Revue

Québec (Canada) : cursus de pratiques philosophiques de la maternelle à l'université

Cet article fait suite au dossier de ce numéro sur la progressivité en philosophie

L'Unesco conçoit la philosophie comme une "école de la liberté". Et dans une visée de "développement d'un esprit critique, du dialogue et de la paix entre les peuples", elle explore l'idée de la mise en oeuvre d'un cursus de pratiques philosophiques de la maternelle à la fin du secondaire.

Partageant la conception de la philosophie proposée par l'Unesco, qui la met en lien avec une pensée et un dialogue critiques1, mon point de vue est le suivant : étant donné la multiplicité des approches philosophiques utilisées dans les divers pays et étant donné le laisser-aller qui s'observe quant aux pratiques philosophiques (on utilise souvent la période de philosophie pour faire dessiner les enfants et les faire converser), je suis d'avis qu'un "cursus de pratiques philosophiques" axé sur le développement d'une pensée critique -- en opposition à une "diversité de pratiques plus ou moins philosophiques" -- s'avère une idée de plus en plus urgente à opérationnaliser. Urgente, d'abord, pour la philosophie elle-même qui est une discipline noble et qui mérite d'être diffusée avec une certaine rigueur intellectuelle ; urgente, ensuite, pour les enfants qui ne connaissent de la philosophie que ce qu'on leur enseigne en classe et qui pourraient se sentir floués lorsque, plus tard, ils constateraient qu'à l'école, on leur disait qu'ils philosophaient alors qu'ils ne faisaient que penser de manière spontanée ; qu'ils dialoguaient alors qu'ils ne faisaient que parler. Urgente, finalement, pour l'avenir de la philosophie à l'école, qui est de plus en plus sous l'oeil critique des philosophes professionnels qui n'attendent que l'instant propice pour démontrer qu'elle n'est pas de la "vraie" philosophie2.

Et ils n'ont pas tout à fait tort, car ce n'est pas parce que les enfants de 3-4 ans se questionnent sur le monde qu'ils sont pour autant capables de justifier leurs croyances de manière rationnelle ; ce n'est pas parce que les jeunes de 8-10 ans sont capables de penser de manière intelligente qu'ils sont capables de réfléchir de manière philosophique et critique avec les autres dans une perspective d'amélioration du bien commun. Autrement dit, parler n'est pas synonyme de dia-loguer, et penser ne signifie pas philosopher.

Parler versus dialoguer

Dans les ateliers de philosophie à l'école préscolaire et primaire (au Québec, au Mexique, au Brésil, en Australie, en République Tchèque, en Angleterre, en France, en Belgique), j'ai observé que les enfants racontaient des expériences personnelles (narration), ou qu'ils parlaient sans tenir compte de la pensée des pairs et qu'ils conversaient à bâton rompu sur une ou plusieurs thématiques (conversation), ou encore qu'ils discutaient et argumentaient dans le but de remporter la joute verbale (discussion). Occasionnellement, j'ai entendu des enfants qui élaboraient leur point de vue en tenant compte de la perspective d'autrui ou qui critiquaient les énoncés des pairs dans le but de les nuancer, de les préciser, de les enrichir (dialogue).

Si l'on prend appui sur la philosophie grecque antique ou encore sur la philosophie pragmatiste contemporaine, on conçoit que l'acte de la philosophie se trouve dans le dia-logos. Or, dialogue n'est pas synonyme de narration anecdotique, ni de conversation, ni même de discussion. Selon le Dictionnaire de l'Académie française (2009), la narration est généralement définie comme un exposé simple ou un récit détaillé d'une suite de faits. De ce fait, elle n'exige aucun pré-requis sur les plans cognitifs et de la communication. La conversation consiste en un échange d'informations ou en un échange de propos naturels et spontanés. C'est une forme courante de communication entre au moins deux personnes. La discussion trouve son étymologie dans le latin discussio qui signifie "secousse". Elle suppose donc l'examen d'un fait ou d'une situation en confrontant les opinions et en y opposant des arguments. La discussion se rapproche du dialogue, mais n'en contient pas la nécessaire rencontre intersubjective avec l'autre, puisqu'elle peut s'affirmer dans des débats, la confrontation ou tout autre type d'échange qui ne présuppose pas d'emblée la coopération ou la co-construction des arguments. Quant au dialogue, je l'associe à la délibération et, ce faisant, lui accorde une plus grande complexité sur les plans cognitifs (conceptualisation, transformation des perspectives, auto-correction, catégorisation), épistémologique (intersubjectivité vs égocentrisme et relativisme), social (recherche en communauté de pairs, écoute de l'autre et décentration) et éthique (coopération et responsabilité envers soi, envers les pairs et envers la société).

