Nous continuons, en guise de témoignage, l'histoire d'un collègue de philosophie, en douze épisodes. Le récit de vie professionnelle est aujourd'hui considéré, par les sciences humaines, comme producteur de savoir, en tant que matériau d'analyse, et même, selon Mireille Ciffali, dans une perspective clinique, comme un "espace théorique d'analyse". Cela rejoint l'approche plus philosophique de Ricoeur, selon laquelle il prend le sens de l'unité narrative d'une identité professionnelle, plan de vie d'une unité narrative plus globale. Instructif pour ceux qui s'intéressent à la culture de la professionnalité philosophique professorale...
Comme tout témoignage, il n'engage que son auteur.
De Fermat à Oléron
Le Rectorat m'avait nommé pour la rentrée de septembre 1997 dans le grand et prestigieux lycée de l'Académie de Toulouse : le lycée Pierre de Fermat. Il se trouvait à 200 mètres de chez moi, dans la même rue. Je me suis débrouillé pour aller ailleurs.
Bien sûr, cette entrée en matière pourrait donner l'impression que je fuyais la facilité, mais ce n'est pas vrai. Je crois même qu'il n'aurait pas été très facile pour moi de travailler dans ce lycée où l'on tentait de faire réussir des élèves qui avaient déjà réussi (on n'arrive pas en terminale dans un lycée qui truste les premières places des concours aux grandes écoles, sans être passé par une série de filtres et autres sélections).
Je m'étais fait de ce lycée, que je connaissais de réputation, l'idée d'un lieu où les enseignants, habitués aux bons élèves, cravachaient le programme à un rythme effréné et récupéraient les retardataires à coup de cours particuliers que des parents soucieux et aisés n'hésitaient pas à payer. Je ne sais pas si mon idée était juste, mais je sais que c'était mon idée et qu'elle m'éloigna de cet établissement qui m'aurait permis, pour la première fois de ma vie d'enseignant, d'aller travailler à pied !
Il faut dire aussi qu'au début de l'été, j'avais vu passer une annonce dans Libération qui disait que le lycée autogéré et maritime de l'île d'Oléron cherchait à recruter deux enseignants dont son futur professeur de philosophie. Ça tombait bien, l'autogestion me tentait, et le caractère maritime du lycée m'allait comme un gant.
Quelques années auparavant, nous étions allés, ma complice-collègue-copine Patricia et moi, à une journée porte ouverte du lycée autogéré de Paris, qui se situait à l'époque rue de Vaugirard (près de la Porte de Versailles). Nous montions projets sur projets dans notre lycée de Seine Saint Denis, mais nous étions parfois fatigués de dépenser une énergie, qui aurait été plus utile à nos élèves, à convaincre une administration pourtant à leur service. Or, qui dit autogestion, dit, pas d'administration. Nous étions tentés. Nous sommes allés voir.
Bon, je me souviens que le bâtiment nous avait paru assez sale au premier abord (au deuxième, ça n'était pas mieux). Nous avons eu la réponse très vite. Le lycée autogéré était en plein débat pour savoir s'ils allaient payer du personnel pour nettoyer les lieux ou bien si cette tâche devait être assumée, autogestion oblige, par les membres du lycée (élèves et professeurs). Le débat s'éternisait un peu, au vue de la saleté des locaux, mais nous considérions, Patricia et moi, que l'autonomie a un prix : le temps que les gamins trouvent eux-mêmes les solutions.
Bref, nous étions mûrs pour enseigner dans un lieu tel que celui-ci. Une discussion que j'avais eue avec un élève m'avait, en outre, assez impressionné. Allant très vite aux sujets qui fâchent, j'avais demandé à un des élèves qui animait cette journée portes ouvertes ce qu'il se passait lorsqu'il "séchait" un cours. Le drôle m'avait alors regardé d'un regard bien franc et droit (pas si fréquent entre un professeur et un élève) et m'avait répondu, sans une once d'insolence, mais avec une pointe d'étonnement (non feint) : "je ne sèche pas, monsieur. Je ne viens pas, c'est différent" !!!
Le gamin ne me reprenait pas sur le mot que j'avais utilisé, mais sur le sens de son absence. "Sécher", c'est infantile et puis, surtout, cela consiste à feinter une règle que l'on vous impose. Là, c'était bien différent. S'il ne venait pas, c'est qu'il jugeait qu'il n'avait pas à le faire ; le cours n'étant pas concurrentiel avec autre chose de plus intéressant. En outre, il ne transgressait aucune règle, puisque, dans ce lycée, on n'était pas obligé d'être systématiquement présent.
J'avoue que ce qui m'a accroché, ce n'était pas ce mode de fonctionnement, qui suscitait en moi bon nombre de questions, mais bien le regard de cet élève. Un système qui permettait un regard d'une telle force chez un gamin aussi jeune ne pouvait pas être mauvais.
Quelques années plus tard, je n'ai pas laissé passer l'annonce de Libé sans postuler pour un entretien. Les professeurs étant recrutés par cooptation, ce furent trois collègues qui me reçurent et me passèrent à la moulinette de leurs questions. Nous étions fin juin. Je leur demandai une réponse rapide, car s'ils m'embauchaient, j'avais l'intention de rejoindre mon poste à la voile, mais comme mon petit voilier était en Méditerranée, il me faudrait faire le tour par Gibraltar pour gagner l'île d'Oléron ! Je comptai, en effet, vivre sur mon voilier pour limiter les frais.
Une des questions que me posa Marie-Jo pendant l'entretien fut : "Que ferais-tu si, à l'occasion d'une soirée, tu te retrouvais face à un élève qui fume un joint ?". Je ne me souviens plus très bien de ma réponse, mais sa question me renseigna sur ce qui préoccupait l'équipe...
Quoi qu'il en soit, ils m'embauchèrent. Je fis les démarches administratives pour changer d'Académie. Pas simple. En plus, personne ne semblait dans mon rectorat d'origine connaître l'existence d'un tel type d'établissement. Enfin, on me fit signer un "détachement". Je partis donc, l'air détaché. J'étais ravi, mais la réponse était tardive et la route maritime était longue. Je larguai tout de même les amarres (avec mon collègue, Yves, de Montauban). Manque de chance, c'était un été sans vent (fréquent en Méditerranée), et mon vieux moteur auxiliaire, trop sollicité, cassa l'un après l'autre tous ses silentblocs (sorte d'amortisseur). J'avais beau courir les soudeurs à chaque escale, ça cassait et recassait. Le temps passait. Mon équipier me quitta aux Baléares (c'était prévu) et je vis que je n'aurai, peut-être, pas le temps d'arriver pour la rentrée scolaire. Je fis donc demi tour et fis transporter mon voilier par camion jusqu'à La Rochelle. Je regagnai alors mon poste effectivement à la voile, mais seulement après une heure et demie de navigation...
Avant de raconter mon arrivée, tel Christophe Colomb découvrant Oléron, je crois qu'il me faut dire quelques mots sur les lycées autogérés français qui sont assez peu, ou pas connus.
En 1997, il en existait quatre en France (11 ans plus tard, je crois qu'il n'en existe toujours pas d'autres) : un à Paris, dont j'ai déjà parlé. Un autre à Saint-Nazaire (Loire Atlantique), parfois plus médiatisé, parce qu'il fut créé par, entre autres, le grand frère de Daniel Cohn Bendit, Gabriel. Le troisième était situé à Hérouville Saint- clair (entre Caen et Ouistreham) et le quatrième était le mien, dans le village de Boyardville sur l'île d'Oléron.
Ces quatre lycées sont des lycées publics (ce qui, pour moi, était essentiel), créés depuis 1982. Ils sont effectivement autogérés, c'est-à-dire qu'il n'y a ni proviseur ni proviseur adjoint ni intendant ni C.P.E. ni surveillants. Seulement des professeurs et des élèves ! De sorte que tout le travail effectué, ailleurs, par ces personnels susmentionnés, doit être fait par ceux qui autogèrent le lycée. Mais il y avait, en 1997, deux sortes d'autogestion dans ces quatre lycées. Celui de Paris et de Saint-Nazaire fonctionnaient selon une autogestion totale. Professeurs et élèves géraient ensemble le lycée (le principe : un homme, une voix, donnait donc une majorité aux élèves. D'où la longueur du débat sur : qui nettoierait, à Paris). Les deux autres, celui d'Hérouville en Normandie et le C.E.P.M.O. à Oléron, fonctionnaient selon une autogestion plus modeste, puisque seuls les profs autogéraient le lieu.
Comment est-ce que cela peut fonctionner ? Question légitime. J'y viens...
Je suis donc arrivé au lycée à la voile. J'ai mis mon voilier dans le port de Boyardville dans lequel je comptais bien vivre et suis allé trouver mes collègues pour la journée de prérentrée. Le lycée se trouvait au bord de la plage, face au Fort Boyard et adossé à la forêt des Saumonards. C'est un cadre magnifique qui, de surcroît, avait l'avantage de se trouver à 150 mètres de mon logis flottant. Finalement, j'allais pouvoir me rendre au travail à pied !
Je fus emmené illico au café qui servait de repère à l'équipe (le seul café ouvert l'hiver) et eus la surprise de constater que mon nom figurait déjà sur l'ardoise du "421" (nom du repère) et que j'avais donc un compte ouvert à mon nom ! Il faut dire que l'hiver, il n'y avait que 80 habitants dans le village. Alors, le 81e, forcément, lorsqu'il arrive, compte plus qu'ailleurs. J'ai étrenné mon ardoise, me suis dit que ça commençait pas mal et nous nous sommes mis à installer les locaux avant l'arrivée des élèves. Il s'agissait d'une grande bâtisse à deux étages, en pierre et toit en ardoise. Le problème est que le bâtiment, appartenant à la commune de Saint-Georges, était utilisé l'été pour des colonies de vacances (emplacement de rêve pour des "bouts de choux" venant s'aérer). D'où la réinstallation de septembre. Dernier détail sur cette bâtisse pleine de cachet, elle s'appelle "Maison heureuse". Cela ne s'invente pas...
