Revue

Optimiser la progressivité de l'apprentissage du philosopher en classe terminale : les ajustements des gestes professionnels de l'enseignant

La progressivité didactique

La notion de progressivité dans l'apprentissage du philosopher nous incite à opérer une distinction de sens. Une première acception désigne, en effet, l'activité didactique de l'enseignant quand celui-ci considère "son" programme qu'il découpe et ordonne selon les objectifs disciplinaires (faire progresser les élèves dans l'exercice réfléchi du jugement et leur faire acquérir une culture philosophique)et institutionnels (être capable de disserter et de traiter un sujet texte en vue de l'examen) ceci, à partir d' une programmation , une démarche, un système d'évaluation intégrant cycles, séquences, séances, situations, exercices selon une difficulté et une complexité censées allant crescendo .

D'ou les progressions construites par l'enseignant prenant en compte ce niveau de difficulté et de complexité des exercices et des contenus proposés. On admettra ainsi que faire définir les termes, les notions, avec précision est un préalable indispensable avant d'inviter les élèves à s'essayer à conceptualiser ou à aborder la construction de compétences jugées, immédiatement, moins accessibles (problématiser par exemple).

De même, sur le plan des contenus, il n'apparaît pas incohérent de proposer d'abord l'étude de "L'allégorie de la caverne" tirée du livre VII de La République de Platon avant de s'attaquer à des textes plus ardus même s'il ne faut pas confondre, ici, difficulté lexicale et difficulté sémiotique.

On remarque, à ce titre, que ce premier sens de progressivité s'appuie sur l'idée (platonicienne justement ?) qu'un cadre idéal, formel d'apprentissage préexisterait avant toute activité philosophante des élèves, conduirait ainsi la "logique" du cours de l'enseignant et l'informerait sur les écarts à réduire entre le modèle à respecter et la réalité des productions.

C'est dans cette perspective de pédagogie du modèle que l'institution (l'inspection, l'INRP, le ministère) a longtemps fonctionné et fonctionne encore en valorisant presque exclusivement et corrélativement la figure emblématique du magister dont le simple discours suffirait à engager l'élève dans l'apprentissage du philosopher : "l'enseignement est l'acte de parole par lequel l'attention de l'élève est sollicitée et invitée à se tourner vers le vrai .Car, comme le dit Platon, le monde, le vrai ne se transmet pas : il est consubstantiel à tout esprit." (Jacques Muglioni, ancien doyen de l'inspection générale de philosophie in La philosophie et sa pédagogie, CRDP Lille juin 1991).

La progressivité cognitive

Or il est une progressivité qui ne se confond pas avec la beauté platonicienne "... beauté éternelle, qui ne connaît ni la naissance ni la mort, qui ne souffre ni accroissement ni diminution ..." c'est celle du processus de pensée de l'élève nécessairement dynamique, changeant, instable ; c'est à ce deuxième sens, dans une observation centrée sur l'apprenant qu'il nous faut en priorité nous intéresser pour considérer les conditions qui peuvent favoriser l'apprentissage du philosopher.

Pour ce faire, il est important d'abandonner en théorie (c'est relativement facile) mais aussi en pratique (c'est beaucoup plus difficile) l'idée selon laquelle l'élève est considéré comme un simple réceptacle des contenus d'enseignement fussent-ils transposés de manière didactique.

À la suite des travaux de Jean Piaget, on insiste beaucoup maintenant sur son autonomie à apprendre et cela vaut pour l'élève de Terminale, mais on s'interroge aussi sur ce degré d'autonomie. Récemment, avec les apports des recherches menées pourtant dans les années 1930 par le psycho-sociologue Lev Vigotsky, et plus près de nous par son "héritier spirituel" Jérôme Bruner, on sait que l'apprentissage n'est pas un acte isolé mais situé socialement, historiquement et culturellement ; d'où la formule, au premier abord énigmatique puis limpide, "...car la culture donne forme à l'esprit" (Jérôme Bruner in De la révolution cognitive à la psychologie culturelle, 1991, Georg Eshel ).

Avec ce courant de la psychologie sociale et culturelle, ce sont les notions mêmes d'acquisition (pour l'élève) et de transmission (de la part de l'enseignant) qui vacillent, puisque avec Vigotsky notamment, on parle plutôt, lors de l'apprentissage, d'appropriation (pour l'élève) et de mise en situation (préparée par l'enseignant ), en lien et en phase avec la transformation permanente des structures mentales, psychologiques, cognitives sous l'influence des relations sociales et culturelles. Enseigner la philosophie consiste alors à être capable d'évaluer le niveau de maturité et d'efficience de ces structures, leur degré d'opérationnalisation pour, par exemple, inviter les élèves à conceptualiser ou à problématiser selon des modalités et des niveaux de compétences différenciés ; on leur offre ainsi des situations correspondant à ce que Vigotsky nomme leur "zone de développement proximal", qui les trouvent et les rendent alors disponibles et performants.

Le champ de la progressivité décrit ici ne constitue plus, alors, un continuum formel d'étapes à franchir mais, bel et bien, la prise en compte du développement extrêmement contrasté et complexe d'un processus de pensée qu'il nous faut, maintenant, appréhender.

L'enseignant évaluateur

Prendre la mesure de ce processus de pensée à partir d'évaluations initiales et diagnostiques portant sur les compétences spécifiques définies par Michel Tozzi (conceptualiser, argumenter, problématiser), à l'oral comme à l'écrit, mais portant aussi sur les facteurs psychologiques, sociologiques qui peuvent favoriser ou faire obstacle à l'appropriation de ces compétences parait incontournable. On observe en général, lors de cette première évaluation, illustrée par exemple par la rédaction d'une dissertation, des résultats assez contrastés :

  • des élèves (rares), d'emblée très performants (ce qui autorise à penser que l'apprentissage du philosopher peut se réaliser hors de l'école ou bien que l'élève prodigue transfère habilement des compétences (argumenter) construites dans d'autres matières, ou que, plus probablement, il met à contribution ces deux sources pour immédiatement philosopher) ;
  • des élèves aux performances correctes, moyennes et passables (un quart) ;
  • des élèves relativement démunis, notamment dans les séries technologiques (une bonne moitié environ) ;
  • certains, enfin, en très grande difficulté qui rendent parfois pratiquement "feuille blanche".

Face à l'hétérogénéité de ces productions, l'enseignant peut légitimement s'interroger sur la stratégie à adopter pour traiter la diversité des niveaux d'apprentissages.

Il lui faut, nous semble-t-il, dans cette perspective, traiter cette diversité tout en faisant conserver à la classe une "unité de recherche". Celle-ci peut se fonder sur l'idée que le groupe classe, dont l'enseignant fait partie, est d'abord, selon l'expression de Matthew Lipman (à la suite du linguiste logicien Charles Saunders Pierce et du pédagogue John Dewey), une "communauté de recherche" ce qui implique la reconnaissance de la richesse de la contribution de tous les acteurs ; et une "communauté discursive", expression définie par Jean Paul Bernié comme " la construction d' un espace socio- discursif de partage des significations".