Penser versus philosopher

Penser de manière philosophique est un processus cognitif qui commence par le questionnement, comme le soutenait Aristote, mais le questionnement (celui notamment des enfants de 3-4 ans) n'en est que la première étape. La pensée doit aussi être capable de poursuivre le processus de réflexion : a) en définissant correctement les paramètres et les contextes encadrant la situation problématique (apport d'une pensée logique), b) en apportant des hypothèses originales et pertinentes pour améliorer la situation problématique (pensée créative), c) en privilégiant l'avenue la plus viable et la plus signification pour soi et pour autrui (apport d'une pensée responsable), d) en appliquant la solution imaginée au réel3 dans l'optique qu'elle devra être éventuellement révisée (pensée métacognitive).

Dans les pages suivantes, je réfléchirai sur quelques-unes des questions posées par l'Unesco et Michel Tozzi (voir son article dans Diotime n° 44), m'appuyant sur les recherches scientifiques que j'ai menées auprès d'élèves de 4 à 12 ans, qui utilisaient l'approche de Philosophie pour enfants conçue par Matthew Lipman : qu'est-ce qu'un curriculum philosophique ? Un curriculum philosophique est-il possible et souhaitable ? Comment le concevoir? Comment penser la progressivité du philosopher ? Quelles méthodes faciliteraient l'apprentissage de la philosophie? Quelle formation parait nécessaire pour accompagner un curriculum philosophique à l'école ?

Qu'est-ce qu'un curriculum philosophique ?

Mes propos situeront le philosopher dans sa deuxième finalité, soit dans la perspective scolaire. Aussi, il convient d'examiner préalablement les composantes d'un "curriculum scolaire", ce qui est susceptible de nous guider par la suite dans la définition d'un "curriculum philosophique".

1) Curriculum scolaire

Un curriculum scolaire est un programme de formation destiné à l'enseignement/apprentissage d'une discipline particulière. Il est un outil sur lequel un groupe de didacticiens et de spécialistes ont préalablement fait consensus quant aux finalités, aux éléments de contenus, aux compétences à développer chez les élèves et à la complexification`des apprentissages. Son but consiste à guider l'enseignant dans sa démarche d'éducation progressive (versus additive) des élèves aux différents ordres d'enseignement. Tout curriculum scolaire est composé d'un support qui s'adresse aux élèves et d'un guide pédagogique qui propose aux enseignants : des compétences spécifiques à développer, la progression des apprentissages d'un cycle à l'autre, la planification des enseignements, le rôle des élèves et de l'enseignant, les ressources diversifiées susceptibles d'alimenter l'enseignement/apprentissage, l'évaluation des apprentissages, etc. (MELS, 2005).

2) Curriculum philosophique

Parallèlement, il serait cohérent de définir un curriculum philosophique comme un programme de formation destiné à l'enseignement/apprentissage d'une pensée critique. Il sera idéalement conçu par un groupe de philosophes et d'experts en enseignement de la philosophie à l'école qui s'entendront sur les finalités du curriculum, ses éléments de contenus, les habiletés et attitudes à mobiliser chez les élèves à chaque ordre d'enseignement et sur la complexification des apprentissages afin d'éviter aux élèves de "faire du sur-place" et de stimuler une progression dans les apprentissages.

Comme pour les autres curricula scolaires, le curriculum philosophique est appelé à comprendre un support pour les élèves ainsi qu'un guide pédagogique pour aider les enseignants dans leur maïeutique socratique. Ce guide, conçu comme une ressource quotidienne pour les enseignants, contiendra à la fois des balises larges et souples (i.e. indication des ressources disponibles comme les mythes, les contes, la littérature jeunesse...) et des balises plus spécifiques pour assurer la progression des apprentissages sur les plans cognitif, discursif, sociaux... à l'intérieur d'une année scolaire, puis d'une année à l'autre et finalement d'un ordre à l'autre. À noter que les balises spécifiques dont il est ici question ne font pas référence à des exercices intellectuels décontextualisés, mais plutôt à des questionnements philosophiques en lien avec les concepts philosophiques contenus dans les supports des élèves. Quant à l'évaluation des apprentissages, il n'est pas certain qu'elle soit souhaitable dans un curriculum philosophique. Cependant des repères critériés peuvent être utiles aux enseignants pour vérifier la progression des apprentissages des élèves.

