La diffusion des activités à visée philosophique s'appuiera sur le développement des pratiques de formation. À part dans le cadre du Programme de Philosophie pour Enfants (PPE) de M. Lipman, les formations sont souvent particulières à un formateur, et expriment son cheminement personnel. Sans l'effort pour tenter de clarifier ces choix, même judicieux, ces pratiques restent incompréhensibles aux yeux de qui veut apprendre à former en utilisant l'expérience constituée. Or ces choix concernent l'organisation, la forme du travail, ses supports, expriment des conceptions philosophiques ou qui relèvent d'un type d'approche philosophique (sujets, modes de traitement, natures des outils conceptuels présentés). Ainsi, l'approche lipmanienne peut se comprendre en lien avec la pédagogie de J. Dewey et le pragmatisme (M-F. Daniel, 1997).
Celui qui observe et cherche à se former, interprétera ce qu'il voit et vit, le comprendra et l'intégrera, en faisant des liens avec ce qu'il connaît et croit savoir, au risque de l'erreur. Il peut alors chercher à le reproduire en "appliquant", risquant de poser comme " universel" ce qui n'était que particulier, réduisant du même coup la richesse des choix initiaux, sans en mesurer la pertinence.
I) L'importance d'une clarification
Vouloir opérer une clarification cognitive de ces choix peut alors jouer deux rôles :
D'une part, pour celui qui forme. En tentant d'objectiver ses choix et intuitions souvent restés confus jusque-là, car construits "dans" et "par" l'expérience, il pourra plus facilement mesurer les objectifs réels et la nature de ses pratiques, évaluer leur cohérence pour en disqualifier certains et en réemployer d'autres. Il se situera alors à un niveau de maîtrise supérieure, car formulé langagièrement (Vygotski), des concepts et conceptions à l'oeuvre, pour une opérationnalisation accrue. C'est une condition importante pour lui permettre d'opérer un transfert de l'expérience passée vers de nouvelles formations dans des conditions différentes : avec des publics autres, selon une durée de formation plus ou moins longue, et avec des objectifs plus ou moins proches. La clarté cognitive opérée s'inscrit dans la logique du "praticien réflexif" (Schön, 1994) vers un professionnalisme accru. Elle caractérise celui qui met à distance continuellement les pratiques pour en mesurer la nature, la pertinence, saisir la nature des choix qui y sont opérés.
D'autre part, pour ceux qui voudraient construire des formations en s'appuyant sur l'expérience des autres, cela permettra de mieux saisir cette dimension du choix, d'en identifier la nature générale et les déclinaisons possibles, leur traduction concrète dans des moments successifs et forts de la formation. Ils pourront comparer les modalités et conditions de chaque formation rencontrée, la pertinence des choix retenus, les confronter. S'appuyant sur l'expérience objectivée de leurs prédécesseurs, ils pourront définir leurs propres objectifs et construire une formation cohérente et adaptée, sans reproduction mécanique de "recettes" incomprises.
La clarification cognitive devient alors une condition nécessaire pour diffuser la formation, tout en préservant la richesse des perspectives possibles. Est-elle suffisante ?
II) Les limites de la clarification
La clarification cognitive n'est peut-être pas cependant suffisante pour permettre des pratiques de formation réellement enrichie par l'expérience passée : connaître intellectuellement, avoir compris l'intérêt de telle ou telle pratique ne suffit pas pour être capable de la traduire dans les faits. C'est pourquoi la clarification devra se combiner, à chaque fois que c'est possible, avec sa mise en pratique lors de séance de formation de formateurs. Une mise en pratique à deux niveaux : dans l'action des formateurs de formateurs, mettant en oeuvre ce qui sera ensuite l'objet de la clarification ; et dans l'action des stagiaires-formateurs, sollicités par leurs formateurs pour mettre en oeuvre durant leur propre formation les éléments clarifiés, avant d'évaluer la réalité de cette transcription dans les faits (Concernant la conception globale de la formation de formateurs à laquelle on fait référence, lire Pettier, Solonel, 2007).