Ainsi, dans une classe de terminale, l'un(e) possède un vocabulaire précis et varié, l'autre des références culturelles ou liées à l'actualité, un(e) autre une maîtrise certaine du raisonnement logique, un(e) autre encore un sens évident du questionnement et (ou) de la remise en question, un(e) autre enfin , le besoin ou (et) le souci d'expliciter etc. autant de ressources et de compétences à désigner comme telles et à valoriser aux yeux de tous comme un pactole (un trésor) commun, dynamique et en constante évolution, à la disposition de chacun(e), dans une visée d'échange, de mutualisation, de travail coopératif et si possible collaboratif pour progresser, tous ensemble, dans l'élaboration de ce que l'on dit et de ce que l'on écrit.

Voici un exemple appliqué à la progressivité dans l'apprentissage de la dissertation.

On peut dans une visée d'abord formative puis formatrice (cf. Georgette Nunziatti), inviter les élèves à repérer, à relever puis à identifier à partir d'un travail individuel puis, en concertation par petits groupes, les caractéristiques d'une excellente copie du bac ou plus justement les compétences manifestées par le candidat, ceci pour construire, par la discussion et la négociation, ce qui est attendu à l'examen, c'est à dire les critères d'évaluation de la dissertation.

La conduite de cette recherche, perçue tout d'abord par certains élèves comme déconcertante (n'est-ce pas au professeur de proposer ces critères d'évaluation ? ), prend tout son sens quand ils examinent le document comme l'expression, certes, d'une grande performance qui peut leur paraître, pour l'heure, inaccessible, mais aussi comme l'expression du discours de quelqu'un qui leur est proche.

L'âge, le sexe (les élèves "reconnaissent" l'identité sexuelle en étudiant la calligraphie du candidat ou, quand cela advient, en vérifiant l'accord du participe passé lorsque le candidat parle en son nom) la filière fréquentée, l'épreuve passée etc. sont en effet autant d'éléments qui incitent à l'identification.

Cette reconnaissance et cette construction des critères d'évaluation (par exemple cohérence, intégration harmonieuse des connaissances, argumentation...) n'implique certes pas des progrès immédiats et conséquents. Elle constitue néanmoins, incontestablement, une base d'appropriation de ces critères à partir du repérage, par les élèves, accompagnés par l'enseignant, de leurs propres difficultés. Il s'ensuit une stratégie de choix de remédiations ciblées ; par exemple, pour travailler la cohérence formelle, on peut proposer :

  • un exercice "à trous" sur un texte philosophique, en le complétant avec des outils de liaison ;
  • la construction d'un texte à partir d'outils de liaison imposés ;
  • ou tout simplement la reprise du passage à rectifier, exercice à réactualiser tout au long de l'année.

C'est un premier exemple où une démarche d'évaluation formative puis formatrice intègre l'auto et la co-évaluation (notamment lors de l'examen des productions individuelles par les sujets eux-mêmes, mais aussi avec l'aide, si besoin, de leurs camarades et de l'enseignant), dans une logique réflexive et méta-cognitive. Cette démarche a l'intérêt, selon nous, de favoriser le déploiement d'une progressivité à la fois singulière et commune.

Le constat de ce niveau très hétérogène des productions s'origine à partir d'une nébuleuse complexe que constituent le parcours et l'héritage proprement scolaire de l'élève (mais peut-on isoler ces derniers du contexte psychologique, sociologique, historique et culturel ?).

On peut ainsi raisonnablement penser que ces premières productions sont liées aux expériences préalables de l'oral et de l'écrit à l'école ; mais ces dernières sont, elles mêmes, largement influencées par la culture familiale qui, dans le discours et les pratiques, accorde à l'école, aux disciplines et à leurs apprentissages, un statut plus ou moins privilégié, un regard plus ou moins positif :

L'école, la philosophie servent-elles à quelque chose ? L'acte même d'apprendre à philosopher a-t-il un sens ?

Selon les réponses intériorisées par l'élève (et de manière plus prosaïque selon le coefficient attribué à la matière), son niveau d'engagement, de motivation, d'activité peut alors être très variable, ses représentations, ses émotions, ses affects très différents.

De même, le type de rapport au savoir défini par Jacky Beillerot comme "processus par lequel un sujet, à partir de savoir acquis, produit de nouveaux savoirs singuliers lui permettant de penser, de transformer et de sentir le monde naturel et social", pèse de tout son poids en classe de philosophie.

Mis en lumière et bien analysé dans les travaux de Bernard Charlot, ce rapport au savoir, centré plutôt sur l'expression du discours oral et écrit ou plutôt sur le faire (ce qui peut être déterminant dans l'apprentissage du philosopher et dans la progressivité de cet apprentissage), a une incidence évidente sur les "prédispositions initiales" ou les "incapacités" à philosopher.

On sait, en effet que si le développement de la motricité et de l'intelligence pratique est favorisé dans tous les milieux familiaux, il n'en va pas de même de l'intelligence rationnelle théorique.

On peut opposer des modèles parentaux qui valorisent le savoir pratique et d'autres qui mettent en avant, de préférence, le langage et ses usages ; c'est alors avec ces derniers, le rapport aux savoirs théoriques qui se trouvera investi (voir à ce propos l'autobiographie de Jean Paul Sartre qu'il a précisément intitulée Les mots).

L'école privilégiant d'emblée l'intelligence verbale, abstraite, on comprend mieux, en cours de philosophie, l'aisance de certains élèves qualifiés souvent de très "doués" ou l'extrême difficulté d'autres perçus comme très "handicapés".

Ces mêmes élèves ne font que rencontrer, c'est selon, des univers proches, rassurants, gratifiants ou au contraire éloignés, inquiétants, déconcertants, en écho ou en opposition à leur milieu familial et social. D'où une "progressivité" à deux vitesses, où les remédiations prodiguées devront tenir compte de ces situations spécifiques.

Autre piste d'évaluation initiale et permanente pour organiser au mieux cette progressivité : la prise en compte de ce que Antoine De La Garanderie a nommé dans ces nombreux ouvrages "les actes de connaissance".

Si, en effet, percevoir le cours, puis l'évoquer à partir de différents canaux et modes sensoriels dominants (visuels, auditifs, kinesthésiques), constitue pour l'élève de terminale le préalable incontournable à l'acte d'apprendre, c'est-à-dire d'être attentif, de mémoriser, de comprendre, d'imaginer, de réfléchir, on mesure l'impact et l'enjeu de la présence effective ou non de cette nécessaire évocation.

L'auteur nous précise (in Les chemins de la connaissance, une pédagogie du sens, Chronique sociale, 2002) que cet acte, qu'il considère comme essentiel pour apprendre, n'est ni évident à produire (il est des élèves en permanence distraits), ni aisé à enclencher (qu'on se réfère au rapport de l'Inspection Générale en 2007-2008 sur l'enseignement de la philosophie, déplorant qu'une proportion importante des élèves des séries technologiques "manifestent une indifférence totale et sans nuance au caractère libérateur de la philosophie") .

Sans expliquer de manière exclusive cette "indifférence" par la seule absence d'évocation du cours par l'élève et donc par l'absence d'un temps nécessaire et suffisant que l'enseignant pourrait consacrer à celle-ci, on peut néanmoins admettre l'importance de cette dernière dans l'engagement manifeste.

Donnons un exemple de cette réorientation cognitive du cours à partir du questionnement éventuel de l'enseignant : "Qu'est-ce qui te vient à l'esprit quand tu lis "l'allégorie de la caverne" ? Plutôt des images ? Des paroles que tu te dis ? Des mouvements, des gestes que tu ressens, qui accompagnent ta lecture ?"