Bref, un curriculum philosophique est un outil pédagogique privilégié par un comité de philosophes et de praticiens expérimentés. Il vise à éviter la redondance des apprentissages et à stimuler l'atteinte des objectifs fixés. Il doit être conçu avec rigueur et souplesse pour orienter les enseignants vers une progression de la pensée critique à l'intérieur des groupes-classes et des ordres d'enseignement.

3) Spécificité du philosophique dans le curriculum

Dans le curriculum philosophique, la compétence que l'enseignant a avantage à stimuler chez ses élèves concerne, comme il a été mentionné précédemment, la pensée critique4. Puisque l'apprentissage d'une telle pensée traverse toutes les disciplines et se trouve au fondement de chacune d'elles, nous la dirons "transversale". Dans cette optique de transversalité, le curriculum philosophique pourrait être de deux types :

  • général, pour stimuler l'apprentissage de compétences réflexives et langagières en relation avec la communication orale (comme c'est le cas, notamment en France, au Québec...) et, de ce fait, être intégré au cours de français ;
  • spécifique, pour stimuler l'apprentissage de notions philosophiques à la base des disciplines scolaires (i.e. la réflexion sur des concepts philosophico-mathématiques comme au Québec, au Mexique, en Angleterre, en Australie, en Finlande, en République Tchèque, ou encore la réflexion sur des concepts éthiques visant la formation des futurs citoyens comme au Québec, en Belgique...).

Qu'il se situe dans un type ou dans un autre, pour être qualifié de philosophique, le curriculum doit répondre à certains critères fondamentaux quant au support pour les élèves et quant au guide pour l'enseignant.

4) Les supports pour les élèves

Les supports pour les élèves peuvent être de forme variée : mythes (Tozzi), romans (Lipman ; Daniel), contes (Daniel), images (UNICEF, Pomme d'Api), documents vidéos (Cortez), littérature jeunesse (Chirouter), etc. Mais, indépendamment de leur forme, ces supports doivent être fondés sur des concepts "ouverts" pour lesquels il n'existe pas de réponse unique (les élèves sont souvent motivés par la recherche de la réponse attendue par l'enseignant) et, ensuite, ne pas contenir de morale implicite ou explicite comme dans les fables (les élèves sont prompts à comprendre le comportement ou l'attitude qu'ils doivent privilégier pour obtenir l'approbation de l'enseignant). Ces deux critères assurent l'authenticité de la réflexion philosophique (ou critique) qui suivra, les élèves ne possédant pas "la" bonne réponse, et leur esprit ayant été "déséquilibré" par l'ambiguïté des concepts ou le paradoxe des images ou des situations présentées.

5) Les guides pour les enseignants

Comme les supports, les guides philosophico-pédagogiques sont susceptibles d'être présentés aux enseignants sous différentes formes. Par souci de rigueur, j'ai tendance à privilégier un guide qui exploite de manière systématique les concepts (ou images...) philosophiques présents dans les supports, comme c'est le cas, notamment, dans les curricula de Lipman et de Daniel, dans les fiches de l'Unicef et dans celles de Pomme d'Api. Cette exploitation permet à l'enseignant de prendre conscience des questionnements possibles quant à une variété de concepts et, en tentant lui-même de répondre aux questions, de s'autoformer en philosophie.

L'exploitation du guide philosophico-pédagogique peut prendre plusieurs formes. Parmi celles que je trouve particulièrement pertinentes, car elles ont montré qu'elles assurent la complexification de la pensée des élèves et la progression de leurs apprentissages, il y a les plans de discussion gradués et, pour les plus petits, les exercices/activités.

6) Plans de discussion

Ces derniers doivent être gradués à deux niveaux. D'abord à l'intérieur de chacun des plans de discussion, il y a gradation du support particulier (i.e. des références directes au personnage du conte ou de l'image) à l'application générale (i.e. application à l'ensemble des enfants). Ensuite, il y a gradation à l'intérieur du curriculum même qui se manifeste par le passage du plus concret, en particulier pour les petits (i.e. les amis, ce qui est juste/injuste), à l'abstrait et à l'universel pour les plus grands (i.e. l'amitié, la justice).

7) Exercices et activités

Bien que les petits de 4 à 6 ans soient capables de dialoguer à partir de plans de discussions plus abstraits, ils gagnent en motivation lorsqu'on les place en situation de jeu. Les exercices et les activités sont concrets et font appel aux plans sensoriel et moteur des enfants. Ils sont des prétextes au dialogue philosophique, des moyens pédagogiques pour les aider à saisir les tenants et les aboutissants d'un concept. Ils leur permettent de s'amuser tout en apprenant à penser de manière philosophique. Voici un exemple tiré du guide des Contes d'Audrey-Anne, concernant les concepts d'apparence et de réalité, trop abstraits pour motiver spontanément les petits à s'y investir de manière significative.