III) Comment opérer la clarification : risques et directions générales
Les compétences de formateur se sont souvent construites par intégrations successives, à partir d'une part d'une formation initiale reçue constituée de connaissances et du développement de compétences d'enseignant, d'apports théoriques et d'essais par tâtonnements ; d'autre part de mises en oeuvre considérées comme réussies. Des compétences se développent alors, traduites en moments de formation. Lorsqu'il s'agit d'aider les autres à devenir formateur en identifiant ses pratiques de formation, on aura trop souvent tendance à fonctionner selon deux entrées contradictoires : soit identifier ce que l'on fait, sans prendre le temps de clarifier le tissu de connaissances, de compétences, de savoirs d'expériences qui les légitiment. On traduira ce faire en termes d'injonction, sans identifier ce qui motive ces choix. Avec le risque d'une reproduction ultérieure de recettes, qui ne fonctionneront pas faute de sens. Soit au contraire en identifiant le contexte théorique dans lequel on s'inscrit, sans permettre à celui qui se forme autre chose que d'énoncer une litanie d'injonctions théoriques sans significations concrètes (types d'injonction : faire émerger les représentations, proposer une situation problème qui favorise leur interrogation, développement d'un conflit sociocognitif dans un travail de groupe, recherche par émission d'hypothèses et examen, correction collective par échange, comparaison, puis institutionnalisation des résultats...).
Pour tenter de dépasser ces problèmes, et favoriser la réflexion et l'échange concernant les pratiques pour une formation initiale de praticiens, on pourrait proposer d'interroger des formateurs et leur demander de situer leur analyse à trois niveaux. D'une part, de tenter de reconstituer les éléments déterminants de leur parcours de formateur. Cette reconstitution a posteriori, même s'il s'agit en réalité d'une reconstruction intellectuelle plus que de la réalité historique de ce cheminement, permet cependant de saisir d'"où" parle le formateur, ce qui au présent lui semble avoir marqué son travail. Partant, on se donnera des clés pour saisir ce qui constituera une première approche de son travail : sa conception globale d'une formation. Enfin, dans un troisième temps, pour hiérarchiser les éléments indiqués, voir comment ils se traduisent dans les faits, on pourra lui demander de décrire un moment clé d'une formation, moment qui exprimerait, à ses yeux, le concept même d'une formation aux pratiques à visée philosophique. L'important sera ici non ce moment même, mais bien évidemment la richesse des développements dont il va être l'occasion....
Indiquer ces trois axes ne suffit pas : il faut des propositions de questions permettant d'enrichir les réponses, d'autant que ce type de retour réflexif n'est pas familier des formateurs. Ne pas proposer d'aide risquerait alors d'être contreproductif.
IV) Questions individuelles pour une clarification
Il ne s'agit pas de penser que l'on trouvera ci-dessous la liste définitive des questions à se poser. Il s'agit là de première propositions, peut-être elles-mêmes marquées par une certaine forme de réflexivité construite dans un parcours de formateur particulier (voir la partie V pour ne juger...). Se poser ces questions sans en avoir saisi la finalité et le sens pourrait conduire le formateur à tronquer ces réponses. C'est pourquoi on peut les faire précéder d'un descriptif général du cadre dans lequel on va situer la réflexion, par exemple en reprenant synthétiquement les éléments indiqués ici en I, II, III.
D'où ce premier questionnaire :
A/ Les éléments clés de mon parcours qui induisent mes pratiques de formation
1) Ai-je suivi des études ou des formations qui jouent un rôle spécifique dans ma conception d'une formation de praticien des activités à visée philosophique ?
2) Y a-t-il eu, concernant ma conception de la formation, un ou deux "moments clés" qui semblent avoir déterminé mes pratiques actuelles de formation ?
3) Ai-je fait des rencontres "marquantes" pour cette conception : avec qui ? Pourquoi ?
4) Quels sont les deux articles ou ouvrages "clés" où l'on trouve décrits des éléments essentiels concernant ma conception de la formation ? Quels sont ces éléments essentiels ?
B/ Ma conception globale d'une formation initiale d'un groupe de futurs praticiens des activités à visée philosophique
1) Que sont les futurs praticiens que je dois former ?