Une fois le mode d'évocation préférentiel conscientisé par l'élève et pris en compte par l'enseignant, le cours peut apparaître plus clair à l'un et à l'autre, dans la mesure où une compréhension individuelle mais aussi mutuelle des styles cognitifs s'instaure.

C'est le professeur de philosophie qui, très souvent, en "pur auditif" ( comme l'avoue d'ailleurs l'être Antoine De La Garanderie), sera amené à faire reconnaître aux élèves son style préférentiel et à diversifier ses manières d'enseigner en verbalisant, certes, mais aussi en représentant visuellement le cours, en le mimant, en se déplaçant, ceci pour multiplier les canaux d'informations disponibles pour la classe qui, de ce fait, peut être, dans son ensemble, plus et mieux attentive .

On peut émettre à ce titre l'hypothèse que bon nombre de réussites ou d'échecs dans l'apprentissage du philosopher proviennent, non pas d'un désintérêt de la part des élèves pour la matière, mais plutôt d'une harmonie ou d'une disharmonie entre les manières d'apprendre et celles d'enseigner ; c'est, en tout cas, ce que semble confirmer les propos que l'auteur prête à un élève : "Pourquoi suis-je si à l'aise avec cet enseignant ? C'est qu'il a des habitudes évocatrices analogues aux miennes. Pour mémoriser, pour comprendre, pour imaginer, il a besoin de tout se dire, comme moi. Son monde intentionnel et le mien se retrouvent. En revanche l'an dernier, l'enseignant évoquait tout en images. Je n'arrivais pas à suivre en classe et dans la même discipline. L'an dernier j'étais jugé "faible" ; cette année, on me dit "doué"..." (cf. Les chemins de la connaissance, une pédagogie du sens, page 251, Chronique Sociale, 2002).

On aperçoit ici comment la progressivité des apprentissages du philosopher est intimement liée à l'évaluation et à l'analyse minutieuses des apprentissages de référence ; mais aussi et corrélativement, à celles des conditions sociales, culturelles et cognitives qui la produisent.

En cela, la mise en place de stratégies pouvant, à partir d'une pratique pertinente, favoriser et développer cette progressivité, devient pour nous une préoccupation permanente.

L'enseignant ordonnateur

L'une de ces stratégies a trait à l'ordonnancement du cadre spatio-temporel de cette progressivité et de la latitude que l'enseignant possède à l'intérieur de ce cadre pour organiser au mieux cette dernière. Certes, certaines contraintes demeurent avec lesquelles il faut composer :

  • la situation géographique, environnementale, socio-économique de l'établissement où l'on enseigne, sa localisation, ses structures, ses ressources matérielles et humaines, l'accessibilité et le confort des salles, leur équipement...
  • la programmation des emplois du temps des élèves et de l'enseignant, la répartition des heures d'enseignement sur la semaine, le programme et les objectifs, l'effectif, l'origine socio-économique, culturelle des élèves...

Pour autant l'enseignant en philosophie étant, comme ses collègues, maître et libre de sa pédagogie, peut arranger et organiser ces contraintes à sa convenance et à celle des élèves.

Il peut choisir, c'est selon, de les répartir de front en colonne, un ou deux par table ; ou bien en groupes restreints ou plus conséquents, de disposer les tables en U ou en amphi.

De son côté reste-il le plus souvent au bureau ? Circule-t-il auprès des élèves ? S'arrête-t-il pour questionner ou s'entretenir avec certains ? Alterne t-il les occupations ciblées de lieux "stratégiques" (debout, bien en vue, au tableau, devant toute la classe) et les circulations ? Bref ces stratégies d'organisation et d'occupation de l'espace ont-elles un impact sur la progressivité de l'apprentissage du philosopher ?

Nous serions tentés de répondre par l'affirmative dans la mesure où cet impact n'est jamais anodin ; pour autant, cet ordonnancement de l'espace ne signifie rien en lui-même si on ne le situe pas à partir du vécu et des intentions des acteurs.

Il ne suffit pas, par exemple de disposer les tables en U, de répartir les élèves en groupes ou de les inviter à débattre ou à exposer avec des organisations spatiales spécifiques pour dynamiser et catalyser cette progressivité.

Encore faut-il que ces élèves aient appris à désigner et à reconnaître clairement et distinctement :

  • les objectifs opérationnels à poursuivre : faire un compte rendu, expliquer, expliciter, problématiser, dégager les articulations d'un texte...
  • les critères de réussite et d'évaluation : pour l'objectif expliquer, ce peut être traduire avec d'autres mots l'essentiel de ce qui est dit, sans hors sujet, en restant fidèle au texte.
  • à incarner des rôles et à occuper des fonctions : se prendre pour Spinoza ou Sartre, être secrétaire-synthétiseur, porte parole, coordonnateur, président, reformulateur etc.

Cette exigence de clarté et de transparence dans l'administration des consignes a depuis longtemps été soulignée, notamment lorsqu'on s'adresse aux élèves de milieux défavorisés (cf Mohamed Chouraki in Les paradoxes de la réussite scolaire, 1979, Puf).

Mais cette clarté ne suffit pas quand, exclusivement et essentiellement (est-ce d'ailleurs possible ?), elle reflète l'expression d'un discours par trop désincarné, informatif.

La classe de philosophie n'est jamais, à ce titre, un lieu objectif et objectivable à partir de ce discours mais, plutôt et toujours, comme le soulignerait la phénoménologie, un phénomène permanent qui envahit les acteurs et qu'ils investissent subjectivement.

Notre corps d'enseignant parle et celui des élèves nous répond quand nous nous déplaçons dans la classe ou quand, immobile, nous nous adressons à eux : "tout usage humain du corps est déjà une expression primordiale" nous rappelle Maurice Merleau Ponty (in Signes, 1962 p. 108), ce dont est convaincu le professeur chevronné qui, en alerte, évalue en permanence l'impact de cette expression auprès des élèves, rebondit, régule, vérifie qu'il reste en phase avec eux, contrôle le placement et le timbre de sa voix, ses gestes, son attitude, ses mimiques, ses déplacements, à l'aune de la relation qu'il pose et entretient avec son auditoire.

Au contraire, le débutant, qui souvent dissocie (ou plutôt tente de le faire) discours et usage du corps, ce qui peut être très dommageable pour le suivi par les élèves du cours proposé, rompt alors l'alliance nécessaire pour que la pensée se construise et qu'une progressivité ait lieu.

En cela, l'enseignant débutant ne fait d'ailleurs, que prolonger une posture largement valorisée lors de sa formation universitaire, celle du magister qui assoie sa compétence sur la seule logique du discours, en considérant au contraire, et à la suite de Platon, que "le corps est la prison de l'âme", ce que dénoncent pourtant les compte rendus des jurys du capes et de l'agrégation de philosophie déplorant (mais le peuvent-ils légitimement ?) que les discours des candidats sont "rarement vivants, habités ou incarnés voire audibles".

Retenons ici que l'aménagement, l'organisation du cadre spatial de cette progressivité ne sont rien s'ils ne sont ordonnés par la présence forte, authentique, empathique de l'enseignant.

Que dire de la dimension temporelle de ce cadre et de son impact sur les progrès des élèves ?