Activité : l'enseignante dispose préalablement sur une table quatre boîtes de différentes tailles : une petite boîte remplie de clous, une grosse boîte remplie de bandes élastiques, une de moyenne grosseur remplie de quelques feuilles de papier et une autre petite, vide. Dans un premier temps, elle demande aux enfants d'identifier, sans avoir soupesé les boîtes, laquelle semble la plus légère, et laquelle semble la plus lourde. Elle les invite à discuter entre eux et à justifier leurs réponses (généralement, les enfants croient que les petites boîtes sont légères et que les grosses sont lourdes). Dans un deuxième temps, l'enseignante demande à quelques enfants de venir à l'avant de la classe et de lever chacune des quatre boîtes. Ils ont généralement une surprise (un conflit cognitif) en réalisant qu'une des petites boîtes est lourde et que la grosse est légère. Et ils sont perplexes en réalisant qu'une des petites boîtes est très lourde et que l'autre est très légère. Après cette activité concrète, les enfants sont invités à énoncer différentes hypothèses quant au contenu des boîtes. Enfin, l'enseignante entame un dialogue critique avec les enfants sur l'apparence et la réalité.

8) Universalité d'un curriculum philosophique

Un curriculum scolaire, relié à quelque matière que ce soit, est situé dans le temps et la culture. Il reflète la société, les habitudes de vie, les manières de penser des auteurs et des élèves auxquels il s'adresse (i.e. un curriculum américain pourrait ne pas refléter la culture européenne ; un curriculum français pourrait ne pas refléter la culture espagnole). Le curriculum correspond également aux objectifs institutionnels qui les commandent (un changement de gouvernement pourrait modifier les visées scolaires). De ce fait, tout curriculum est provisoire et adaptable.

Un curriculum philosophique a l'avantage de prendre ses assises dans des concepts dits universels. Prenons pour exemple le curriculum conçu par Lipman, qui couvre les divers champs de la philosophie (métaphysique, logique, éthique, esthétique, politique... ), qui s'adresse à des élèves âgés de six à quinze ans, et qui est présentement utilisé dans plus de cinquante pays et traduit en vingt langues. Bien que les enseignants et les enfants de toutes les cultures abordent les concepts philosophiques de manière ouverte, le narratif (les situations et les personnages des supports) dans lequel les concepts philosophiques sont intégrés reflète une culture spécifique, qui a dû être adaptée dans plusieurs pays. Il en va de même pour les questions des plans de discussions (qui ne constituent que des pistes ou des suggestions), qui doivent être modulées par la culture, la personnalité et les visées éducatives des enseignants et des élèves.

En somme, un curriculum philosophique est un outil qui vise à stimuler une pensée critique chez les élèves; il sert à guider les enseignants dans leur maïeutique socratique. Et bien que les concepts philosophiques inhérents à ce curriculum soient universels, il devra être adapté à chaque culture, voire sous-culture.

Un curriculum philosophique est-il possible et souhaitable ? Comment le concevoir ?

Je suis d'accord avec plusieurs philosophes qui soutiennent qu'en soi (ou idéalement), la philosophie ne devrait pas avoir de finalité éducative particulière, qu'elle devrait être libre et spontanée, et que sa pratique devrait relever de la conscience personnelle. Toutefois, le relativisme négatif que j'observe régulièrement dans les classes qui font de la philosophie au préscolaire et au primaire conduit, à mon avis, à la nécessité de l'élaboration d'un curriculum philosophique. Dans plusieurs pays, qui n'utilisent pas de curriculum spécifique centré sur le développement de la pensée critique des enfants, les enseignants emploient l'appellation "philosophie" pour faire discuter les élèves à partir de n'importe quel ouvrage disponible sur le marché, dont le contenu peut être philosophique, mais aussi moraliste, littéraire, bancaire... Bref, ce matériel, d'une part, n'étant pas toujours philosophique et, d'autre part, n'étant généralement pas accompagné de plans de discussion pour favoriser la complexification de l'échange entre les élèves, les enseignants font réfléchir les élèves à un seul niveau : celui qui apparaît spontanément dans leur discours. Or, l'apprentissage d'une discipline scolaire, si transversale soit-elle, ne consiste pas à faire stagner les élèves dans leurs compétences initiales, mais à les stimuler pour acquérir des compétences de plus en plus complexes (pensons au développement de compétences sur l'apprentissage des mathématiques entre le primaire, le secondaire et l'université). Généralement, lorsque les enseignants n'utilisent pas de guide pédagogique pour les assister dans leur maïeutique socratique, c'est soit qu'ils sont eux-mêmes philosophes (dans ce cas le guide leur est peu ou pas nécessaire), soit qu'ils sont peu ou pas conscients de la distinction entre "parler" et "philosopher" et entre "penser de manière spontanée" et "penser de manière critique". La conséquence que j'ai observée dans les classes est que les élèves, s'ils n'expérimentent pas de progression dans leurs apprentissages et leurs découvertes intellectuelles, perdent éventuellement le plaisir de réfléchir avec leurs pairs - sans compter qu'ils ne développent pas l'estime de soi qui est associée au développement intellectuel, comme le démontrent plusieurs études scientifiques.