2) Quel est le temps moyen d'une formation telle que je la pratique, ou telle qu'il me paraît souhaitable de la pratiquer ?
3) Concernant mes objectifs (on peut répondre dans un tableau élaboré en trois lignes, une par objectif) :
- Quels sont les trois objectifs qui me semblent prioritaires dans ces conditions de formation?
- Quelles sont les compétences de formateur que je mets personnellement en oeuvre pour atteindre chacun de ces trois objectifs ?
- Puis-je décrire une activité simple durant laquelle je fais appel à ces compétences, pour chacun des trois objectifs ?
- Quelles sont les compétences prioritairement sollicitées chez les stagiaires pour atteindre ces objectifs ?
- Ya-t-il un "moment" de formation permettant de travailler spécifiquement chacun des objectif ?
4) Concernant mes référents théoriques
- Quels sont les trois principaux référents théoriques sur lesquels s'appuie ma conception de l'organisation d'une formation initiale de futur praticien des activités à visée philosophique ?
- Puis-je expliquer, en quelques phrases, pourquoi ces référents sont prioritaires dans ce cadre là ?
- Y a-t-il des sites qui me semblent de nature à particulièrement aider les stagiaires : lesquels ? En quoi sont-ils remarquables ?
5) Quels sont les supports concrets sur lesquels je m'appuie ?
C/ Décrire précisément un moment clé durant la formation, articulant synthétiquement des références théoriques et des pratiques, permettant d'exprimer simplement le concept même d'une formation
1) Quel est l'objectif de ce moment ?
2) Quand se situe-t-il par rapport au déroulement du stage :
- S'inscrit-il dans la logique de moments de formation précédents ?
- Va-t-il être repris ensuite ?
3) À quel(s) support(s) fait-il appel ?
4) Puis-je décrire précisément ce qui y est fait (éventuellement sous forme d'un tableau articulant 13 a, b, c, d et 14 a et b) :
- Les différentes phases de travail et leur durée ?
- Les modalités de travail (individuelle, petit groupe, collective)
- Que font les stagiaires ?
- Que fait le formateur ?
5) En quoi ce qui se fait là est-il essentiel
L'échange avec des praticiens1 a montré, en plus de la difficulté de cet effort de clarification eu égard au manque d'habitude d'y procéder, la nécessité de compléter ce travail par la description de "trucs", d'inventions qui, une fois recensés, permettraient à chacun de profiter de l'inventivité collective. Un nouvel axe est venu compléter ce premier questionnaire : les inventions didactiques.
D/ Les inventions didactiques.
Ce questionnaire peut-il être rempli ? D'aucuns jugeront que la clarté souhaitée est en réalité impossible à dégager. Selon nous, s'il est vrai que cette clarté est à la fois nécessairement limitée et dans le même temps de l'ordre d'un idéal, elle est néanmoins nécessaire et possible, pour peu qu'on lui donne le sens d'un effort progressif. Cet effort sera d'autant possible que l'on l'anticipera plus systématiquement, dès la conception de nouvelles formations par exemple. On pourra ainsi prendre l'habitude non seulement de concevoir la formation, mais de tenter à chaque fois d'éclaircir ce au nom de quoi on choisit de mettre en oeuvre telle ou telle pratique. Pour le moment, sans cette habitude, on peut cependant commencer à tenter de clarifier.Pour juger de l'intérêt et des limites de cet effort, voici un exemple de ce à quoi on peut parvenir.
V) Illustration : l'exemple du parcours de formateur de l'auteur
A/ Les éléments clés de mon parcours qui induisent mes pratiques de formation
1) Ai-je suivi des études ou des formations qui jouent un rôle spécifique dans ma conception d'une formation de praticien des activités à visée philosophique ? Oui :
- Les stages pour devenir animateur et directeur de centre de loisirs ; ils ont été essentiels au regard des techniques de travail qui y étaient employées : faire agir, puis réfléchir sur l'action ;
- La formation d'enseignant spécialisé (option adolescents en grande difficulté scolaire), utile par rapport à la conception générale de l'apprentissage (socio constructivisme), au travail par compétences, aux notions de "clarté cognitive" et de métacognition à mettre en oeuvre en formation, à la place centrale de l'apprenant dans la classe ou dans la formation : partir des représentations, créer des situations qui conduisent à les problématiser, y articuler les apports d'informations ;
- Les stages organisés dans le cadre du Groupe Français d'Éducation Nouvelle (GFEN), permettant d'apprendre à tisser ensemble les outils à transmettre, les compétences à développer dans une formation, et les conditions mêmes de la formation.