Il n'est pas anodin, ainsi, de considérer les emplois du temps respectifs de ces derniers et de l'enseignant, le nombre d'heures dévolues selon les filières à la philosophie, leur répartition dans la journée, sur la semaine, la programmation des exercices et devoirs institués, pour y détecter une plus ou moindre cohérence à défaut d'harmonie. À partir de là, l'enseignant doit composer avec ces contraintes et tenter d'engager les élèves dans les apprentissages du philosopher.

Pour ce faire, sans être Chronos, il reste l'ordonnateur de l'activité réflexive, la planifie, la découpe et l'articule autour des thèmes du programme et simultanément, cette activité réflexive étant irréductible, construit avec ses élèves le sens singulier de chaque séance.

Pour dynamiser et structurer le registre temporel de la progressivité, il n'invite pas les élèves à être présents et attentifs, il fait en sorte qu'ils le soient. Il en va de leur progrès ; on l'a vu, ceux-ci dépendent d'abord d'un travail d'évocation ciblé, intense, continue et préférentiel, puis de celui de mémorisation et de réflexion.

C'est un premier point déterminant et basique : être vigilant, ici et maintenant, pour mieux retenir, mieux apprendre et comprendre ; on revoit, en effet, plus facilement ce pour et par quoi on a été capté ...à condition de ménager des intervalles de temps appropriés pour favoriser la rétention de l'information. Ceux-ci seront très courts près de cette information initiale d'où l'intérêt des synthèses, des résumés, des bilans reformulés par l'enseignant ou mieux par les élèves juste en fin de cours ; puis avec un délai plus long , le soir même où cette information fraîche est aisément revisitable et où elle n'est, en fait, que rarement revue par les élèves.

Si l'on se réfère à cette loi de Jost, on retient parfaitement cette information, si les délais sont par la suite plus longs ; les temps de révision ou d'écriture peuvent alors se réduire progressivement : exactement... l'inverse de ce à quoi nous avons été habitués et que perpétuent trop souvent les élèves ; c 'est-à-dire négliger ce qui vient d'être étudié le jour même pour le revoir (ou plutôt, dans ce cas, le redécouvrir) une semaine ou quinze jours après, la veille ou l'avant-veille de rendre le travail demandé.

Or, notre cerveau pour être efficient doit être sollicité fréquemment avec des intervalles de temps suffisants. L'enseignant de philosophie peut ainsi mettre à profit ces lois de l'apprentissage dans la planification et la programmation des tâches qu'il destine aux élèves, en leur signifiant l'intérêt pour eux d'une telle procédure (meilleure compréhension, meilleure mémorisation, réflexion plus dense et mieux construite ... et gain de temps).

Écrire une dissertation consiste alors à réaliser plusieurs tâches ; par exemple :

  • "S'imprégner" du cours et de son bilan en direct.
  • Revoir le tout le soir même en extrayant les éléments à mettre à contribution en vue du sujet à traiter.
  • Trois jours plus tard, rédiger un plan détaillé et peut être un paragraphe.
  • Deux jours après, écrire une, deux ou trois parties.
  • Enfin peaufiner la conclusion, l'introduction, les transitions et liaisons.

La réussite et la progressivité supposent, dans cette perspective, l'intégration par l'élève de compétences comme celles de se mettre en projet, d'anticiper et de programmer ses propres apprentissages. Elles exigent également celles, hautement précieuses, d'organiser et d'articuler, d'une part les tâches scolaires entre elles, et d'autre part de faire de même avec ces tâches scolaires et les autres activités éventuellement pratiquées.

À ce jeu, on observe que, contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les élèves les plus occupés, les moins en réussite, bien au contraire ; qu'il me soit permis pour illustrer cette compétence à construire et à conduire ses projets, à et hors l'école, de citer le cas d'un élève au niveau scolaire très moyen en seconde, qui, peu à peu, découvre en première "les secrets" de cette expertise et obtient son bac en terminale S brillamment, avec près de 18 de moyenne .

Jusqu'ici, rien d'extraordinaire même si l'on peut, évidemment, saluer la performance ; ce qui l'est davantage, c'est que cette prouesse se réalise alors que le garçon devient la même année champion régional de cross-country (l'hiver), passe près de deux mètres en saut en hauteur (l'été), joue au basket dans l'équipe locale et est reconnu comme féru d'informatique.

Quand on connaît le temps nécessaire pour se réaliser dans toutes ces activités, on admettra que cet élève était aussi champion de l'organisation méthodologique et de la programmation ; il l'était effectivement, lui qui considérait que ses séquences de loisirs délimitaient avec précision le temps imparti et utile qui lui restait à consacrer à son travail scolaire, et qui anticipait en permanence les tâches à réaliser. Cela allait jusqu'à exploiter, au mieux, les situations extra scolaires où il prenait certains repères, sur le stade, par exemple, quand il discutait, avec ses copains et ses entraîneurs.

Bien souvent, sous la douche, la solution d'un problème de fonction trouvait sa solution, et sur le chemin du retour, les grandes idées d'un sujet de philosophie à traiter pour la semaine suivante étaient évoquées voire problématisées.

Il nous semble, ainsi, que l'apprentissage du philosopher et sa progressivité impliquent que l'enseignant puisse initier ou faire progresser ses élèves dans l'organisation méthodologique et la programmation cognitive des tâches à réaliser en s'appuyant sur le contexte rencontré.

L'enseignant accompagnateur

"La fosse aux lions", "le camps retranché", "le combat", "le chef d'orchestre", "le capitaine d'équipe", "le guide d'orientation", "le guide de montagne", "celui ou celle qui donne la becquée", "Robinson sur son île" etc., autant de métaphores qui renvoient à l'incarnation de postures très révélatrices des représentations et des conceptions que l'enseignant a du procès enseignement-apprentissage .

Pas toujours conscientisées, ces conceptions et ces représentations pèsent néanmoins de tout leur poids, dans la relation que cet enseignant construit avec sa classe. Le professeur de philosophie n'échappe pas à cette règle et figure donc une posture particulière. Celle du "compagnon de voyage" ou "d'aventure" nous semble le mieux convenir, en considérant qu'en partant avec ses élèves à la recherche de la vérité et éventuellement de la sagesse, il chemine avec eux, accompagne voire partage leur étonnement, leur surprise, leurs découvertes, leur embarras, leurs difficultés.

L' enseignant "accueilleur" et questionneur

Seulement, en tant que compagnon, il lui arrive de dialoguer, de discuter avec eux de ce cheminement et du sens qu'on peut lui attribuer ; c'est même son geste professionnel essentiel ; encore lui faut-il apprendre à accueillir la parole de ses interlocuteurs qui ne sont pas nécessairement habitués ou préparés à l'exprimer.

L'accueil et l'écoute, bien que compétences incontournables du métier d'enseignant, sont plutôt en général exigées par l'institution des élèves ; il serait plus juste, à ce titre, de parler d'attention, et on a vu que, par ailleurs, celle-ci ne se décrète pas.

Précisément, l'enseignant de philosophie a tout intérêt, pour qu'elle soit réelle et soutenue, de s'ouvrir à son auditoire, d'être authentique, congruent, bref d'adopter une attitude d'empathie, bien formalisée dans les années 50 par le psychopédagogue Carl Rogers.

Il en va de sa crédibilité, et du caractère professionnel de sa démarche, même si d'autres postures existent ; on sait en effet l'impact particulièrement positif en termes d'engagement, de motivation, de volume de productions et de progrès de la part des élèves lorsque l'enseignant opte pour cette posture bienveillante et empathique. En admettant certes qu'elle n'est pas seule en jeu dans cette réussite.