Bref, par souci de cohérence interne et par respect pour la discipline qu'est la philosophie, j'estime que si on insiste pour introduire la philosophie à l'école, on doit en assumer les coûts didactiques et pédagogiques, et se pencher sur la rédaction d'un curriculum philosophique de la maternelle à la fin du secondaire, qui sera composé d'un support pour les élèves et d'un guide pour les enseignants (ce dernier servant de "formation" aux pédagogues qui n'ont pas acquis d'expertise en philosophie).

La deuxième question que je me pose à ce stade est la suivante : est-il souhaitable d'écrire un autre curriculum philosophique - celui de Lipman étant déjà largement validé dans une diversité de cultures? Tel que mentionné précédemment, la progression dans la compréhension des divers champs de la philosophie est assurée par ce curriculum : questionnement scientifique (Kio et Augustine), recherche de sens dans le langage (Pixie), logique formelle (Harry), éthique (Lisa), esthétique (Suki), social-politique (Mark). Ce faisant, la complexification des compétences philosophiques des élèves du début du primaire à la fin du secondaire est respectée et stimulée. Par contre, le curriculum de Lipman bénéficierait grandement d'une mise à jour, quant à la présentation des plans de discussion dans les guides, et quant au contenu narratif des romans, qui reflètent les expériences des élèves des années 1970-1980. Une première proposition est donc d'adapter le curriculum philosophique de Lipman au goût du jour.

Une deuxième proposition consiste en l'élaboration d'un nouveau curriculum philosophique qui se situerait dans une perspective différente de celle de Lipman. Ici, une diversité d'alternatives est possible, en voici deux :

  • un curriculum thématique (comme dans le cas des P'tits philosophes de Pomme d'Api), dont les thèmes seraient en lien avec les questionnements philosophiques des élèves de chaque groupe d'âge. Par exemple : est-ce que tout le monde a peur? Pourquoi meurt-on? Tout le monde est-il différent? Qu'est-ce que l'amitié? Qu'est-ce que la justice? La démocratie est-elle souhaitable partout? Devrait-on légaliser l'euthanasie? Etc.
  • Un curriculum philosophique en lien avec des matières scolaires puisque, comme le disait Kant, la philosophie est la mère de toutes les disciplines. À titre d'exemple, des questions issues du matériel philosophico-mathématiques destiné aux élèves de 9 à 12 ans (Daniel et al.) : un cube parfait existe-t-il? Si on pouvait compter tous les grains de sable de la terre, dirait-on qu'ils sont en nombre infini ou indéfini ? Quelles sont les ressemblances entre un mystère et un problème? Est-ce que zéro égale rien? Quelles sont les distinctions entre un chiffre et un nombre? Est-ce que la vérité existe en mathématiques? Etc.

En somme, j'estime que, pour répondre à la proposition de l'Unesco, il est cohérent et responsable de se pencher sur un curriculum philosophique, que ce soit de l'ordre de l'adaptation du curriculum lipmanien ou de la production d'un autre type de curriculum - pour autant que le développement du dialogue et de la pensée critiques en constitue l'essence.

Comment penser la progressivité du philosopher?

Puisque la notion de progressivité est vitale au philosopher et essentielle pour éviter le laxisme négatif présent dans trop de classes, cette dernière doit se situer sur deux niveaux : le contenu philosophique et la forme du philosopher.

1) Progressivité quant au contenu

Tel qu'il a été mentionné précédemment, le curriculum lipmanien assure la progression dans la compréhension des divers champs de la philosophie (langage, logique, éthique, esthétique, politique...), mais l'utilisation de ce curriculum philosophique suppose une mise à jour et une adaptation selon la culture.