- Des études : ma première thèse, qui m'a conduit à intégrer ou identifier les éléments clés de ce que j'ai à transmettre : des processus de penser du philosopher, supports utilisables en classe et modalités de travail, etc.
2) Y a-t-il eu, concernant ma conception de la formation, un ou deux "moments clés" qui semblent avoir déterminé mes pratiques actuelles de formation ?
- Des contre expériences. À rebours, à l'Ecole Normale d'Instituteurs : l'incohérence entre les discours tenus sur l'activité de l'élève et les pratiques magistrales souvent pratiquées par certains enseignants, d'où l'idée a contrario que former quelqu'un, c'est mettre en oeuvre ce qu'on lui demande de faire
- Des expériences cruciales car "extrêmes" : mon expérience de formateur de formateurs au Liban : permettre à des enseignants sans formation initiale ni pratique active d'enseignant de devenir formateurs d'enseignants aux pratiques actives en classe. La complexité des perspectives, associée au peu de temps de formation, m'a conduit à devoir avec mes collègues tenter de définir synthétiquement ce qui fait l'essence d'une formation efficace
3) Ai-je fait des rencontres "marquantes" pour cette conception : avec qui ? Pourquoi ?
Plusieurs types de rencontres m'ont marqué, avec des individus, des groupes ou des équipes ponctuelles :
- Avec le GFEN secteur Philosophie : pour l'articulation entre méthodes actives, philosophie, philosopher ;
- Avec M. Tozzi : analyse des processus de pensée du philosopher, qui vient donner un sens didactique aux connaissances plus larges concernant l'apprentissage et donne une base de travail et de transmission en formation ;
- Avec l'équipe de formateurs de l'IUFM au Liban : nous avons du élaborer une formation pour l'ensemble des futures "formations de formateurs" du système d'enseignement public. Un public en charge de permettre aux enseignants d'introduire les méthodes "actives" dans les classes, alors qu'eux-mêmes ne les avaient pas pratiquées et n'avaient jamais eu de formation initiale d'enseignant. D'où la nécessaire clarification de ce que peut être une formation efficace (l'utilisation maximale du temps pour un impact fort), articulant valeurs, objectifs, compétences et mise en oeuvre.
4) Quels sont les deux articles ou ouvrages "clés" où l'on trouve décrits des éléments essentiels concernant ma conception de la formation ? Quels sont ces éléments essentiels ?
Concernant la conception globale de la didactique : L'école pour apprendre, de J-P. Astolfi, en en transposant les éléments à la formation pour adultes.
Pour beaucoup, ces articles ont été produits par mon travail, car soit il n'existait presque pas d'articles de référence dans ce nouveau champ de réflexion, soit il s'est agi de mettre en place des formations innovantes.
C'est le cas par exemple dans l'article : "Organiser une formation à l'étranger : de l'éthique à la détermination de principes d'action. Réflexion à partir de l'exemple d'un projet de formation de formateurs d'enseignants libanais", (avec M. Solonel), in Séminaire international du CIEP : La professionnalisation des enseignants de l'éducation de base : les recrutements sans formation initiale, CIEP, Sèvres, 11-15 juin 2007.
La conception de la formation aux activités à visée philosophique était à créer, d'où des articles :
- Pettier J.-C., "Une formation philosophique dans l'éducation adaptée", Diotime l'agora (revue internationale de didactique de la philosophie) n°7, Montpellier : CRDP-Paris : Alcofribas Nasier, septembre 2000.