Pour autant, en cours de philosophie, elle prédispose l'élève à s'exprimer de manière authentique, ce qui n'est pas rien quand on connaît le formalisme et l'artifice qui caractérisent, sous la pression institutionnelle, la parole habituelle de l'élève (cf. Questionner pour enseigner et pour apprendre, Olivier Maulini, ESF, 2005).

Dans le même temps, la charge émotionnelle souvent très forte, inhérente à la prise en charge par l'élève d'une posture inédite, celle de l'apprenti philosophe, peut progressivement se dissoudre quand il se rend compte que cette parole vaut pour ce qu'elle est, qu'on (le professeur, la classe) s'y intéresse, qu'elle devient peu à peu objet de réflexion et de réflexivité en lien avec des contenus qui résonnent "dans sa tête" parce que, précisément, cette parole a été au préalable accueillie, puis sollicitée pour faire avancer la réflexion.

Il est juste de parler, à cet égard, de la part de l'enseignant, d'ajustement de gestes professionnels (cf Dominique Bucheton, Richard Etienne, 2009) distingués par Anne Jorro des gestes de métier, "dans le sens où ils dépassent le cadre imparti de la structuration de l'action pour offrir des jeux dans l'activité".

Cet ajustement s'inscrit dans ce que l'auteur nomme les modalisations de l'agir enseignant. Celles-ci impliquent la prise en compte en permanence de l'indétermination de toute situation et du sens de son aménagement à travers les jeux offerts dans l'activité, c'est-à-dire "des variations à construire dans l'interaction avec le contexte" (extrait de la conférence d'Anne Jorro sur "L'agir professionnel de l'enseignant" le 28-02-2006 au CNAM).

C'est précisément cet ajustement incessant que réalise l'enseignant quand il réceptionne la parole de l'élève et fait en sorte qu'elle puisse s'exprimer et croître.

D'où l'importance initiale de cette composante de l'accompagnement qu'est la posture d'accueil comme geste professionnel général, mais aussi comme geste professionnel spécifique de l'enseignant de philosophie.

C'est qu'il permet conjointement le déploiement et le respect de l'expression de la personne de l'élève, comme moteur et ferment de la réflexion ; plus, il rend possible cette délicate expression en signifiant à l'apprenant que ses représentations, ses convictions, ses croyances, ses valeurs, une fois éclairées, précisées, discutées, peuvent être mises à contribution pour faire progresser sa réflexion... et la notre parfois, mettre en jeu, en question, le sens même de son existence.

C'est en cela que l'accueil devient, par là même, un geste professionnel spécifique qui autorise la progressivité et la progression de l'apprentissage du philosopher.

Il en est de même du questionnement, d'ailleurs, souvent partie prenante du geste d'accueil, dont use ou devrait user l'enseignant de philosophie ; certes, l'histoire de l'éducation est d'abord l'histoire des questions que tout maître pose à l'élève ; de Socrate à Alain , sous des formes et à partir de méthodes pédagogiques souvent très différentes, le questionnement est roi, de même le maître qui questionne dont les propos, les conclusions, les apories prévalent sur les réponses des élèves.

Beaucoup de commentateurs avisés remarquent ainsi, malgré les apparences, que le questionnement socratique est l'archétype de "l'entretien hyper directif" (Cf. "Un modèle d'entretien hyper directif : la maïeutique socratique", Revue française de pédagogie, n°51, Pierre Parlebas, 1980), où la logique d'enseignement l'emporte nettement sur celle d'apprentissage. C'est que les réponses des partenaires servent uniquement, dans ce cas, de faire valoir au discours du maître : "l'élève ne crée rien. Il est docilement entraîné sur les rails posés par le maître".

Est-on aujourd'hui si éloigné de ce modèle ? Le cours dialogué, la "participation" sollicitée chez les élèves indiquent, certes, qu'apparemment le questionnement vise à s'appuyer sur leur contribution pour construire la réflexion. Mais cette contribution est un leurre. Les élèves, trop souvent, comme Ménon, produisent les bonnes réponses, mais celles-ci sont toutes induites par la question ; l'enseignant conserve le monopole du savoir qu'il transmet et le leadership de la relation pédagogique : la focale reste centré sur lui.

Qui oserait d'ailleurs prétendre que ce modèle ne fonctionne pas majoritairement en cours de philosophie ? Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que l'étudiant en philosophie a appris à confondre logique d'enseignement et logique d'apprentissage en surévaluant la première au détriment de la seconde.

Pour en être convaincu, relisons Jacques Muglioni quand il dépeint la leçon de philosophie : "Suivant ainsi le cours magistral, si du moins le maître est un vrai maître, l'élève se hausse jusqu'à retrouver les sources premières d'une pensée qui ne se présente pas comme ayant déjà été pensée, mais qui se forme devant lui, avec lui, en lui" (cf. La philosophie et sa pédagogie, p. 79).

Si le questionnement, en revanche, n'est plus un artifice au service du maître, mais réellement un outil en vue de faire réfléchir l'élève, il se peut bien que cela nous intéresse. Les recherches entreprises depuis les années 1980 portant sur l'analyse réflexive (cf. Donald Schon, Le praticien réflexif, 1983) et sur l'analyse de la pratique (cf. Pierre Vermersch, L'entretien d'explicitation en formation continue et en formation initiale, Paris, ESF, 1994), ont permis de construire des dispositifs comme le GEASE, initiés et vulgarisés par Yveline Fumat et Richard Etienne à l'université Paul Valéry de Montpellier, ou par Gérard Wiel à Lyon, et ont permis de développer des outils centrés sur les sujets apprenants en formation.

Le questionnement utilisé alors, au sein de ces dispositifs, vise à explorer le déroulement de l'action réalisée par le sujet, l'incite à un retour métacognitif et réflexif sur cette action. L'entretien d'explicitation inventé par Pierre Vermersch et reconverti, pour la circonstance, en questionnement d'explicitation en cours de philosophie, possède cette double visée de retour réflexif et procédural à accomplir par l'élève ; il permet, si cet outil est bien maîtrisé, d'enclencher, d'entretenir ou de prolonger une activité conceptualisante, questionnante, voire problématisante, en excluant toute induction, toute supposition ou jugement de valeur.

En cela, l'enseignant devient un compagnon qui suscite, questionne, écoute, au service du déploiement de la parole de l'élève. Il ne fait que "tirer le fil" de cette parole fragile, fluctuante, parfois prolixe, n'intervient que pour la relancer, la faire re-préciser, pour éventuellement la reformuler sans jamais s'imposer.

On détient, assurément, avec cet outil (quand l'utilisateur l'a expérimenté suffisamment) le moyen, tout d'abord, de faire s'exprimer les élèves, mais aussi de viser avec eux, par la même occasion, "l'exercice réfléchi du jugement", y compris auprès des élèves des séries technologiques.

Aux antipodes est le personnage du professeur joué par François Bégaudeau dans le film de Laurent Cantet Entre les murs, qui ne fonctionne que dans la relation (souvent conflictuelle), la joute, le défi voire le harcèlement, et très rarement sur l'écoute et les apprentissages ; d'où notre sentiment mitigé, après analyse du film, d'une classe tout à fait dans son rôle, excellemment interprétée par les jeunes élèves et, par contre, d'un professeur et d'un corps enseignant décrits comme très peu professionnels.