Nous étions 17 enseignants pour à peu près 112 élèves (cela pouvait fluctuer au gré des arrivées et aussi des départs, la structure se révélant au-dessus des forces de certains jeunes). Le ratio profs/élèves était donc le plus élevé que je n'ai jamais connu. Il est vrai que nos élèves n'étaient pas, non plus, n'importe lesquels. Schématiquement, je diviserais notre population d'élèves en trois tiers :
Tout d'abord, il y avait les îliens qui nous arrivaient du collège voisin et qui se servaient de notre lycée expérimental comme d'un lycée de proximité. Ils aimaient vivre sur leur île et le C.E.P.M.O. (centre expérimental, pédagogique et maritime en Oléron) leur évitait de partir pour Saintes, Rochefort ou La Rochelle.
Reste qu'ils n'étaient pas tout à fait classiques, car, du point de vue sociologique, leurs parents appartenaient plutôt à une catégorie socioprofessionnelle aisée. Le lycée était expérimental, autogéré, accueillait des élèves, parfois étranges pour les autochtones. Il fallait donc une assez grande ouverture d'esprit pour tenter l'aventure en ce lieu qui souffrait, il faut bien le dire, d'une image pas toujours très positive chez des îliens un peu méfiants. Ce tiers-là était donc sociologiquement plutôt composé d'enfants de pharmaciens, médecins, antiquaires...
Le deuxième tiers était composé de ceux que j'appelais "les surfeurs". Le lycée était au bord d'une plage et son coté "maritime" ne leur avait pas échappé. Sportifs, cheveux longs, look à la "point break", ils nous arrivaient en début d'année avec leur planche de surf sous le bras. Il y avait dans l'équipe de profs, deux collègues d'E.P.S. moniteurs de plongée. Cette dernière était très développée au Cepmo (un jeune, arrivant en seconde et s'investissant à fond, pouvait, en terminale, repartir avec son niveau 4 en plongée. Ce qui est l'antichambre du monitorat), et ils ne l'ignoraient pas. Je ne le savais pas encore, mais ils seraient ceux que nous aurions du mal à retenir par bon vent d'ouest, le meilleur pour surfer sur les spots de l'île...
Enfin, le troisième tiers était composé des rebelles au système scolaire classique. Déscolarisés, ou en passe de le devenir, et parfois même désocialisés, ils étaient les cabossés du système, les écorchés vifs de la vie, ceux qui ne rentraient pas dans les cases et qui nous arrivaient avec leur passé, souvent lourd comme le couvercle du "Spleen" de Baudelaire. Quel proviseur aurait scolarisé Héloïse en seconde avec ses vingt-deux ans et ses deux enfants ?
Comment se mélangeaient ses trois tiers au lycée ?
Pas si mal que cela. Il faut dire que le lycée étant le seul de l'île, nos jeunes avaient le choix : ou bien se fréquenter (les autres jeunes de leur âge étaient forcément ailleurs), ou bien se résigner à la solitude. D'autre part, et du fait qu'il n'y avait pas de pensionnat et que notre recrutement était hexagonal, les élèves étaient souvent obligés de se mettre en colocation pour des questions d'économie.
Enfin, je crois que ce mélange était profitable à tout le monde, car les problèmes des uns n'étant pas forcément ceux des autres (sans oublier ceux qui n'avaient pas de problèmes particuliers), l'autre n'était pas un miroir renvoyant sans cesse l'image des mêmes difficultés. Le père Jaouen, assez connu dans le milieu éducatif maritime et qui a passé sa vie à embarquer des toxicomanes sur son "Bel espoir", et avec qui j'avais eu la chance de discuter un jour, m'avait confirmé que si l'on ne met en contact des gens à problèmes qu'avec des gens qui ont le même problème, ça ne fonctionne pas. Ses équipages ont donc toujours été "mixtes" et, ma foi (la sienne, surtout), il en a tiré de la drogue plus que bien d'autres ! Je n'ai donc jamais été surpris que le mélange prenne au C.E.P.M.O.
La polyvalence des profs
Un des critères de recrutement des enseignants était la polyvalence de l'individu. Il s'agissait pour chaque professeur de proposer aux élèves des ateliers hors de son champ disciplinaire, une heure et demi par semaine sur une plage de l'emploi du temps (que nous faisions nous-mêmes, bien sûr) banalisée à cet effet. Les élèves s'y inscrivaient volontairement et devaient, par contrat (j'y reviendrai) en choisir une. C'est ainsi que le collègue d'anglais initiait au langage des sourds et muets, la collègue de maths avait monté un club d'astronomie, les professeurs d'E.P.S. animaient un club de plongée et, moi-même, un club de voile. Le prof d'arts plastiques initiait à la lithographie, pendant que la collègue d'espagnol montait une chorale... Bref, nous étions encouragés à nous servir des nombreuses cordes qu'un individu a à son arc et les élèves en profitaient.
J'enseignais donc la philosophie et la voile et je dois dire que j'ai connu des journées d'une rare harmonie. Expliquer les subtilités d'un texte de Kant, puis, la marée étant favorable, récupérer quelques-uns de mes "villeux" pour aller virer l'île d'Aix ou simplement tirer des bords autour de Fort Boyard, donnait à nos journées un équilibre qui me laissait penser que j'avais trouvé mon Eldorado.
Le lycée avait un petit voilier de 6,5 mètres au fond d'un hangar dont je le sortis bien vite. Je me servais du mien comme d'un outil pédagogique et à la tête de cette mini-flottille, j'avais de quoi former une dizaine de jeunes. Ces activités extra disciplinaires permettaient de mieux connaître nos élèves et vice-versa d'ailleurs, ce qui était bien utile pour retricoter patiemment du lien avec certains "écorchés". Le tutoiement entre professeurs et élèves s'était imposé naturellement comme une norme et cela ne me posait aucun problème, comme je l'ai déjà expliqué.
Je m'empresse de dire, ici, que tout ceci n'est pas un argument en faveur de la réforme de 2005, dite loi Fillon, qui pousse les enseignants à la bivalence, c'est-à-dire à enseigner deux matières, lors même qu'ils n'ont été vraiment formés qu'à une seule !!!
D'ailleurs, j'ai testé, ce qui était bien normal pour ce lieu expérimental, cette mauvaise idée ministérielle, dès 1997. J'avais été, en effet, prévenu par mes collègues que si j'acceptais le poste, j'aurai 4 heures de français à faire dans une classe de seconde. Dans un établissement de 200 professeurs, on peut toujours demander à un collègue de faire des heures supplémentaires pour effectuer un petit reliquat d'heures qui demeure après la répartition. Là, il n'y avait qu'une collègue de français et son emploi du temps était très chargé. Un regroupement des terminales scientifiques et économiques pour les cours de philosophie avait, en revanche, permis de dégager quelques heures au philosophe de service ; heures qu'il pouvait réutiliser pour ce morceau de français à faire en classe de seconde. Je soupçonnais que ce n'était pas une bonne idée. Mes soupçons furent confirmés, mais j'avais très envie de venir enseigner dans ce lieu particulier et ces quatre heures de français faisaient partie du lot.
Il y a, en effet, une différence entre être polyvalent en tant qu'individu s'intéressant à autre chose que sa discipline (la voile, par exemple) et enseigner une matière qui n'est pas la sienne.
Pour des questions d'économie (qu'on ne s'y méprenne pas, cette réforme ne vise pas à mieux enseigner en enseignant deux matières), le ministère souhaite donc mettre en place une bivalence qui va un peu plus diminuer la qualité du service public. Il faut que je prenne, ici, un moment pour expliquer l'origine de cette mauvaise idée.
Le problème des remplacements de professeurs absents a toujours été difficile à résoudre. Par définition, il est impossible de prévoir quand un enseignant va tomber malade. Je ne parle pas des congés maternité qui se prévoient assez bien et qui se remplacent d'autant mieux (sans compter que la maternité n'est pas une maladie). Afin d'assurer une continuité du service public, l'Etat a prévu des titulaires remplaçants, que ce soit pour le primaire ou le secondaire.
Ces enseignants, j'insiste bien sur ce point, étaient des titulaires. C'est-à-dire, qu'ils avaient les mêmes diplômes, la même formation et souvent la même expérience professionnelle. De sorte que le remplacement se faisait "à qualité égale" ; autant que faire se peut, puisque quelqu'un qui arrive dans une classe a nécessairement un temps d'adaptation.
Reste que ces remplaçants titulaires, prêts à remplacer un collègue malade, ne remplaçaient personne, lorsque personne n'était malade ! Et comme il fallait bien les payer pendant cette période de non-remplacement, cela chiffonnait les comptables du ministère. Certes, ces fonctionnaires n'étaient pas payés à ne rien faire, puisqu'ils étaient rattachés à un établissement qui devait trouver à les occuper en attendant qu'ils soient appelés en remplacement. Je le sais. Je l'ai fait pendant quelques années (sur lesquelles j'anticipe un peu). C'est ainsi que j'ai donné pas mal de cours de soutien, développé une expérimentation de l'enseignement de la philosophie en seconde ou en première, dans mes lycées de rattachement. Bien sûr, pendant cette période j'étais sous-employé, il faut bien l'avouer, mais c'était le prix à payer pour un remplacement rapide effectué par un professionnel donnant les mêmes garanties que celui qu'il remplaçait.