Dans une perspective d'un nouveau curriculum philosophique centré sur des thématiques, par exemple, je proposerais un arrimage de la progressivité du contenu en lien avec les intérêts naturels des jeunes du préscolaire et du primaire. En PPE (Philosophie Pour Enfants), il ne s'agit pas de forcer les élèves à apprendre/mémoriser un contenu, mais de proposer des contenus situationnels qui les rejoignent dans leur réalité quotidienne : s'ils sont motivés intrinsèquement par les situations qui "enrobent" les contenus philosophiques qui leur sont proposés, les élèves s'investiront d'autant plus dans la réflexion. Autrement dit, un contenu dogmatique (doctrinal, historique...) qui se rapprocherait de la philosophie traditionnelle, telle qu'enseignée dans les collèges et les universités, m'apparaît inadapté pour les élèves de la maternelle et du primaire. J'opterais donc pour une progressivité en termes de thématiques philosophiques, c'est-à-dire de concepts (images...) exploités dans la littérature philosophique (ex. : le vrai, le bon, la beauté, la justice, la conscience, la liberté, la démocratie...), mais adaptés à l'âge des élèves. Ces thèmes, identiques dans leur libellé, sont susceptibles de se conjuguer différemment selon l'âge des élèves, la distinction qui assurerait la progression des apprentissages se trouvant dans les guides pédagogiques des enseignants, qui proposeraient des exploitations de plus en plus abstraites et complexes de ces thèmes. Voici un exemple de progression dans l'exploitation du concept de justice, à différents âges.

- Exercice pour faire réfléchir les élèves de 4-5 ans5

L'enseignante demande aux enfants si les situations suivantes sont justes ou injustes et de justifier leur opinion. Dans le cas où la situation serait injuste, l'enseignante invite les enfants à rétablir la situation pour la rendre juste.

C'est le jour de ton anniversaire de naissance. Tu demandes un plus gros morceau de gâteau que tes amis.

Un ami de la classe a de la difficulté à courir, c'est pourquoi l'enseignante le fait partir avant les autres. Cet ami gagne la course.

Ton ami a des difficultés en dessin. Il veut participer au concours organisé par l'école. Tu fais ton propre dessin et, après, tu l'aides. Ton ami gagne le concours.

Tu es gentil avec tes amis et eux prennent un malin plaisir à te taquiner et à rire de toi.

- Plan de discussion pour faire réfléchir les élèves de 6-7 ans6

Lorsque des personnes ne respectent pas les règles, est-il juste de les réprimander? Pourquoi?

Est-ce possible que les règles ne soient pas égales pour tous les enfants, c'est-à-dire que certains enfants aient plus de privilèges que d'autres?

Est-ce que toutes les règles sont justes envers tout le monde?

Qu'est-ce qu'on peut faire quand on trouve qu'une règle est injuste?

Est-ce qu'il est juste que les grandes personnes puissent donner des punitions aux enfants et pas l'inverse? Explique-toi.

- Plan de discussion pour faire réfléchir les élèves de 14 à 16 ans7

Est-ce que quelqu'un pourrait violer les droits de la personne sans être injuste ?

Est-ce que quelqu'un pourrait être injuste sans violer les droits de la personne ?

Si les droits de toutes les personnes étaient respectés, pourrait-on dire qu'on vit dans un monde juste ?

Est-ce que la justice existe ? Qu'est-ce que la justice? Est-ce un concept qui peut avoir plusieurs sens ?

Si une politique est juste, cela signifie-t-il qu'elle est équitable ?

Quelles sont les ressemblances et les distinctions entre justice et équité ?

2) Progressivité quant à la forme

La complexification de la pensée, telle qu'opérationnalisée, notamment dans les supports de Lipman et de Daniel, s'appuie sur les travaux de Piaget et de Vygotsky. Elle se manifeste dans l'évolution des perspectives épistémologiques et des habiletés de pensée. À noter toutefois que les expérimentations menées dans des classes indiquent que les capacités intellectuelles des élèves dépassent celles annoncées par Piaget lorsqu'ils échangent dans une communauté de recherche, la diversité des perspectives stimulant des conflits cognitifs chez eux. Ainsi, par exemple, les enfants de 4 et 5 ans peuvent faire des analogies, des comparaisons, ressortir les ressemblances et les différences, définir à l'aide d'exemples, justifier leurs croyances par des raisons concrètes, etc. Tandis que les élèves de 9 à 12 ans sont capables de logique formelle, ils peuvent comparer en utilisant une diversité de contextes, définir à l'aide de concepts, justifier leurs perspectives à l'aide de critères, etc.