À l'inverse, l'accueil et le questionnement d'explicitation tentent de rejoindre dans une perspective clinique, la construction de gestes professionnels, visant à la fois une certaine rationalisation des apprentissages et, à la fois, l'ancrage dans l'expérience. Il s'agit alors au détour de chaque situation d'avoir, comme l'indique Anne Jorro (2006) "le sens du kairos, c'est-à-dire le sens de l'improvisation, de l'intuition de l'instant", où l'inédit est transformé en évènement favorable. Ainsi en est-il de l'élève qui, à partir d'une expression orale laborieuse, approximative, découvre soudain mêlés, le plaisir et l'inquiétude de penser.

Le rythme du discours se ralentit, la parole parfois même s'interrompt, se suspend momentanément, les yeux roulent dans les orbites vers le haut en position de parole incarnée (cf. Pierre Vermersch), puis le discours reprend lentement, plus ferme, comme si le sujet se découvrait avec étonnement, gravité et ravissement, en train de réfléchir, et mesurait les enjeux de cette réflexion. C'est ce genre d'évènement que l'on recherche et que l'on tente de perdurer avec les élèves. D'une certaine manière, à l'oral comme à l'écrit, c'est même la seule chose à rechercher. Accompagner l'élève par l'accueil et le questionnement permet cet avènement et l'essor possible de la progressivité de l'apprentissage du philosopher.

L'enseignant médiateur

Pour que cet essor des apprentissages devienne effectif, on aperçoit ici l'extrême importance de leur médiatisation par la personne du professeur. Son style, sa personnalité, sa posture, son discours, tout ce qui est de l'ordre des stimulations, des renforcements, encouragements mais aussi, nous l'avons vu, ce qui relève de la structuration et de l'organisation du travail des élèves, renvoient à cette médiatisation.

Ainsi comprise, celle-ci désigne le professeur de philosophie au travail quand son intention vise précisément ces apprentissages de l'élève et quand ce dernier, réciproquement, s'appuie sur ce médiateur humain pour apprendre. Il n'y a pas, en ce sens, de savoir en soi ou d'apprentissage du philosopher éthéré, ex nihilo. Tout savoir est incarné, médiatisé et simultanément redéfini par l'apprenant en fonction de la médiation qu'il rencontre ; d'où le caractère crucial de la clarté du sens et des intentions que l'on imprime au cours en tenant compte, nous l'avons préalablement observé, des points de vue multiples et variés que constituent les élèves dans leurs particularités.

Ce jeudi 7 octobre 2010, de 10 heures à 11 heures, nous corrigeons ainsi un exercice puisé dans l'ouvrage de Michel Tozzi intitulé Penser par soi-même (Chronique Sociale, 1995).

Il s'agissait pour les élèves de ST2S d'énoncer l'idée à laquelle ils tiennent le plus et de justifier leur réponse. Trois élèves soumettent à la classe leur production.

Le premier évoque brièvement son sentiment de colère, d'exaspération et d'impuissance devant ce qui lui apparaît comme "la destruction programmée de la planète par les hommes" avec notamment, comme signe avant coureur, "la mort des ours blancs".

Je lui rappelle la question exacte qui lui permet avec l'aide de la classe d'avancer que c'est "la nature", son "respect" et la conservation de son "équilibre" qui lui importe. Parallèlement, j'indique à tous que l'une des exigences premières en philosophie est de se centrer sur la question à laquelle il faut tenter de répondre.

Sur le fond, le lien est fait avec le voeu de Descartes dans le Discours de la méthode (1637) "de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature". Les élèves font remarquer que depuis, les hommes ont exagéré et outrepassé leurs prérogatives. Ils sont irresponsables. C'est précisément parce qu'ils sont, au contraire, garants et "responsables de la nature" que, précise notre élève il est, lui, révolté.

La seconde élève annonce l'amitié comme ce à quoi elle tient le plus. Elle distingue l'amitié "simple" "où l'on rigole avec les amis" et l'amitié "forte" où "l'on peut se confier" et qui a sa préférence. Contestation de la classe qui observe que l'amitié du premier genre renvoie plutôt au copinage voire à la camaraderie, d'où la distinction opérée, ensuite, entre camarade, copain et ami.

La troisième élève proclame qu' "une relation de confiance" notamment "en famille" est pour elle "indispensable", parce que c'est ce qui "la porte dans la vie et la rassure" ; la famille, poursuit-elle, nous connaît mieux que quiconque et nous transmet des valeurs.

Tollé de la part d'un petit groupe d'élèves qui nient ces affirmations. La famille serait, à l'opposé, ce qui ne nous connaît pas vraiment et où la communication est souvent absente... autres scénarios de vie et autres vécus. Mais de quelle connaissance parle-t-on ? Comment la communication, en famille, peut-elle être réelle ou absente ?

Où donc la médiation de l'enseignant, comme geste professionnel majeur, opère-t-elle durant cette séance ?

D'abord en énonçant, à la suite de la réponse du premier élève, à tous, l'importance de recentrer la réflexion ; puis en montrant la proximité entre le propos de l'élève, celui du reste de la classe et la pensée de Descartes ; dans les deux cas c'est le croisement entre l'opportunité ouverte par ce qui se dit et les exigences du philosopher qui conduisent cette médiation. Celle-ci ne devient d'ailleurs pertinente et crédible aux yeux des élèves que lorsqu'elle produit, chez eux, une prise de conscience, celle que leur discours a toujours, d'une manière ou d'une autre, contre toute attente, à voir avec l'apprentissage du philosopher et qu'il est donc toujours intéressant .

Ensuite, en rebondissant sur l'effort de distinction conceptuelle de la seconde élève et en l'invitant, elle et ses camarades, à réaliser eux-mêmes "dans la foulée" une distinction conceptuelle.

Enfin, en mettant en avant, avec le concours des élèves, le fait qu'une conviction profonde peut être mise en question, voire en cause, qu'une réponse plurielle à un questionnement sur nos propres valeurs peut alors être envisagée.

C'est donc, continuellement, dans l'interface entre les productions des élèves (langagières mais qui s'expriment aussi sous forme d'attitudes ou de postures), et les compétences à travailler, que se situe l'acte médiateur de l'enseignant. Ces productions n'étant jamais, prédites ni prévues, celui-ci doit faire jouer son sens du kaïros, en assurant en permanence le lien entre l'inédit qui s'exprime et les compétences visées.

Pour autant, Lev Vygotski nous apprend aussi que la médiation ne concerne pas seulement la personne de l'enseignant, mais aussi les outils qu'il propose, qui font alors office de médiateurs symboliques. Encore faut-il que ces outils signifient. Il ne suffit pas, ainsi, d'adresser aux élèves de terminales des signes, symboles, graphiques, schémas, citations ou textes pour qu'ils apprennent et comprennent. Faisons surtout en sorte et vérifions que ces symboles jouent vraiment leur rôle en les faisant accéder au rang d'outils psychologiques, médiateurs des apprentissages.

Favoriser et signifier le sens de ces outils devient donc un impératif permanent pour l'enseignant de philosophie, un geste incontournable qu'il intègre à son agir professionnel de base. Proposer, à l'inverse, par exemple, au tableau, des cartes heuristiques ou des tableaux conceptuels sans en expliquer la fonction (décliner un concept ou le relier à ses attributs) et la visée (conceptualiser) peut être très déstabilisant pour les élèves.