Le ministère s'est dit qu'il y avait alors des économies à faire et a progressivement remplacé les remplaçants titulaires par des remplaçants occasionnels. Ces "mercenaires" qui sont recrutés en tant que "contractuels" (pour une durée déterminée) ou en tant que "vacataires" (pour un nombre de cours déterminés) n'ont pas passé les concours et n'offrent pas les mêmes garanties de formation ou même, parfois, de diplômes.
Reste qu'ils sont payés beaucoup moins chers et que les parents ne voient qu'une seule chose : le remplacement est fait. Qui est derrière le bureau ? Les parents savent juste qu'il y a quelqu'un et remercient le rectorat d'avoir fait si vite. Première baisse de la qualité du service (public) rendu.
L'affaire s'est compliquée lorsque le ministère s'est aperçu qu'il y avait certains secteurs géographiques isolés où la paye du mercenaire n'attirait pas de vocations. Aller faire trois heures de cours dans le fin fond de l'Ariège, à Saint Girons, par exemple (je l'ai fait, mais en tant que titulaire remplaçant), n'est pas rentable, compte tenu des frais de transport et de la faiblesse de la rémunération. Les titulaires remplaçants ayant été petit à petit supprimés par les professionnels de la calculette, ceux-ci se trouvèrent fort dépourvus lorsqu'ils découvrirent le problème de ces "niches" géographiques. Sans compter qu'il subsistait le problème des remplacements de courte durée (quinze jours) pour lesquels, quel que soit le lieu géographique, le temps de trouver le mercenaire, de lui faire signer son contrat, qu'il s'organise pour rejoindre son affectation, le titulaire était revenu et c'était quinze jours de perdus pour les élèves.
C'est alors que surgit l'avant-dernière trouvaille ministérielle pour gagner en flexibilité et en réactivité et éviter tous les problèmes (mais le lecteur attentif a déjà compris que le "avant dernière" signalait que tous les problèmes ne seraient pas encore réglés) : dorénavant, les enseignants allaient se remplacer entre eux, au sein d'un même établissement. Plus de titulaires remplaçants trop chers, plus de mercenaires difficiles à trouver. C'était la solution. Malheureusement les professionnels de la calculette maîtrisent mieux leur machine que la réalité sur le terrain !
Pour se remplacer entre eux, il faut d'abord que chaque enseignant soit volontaire pour faire des heures supplémentaires. Ce n'était pas le cas, alors le ministère changea la règle du jeu et imposa un minimum de deux heures supplémentaires hebdomadaires qu'il était devenu illégal de refuser ! Cela ne suffit néanmoins pas, car encore fallait-il que pendant l'absence d'un prof de maths, il y en ait un qui soit libre pendant les mêmes créneaux horaires. Pas toujours le cas ! En outre, il y a des disciplines pour lesquelles la probabilité d'une telle chance est moindre : ce sont les disciplines où il y a peu d'enseignants dans le même établissement. Dans un lycée, il y a toujours au moins une dizaine de professeurs de mathématiques ou de français, mais seulement deux ou trois professeurs de philo. Cela réduit la probabilité que les créneaux des uns soient compatibles avec les absences des autres. Le ministère a alors eu la brillante idée de compléter son dispositif en rendant possible que l'on se remplace quelle que soit la matière ! Tollé général des enseignants ! Un professeur de maths allait donc pouvoir faire un cours de maths en remplacement d'un cours d'espagnol. Là, effectivement, on allait atteindre une réactivité maximale. Mais enfin, quelques heures de maths en plus ne règlent pas le problème des quinze jours d'espagnol en moins !
Et c'est ainsi que l'on en arrive à la dernière et brillantissime idée de Gille de Robien : demander aux enseignants d'enseigner deux disciplines. Ainsi est né le fabuleux concept de "matière connexe". Une matière "connexe" est une matière que vous ne savez pas enseigner, mais qui est voisine de la vôtre. Le prof de physique peut bien dépanner en maths et le prof de philo peut bien faire un peu de français, non ?
Et bien, non ! J'en reviens à mon île d'Oléron. Je l'ai testé à mon corps défendant en 1997. J'ai fait du mieux que j'ai pu. Je l'ai fait dans des conditions bien meilleures que n'importe quel collègue ne le fera, puisque, toute l'année, j'ai bénéficié des conseils de ma collègue certifiée de français qui faisait cours dans la seconde d'à côté.
Je savais, dès le mois de juillet, que j'aurais à le faire et j'ai pu préparer mes cours, découvrir un programme et travailler ces quatre heures bien davantage que toutes mes autres heures de philosophie. J'étais motivé par ce lieu expérimental. Je n'ai pas pris ce boulot à la légère. Mais, rien à faire, professeur de français, c'est un métier ! Oh, bien sûr, j'ai fait cours, mais insensiblement, je le voyais bien, ils glissaient doucement vers la philosophie. La littérature du 16e et 17e siècle était vue, mais mes développements sur l'humanisme de Montaigne atteignaient des proportions à miner le moral d'un inspecteur de français. La poésie de Ronsard et de Du Bellay m'a toujours rasé. Je crois que je n'ai pas réussi à la faire aimer à mes élèves. Logique ! Certains gardent sans doute de nos cours un bon souvenir (ils me l'ont dit). Mais il faudrait être un ministre de l'Education Nationale très démagogue pour s'en satisfaire...
La polyvalence fortuite d'un individu est une chose et la systématisation d'une bivalence en est une autre. Certes, il peut arriver que les hasards d'une vie rendent un professeur d'espagnol apte à enseigner la philosophie (j'en connais un, mais il a passé les deux CAPES), ou un prof de philosophie apte à enseigner le français (sans parler de la littérature), mais une réforme ne peut généraliser ce qui relève du pur hasard. Une fois de plus, le ministre est allé en Grande Bretagne, a observé que les enseignants étaient bivalents et est revenu en France (véridique) avec une idée neuve !
Il a simplement oublié que l'Université, en France et contrairement à la Grande-Bretagne, formait les enseignants à partir de disciplines assez cloisonnées ! Et voici comment est programmée la baisse de la qualité du service public. Peut-être est-ce la raison pour laquelle nos ministres de l'Education Nationale scolarisent parfois leurs propres enfants dans le privé. Liberté de choix, répondra en son temps, Luc Ferry. Mais que penserait-on d'un vendeur de voitures pour la marque Citroën roulant dans une Renault ?
Je serais parent d'élève, je m'intéresserais au mode de recrutement et au statut de celui qui est derrière le bureau et à qui j'ai confié, via l'Etat, mon enfant...
Découverte de l'expérimental, expérience de la découverte
Le début de l'année scolaire 1997 fut beau, au sens climatologique du terme. Nous eûmes au mois de septembre, ce que l'on appelle "un été indien".
Nos élèves trouvèrent alors tout à fait naturel de venir au lycée pieds nus ; d'autant plus qu'ils filaient sur la plage à chaque récréation. Ma première grande réunion d'équipe fut donc, en partie, consacrée à ces "indiens" qui nous arrivaient tous les matins, ravis d'être "en communion" avec la terre (nous nous réunissions tous les mardis soir pour gérer le moyen et le long terme ; le cours terme étant réglé par une triplette de collègues - qui rendaient compte tout de même - avec tournante de ladite triplette toutes les sept semaines, à peu près).
Ce fut pour moi l'occasion de mieux découvrir mes collègues, en tant que groupe. Il y avait les partisans du "laisser faire", du "y a pas mort d'homme" et ceux qui pensaient que "ils commencent par les chaussures et ils finiront en slip". Les deux tendances étaient assez équilibrées et il fallut pas mal discuter pour tenter de convaincre. L'équipe n'était pas composée de barbus post-soixante-huitard, comme on pourrait se l'imaginer, mais de professeurs conscients qu'ils avaient une responsabilité d'autant plus grande qu'ils étaient d'autant plus libres, compte tenu du statut expérimental du lieu.
Le C.E.P.M.O. avait, par exemple, fait le choix d'imposer l'objectif baccalauréat aux élèves (le nombre d'années pour l'obtenir était négociable), mais il aurait pu faire un autre choix et balancer, par la même occasion, les programmes afférents (choix du lycée autogéré de Paris, par exemple).
Je ne sais plus combien de temps dura la discussion (toujours présidée par un des membres de la triplette de service), mais il y eut, pour finir, un vote et les élèves furent invités à se rechausser !
J'avais pris le pouls de l'équipe et il était bon. Je trouvai l'équipe en bonne santé, non pas au regard de sa décision (je crois bien me souvenir que j'avais voté pour les pieds nus), mais de la façon dont elle l'avait prise. Ca commençait bien...
De tous nos pieds nus, le plus réfractaire à cette " convention idiote", dixit les réfractaires ("bourgeoise" nous fut épargnée), fut, sans conteste, Erwan. Grand, cheveux longs (mais pas surfeur), ce natif de Douarnenez promenait sa nonchalance et ses doigts de pieds avec un si grand naturel que nous avions fini par le surnommer "l'indien". Il était de mes élèves de terminale et dire qu'il n'était pas scolaire serait un euphémisme.