- Pettier J.-C., Bailleul M., Bour T., Lacheray C. "Former les enseignants aux activités philosophiques ...", Diotime l'agora (revue internationale de didactique de la philosophie) n°27, Montpellier : CRDP-Paris : Alcofribas Nasier, mars 2006.
- Pettier J.-C., "Quelle formation à la philosophie pour enfants en IUFM ?", Diotime l'agora (revue internationale de didactique de la philosophie) n°31, Montpellier : CRDP-Paris : Alcofribas Nasier, mars 2007.
B/ Ma conception globale d'une formation initiale d'un groupe de futurs praticiens des activités à visée philosophique
1) Que sont les futurs praticiens que je dois former ?
Il s'agit d'initiation : d'enseignants de l'école primaire en formation initiale ; d'enseignants de l'école primaire en formation continue ; d'enseignants spécialisés en formation spécialisée (plutôt CAPASH option F, donc des enseignants en charge future d'adolescents en échec scolaire massif)
2) Quel est le temps moyen d'une formation telle que je la pratique, ou telle qu'il me paraît souhaitable de la pratiquer ?
Le temps moyen concernant les activités à visée philosophique est souvent de 3 ou 4 demi-journées, mais dans un autre cadre, on envisage (Conseil général de l'Oise) un temps d'une semaine (articulation entre des nécessités de formation et des contraintes budgétaires)
3) Quels sont mes objectifs ?
- Quels sont les trois objectifs qui me semblent prioritaires dans ces conditions de formation ?
Permettre de saisir la place spécifique de l'élève comme "interlocuteur valable", les cohérences pédagogiques qui doivent en découler ; permettre de saisir la diversité des objectifs possibles pour ces pratiques, et le lien entre objectif visé et organisation de la pratique ; enclencher l'envie et fournir les premières ressources pour la supporter et les moyens de s'en procurer d'autres.
- Quelles sont les compétences de formateur que je mets personnellement en oeuvre pour atteindre chacun de ces trois objectifs ? Faire des stagiaires des "interlocuteurs valables" (expression de J. Lévine) en leur donnant la parole, en leur demandant d'exercer leur esprit critique ("qui ne dit mot consent") ; permettre de mettre en évidence les liens entre la situation vécue en stage et la situation de classe ; placer la question des objectifs et enjeux d'emblée dans la réflexion : procéder par questionnement sur les enjeux, et accueillir les propositions faites après réflexion ; et présenter des pratiques diverses. S'appuyer sur les compétences acquises par les stagiaires, les pratiques habituelles pour ne pas faire de cette nouveauté un objectif inatteignable ; et proposer des supports simples, des accompagnements, des aides éventuelles, permettant d'entrer facilement dans l'activité.
- Puis-je décrire une activité simple durant laquelle je fais appel à ces compétences, pour chacun des trois objectifs ? Permettre à chacun d'examiner la place donnée à l'élève dans la classe à travers une question simple : "quel est le temps moyen donné à un élève sans intervention de l'enseignant, lorsque celui ci a posé une question ?" (réponse : 1 seconde) ; en faire l'occasion d'une réflexion sur cette place réelle, en contradiction avec le discours tenu par l'enseignant ; interroger les stagiaires : pourquoi ces pratiques, leur laisser le temps d'y réfléchir, avant de prendre les réponses proposées, mais, avant cette réflexion : s'interroger sur la question : "Pourquoi faut-il se poser la question du pourquoi, est-elle importante (oui, car si aucune réponse, alors autant abandonner) ? Vivre une situation, l'éprouver de l'intérieur et pouvoir la commenter ; voir un extrait pris en classe pour pouvoir considérer ce que cela donne "en vrai" ; connaître des supports en les étudiant (ex : Pomme d'api, Astrapi), mais aussi en intervenant pour concevoir (j'en suis capable) : invention de questions à propos d'autres supports par exemple.