J'ai été amenée, dans le cadre de formations d'enseignants, à opérationnaliser le processus développemental du philosopher chez les élèves. En effet, les enseignants s'apercevaient, après quelques mois de pratique, que les élèves commençaient à s'ennuyer lors des séances de philosophie; ou encore, ils s'apercevaient que les élèves ne complexifiaient pas leurs apprentissages cognitifs; ou encore, ils étaient incapables de dire quels apprentissages les élèves avaient faits. Une recherche empirique à cet effet m'a permis de faire émerger des critères qui illustrent la progression des compétences philosophiques chez les élèves du préscolaire et du primaire quand ils pratiquent la PPE de manière hebdomadaire. Et puisque la PPE est une approche globale, centrée sur le développement cognitif des élèves, que ce dernier est en interrelation avec le développement social/éthique (communauté de recherche) et que le tout se manifeste par le biais du langage, les critères qui ont émergé se situaient sur les trois plans, à savoir cognitif, langagier et social/éthique. Naturellement, ces critères demeurent de simples indicateurs de la progression des élèves pour guider les enseignants quant au niveau atteint par les élèves et au chemin qui reste à parcourir (tel que mentionné précédemment, je ne trouve pas qu'il serait judicieux d'évaluer formellement les apprentissages des élèves en philosophie. La liberté de penser ainsi que le plaisir de philosopher s'en trouveraient diminués).

Processus développemental des compétences philosophiques des élèves

1. Plan : Complexification des compétences

2. Cognitif

- L'élève ne comprend pas.

- L'élève cherche la réponse attendue et répond minimalement aux questions (mots versus phrases).

- L'élève apporte des exemples et des contre-exemples.

- L'élève justifie partiellement ses points de vue et se distingue des propos des pairs.

- L'élève justifie ses opinions par des raisons valides et apporte, de façon constructive, des critiques appropriées aux points de vue des pairs.

- L'élève s'auto-corrige suite aux critiques des pairs.

3. Langagier

- L'élève ne s'engage pas dans l'échange.

- L'élève apporte un aspect anecdotique à l'échange.

- L'élève apporte un aspect monologique à l'échange.

- L'élève apporte un aspect dialogique non-critique à l'échange.

- L'élève apporte un aspect dialogique quasi-critique à l'échange.

- L'élève apporte un aspect dialogique critique à l'échange.

4. Social/éthique

- L'élève dérange/fait de l'obstruction dans la communauté de recherche.

- L'élève est compétitif (cherche à attirer l'attention de façon négative).

- L'élève est individualiste (ne se préoccupe pas des pairs).

- L'élève collabore parfois avec ses pairs.

- L'élève collabore régulièrement avec les pairs.

- L'élève est engagé avec les pairs pour les aider à enrichir leurs idées.

Quelles méthodes faciliteraient l'apprentissage de la philosophie ?

Les travaux des épistémologues (Dewey, Piaget, King & Kitchener, Perry...) font consensus sur quelques constantes : les représentations du monde que se font les personnes reflètent généralement des croyances non spontanément justifiées, le souci de l'autre est une démarche construite, la visée du bien commun est peu représentée.

Des études que j'ai menées auprès des enfants de 5 à 12 ans (qui avaient une pratique régulière de la PPE depuis au moins deux ans) confirment qu'effectivement, les enfants sont d'abord caractérisés par une épistémologie égocentrique, à l'intérieur de laquelle leur compréhension du monde est essentiellement tournée vers la perception concrète et particulière des faits et des situations. Dans cette perspective, les enfants ne peuvent pas justifier leurs croyances, même sous l'insistance de l'enseignant. Ensuite, l'épistémologie des élèves devient relativiste ou pluraliste alors que la conscience des élèves se décentre graduellement du moi et se tourne vers autrui, à savoir les pairs; ils entendent donc leurs points de vue et prennent conscience de l'existence de la diversité; ce faisant, leurs points de vue se détachent du particulier et ils commencent à généraliser leurs propos et ils donnent des raisons pour les appuyer. Finalement, l'épistémologie atteint l'intersubjectivité, vers l'âge de 10-12 ans. Elle se manifeste lorsque les élèves sont motivés par la problématisation de leur réalité, laquelle englobe non seulement les pairs mais la société comme telle; leurs points de vue, sans se situer dans l'universel, sont plus conceptuels et leurs réflexions plus objectivées; leurs justifications s'appuient sur des critères; ils sont critiques par rapport à eux-mêmes et aux autres.