Comme pas mal en ce lieu, il était intelligent, mais s'était blindé contre un système scolaire qui n'était pas près de l'inquiéter. Nous bataillâmes, pour faire respecter la décision collective, eûmes quelques succès, mais dépensâmes pas mal d'énergie à faire la chasse à l'"indien". Ce fut pour moi l'occasion de découvrir un peu mieux l'équipe. Il est toujours facile pour le membre d'une équipe d'adultes de s'incliner devant une décision collective que l'on déplore et ensuite, de récupérer une espèce de "capital-sympathie" auprès des jeunes en fermant les yeux lorsqu'il s'agit de la faire respecter (j'avais connu ça, lorsque je faisais l'animateur sportif pour une municipalité du Val de Marne dans les années 80. C'était fréquent). Là, les dix-sept membres de l'équipe réagissaient individuellement plutôt bien, c'est-à-dire dans le sens de la décision collective.
Bien sûr, certains étaient plus actifs que d'autres (Marie-Jo était, indubitablement, la grande pisteuse d'indien), mais nous formions une équipe davantage qu'un groupe !
Reste que le combat fut rude avec Erwan, d'autant plus qu'il avait décidé de vivre dans les bois autour du lycée !!!
Le contrat était simple : chaque élève devait justifier d'une adresse sur l'île et la communiquer au lycée pour pouvoir être joint facilement. Rien de bien extraordinaire, en somme. C'était sans compter sur Erwan. Les bois lui semblaient (été indien oblige) infiniment plus attractifs. Nous lui dîmes que ça n'était pas possible, qu'il ne pouvait pas décemment vivre dans la forêt, qu'il ne pourrait pas tenir, sans parler de réussir sa scolarité. Il nous répondait construction de cabane en bois, nous parlait de son expérience de trappeur en Bretagne (!), nous dessinait des plans. Bref, il insistait. Nous lui rétorquâmes que l'été n'allait pas durer, ceux qui connaissaient bien l'île lui parlèrent des hivers venteux sur Oléron. Il nous parlait alors de technique d'isolation avec des matériaux naturels (ici le lecteur comprend un peu mieux ce qui se cachait sous le troisième tiers d'élèves dont je parlais plus haut), de son sens de la débrouillardise, du fait que, breton, il n'était pas frileux... etc. Il insista, mais pas tant que nous et il finit par emménager en colocation avec quelques autres.
Bien des années plus tard, je passerai, à l'occasion d'une course à la voile, par Douarnenez. Me rappelant mon Erwan et ayant conservé ses coordonnées, j'appellerai chez lui.
Nous nous étions apprivoisés mutuellement et il m'avait même offert un livre qu'il me conseilla et que j'ai toujours : La faim du tigre, de Barjavel bien sûr, auteur conforme à ses projets d'homme des bois. En attrapant dans ma bibliothèque l'exemplaire en question, j'y lis, au moment où j'écris ces lignes, la dédicace qu'il m'avait écrite et que j'avais oubliée : "Arrière sagesse qui ne pleure pas, philosophie qui ne rit pas et grandeur qui ne s'incline pas devant les enfants", signé Gibran (l'auteur du Prophète). Il enchaîne avec ceci : "Aux trois seules questions philosophiques méritant à mon goût d'être discutées :
- Les fées et les lutins existent-ils ?
- Où est donc passé mon 35636e neurone ?
- Pourquoi ? (dans lequel va t'embarquer ce bouquin)
Il finissait en me souhaitant "bonne chance"...
Je reviens à mon coup de fil quelques années plus tard. Je tombe sur sa mère, me présente, lui explique que je suis l'ancien professeur de philosophie de son fils et que j'aimerais bien lui parler. C'est alors qu'elle me répondit : "c'aurait été avec plaisir, mais il n'est pas là. Ca fait trois semaines qu'il est dans les bois" !!!
Bien sûr, Erwan était unique, mais ils l'étaient tous, chacun à sa façon. J'ai raconté celle-ci pour que l'on comprenne bien quel était notre travail dans ce lieu où nous n'avions pas d'autre choix que d'expérimenter.
Le hasard de la vie fait que j'ai rencontré fortuitement la soeur d'Erwan, il y a quelques semaines. Les nouvelles sont bonnes. Erwan a trouvé son équilibre dans sa Bretagne de fées et de lutins.
De la classe à l'équipage
Je vivais donc seul, sur mon petit voilier de neuf mètres, dans le port de Boyarville. J'y avais trouvé facilement une place, pas trop chère, du moment que je n'y restais pas en juillet et août qui sont les mois où le port se remplit de touristes. Le deal me paraissait bon, n'ayant pas l'habitude de rester au port pendant mes mois de vacances.
J'ai donc fait l'expérience de la vie quotidienne sans réfrigérateur (il n'y en avait pas à bord) et appris à faire mes courses en fonction de ce que je pouvais conserver, compte tenu de la météo. Ce fut instructif. J'avais donc à ma disposition un outil pédagogique toujours prêt et que je connaissais parfaitement pour naviguer avec depuis pas mal d'années. J'avais convaincu l'équipe de mes compétences et monté une activité voile au sein du lycée.
Beaucoup d'élèves étaient venus au début, attirés par tout un tas de fantasmes sur la voile. J'avais annoncé que l'activité serait organisée avec autant de rigueur que l'exigeait la mer qui autorise tout, mais ne pardonne rien. Certains étaient partis. J'enchaînai en expliquant que le but n'était pas que je les promène, mais qu'ils apprennent suffisamment pour que nous puissions partir avec les deux bateaux, dix jours en mer, pendant le temps scolaire. Cela allait demander beaucoup de travail et d'assiduité, la récompense finale n'étant accessible que pour ceux qui auraient décroché le permis côtier auquel nous allions les préparer. Il s'agissait donc de former, en quelques mois, deux équipages !
Certains ne manquaient pas d'envie, mais de volonté. Ils loupèrent une marée ou bien un cours de navigation. Ils furent débarqués. Le contrat avait été clair dès le départ : ceux qui partirent furent un peu tristes, mais ils ne furent pas surpris. Erwan, bien sûr, qui était arrivé dans le groupe avec des images de corsaires plein les yeux, ne tint pas la distance, manquant trop de rigueur et de ponctualité pour faire partie du groupe des "voileux". Mélanie, aussi, fit quelques sorties avec nous, mais nous fit faux bond une fois de trop. Elle quitta le groupe aussi. J'ai toujours cru qu'un individu valait ce que vaut sa parole et je voulais que mes élèves apprennent que leur parole avait une valeur.
La mer a ceci de formateur que toutes les excuses du monde ne retarderont pas la marée et que les postures les plus étudiées à terre, s'y révèlent toujours pour ce qu'elles sont : des impostures !
En règle générale, chaque élève du lycée signait un contrat tripartite (lui, l'équipe - par le biais de son tuteur - et ses parents). Sur celui-ci était précisé, après discussion et parfois même négociation, les objectifs que se fixait l'élève (bac, en combien de temps ? Activités extrascolaires auxquelles il s'inscrivait. Eventuellement, matières où il allait mettre le paquet et celles où il pensait pouvoir "lever le pied" pour récupérer du temps. Pour quoi faire ? Etc.).
Le problème était que, dans les faits, un gamin qui ne respectait pas son contrat s'en sortait toujours en en négociant un nouveau. Je trouvais ça un peu facile et, pour tout dire, pas très formateur. Nous étions quelques-uns à penser qu'il faudrait se donner la possibilité d'arrêter ça, mais cela voulait dire : ne pas s'interdire, par principe, que nous puissions nous séparer d'un élève qui ne jouerait pas le jeu.
Là, se situait une ligne de fracture que j'entrevis très vite dans l'équipe et qui se situait entre ceux qui acceptaient de l'envisager, in fine, et ceux que j'appelais les " bonnes âmes" et qui, ne voulant pas prendre le risque de se séparer d'un élève, prenaient leur contrat pour une simple intention.
Il est possible que les choses aient évolué depuis lors, mais, cette année-là, le rapport de force n'était pas favorable à une plus grande fermeté. De sorte que le mode de fonctionnement de l'activité voile (et de quelques autres aussi, dont la plongée) tranchait un peu avec le fonctionnement global du lycée. Je me souviens d'une mémorable engueulade que prit Erwan en plongée, le jour où il en prit un peu trop à son aise sous l'eau avec les règles de sécurité.
Ceux qui restèrent étaient de parole et quand ils s'engageaient à faire quelque chose (caréner le bateau, bosser la réglementation maritime, nettoyer, réparer ou simplement s'inscrire pour telle ou telle sortie facultative...), je savais pouvoir compter sur eux. La contrepartie était qu'ils pouvaient compter aussi sur ma parole. J'ai effectivement emmené dix jours en mer tous ceux qui ont tenu la distance et obtenus, condition rédhibitoire, leur permis côtier. Nous avons donc pas mal navigué cette année-là avec Amaël, Vincent, Benjamin, Simon, Nathalie, Aurélie, Delphine et d'autres qui vinrent quelques fois, puis plus du tout.
J'avais réussi, par l'intermédiaire de Fifi qui travaillait pour le port, à entrer en contact avec une association qui avait retapé un vieux gréement. C'était un ancien canot de commandement de la marine qui ne mesurait que 10,50 mètres, mais sur lequel il y avait trois mats !!!
Bref, il nécessitait un équipage nombreux, d'autant plus qu'il avançait aussi à l'aviron (seize en tout, mais nous n'en n'utilisions qu'une dizaine) pour manoeuvrer sans vent. Il s'appelait "le Juliar". L'association avait un bateau et moi, l'équipage. Nous nous sommes assez vite entendus. J'ai fait signer une convention entre le lycée et l'association, embarquer mes drôles dans le canot et vogue la galère...
Tirer en rythme et en cadence sur les avirons s'est révélé formateur, physiquement bien sûr, mais surtout mentalement. Rien de tel qu'une dizaine d'avirons pour former un équipage où l'égocentrisme se paye cash et tout de suite, par une belle pagaille !