Comme le souligne Alex Kozulin , à la suite de Vygotski ( "Outils psychologiques et apprentissage par médiation" in Vygotski et l'éducation, p. 20, Retz, 2003) : "S'il n'y a pas intentionnalité de l'enseignant médiateur, les élèves ne s'approprient pas ces outils ou ils les considèreront comme de simples contenus supplémentaires et non comme des outils ... L'outil symbolique ne joue pleinement son rôle que si l'élève se l'approprie et l'intériorise en tant qu'instrument générique, c'est-à-dire en tant qu'outil psychologique capable d'organiser des fonctions cognitives et d'apprentissage individuelles dans des contextes différents, et pour des tâches différentes". C'est dire le caractère déterminant de cette explicitation du sens, non seulement sur les contenus offerts, mais sur les médiateurs symboliques présentés.

Illustrons ceci à partir d'un travail de réflexion, d'abord individuel puis collectif, réalisé par des élèves de terminales ST2S qui recueillent sur une carte heuristique (dont ils connaissent l'utilité, qu'ils ont l'habitude de manipuler et qui est retranscrite au fur et à mesure au tableau), les réponses à la question : "Qu'est-ce qu'un génie artistique ?"

Les pistes entrevues mettent l'accent sur le "don", "l'originalité" de l'artiste, la distinction entre son "talent" et les "recettes" ou "plan"de l'artisan, le fait que l'artiste " invente à sa manière" et "au fur et à mesure des règles pour créer" "qu'il ne peut transmettre car c'est inné", autant de formules, notions ou concepts que les élèves formulent et redécouvrent identiques ou énoncées légèrement différemment par Kant dans un extrait de La critique de la faculté de juger (1790), qu'ils auront à étudier ensuite.

Sans cette médiation par l'outil proposé et le travail de définitions qu'il exige, le discours du philosophe reste le plus souvent obscur ou difficile à décrypter par les élèves. Avec cette médiation, c'est comme si Kant "faisait en quelque sorte partie de la famille" ; il ne rebute ni n'effraie ; il faut certes être concentré pour le lire, mais ses propos résonnent et font sens ; les élèves vont même jusqu'à les trouver "intéressants"; surtout, le passage étudié leurs devient tout à fait accessible et compréhensible.

Nous avons dit, précédemment, qu'une condition de la progressivité de l'apprentissage du philosopher des élèves réside ainsi dans le sens et les intentions que l'enseignant annonce et affiche dans sa démarche, en lien étroit et constant avec ce qu'il observe chez les élèves et les contenus à intégrer. On a parlé, à ce titre, et dans un premier temps de médiation humaine.

On remarque également l'impact décisif sur les progrès de l'appropriation, par les élèves, de médiateurs symboliques qu'on leur propose (ou qu'ils produisent eux-mêmes).

Dans les deux cas, l'enseignant de philosophie se trouve être le médiateur du sens du philosopher qui apparaît et se construit avec les élèves, soit en tant qu'intermédiaire direct de ce sens, soit comme traducteur et accompagnateur du maniement des outils symboliques.

L'enseignant enchanteur

Il est, malgré tous les gestes évoqués (évaluer, ordonner, accompagner par le fait d'accueillir et de questionner, de médiatiser) des élèves qui, comme ils disent, n'"accrochent pas", ne "sont pas dedans", comme si un déficit d'âme existait lors du cours. L'animation au sens premier et fort est ainsi fondamental ; non pas qu'il faille "faire le clown", "amuser la galerie", tomber dans le jeunisme et la démagogie mais, plus simplement, comme nous le suggère l'étymologie latine, donner souffle et vie aux situations d'apprentissage.

Sur ce point nous restons en accord avec ce qu'Alain dit de l'enfant : " Que veut-il donc et que veut l'homme ? Il vise au difficile et non à l'agréable, et, s'il ne peut garder cette attitude d'homme, il veut qu'on l'y aide....] [...il veut qu'on l'élève ; voilà un très beau mot.] (Propos sur l'éducation, 1932, Puf).

Comment faire en sorte que cette élévation, non sans douleur, de l'esprit concerne aussi les élèves de terminales qui apprennent à philosopher ? En s'appuyant délibérément et peut-être paradoxalement, sur les émotions.

Certes, l'opposition souvent caricaturale perdure, encore actuellement, entre l'émotion qui comme "l'eau qui rompt la digue" (Kant) nous submerge, et la raison qui, seule, nous aiderait à bien penser. Cette vision, on le sait, demeure dans l'esprit de bon nombre d'enseignants. L'émotion fait peur ; au mieux, elle perturbe, dérange, empêche que le cours se déroule. La raison, en maîtresse d'école exclusive et possessive, permettrait ce déroulement sans faille... ou presque.

Car si le cours se déploie sur ce mode, la pensée des élèves n'y adhère pas nécessairement. Quand elle le fait, c'est plus certainement qu'émotion et raison se réconcilient, la première catalysant l'exercice de la seconde. Les acquis récents de la neurologie confirment cette thèse et révèlent même que l'absence d'émotions et de sentiments empêche d'être vraiment rationnel (cf. Antonio R.Damasio L'erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, 2003).

Les recherches en didactique confirment, contre le dualisme cartésien, cette nécessité de faire coopérer émotion et raison : "On ne mesure pas combien, à l'occasion des discussions, elles (les émotions) peuvent être, au contraire, le moteur du développement intellectuel" (Dominique Bucheton, "Faire discuter pour faire apprendre, pas si simple" in La discussion en éducation et en formation, sous la direction de Michel Tozzi et Richard Etienne L'Harmattan). Nous irions jusqu'à dire que, d'une certaine manière, les émotions ne favorisent pas exclusivement les discussions ou les débats, mais tout l'agir professionnel.

Prendre contact avec sa classe, prendre la mesure de l'écoute, démarrer une séance, présenter les objectifs, les consignes, les contraintes, les critères, les auteurs, les textes, entrer en dialogue, préciser, expliciter, rebondir, relancer, renforcer, féliciter ou même reprendre, mettre en garde, tancer devient tout sauf de l'informatif et du technicisme pur.

L'enseignant de philosophie est, ici, comme ses collègues, et peut-être plus qu'eux, eu égard à la place primordiale qu'il accorde à l'exercice de la raison, "sur le fil du rasoir" ; faire raisonner les élèves en faisant résonner les émotions, voilà son projet permanent.

Sur ce fragile équilibre se construit et évolue le sens du cours au détour d'une réplique, d'un sourire, d'un regard, d'un geste. Mais plus généralement, les émotions peuvent favoriser l'appropriation des compétences et des connaissances spécifiques.

C'est le cas quand l'enseignant puise délibérément dans ce qui touche les élèves.

Michel Tozzi, dans un article récent, souligne l'impact formidable du mythe sur l'apprentissage du philosopher ("Le mythe comme support d'une réflexion philosophique avec les élèves", 2010).

Pour l'auteur "la puissance poétique de suggestion" du mythe ne s'oppose pas à la capacité à raisonner des élèves ; elle la suscite et la complète "pour leur faire symboliquement et pédagogiquement re-parcourir le cheminement grec qui mène du mutos au logos, d'un narratif sacré transcendant à une raison philosophique".