- Quelles sont les compétences prioritairement sollicitées chez les stagiaires pour atteindre ces objectifs ? Faire des hypothèses, accepter de faire des erreurs lorsqu'on les énonce, et que son propos soit examiné ; être capable de faire des liens entre cette nouvelle situation et d'une part les connaissances pédagogiques, didactiques, d'autre part les connaissances ou réflexions éthiques, sociales, politiques, scolaires. Quant à la compétence à innover, cela se construit par un type de rapport spécifique durant la formation entre stagiaires et formateur, pour la faire identifier, se penser comme un "spécialiste" de l'enseignement (compétences acquises sur lesquelles on s'appuie durant la formation, reconnaissance d'innovations passées, etc.)
- Y a-t-il un "moment" de formation permettant de travailler spécifiquement chacun des objectifs ? Le début de la formation : avec une réflexion commune sur le "temps moyen" durant lequel, statistiquement, un enseignant se tait lorsqu'il vient de poser une question, que je leur demande d'évaluer, avant d'indiquer ce temps réel (une seconde, cf. B-M Barth, L'apprentissage de l'abstraction), pour "créer le choc" chez les stagiaires. Plus globalement, la place laissée aux stagiaires pour intervenir, critiquer. Et avec une communication pour leur ouvrir l'espace de la parole critique ("à partir de maintenant, qui ne dit mot consent". Puis avec certains moments de formation où l'apport par un stagiaire est non seulement pris en compte, mais commenté comme intéressant pour l'avancée de la réflexion, et ramené à ce moment initial.
Deux moments sont essentiels : le début du travail, avec la question du "pourquoi" adressée aux stagiaires, leurs propositions ensuite ordonnées de la plus "abstraite" (conception de l'homme) à la plus proche et concrète (rôle dans les apprentissages) ; et lors de la présentation, après échange entre les stagiaires à l'occasion d'un débat, des objectifs spécifiques de "ce" débat, puis élargissement aux objectifs possibles par présentation de trois grands modèles : Lipman, Lévine, Tozzi. Deuxième moment : l'échange entre stagiaires lors du débat, la présentation de films brefs où des enfants où adolescents sont observables.
4) Concernant mes référents théoriques :
- Les trois principaux référents théoriques sur lesquels s'appuie ma conception de l'organisation d'une formation initiale de futur praticien des activités à visée philosophique sont : L-S Vygotski pour la liaison établie entre le langage et la pensée (d'où le travail sur le langage pour permettre de structurer la pensée. M.Tozzi et l'identification des processus de pensée du philosopher. Le socioconstructivisme (A-M. Perret Clermont).
- Puis-je expliquer, en quelques phrases, pourquoi ces référents sont prioritaires dans ce cadre là ? Vygotski permet de clarifier le rôle d'un intervenant (en formation et dans la classe) : celui qui permet à l'apprenant de se situer dans sa Zone Proximale de développement (ZPD). Il identifie le rôle spécifique du langage pour structurer la pensée M. Tozzi clarifie des processus de pensée, permet de penser l'apprentissage de la philosophie en termes d'apprentissage du philosopher. Les processus de pensée identifiés, simples à nommer, clarifient facilement pour les stagiaires les axes du travail, tout en donnant une base pour s'interroger alors sur leur traduction en termes d'activités du maître et des élèves. Enfin le socio constructivisme permet à la fois de penser en partie les conditions de la formation, et en même temps celles du travail futur dans la classe
- Y a-t-il des sites qui me semblent de nature à particulièrement aider les stagiaires : lesquels ? En quoi sont-ils remarquables ? Le site de la revue Diotime : les stagiaires ont besoin de premières entrées simples, accessibles, d'expériences parlantes et de premiers apports théoriques "rapides" ; il me semble qu'on trouve là ces trois éléments. Le site de Bayard Presse : on y trouve de premières fiches, des premiers supports, des accompagnements pour des élèves très jeunes, puis actuellement (en principe) l'ensemble du travail fait avec Astrapi pendant deux ans. Enfin le site de formation à distance de M. Sasseville. C'est à ma connaissance le seul qui existe, et les méthodes de travail m'y semblent intéressantes.
5) Quels sont les supports concrets sur lesquels je m'appuie ?