J'ai conservé avec quelques-uns de ces "voileux" un contact qui s'est prolongé au fil des ans (Vincent vient d'ailleurs manger à la maison cette semaine) et qui s'explique par le fait que la mer nous a permis d'aller un peu plus loin qu'à terre. Nous naviguions ensemble, mais passions aussi pas mal de temps ensemble à préparer ces navigations. Et puis, outre le nombre d'heures, la qualité de celles-ci ne fut pas pour peu dans la qualité de nos relations.
Amaël était de mes "voileux". Il était arrivé au C.E.P.M.O. en rébellion contre pratiquement tout. Il avait tâté des écoles Steiner, arrivait d'une Alsace qu'il exécrait, tout comme le système scolaire dans son ensemble. On lui avait parlé de ce lycée particulier, il y était venu, attiré par son éloignement d'avec sa famille restée en Alsace. Excessif en tout, il me fait rétrospectivement penser à ce jeune héros du film "Into the Wild", où un jeune américain tourne le dos à une société qu'il juge matérialiste jusqu'à la moelle et s'enfonce, sans concession ni compromis, dans un style de vie sauvage qui finira par le tuer. Amaël nous est arrivé avec la sauvagerie de celui qui n'est pas là pour se faire attraper par les friandises mielleuses du système !
Il a commencé le mois de septembre en première, s'est rapidement révélé capable d'aller voir au-dessus où nous l'y avons envoyé dès le début octobre. C'est ainsi que je l'ai récupéré dans mon cours de philosophie en cours de route. Dix jours après, il avait la meilleure note de la première dissertation que j'avais donnée aux littéraires. Remettre en question semblait avoir été inventé pour lui. Je l'ai juste aidé à le faire avec les formes. Nos discussions se prolongeaient souvent au-delà du cours et même en mer, parfois. Nous nous sommes apprivoisés façon "Petit Prince", et nous sommes accordés mutuellement notre confiance. Je n'étais pas son tuteur officiel, mais j'ai joué ce rôle tout de même et lui ai servi de béquilles à un moment où il boitait un peu dans sa vie. Je me souviens ne l'avoir vraiment engueulé qu'une fois, ce fut lorsqu'il me raconta son intérêt et sa pratique pour l'équivalent local du jeu du foulard. Notre relation m'a permis de lui dire ce que j'en pensais et, surtout, lui a permis de l'entendre.
Nous nous sommes revus pendant des années. Aux dernières nouvelles, il travaillait avec des autistes en Suisse, pour le compte de l'association Rudolf Steiner. Je m'étais un peu inquiété, à un moment, de le savoir dans la mouvance de cette association qui avait été étiquetée "secte", par la commission interministérielle. Nous avions correspondu. Il m'avait expliqué. J'étais même allé le voir. J'avais confiance dans son jugement et son esprit critique (j'y avais un peu contribué) et j'ai considéré les écoles Steiner avec bienveillance, anticipant un peu leur retour en grâce, lorsque la même commission ministérielle les sortit de sa liste un peu plus tard. J'ai même été lire, sur les conseils d'Amaël, un livre de Rudolf Steiner pour mieux comprendre où il mettait les pieds. Je n'ai pas été conquis par sa philosophie de la liberté qui me semble partir en vrille dès qu'elle tourne le dos à la démonstration kantienne sur l'inconnaissabilité de la "chose en soi", mais si je voyais bien la faille par laquelle pouvait se glisser un esprit mystique, je n'y voyais pas de nécessité et conclut que Amaël était assez grand pour faire le tri. Ce qu'il a fait, je n'ai pas l'ombre d'une inquiétude là-dessus
J'ai toujours eu de bons contacts avec mes classes, entretenu de bonnes relations avec la plupart de mes élèves. Certains m'ont permis, parce qu'ils en avaient besoin, d'aller plus loin (la difficulté consiste alors à savoir reconnaître la ligne au-delà de laquelle on flatte son ego, mais on n'aide plus le gamin), mais je n'ai jamais été aussi loin qu'avec Amaël, puisque je suis allé aussi loin qu'une béquille peut aller, sans qu'elle ne devienne jamais prothèse...
Reste que l'hiver fut rude dans mon petit voilier au-dessus duquel passaient sans discontinuer les dépressions et autres tempêtes hivernales. Il n'y faisait pas très chaud et cela ne s'arrangea pas lorsque je perdis mon père par un méchant mois de novembre. Ma femme et mes enfants étaient à quatre cent kilomètres de là, à Toulouse, et je ne les voyais que le week-end, et encore, pas tous. Il fallait un bon moral pour encaisser ça. Le mien était solide, du moins, je le pensais...
Le S.E.L.
Je n'avais pas le temps de broyer du noir, même cet hiver-là. Le travail à faire était forcément plus important qu'ailleurs, puisqu'il n'y avait aucune administration pour le faire à notre place. Les discussions étaient nombreuses et âpres, parfois. Il n'y avait plus de proviseur à convaincre, mais il fallait emporter l'adhésion des seize autres collègues. Ca n'était pas plus facile et c'était souvent plus long.
Avec ma collègue de sciences économiques, Cécile, nous avions projeté d'emmener quelques élèves dans un C.A.T. (Centre d'Aide par le Travail) en Bretagne, pour faire du cidre ! Le projet n'était pas aussi spiritueux que ça, puisqu'il s'agissait aussi de permettre à nos élèves de travailler avec des jeunes en réinsertion que le C.A.T. embauchait pour leur éviter de retourner en prison. La collègue se servait de ce projet pour y inclure quelques développements économiques dont je ne me souviens plus. J'étais là parce qu'il fallait un deuxième chauffeur pour la deuxième camionnette et que la vente de ces bouteilles de cidre que nous allions rapporter permettrait au lycée de monter d'autres projets.
Nous avons expliqué, argumenté et obtenu nos deux camionnettes et le droit de recruter des volontaires parmi les économistes de Cécile. Nous sommes revenus avec 1000 bouteilles de cidre bio !!! Et comme ce n'est pas le tout de faire le cidre, il fallut écouler ce trésor de guerre, sur l'île. Pas simple...
Je dois dire que l'aspect pédagogique du projet ne m'était pas apparu dans toute sa clarté, mais il est possible que ses implications économiques fussent plus nettes pour ma collègue. Pour ma part, j'ai appris à faire du cidre avec des élèves que j'ai aussi appris à connaître. Et puis surtout, cela nous a permis avec Cécile de faire un peu mieux connaissance et d'avoir envie de faire d'autres choses.
Le programme d'économie et celui de philosophie ont des points de convergence : le travail, l'Etat, le marxisme qui, pour le professeur d'économie, permet d'expliquer la différence entre la valeur d'usage et la valeur d'échange, ainsi que les mécanismes de la plus value et qui, pour le professeur de philo, est un exemple de matérialisme intéressant et une grille d'analyse historique qui vaut la peine d'être étudiée.
Nous cherchions avec Cécile à travailler ensemble sur ces passerelles que nous offraient nos programmes respectifs, lorsque la mauvaise humeur de nos élèves nous en fournit l'occasion.
Je n'ai jamais été difficile à nourrir. De sorte que les cantines de mes nombreux lycées m'ont toujours satisfaite. Marin, j'ai souvent mangé des trucs approximatifs dans des positions improbables. Alors, m'asseoir tranquillement à table et me faire servir quelque chose qu'on a cuisiné pour moi, c'est déjà un plaisir. Mais nos élèves étaient plus difficiles. Bref, il y en avait quelques-uns qui râlaient un peu fort à mon goût. J'eus alors l'idée de les mettre au pied du mur et de transformer ces râleurs en acteurs.
Je venais d'expliquer à mes classes, je ne sais plus trop bien comment nous en étions arrivés là, le système des S.E.L. (Système d'Echange Local). Je n'eus donc pas trop de mal à avoir l'idée d'en monter un dans le lycée pour régler le problème de la cantine.
Ce système d'inspiration anarchiste et se voulant être une alternative à l'économie de marché, ne pouvait qu'intéresser Cécile en tant que professeur d'économie, mais aussi en tant que militante anarchiste assumée et revendiquée. Elle était partante. Nous avions donc un projet à proposer aux élèves. Restait à obtenir l'accord de l'équipe.
La discussion fut beaucoup plus serrée que je ne m'y attendais. Il fallut batailler dur et le projet, je m'en souviens, ne fut voté qu'avec une voix de majorité ! Ce fut la première lézarde dans l'image idéalisée que je me faisais de ce lycée que je découvris moins expérimental que je ne le pensais.
Il faut dire que monter un S.E.L. dans un lycée relevait de la gageure. Certains collègues, lorsque nous leur expliquâmes de quoi il retournait, roulèrent des billes grosses comme des soucoupes.
Un S.E.L. est un système économique où des gens échangent des biens ou des services. Il ne s'agit pas d'un système de troc, car les membres de ce système doivent définir une monnaie qui servira à quantifier la valeur de ce qui est échangé. Ce n'est donc pas le marché qui décide, à travers la loi de l'offre et de la demande, de la valeur des choses, mais les individus. Il s'agit alors de donner un nom à cette monnaie et là l'imagination est au pouvoir... Certains S.E.L. optent pour le "grain de sel", "la marguerite", ou encore toutes sortes de noms plus ou moins psychédéliques. Reste que l'important n'est pas dans le nom, mais dans la façon de quantifier. Dans un échange de services, est-ce qu'une heure de travail intellectuel vaut une heure de travail manuel, par exemple ? Comment évaluer un kilo de tomates ? Au temps passé à le produire ou bien au volume de sauce tomate qu'il permet de faire ? Ce fut le genre de questions que nous eûmes à résoudre avec la trentaine d'élèves qui marchait dans le projet.