Quelque part, le choix du mythe comme support et sa présentation par l'enseignant est une façon aussi d'enchanter cette rationalité. Vu sous cette angle, ce n'est pas simplement le mythe en soi qui charme et incite à raisonner, mais sa présentation par l'enseignant et surtout le traitement et la redéfinition parfois inattendue qu'en font les élèves.

De même les contes, bien étudiés par Edwige Chirouter (2007 et2008), et dont la portée philosophique n'existe que parce que les médiateurs respectifs que sont le conteur ou l'enfant reconstruisent et interprètent à leur façon le texte ou le discours proposé à partir des émotions qu'ils font passer ou ressentent.

D'où l'idée de rechercher et de multiplier les dispositifs pédagogiques et didactiques visant l'apprentissage du philosopher à partir de supports visant la mobilisation des ressources émotionnelles des élèves de terminales et puisées dans leur culture singulière.

La science fiction, le fantastique des romans (Stephen King, Bernard Weber) du cinéma (Matrix, 2003, Inception, 2010, Edward aux mains d'argent, Le seigneur des anneaux, 2001) des séries télévisées (Lost) constituent, à ce titre, des déclencheurs qu'il est utile et pertinent de convoquer quand la classe s'interroge sur la conscience, le sujet, l'existence et le temps.

Des élèves, initialement en grande difficulté pour comprendre le cogito cartésien, s'illuminent soudainement quand il leur est suggéré ou quand ils suggèrent eux-mêmes l'analogie à faire avec les personnages de Matrix. Alain Badiou (et al.) considèrent dans leur ouvrage : Matrix , machine philosophique, la multiplicité des pistes de réflexion offerte par l'oeuvre cinématographique des frères Wachowski réalisée en 1999.

Thibaut de Saint Maurice, professeur de philosophie en lycée nous explique (dans Philosophie en séries, Ellipses, 2009) tout le parti qu'il tire de la mise en relation entre les séries télévisées très prisées de ses élèves et les contenus qu'il leur propose.

Bref, on comprend comment les figures héroïques, celle des extrêmes, de la révolte, de la fantaisie, de l'exotisme, de l'aventure revendiqués par les adolescents peuvent, quand elles sont mises à contribution, servir leurs compétences à philosopher.

En cours, le simple fait de jouer le personnage d'un philosophe lors d'un colloque, d'un débat, à l'occasion d'une correspondance ou quand l'élève écrit et répond, en son nom, aux thèses de ses illustres prédécesseurs, tout cet habillage enchanteur, cette théâtralisation des compétences, produit, après quelques hésitations, un effet extraordinaire sur l'engagement dans l'activité philosophante. Le discours est alors incarné, personnalisé, singularisé ; il peut se développer et s'approfondir puisqu'il est question de relations, d'adresses et de réponses "authentiques".

Beaucoup d'élèves, qui par ailleurs refusent de s'exprimer ou ont du mal à discourir s'épanchent, sans compter, par ce biais. Certes, quelques fantaisies agrémentent le discours : ("Mon cher vieux pote Epictète !" "Bien le bonjour à ton petit castor, mon cher Popaul !"), mais faut-il, au nom d'une certaine orthodoxie discursive (que les élèves intègrent tout à fait, autrement) bloquer leur inspiration ? Cette dernière devient même débordante quand elle s'appuie sur des émotions esthétiques correspondant aux styles cognitifs des élèves.

Telle reproduction d'un tableau de Van Gogh, contemplée en séance inaugurale sur le thème de l'art, va littéralement bouleverser un élève et l'engager "fébrilement" dans un copieux travail d'écriture sur ce qu'évoque, pour lui, l'oeuvre présentée ; c'est le même qui, habituellement, s'abstient de prendre des notes et couvre son cahier de dessins et de schémas.

Parfois, aussi, certains élèves confrontés à ce même tableau ou à un texte qui les marquent proposent de dire ou de faire dire un poème, écrit en un tour de main, souvent, d'une grande qualité.

Les "auditifs" et les "kinesthésiques" sont ravis lorsqu'il s'agit d'introduire ou de réviser la première séquence de l'année portant sur le questionnement philosophique à partir d'un morceau de musique rap ("Qu'est-ce que la philosophie ?") figurant dans un CD "Philosong" créé par Thierry Aymès, professeur de philosophie et musicien.

Enfin l'actualité qui renvoie aux centres d'intérêts, aux passions des élèves et souvent évoquée en classe, peut aussi servir de tremplin pour apprendre à philosopher et favoriser la progressivité.

Les images fortes du "coup de boule" de Zidane, celles plus récentes de "la main d'Henri" ou le refus de Domenech de serrer la main tendue de l'entraîneur de l'Afrique du Sud lors des préliminaires ou des phases finales de la dernière coupe du monde de football offrent, notamment aux garçons, l'opportunité de philosopher. Respectivement la violence, la justice et la question de l'impunité, celle de la morale et de la dignité peuvent être abordées avant de faire le lien avec les thèses de Platon, de Kant ou d'autres auteurs.

C'est encore avec Lev Vygotski (qu'on redécouvre en permanence) et ses diffuseurs que la caution scientifique de l'effet bénéfique des émotions et de l'imagination sur la réflexion et la conceptualisation est apportée, alors qu'on a longtemps séparé et opposé les unes et les autres : "Nous sommes les héritiers d'idées et de pratiques éducatives qui ont accordé une place de choix aux concepts désincarnés et qui paraissent avoir négligé ou même oublié ce que notre histoire culturelle nous désigne pourtant comme l'un des véhicules les plus puissants de la communication, ces images affectives dont le rôle est essentiel pour communiquer signification et portée. Ce sont les images qui pourront donner de la vigueur aux concepts et les rendre plus accessibles à la compréhension des élèves ( Kieran Egan et Natalia Gajdamaschko, "Des outils cognitifs pour mieux maîtriser la culture écrite" in Vygotski et l'éducation, 2003).

Retenons, comme geste professionnel majeur et constant, la nécessité d'enchanter le processus de conceptualisation en mobilisant chez les élèves les émotions et l'imagination pour que la progressivité de l'apprentissage du philosopher soit effective et se développe.

Laissons, sur ce point précis, conclure Lev Vygotski : "Le véritable concept est l'image d'une chose objective saisie dans sa complexité. Ce n'est que lorsque l'on reconnaît cette chose dans toutes ses connexions et relations, lorsque cette diversité est synthétisée dans un mot, dans une image intégrale au travers de la multitude de ses déterminations, que nous développons un concept".

Conclusion

Nous avons tenté d'apercevoir et de montrer comment la progressivité de l'apprentissage du philosopher naît et se construit à la croisée de la rencontre entre la singularité des élèves et l'optimisation des ajustements des gestes professionnels de l'enseignant, cela, à partir d'une posture générale d'accompagnement. Ce cheminement patient et attentif commence avec un travail d'évaluation et d'ordonnancement. Il se poursuit par l'accueil et le questionnement, gestes que nous avons, à certains égards, reconnus comme spécifiques. Enfin médiatiser et enchanter la démarche et la réflexion de l'élève, pour que celles-ci échappent au formalisme, au formatage et accèdent à une dimension vive et signifiante nous apparaît comme fondamental.

"Mon bon ami, toute théorie est grise, vert est l'arbre précieux de la vie" nous rappelle Goethe. Faisons en sorte, qu'au coeur de la classe, concept et vie soient en permanence réconciliés.

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