Des situations problèmes et dilemmes moraux (en particulier le dilemme de Heinz, de L. Kohlberg). Les "grandes images" proposées par Pomme d'api, avec leur accompagnement. Le film Petit atelier de philosophie en classe d'IM Pro (T. Bour, avec son accompagnement permettant d'analyser les rôles du maître). Le film Les enfants de l'année blanche, pour la place donnée aux élèves par J. Duez, le travail d'argumentation qu'ils font de fait en tentant de disqualifier à de nombreuses reprises l'idée qu'il ne faut pas tuer les pédophiles. Le film Les grandes questions (I. Willems), qui donne vie à ces pratiques, tout en permettant aussi d'en identifier des limites ou sujets d'interrogation (Par exemple enfant "emmêlé dans ses ficelles" relativement à la question de la mort).
C/ Décrire précisément un moment clé durant la formation, articulant synthétiquement des références théoriques et des pratiques, permettant d'exprimer simplement le concept même d'une formation.
1) Quel est l'objectif de ce moment ? Faire vivre le plus rapidement et synthétiquement possible les trois objectifs de formation indiqués précédemment.
2) Quand se situe-t-il par rapport au déroulement du stage ? S'inscrit-il dans la logique de moments de formation précédents ? Il les prépare et les initie, puisque c'est le moment initial, le début. Va-t-il être repris ensuite ? Par certains éléments, comme indiqué précédemment, à l'occasion de commentaires sur tel aspect de la formation ou de l'intervention d'un stagiaire.
3) À quel(s) support(s) fait-il appel ? Aucun, ce qui est fait volontairement pour confronter "abruptement" chacun à la question du "pourquoi", question potentiellement philosophique et pédagogique, théorique et théorico-pratique
4) Puis-je décrire précisément ce qui y est fait ? Les différentes phases de travail et leur durée ? Les modalités de travail (individuelle, petit groupe, collective) ? Que font les stagiaires ? Que fait le formateur ?
Les différents éléments sont regroupés ici sous la forme d'un texte bref. D'abord intervention magistrale et échange avec les stagiaires (10 min) sur : pourquoi ces activités ? Pourquoi se poser la question du "pourquoi" ? Puis intervention magistrale pour indiquer les conditions de la réflexion (une minute pour réfléchir, et réflexion : est-ce beaucoup ? Peu ? Combien de temps un enseignant laisse -t-il ses élèves réfléchir avant de parler, après avoir posé une question (voir ci-dessus), propositions de réponse et commentaire : recherche individuelle (1 mn), réflexion individuelle sans bruit, notation éventuelle des idées principales ; propositions de réponse par les stagiaires, échange entre stagiaires avec éventuellement questions du formateur : demande de précisions, d'arguments, sollicitation d'interventions critiques argumentées ? Commentaire par le formateur, mise en lien avec ce qui va suivre (10-15mn en tout). Enfin intervention magistrale de cadrage : enjeux possibles ordonnés, s'appuyant sur les éléments décrits par les stagiaires (10mn)
5) En quoi ce qui se fait là est-il essentiel ?
Du point de vue de l'articulation entre des références théoriques et la mise en oeuvre proposée, le formateur permet d'instituer la place du stagiaire (critique, constructive, impliquante, s'appuyant sur les compétences et connaissances), en fera la base de celle de l'élève dans la classe (interlocuteur valable). Du point de vue des progrès des stagiaires, ceux-ci s'inscrivent désormais comme des interlocuteurs dans la formation, concernant un type de réflexion qui en est l'objet même.
D/ D'autres "inventions" didactiques complétant ce qui est proposé précédemment
1) Utiliser des supports de travail existant avec leurs accompagnements pédagogiques (par exemple les supports des revue Pomme d'api, Astrapi, Philéas et Autobule ou autres), pour en faire l'occasion d'une analyse des accompagnements, puis un premier exercice d'application de la capacité de chacun à inventer des questions de nature diverse, dont certaines philosophiques, et les vérifier par comparaison avec les accompagnements existant. D'où l'analyse individuelle et par groupes d'accompagnements pédagogiques ; la construction de nouveaux supports, où l'on se place dans la même logique de questionnement, en inventant des questions ; puis l'analyse critique de l'accompagnement pédagogique du nouveau support, cette fois ci communiqué et comparé aux questions inventées.