Le système est résolument anticapitaliste, puisque la thésaurisation y est rendue impossible.
Chaque service rendu (nous nous sommes limités à échanger des services, l'échange de biens soulevant des problèmes que nous ne pouvions surmonter), était porté au crédit de l'un et au débit de celui qui avait bénéficié de ce service. Il faut bien comprendre que dans un S.E.L., les échanges ne sont pas bilatéraux. Ainsi, je peux rendre un service à X, récupérer un crédit que je vais utiliser pour bénéficier d'un service que me rendra Y. Quant au débit de X, il l'équilibrera en rendant un service à Z ou Y ou n'importe qui. Il s'agit donc de tenir la comptabilité.
La thésaurisation y est rendue impossible, disais-je : tous les deux mois (ou trois, ou un, c'est à définir), les ardoises sont effacées. Il ne sert donc à rien de thésauriser de la richesse, puisque ce qui n'est pas dépensé sera perdu !
Un des avantages pédagogiques d'une telle "usine à gaz", est que cela nous permis de nous réunir avec nos jeunes volontaires et de nous poser la grande question par laquelle démarre un S.E.L. : que savons-nous faire qui pourrait intéresser les autres ?
Dans une économie de marché, lorsqu'on a 17-18 ans, on n'est pas considéré comme un acteur économique. Normal ! Pour être un professionnel habilité à commercer, il faut exercer une... profession. Statut difficilement compatible avec celui de lycéen. Certes, il existe des jobs étudiants, mais c'est tout !
Le S.E.L. oblige à réfléchir à l'étendue de toutes ses compétences que l'on méconnaît souvent, parce qu'elles n'intéressent pas d'habitude les circuits commerciaux.
Ce fut donc très éducatif d'obliger des jeunes à se demander ce qu'il maîtrisait assez pour que cela puisse intéresser les autres.
Habituellement, un S.E.L. est composé de membres sociologiquement divers. En tout cas, plus divers que ne l'est un groupe de lycéens, forcément du même âge, avec des centres d'intérêt assez voisins, finalement.
Nous eûmes donc un paquet de professeurs de jonglage ou de guitare, quelques informaticiens, des cuisinier(e) s (certains voulaient apprendre à faire des confitures ou de la pâtisserie et d'autres savaient le faire). Je m'inscrivis en tant que bricoleur et c'est ainsi qu'après mes cours, il m'arrivait d'aller installer des lustres ou toute autre chose que mes élèves avaient achetés, mais ne savaient pas poser. J'étais le magicien de la perceuse, le détenteur d'un savoir ésotérique qui consiste à savoir raccorder des fils électriques avec un "domino" !
Ce système avait un intérêt, c'est qu'il allait créer des liens entre les membres du S.E.L. Le cours de philosophie sur les échanges (au programme) devenait plus clair. Les échanges créent du politique. Soit ! Mais d'un autre coté, on n'échange pas non plus avec quelqu'un que l'on ne reconnaît pas. Il faut que la personne avec qui on échange soit repérée, justement, comme une... personne. Sinon, on prend, on se sert, on vole ! N'en déplaise à certaines théories économiques, il faut donc un certain lien en amont des échanges. De sorte que si les échanges créent du politique, il n'est pas moins vrai que le politique crée les échanges.
Cette année-là, ma perceuse n'a pas fait que des trous dans les murs, elle en a fait aussi dans certaines représentations lacunaires !
Ces liens qui se créaient à travers le S.E.L. avaient aussi un intérêt qui n'était pas propre au notre (particulier, puisqu'il était un outil pédagogique). Il allait permettre à certains membres désargentés d'échanger et de se payer ce qu'ils n'auraient pas pu s'offrir dans le circuit économique classique.
C'est ainsi qu'Héloïse, dont j'ai déjà parlé, pu se payer des heures de baby-sitting pour ses deux enfants et souffler un peu le temps d'une soirée ; ce qui est bien normal quand on est une jeune maman de vingt-deux ans !
Nous nous occupâmes aussi de la cantine, qui était à l'origine de ce vaste T.P. de philosophie et d'économie. Les élèves la trouvaient mauvaise. Soit ! Nous nous sommes donc retrouvés tous les midis avec une trentaine d'élèves à essayer de cuisiner nous-mêmes.
Le premier jour, nous nous sommes retrouvés dans une grande salle de classe (octroyée par une équipe un peu inquiète, tout de même) pour autogérer, via notre S.E.L., le repas du midi. Les élèves étaient là, pleins de bonne volonté, impatients de faire vivre des idéaux qu'ils avaient fort nobles.
Las ! Personne n'avait pensé à faire les courses ! Nous sommes donc repartis le ventre vide. Le lendemain, une équipe s'était inscrite pour faire les courses, mais personne pour faire la liste de ce qu'il fallait acheter. Rebelote. Encore un déjeuner loupé. Le jour d'après, une liste avait été faite par un groupe qui la remit au groupe chargé de faire les courses. Pas de chance, personne n'avait pensé à collecter l'argent. Troisième erreur, troisième jeûne.
Bref, ils finirent par apprendre les difficultés de l'autogestion, et aussi que c'est au pied du mur que l'on voit le maçon, et ce qui est valable pour le maçon l'est tout autant pour le théoricien. Nous réussîmes à nourrir pendant quelques semaines une trentaine de motivés. Puis, la motivation faiblit. D'abord par petites touches, bien sûr. Mais ce genre de système ne peut pas fonctionner sans une profonde homogénéité. La chaîne est toujours aussi solide que son maillon le plus faible. Nous retrouvâmes donc le chemin de la cantine. Ce fut un bel échec, car du point de vue pédagogique, les élèves en avaient appris pas mal ; à commencer sur eux-mêmes.
Notre S.E.L. commença à donner lui aussi des signes de fatigue. C'était couru d'avance, pour les raisons sociologiques que j'ai déjà évoquées. Les échanges manquaient de diversité et finirent donc par manquer de volume. Nous nous en aperçûmes vraiment lorsque Cécile revint un beau jour en nous disant qu'elle avait trouvé un terrain sur l'île sur lequel nous pourrions faire pousser ce que nous mangerions le midi. Les élèves étaient emballés (d'autant plus que nous avions récupéré tous les végétariens du lycée qui étaient les plus sévères à l'encontre de la cantine). Mais nous avions beaucoup de jongleurs et aucun jardinier (pas de fils d'agriculteur dans le groupe) !
La sociologie eut donc raison de notre S.E.L., mais j'étais satisfait et cet échec reste, à ce jour, le meilleur T.P. de philosophie que je n'ai jamais organisé.
Le tutorat et autres bricoles
Au C.E.P.M.O., chaque élève avait un tuteur, choisi aléatoirement en début d'année au sein de l'équipe. J'avais donc sept "pupilles", comme nous les appelions à l'époque.
Le principe à l'origine de ce système est qu'un élève n'est pas qu'un élève. Bien sûr, je connais les cris d'orfraie que ne manque pas de susciter une telle affirmation. On nous confie des élèves, nous sommes enseignants et nous devons enseigner, point.
Reste que, justement, pour enseigner, je l'ai déjà dit, il faut parfois s'occuper de problèmes qui ne sont pas extérieurs à l'école (l'élève les amène avec lui), mais plutôt en amont.
Le tutorat était l'outil dont nous nous dotions pour permettre au jeune de devenir vraiment un élève, c'est-à-dire, quelqu'un que l'on va pouvoir élever un peu plus haut. En quoi consistait le travail ?
Il s'agissait clairement de dépasser le type de relation habituelle entre un enseignant et son élève. Mais jusqu'où ?
Après une année d'expérience de ce tutorat institutionnel (plus quelques autres expériences ponctuelles ailleurs et plus tard), je crois pouvoir répondre à cette question en disant : jusqu'où l'élève le souhaite, mais aussi jusqu'où l'enseignant le peut (en souhaitant qu'il ne veuille pas plus qu'il ne peut). Il s'agissait de tricoter patiemment une relation qui permettrait au jeune de penser que cet enseignant (qui n'était pas toujours le sien) serait de bon conseil le moment venu.
Avec certains, comme Aliénor ou Camille, je n'avais pas eu grand chose à faire. Soit, par ce que je n'ai rien vu, soit parce qu'il n'y avait rien de particulier à voir. Elles étaient en seconde, venaient du collège de l'île et avaient juste besoin qu'on les aide à trouver leur place dans ce lieu un peu déroutant avec des élèves qui, pour certains, ne l'étaient pas moins.
En revanche, il m'était échu un grand gaillard de terminale, Richard, avec un profil beaucoup moins scolaire. Comme toujours dans ce cas-là, ce sont ceux qui sont les moins scolaires qui, finalement, y passent le plus de temps. Quelques années de plus que ses camarades, une coupe de cheveux de Rasta, Richard avait, en outre, une autre caractéristique : il était régisseur d'un groupe de musique, lequel était semi pro et, par voie de conséquence, lui aussi !
Mon travail de tuteur avait donc consisté à bien évaluer avec lui le meilleur compromis travail/étude qui satisfasse son double objectif de décrocher son bac éco et de ne pas hypothéquer ses perspectives professionnelles. J'étais donc chargé par l'équipe, comme tous les autres tuteurs avec leur "pupille" (je n'ai jamais trouvé ce qualificatif judicieux), de rédiger avec Richard un contrat sur lequel il s'engagerait. Nous nous mîmes d'accord, par exemple, sur le volume d'absences (pour raison professionnelle) envisageables, sur la nécessité de récupérer les cours manqués dans un délai que nous avions fixés et que j'étais à même de vérifier etc.
