Coorganisé par le Collège International de Philosophie (CIPH) et le Comité d'organisation des 11es Rencontres sur les Nouvelles Pratiques Philosophiques.
Problématique
"L'égalité des chances" : cette formule sonne comme un slogan ; elle est pourtant bien sybilline. Première difficulté : de quelle égalité s'agit-il ? S'agit-il d'une égalité de tous devant la formation, l'accès au savoir, l'acquisition de compétences - l'école, obligatoire et gratuite, étant l'institution censée pallier, ou du moins adoucir les inégalités sociales (et en premier lieu familiales) ? L'égalité des chances" a pris aujourd'hui un sens fortement "individualiste" : celui non pas d'un travail institutionnel, opéré par l'école, de rectification des inégalités collectives, mais plutôt celui d'un espace où peut s'exprimer, de façon moins collaborative que compétitive, la valeur de chacun. Alors l'école : institution structurant le groupe pour donner à tous les mêmes chances de réussite sociale, ou espace de concurrence libre et non faussée où s'affirme la valeur des plus méritants ? Seconde difficulté : elle tient justement à cette idée de mérite. En effet, lorsque l'on passe de l'idée d' "égalité" à celle d' "égalité des chances", on introduit une variable, celle du mérite individuel : à l'école d'instaurer l'égalité des chances ; aux élèves de savoir les saisir, ces chances, selon leur propre mérite. Comme si, au fond, l'égalité des chances anticipait sur la justification de l'inégalité des places, ou des positions sociales. Viser l'égalité des places, c'est tendre à modifier les structures sociales, en réduisant les inégalités de conditions de vie - les inégalités de revenus, notamment ; viser l'égalité des chances, c'est donner aux enfants des classes défavorisées les mêmes chances qu'aux autres. Mais de quelles chances parle-t-on ? Que recouvre ce concept flou ? Peut-on véritablement concevoir l'école comme l'institution qui donne les mêmes chances à tous (chances de se cultiver, chances de réussir socialement ?) - libre à chacun, selon son effort, de saisir telle ou telle opportunité ? Sous l'expression d'"égalité des chances à l'école", deux problèmes se posent donc : d'abord, "l'égalité des chances" est-elle une manière de tolérer des inégalités justes, et de valider l'idée que l'école ne peut produire, finalement, que des inégalités ? Ensuite, "l'égalité des chances" n'est-elle pas une manière de réintroduire la notion morale - douce aux oreilles des républicains comme des libéraux - de "mérite", dont il se pourrait bien qu'il soit, de façon très inégalitaire, socialement déterminé ?
Ces questions théoriques n'auront de sens qu'adossées à une interrogation sur la pratique de l'enseignement à privilégier : faut-il expérimenter des mécanismes compensatoires, voire des politiques discriminatoires, pour viser une telle égalité ? Comment intervenir à toutes les étapes du cursus scolaire, et ce dès le plus jeune âge ? Que faire notamment avec ceux qui décrochent du système scolaire ? Et quel rôle la philosophie, si elle en a un, peut-elle jouer dans la recherche de cette égalité à l'école, par l'école ? Car la philosophie, et son élitisme éventuel, fait-elle si bon ménage que cela avec l'égalité ? De nouvelles pratiques à visée philosophique se sont développées dans la cité (café philo, atelier de philosophie dans les Universités populaires etc.), et à l'école (école primaire et collège notamment), en particulier avec des élèves en difficulté scolaire : peut-on dire qu'elles sont dans le système scolaire un facteur de démocratisation et d'égalisation du rapport à l'école et aux disciplines scolaires, par l'accès dès le plus jeune âge à la réflexion, et par leur contribution à une "citoyenneté réflexive" dans un "espace public scolaire" ?