Les objectifs sont de permettre à chacun de mieux s'identifier comme capable d'une certaine autonomie par rapport à sa capacité d'inventer des questions d'une plus ou moins grande complexité ; et de lui permettre de saisir qu'il peut aussi se dégager des accompagnements proposés pour gagner en autonomie relativement à des supports qu'il juge intéressants.
2) Analyse d'un film avec des consignes différentes selon les observateurs. Ce film présentant une activité à visée philosophique du point de vue du rôle de l'enseignant, ou de ce qu'elle serait. On constitue des groupes ayant des consignes différentes avec des implicites parfois antagonistes (sans que chaque groupe connaisse les consignes des autres). Par exemple un groupe auqeul est indiqué que cet enseignant débute, et qu'il veut des conseils pour améliorer sa pratique "Philo" ; un groupe auquel est indiqué que cet enseignant, qui n'est pas un spécialiste, ne perçoit pas qu'il ne permet en réalité à ses élèves de philosopher. Comment l'aider à progresser etc. L'idée est que ces perspectives différentes, adoptées dès le départ, conduisent à adopter un point de vue que la confrontation des perspectives permet de problématiser pour un tirer une perspective complexe.
Les objectifs sont ici de diversifier et complexifier les critères d'analyse d'une séance ; et d'identifier des implicites qui peuvent perturber la compréhension et l'analyse d'une séance
3) Préparation par différents groupes d'une séance de débat à visée philosophique pour les autres. Mise en oeuvre, avec un autre groupe en observation chargé de proposer une analyse de la séance faite, en la comparant avec ce que l'enseignant qui mène la séance avait prévu :
Objectifs : expliciter ses propres représentations ; et faciliter l'analyse par la comparaison
4) Placer les stagiaires en position d'aide par rapport à la pratique qui leur est proposée par le formateur et qu'ils ont vécu. Chacun va devoir à la suite des échanges donner un conseil en l'argumentant, pour que la séance soit plus "philosophique". D'bord par un travail par groupes, en gardant les deux conseils qui semblent les plus judicieux. Puis en grand groupe, pour échanger sur les conseils donnés (analyse critique), chacun devant à l'issue de l'échange garder le conseil qui lui semble essentiel.
Objectifs : hiérarchiser des éléments essentiels ou accessoires ; et penser l'analyse en termes de possibilité d'évolutions positives plutôt que par constats négatifs.
5) Travail sur un concept par groupe, qui se constitue ainsi comme un "spécialiste", puis élaboration par ce groupe d'un travail qui permettrait aux autres de progresser dans la maîtrise de ce concept : conception d'un support synthétisant un travail de recherche sur un concept (type : la liberté) ; travail en bibliothèque ; puis élaboration d'un texte bref décrivant des éléments essentiels liés à ce concept, et certaines des questions essentielles qu'il soulève ; puis construction d'une mise en oeuvre pour permettre aux autres d'entrer dans les problématiques spécifiques du concept ; puis mise en oeuvre, et analyse critique ; enfin communication des éléments conceptuels identifiés précédemment.
Objectif : maîtrise opératoire du concept et de sa traduction pratique en termes d'activités de classe par la réalisation de séances.
Conclusion
Ces descriptions sont-elles concluantes ? Elles permettent de vérifier que des premières clarifications concernant l'expérience de formation sont possibles. Elles ne seront sans doute pas suffisantes pour permettre à chacun, surtout s'il débute dans la formation, d'utiliser l'expérience de formation déjà constituée, de l'opérationnaliser dans de nouvelles formations. Elles constituent cependant un nécessaire premier pas vers la constitution d'une culture commune sur laquelle pourra s'appuyer la formation de formateurs, permettant à chacun de saisir la richesse des approches possibles, d'opérer des choix de formation qui correspondront à ses options personnelles, tant au niveau du "fond" de la formation (ses références théoriques), qu'au niveau de sa cohérence formelle.
(1) Je remercie en particulier N. Frieden pour les échanges auxquels cette proposition a conduit.