Il arrivait parfois que le couple tuteur/pupille ne soit pas performant. La distribution aléatoire du début d'année n'était pas heureuse et, soit l'enseignant se sentait impuissant, soit, ce qui était plus souvent le cas, le pupille ne se sentait pas assez en confiance pour que le système atteigne ses objectifs.
C'est ainsi qu'en cours d'année, David m'était arrivé comme pupille. Elève de seconde, la coupe rasta (je ne m'en étais pourtant pas fait une spécialité), je crois qu'il avait été frustré de ne pas avoir le prof de philo en français (il n'y avait pourtant vraiment pas de quoi, comme je l'ai expliqué) et cherchait le contact. On s'était trouvé et j'avais donc accepté d'être son nouveau tuteur. Je lui dois d'avoir découvert une religion que je ne connaissais pas, lorsqu'il m'avoua être rastafarien !
Bien sûr, je savais ce qu'était un rasta et je connaissais leur idole : Bob Marley. J'écoutais, à l'occasion, du Reggae, mais je ne soupçonnais pas qu'il y eut une religion là-dessous. Je fus même stupéfait d'apprendre que ces rastafariens vouaient un culte à l'ancien négus, Hailé Sélassié 1er, le "Roi des rois" et empereur d'Ethiopie. Pour David et ses coreligionnaires, ce dernier était, à l'égal du Christ, une incarnation de Dieu !
Pour moi, le Négus avait toujours été celui qui avait lancé sa cavalerie contre les chars de Mussolini (Saint Michel fit sans doute défaut et la cavalerie fut massacrée). J'avais aussi, grâce à mon italien de père qui m'avait parlé de la prise d'Addis Abeba, souvenir que les opposants au "Roi des rois" étaient enfermés et suspendus dans des cages en bois, jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour la plupart. Je m'en ouvris à mon rastafarien qui ignorait tout cela et était un peu peiné de découvrir une réalité historique concrète et vérifiable derrière une religion virant parfois à la mystique. Je creusais un peu le sujet et découvris que si tous les rastas ne sont pas rastafariens (on peut écouter Bob Marley et tout ignorer d'Hailé Sélassié), tous les rastafariens sont rastas.
Bien sûr, il y avait eu ce voyage du Négus en 1966 à la Jamaïque où Bob Marley le rasta était devenu rastafarien. J'appris aussi qu'effectivement Hailé Sélassié devait ce culte (qu'il n'assuma jamais, d'ailleurs) à sa lointaine descendance d'avec les rois Salomon et David. Mon David à moi ignorait tout cela et avait surtout retenu de cette religion : un style de vie assez cool, les dread locks et la ganja !
Il aurait été bien surpris de découvrir que ses dreads était la lointaine conséquence d'une tradition biblique concernant ceux qui faisaient le serment de suivre le Christ (serment du Nazarite, livre des Nombres, chapitre 6). Pour l'heure, David était plutôt rastafarien par mode de vie et mon souci était, de fait, sa consommation de cigarettes qui le faisaient rire et moi pas.
Je n'ai jamais eu de discours moralisateur sur ce sujet avec mes élèves. J'ai vu pas mal de spécialistes de la prévention se ridiculiser devant ceux qu'ils voulaient informer en leur tenant le discours que tous ceux qui finissaient junkies avaient commencé par un joint. Cela m'a toujours rappelé cette pub de la Française des jeux disant que "tous ceux qui ont gagné le gros lot ont joué" ! Ce qui est un sophisme grossier pour ce dealer de drogue légale était plus simplement et plus dramatiquement une erreur logique qui n'a jamais abusé un seul de mes élèves. Parce qu'enfin, on ne peut pas nous demander de rendre nos élèves logiques et essayer de les attraper en leur faisant confondre une raison nécessaire et une raison suffisante. S'il faut avoir commencé à fumer un joint pour finir par en avoir besoin d'une bonne dizaine dans la journée, les jeunes savent bien que ce n'est pas automatique (pas suffisant).
J'ai donc toujours opté pour un discours qui s'en tient à l'aspect liberticide de la chose. Bref, je me suis toujours comporté en professeur de philosophie, ce que je suis. La bonne question est donc toujours de se demander si cette consommation rend plus libre. Bien sûr, mon propos a toujours été inopérant avec ceux qui s'adonnent au "joint festif", celui qui se fume occasionnellement. Mais d'un autre coté, ceux-ci ne m'inquiètent pas outre mesure et je préfère m'occuper de ceux qui sont dépendants, mais ne le savent pas forcément.
David eut beau me dire qu'il ne participait à aucun trafic, car il cultivait lui-même (rendant ainsi inopérant l'argument reprochant au fumeur d'engraisser un dealer ayant des valeurs qui ne sont pas souvent celles du fumeur), mon travail consista à le faire définir lui-même ce qu'était une drogue (le rapport à la liberté est immédiat) et à comparer sa pratique avec sa propre définition. On fait ce qu'on peut...
Le tutorat était donc un outil que nous nous donnions pour mieux aider des jeunes à se construire et à profiter de cet enseignement dont ils avaient besoin, mais dont ils ne pouvaient pas toujours profiter.
Bien sûr, ce n'était qu'un outil parmi d'autres et le climat général que nous avions créé dans ce lycée autogéré était, finalement, la matrice dans laquelle nous forgions, au gré de nos échecs, des outils que nous espérions efficaces.
Ainsi, l'idée de rendre nos conseils de classe publics participait de cet esprit bricoleur qui était le nôtre.
Il était donc normal au C.E.P.M.O. que tous les élèves assistent à leur conseil de classe. Ce dernier, se déroulait, en outre, devant les parents qui y étaient invités aussi. En revanche, si le conseil était ouvert, tout le monde ne pouvait pas s'exprimer. Seuls les délégués de classe y étaient invités et parfois le tuteur d'un élève, lorsqu'il ne faisait pas partie de l'équipe de profs de la classe de son pupille ; ce qui, à l'arrivée, faisait tout de même pas mal de monde. Les tuteurs ne venaient que lorsqu'ils estimaient qu'il le fallait, soit pour apporter des précisions sur le cas de leur pupille, soit pour recevoir en direct des informations sur un cas difficile à cerner. Cette ouverture des conseils, spécificité de ce lycée, en rajoutait, il faut le souligner, à la charge de travail de chaque enseignant, puisque chacun de nous avait en moyenne sept pupilles.
L'idée était qu'il est toujours préférable d'entendre en direct ce que ses professeurs pensent, plutôt que de se le faire rapporter. De plus, l'avantage supplémentaire est que cela oblige les adultes à être constructifs et à assumer ce qu'ils pensent, plutôt que de se lâcher en petit comité, sans profit pour personne, comme je le verrai malheureusement trop souvent ailleurs.
Bien sûr, cela suppose beaucoup de tact pour les professeurs (la chose est publique et n'est pas un procès) et pas mal de maturité de la part de l'élève pour accepter d'entendre publiquement ce qu'on se cacherait volontiers. Je me souviens de cas d'élèves renâclant à aller écouter au conseil ce qu'ils savaient déjà. Le travail du tuteur consistait alors à persuader l'élève que l'esquive n'est pas honnête.
J'imagine que pas mal de collègues verraient l'arrivée des parents dans les conseils de classe comme l'abdication suprême. J'en ai discuté ensuite avec un certain nombre d'enseignants et j'en ai peu vu accueillir l'idée avec intérêt (je la proposerai cependant ailleurs et plus tard, et elle sera testée). Je comprends les réticences et j'avoue que si je ne l'avais pas testée, j'aurai eu la même méfiance que mes collègues pour cette étrange idée.
Reste que je l'ai expérimentée et que je peux dire qu'elle a globalement été une bonne chose pour la plupart de nos gamins. Cela ne signifie pas cependant que l'on peut l'exporter telle quelle dans n'importe quel lycée. D'ailleurs, en règle générale, peu de choses étaient exportables telles qu'elles dans le système scolaire classique. Nos parents étaient certainement particuliers, mais comment aurait-il pu en être autrement, puisqu'ils étaient les géniteurs de ces élèves particuliers qu'ils nous avaient confiés. Je crois, pour être plus précis, que nos parents avaient une particularité qui les distinguait des autres : ils étaient partie prenante de l'expérience et ce n'était pas la seule occasion qu'ils avaient de mettre ne serait-ce que les pieds dans le lycée.
Nous avions l'habitude de les solliciter, lorsque leurs compétences pouvaient être profitables à nos élèves. C'est ainsi que j'ai fait intervenir le père d'Emilie, lorsqu'elle m'avait dit que son père exerçait le métier rare autant qu'intrigant de... conteur ! Il était venu, avait raconté quelques contes, parfois assez philosophiques, en soignant le décorum et la mise en scène. Je lui dois de m'avoir ouvert des perspectives quant à mes cours. Non pas que depuis lors j'arrive en cours avec un sarouel bouffant et un petit calot sur la tête, mais il m'est arrivé par la suite de me servir de contes, non pas pour démontrer quoi que ce soit, mais pour amorcer l'envie de savoir... Nous avions sympathisé, il s'appelait Marco. Je lui ai fait découvrir Nicolas Bouvier et il m'indiqua un livre épatant dans lequel je pioche depuis des années, un recueil de contes philosophiques du monde entier : Le cercle des menteurs de Jean Claude Carrière, chez Plon (vient de sortir le deuxième tome que je viens d'acheter et que je résiste à dévorer d'un seul coup, me le réservant pour mes prochaines navigations).
Que les puristes n'oublient pas que les philosophes grecs faisaient un grand usage des mythes et que cela ne les a pas empêchés de penser fort !
