissance.

Et une pensée qui se développe au fil de l'oral, sans le filet du papier ou de la machine. Une pensée qui se perd faute de trace matérielle et qui se retrouve grâce à la trace de ma parole chez l'autre, grâce à l'autre. Pensée furtive, fugace, qui se construit dans l'incertitude et qui se tisse de l'un à l'autre, pensée collective en mouvement jusqu'au dernier moment.

A l'arrivée, pas un discours philosophique, pas une pensée qu'on maîtrise, pas un savoir qu'on possède, mais des échos qui se prolongent en questions, des déplacements comme des lucioles dans la nuit, des mots, des phrases, un nom, comme repères, comme étapes pour une pensée qui chemine ?

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