Emilie d'ailleurs me rendra la meilleure introduction de dissertation, grâce lui en soit rendue ici, que l'on ne m'ait jamais rendue. Les démarrages de dissertation, il faut le dire, sont souvent bien peu littéraires et les élèves qui, par ailleurs, font un effort de pensée, s'accommodent assez bien d'un démarrage des plus banals.
Bien souvent, face à un sujet de dissertation, l'élève se débrouille pour que le libellé surgisse dès les premières lignes (quand ce n'est pas la première), comme une incongruité tombée du ciel ! J'ai donc toujours demandé à mes élèves de faire un effort littéraire pour que le sujet arrive naturellement comme une question que l'on ne pouvait manquer de se poser, compte tenu des quelques lignes qui précèdent. A ce jeu là, certains étaient plus littéraires que d'autres, mais Emilie fut, et jusqu'à présent, la meilleure : elle avait commencé par me raconter un très bref conte qui parlait d'aveugles et d'un éléphant et qui introduisait magnifiquement le sujet que je leur avais donné sur la réalité.
J'ai raconté cela pour bien montrer que le C.E.P.M.O. était un lieu où nous nous enrichissions mutuellement (le travail en équipe avec les collègues dans des activités trans ou pluridisciplinaires) et où les parents avaient leur part. De sorte qu'il était peut-être plus facile qu'ailleurs de les intégrer à nos conseils de classe. Oh, ce ne fut pas toujours idyllique !
Je me souviens d'un père médecin assez fâché que son glorieux rejeton ait des notes aussi médiocres en biologie et qui s'était servi du conseil de classe pour vider sa rancoeur. Il avait fait remarquer à la collègue devant toute l'assistance que s'il y avait bien un professionnel de la biologie dans cette salle, c'était lui. La collègue aurait dû lui répondre qu'il avait sans doute raison, mais que la professionnelle de l'enseignement de la biologie, c'était elle. Mais le mal était fait, son but était atteint et la collègue sortit en larmes du conseil. Le gamin aussi d'ailleurs, très gêné de cette rodomontade paternelle qu'il ne cautionnait pas.
Nous sommes intervenus, avec un temps de retard, il est vrai et le conseil s'est poursuivi sans la présence du Tartarin qui enfonçait ce jour-là, sans le savoir, son gamin. Toujours est-il que c'est le seul souvenir que je peux citer à charge de cette innovation pédagogique. Pour le reste, ce fut globalement positif.
Bilan de ce lycée expérimental
J'avais pris plaisir à vivre sur cette île où l'on sortait de chez soi sans se demander si l'on avait bien fermé la porte. Bien sûr, j'étais marin et vivre sur une île, c'était d'abord, pour moi, vivre entouré de la mer qui, comme le dit le poète, doit être toujours chérie par "l'homme libre". Mais l'île elle-même avait sa beauté. Moins résidentielle que sa voisine (l'île de Ré), je lui trouvais une âme. Qui n'a pas entendu parler les pêcheurs de La Cotinière devrait d'urgence retourner mesurer la densité de cette île ! Alain, vendéen de naissance, me tirait des sourires reconnaissants dès qu'il les imitait (à la perfection). Remonter les marais par un petit matin brumeux, courir dans la forêt des Saumonards, pédaler sur les multiples sentiers de l'île, tout cela me donnait l'impression que j'avais trouvé le lycée idéal.
Hélas, je n'ai pas pu décider ma femme à venir vivre sur mon île où, il faut bien avouer, le travail est rare. Du coup, travailler dans ce lycée me coûtait sans doute plus cher familialement qu'à tout autre. J'ai donc commencé par être plus exigeant que les autres avec cette structure et j'ai fini par partir après avoir fait un bilan très (trop) sévère sur ce lycée que je ne trouvais pas assez expérimental et qui n'en méritait peut-être pas autant.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que ce genre de lycée souffrait de ne pas avoir répondu franchement à certaines questions. Il est vrai que nous ne nous les étions pas vraiment posées !
Un lycée expérimental est-il une structure dont se dote le ministère pour tester des outils pédagogiques ou bien simplement un lieu où l'on accueille des jeunes qui ne pourraient l'être ailleurs ?
Dans le premier cas, il faudrait que cette structure travaille étroitement avec les lieux de formation de type I.U.F.M. Or, lorsque j'y suis passé, dix-sept ans après sa création, on commençait seulement à en parler !
Dans le deuxième cas, qu'y a-t-il d'expérimental : accueillir ces élèves ou bien mettre en place une pédagogie novatrice ? Bien sûr, ces deux aspects ne sont pas incompatibles et même, il serait logique de penser que ces deux points sont liés. On ne scolarise pas des jeunes en rupture, en révolte, sans utiliser d'autres pratiques pédagogiques. Mais la question demeure de savoir ce qui est premier dans l'esprit de ceux qui font vivre ce genre de projet : la finalité est-elle d'être un laboratoire d'innovation pédagogique (pédagogie de contrat, tutorat, évaluation formative...etc.) ou bien de permettre à des jeunes de se reconstruire ? Encore une fois, je sais bien que ces deux buts sont conciliables. Je sais bien pour l'avoir vécu que ces deux préoccupations existaient dans l'esprit de tous les enseignants de ce lycée. Mais sont-ils à égalité ou bien l'un est-il le moyen de l'autre ?
Parce que du coup, se pose immédiatement la question du recrutement des élèves (des enseignants aussi, peut-être) : qui scolarise-t-on ? Des jeunes, disons, classiques avec des méthodes qui ne le sont pas (et on voit ce qui est exportable dans le système classique), ou bien des jeunes en rupture, mais quelles que soient les méthodes utilisées, la population scolaire retenue faussera l'expérience ? Lycée de proximité pour des îliens ou bien laboratoire pédagogique ?
Je finirai par trouver que le lycée manquait d'audace (ne serait-ce que par le choix d'une autogestion dont les élèves sont exclus) et partirai après avoir pris le temps de faire un bilan en forme de réquisitoire devant une équipe un peu peinée.
Je crois, avec le recul, que la plupart de mes critiques étaient justifiées, mais que cela ne valait pas un départ. Une dizaine d'années plus tard, je sais que j'y aurai scolarisé mes propres enfants si je l'avais pu. C'est une bonne question que devraient se poser tous les pédagogues que celle de savoir quel serait leur choix pour leurs propres enfants. Je me l'étais d'ailleurs posée, quelques années auparavant, en tant que professeur d'Ecole Normale, lorsque j'avais croisé le chemin (de traverse) de certains instituteurs Freinet. Je m'étais rendu dans leurs classes de campagne, avais discuté et observé longuement. Puis, je m'étais posé la question : y mettrai-je mes enfants? Anecdotiquement, j'avais répondu, oui...
Il en était de même pour ce lycée particulier. À l'époque où j'y enseignais, il me semble, que nous étions assez performants avec les rebelles, les écorchés. Leur rancoeur n'avait, chez nous, plus lieu d'être. La structure et le mode de fonctionnement désamorçaient l'agressivité avec laquelle ils arrivaient. Nous leur parlions avec un ton et des mots qui les hissaient immédiatement à un niveau de maturité supérieur. Nous les respections vraiment et tentions de les rendre acteurs, responsables de ce qui allait leur arriver. Bref, nous en avons aidé pas mal à se reconstruire, à retricoter des liens avec leur entourage, leur famille, la société en général.
En revanche, je nous trouvais, à l'époque (cela a pu changer, bien sûr), moins performants avec les vrais fainéants, les esthètes de la glandouille. Ceux qui masquaient leur dépendance à certaines substances, pas toutes illégales (j'ai le souvenir d'un jeune que nous n'avons pas empêché de partir un beau matin régler ses problèmes d'alcool dans un milieu hospitalier), derrière un discours paravent plus ou moins spirituel. Je l'ai dit, notre pédagogie de contrat avait des failles.
Reste, au moment de faire le bilan d'un tel lieu, à parler de l'attachement de ces élèves à leur lycée. Je résumerai assez bien la chose, je crois, en disant que les élèves avaient l'habitude de s'appeler eux-mêmes : les "cepmoïdes" ! Le suffixe disait assez que les élèves se considéraient comme une espèce de mutants (il est vrai que le regard des îliens y aidait un peu), se définissant par le lien qui les unissait à un lieu. Encore aujourd'hui je découvre en parcourant le site non officiel du CEPMO (créé, je crois, par un de mes anciens élèves que j'ai reconnu malgré son pseudo. Salut Bertrand !), que les anciens se définissent toujours comme tels. Le bon coté, c'est que ce lien affectif (que les Anglo-saxons appellent "community spirit"), prouvait que la structure elle-même participait du travail que nous faisions avec eux. Le moins bon coté, c'est que certains avaient du mal à couper ce qui se révélait alors comme un cordon ombilical.
Nous en voyions alors régulièrement revenir sur une île qu'ils avaient du mal à quitter et errer en des lieux qui les retenaient au travers d'une relation un peu poisseuse, collante. La palme revient sans doute à un de mes voileux, Benjamin. Grand gaillard aimant la vie sur l'île et sa vie au CEPMO, son bac scientifique en poche, il avait résolument décidé... d'en passer un autre ! Il va sans dire que ce deuxième bac (éco, cette fois) ne lui servait à rien dans ses projets d'études. Mais il lui permettait une nouvelle année de cepmoïde (je devais le revoir quelques années plus tard et même l'héberger quelques mois à l'occasion d'un événement sur lequel je reviendrai).
Je suis donc parti de ce lieu attachant à pied, car j'avais vendu mon voilier...