Appuyée sur ces expérimentations, j'estime qu'une des méthodes parmi les plus appropriées pour favoriser le développement de la conscience des enfants doit être associée au processus de décentration, qui se manifeste par le passage de l'égocentrisme (pensée centrée sur le moi) au relativisme (souci des autres), puis à l'intersubjectivité (reconstruction de la société). Pour stimuler la décentration, Lipman et Dewey, s'inspirant de la méthode socratique, suggèrent une méthode de questionnement capable de stimuler le doute dans l'esprit des jeunes. Le doute crée un conflit cognitif et marque une pause dans la continuité des croyances; le conflit cognitif crée une rupture de l'équilibre, laquelle est susceptible de faire entrer la pensée dans un processus réflexif. Ce dernier comprend cinq étapes : le doute, la définition du problème, la recherche d'hypothèses de solution, l'analyse des hypothèses pour favoriser la plus appropriée et l'application de la solution au problème réel, tout en conservant à l'esprit que cette solution est provisoire.

De manière concrète, la méthode socratique suppose que l'enseignant pose à l'élève des questions philosophiques ou des questions ouvertes qui comportent une part d'ambiguïté et de paradoxes; qu'il recherche auprès de la communauté de recherche des contre-exemples ou des antithèses (selon l'âge des élèves) ou qu'il en suggère lui-même par le biais d'une sous-question qui fait divergence. En fait, il convient que les questions des enseignants aient pour visée la complexification de la pensée des élèves afin de provoquer un conflit cognitif dans leur esprit, lequel motivera les élèves à s'engager dans un processus cognitif complexe, c'est-à-dire au-delà de leurs croyances initiales, de leur compréhension immédiate du monde, de leur niveau spontané de pensée. Voici quelques exemples de questions générales pour inciter les élèves à complexifier leur pensée et qui devraient être intégrées au guide philosophico-pédagogique pour guider l'enseignant dans son animation des ateliers : alors, qu'est-ce qui découle de ces propos ? Sur quoi te bases-tu pour affirmer que... ? Que peut-on conclure suite à... ? Que pourrait-on extrapoler de... ? Quelles sont les conséquences de... sur soi et sur autrui ? Est-il cohérent de croire que... ? Quelle est la valeur de... ? Quels principes sont à la base de... ? Est-ce que le contraire pourrait être aussi vrai ? Est-ce que x s'applique à tous (les enfants, les animaux...)? Etc.

Bref, la méthode du questionnement ouvert vise à faire entrer les élèves dans une recherche de sens avec leurs pairs. Son objectif consiste à stimuler les élèves à réfléchir ensemble et de manière critique sur des concepts philosophiques ou, à tout le moins, sur des situations paradoxales de la vie - et non pas à trouver la bonne réponse, celle attendue par l'enseignant et écrite dans le manuel. Encore faut-il que l'enseignant soit formé à cette méthode, qui ne reflète pas la pédagogie traditionnelle adoptée dans les matières scolaires.

Quelle formation parait nécessaire pour accompagner un curriculum philosophique ?

Comme c'est le cas pour toutes les autres matières scolaires, une formation des enseignants s'avère fondamentale, premièrement pour les aider à comprendre les visées du curriculum (Qu'est-ce que le dia-logos? Qu'est-ce qu'une pensée critique? Selon quels processus le dialogue et la pensée critiques se développent-ils?). Deuxièmement pour les aider à comprendre et à utiliser de manière significative les guides philosophico-pédagogiques mis à leur disposition (les guides n'obligent pas à suivre un plan de discussion, mais présentent plutôt des suggestions pour les guider dans leur animation), et finalement pour les habituer à la méthode du questionnement philosophique.

En effet, animer des ateliers de philosophie à l'école sous-tend un rôle différent de celui que l'enseignant exerce normalement : de transmetteur d'informations, il devient un guide. Dans sa recherche du rôle équilibré de guide, l'enseignant oscille très souvent entre deux pôles, l'autoritarisme et le laisser-parler. Pour exemple, voici quatre attitudes de l'enseignant et leurs conséquences respectives sur les élèves, qui ont été observées dans les classes :

  • lorsque l'enseignant laissait converser les élèves sur une thématique quelconque, les élèves discutaient de plusieurs idées à la fois (au lieu d'en approfondir quelques-unes); ils ne se centraient pas sur un objectif commun, mais sur une diversité d'objectifs particuliers en lien avec leurs intérêts propres; leur échange était linéaire puisque peu ou pas argumentatif; finalement la classe demeurait un agrégat d'individus plutôt que de former une communauté de recherche.
  • Lorsque l'enseignant (au contraire de la situation précédente) posait toutes les questions ou, en d'autres termes, lorsqu'il s'enfermait, malgré l'utilisation d'un support philosophique, dans un rôle traditionnel, alors les élèves se fixaient comme objectif de bien comprendre les consignes et de répondre correctement aux questions de l'enseignant(e) au lieu de tenter de construire des significations avec leurs pairs, et ils attendaient que l'enseignant les questionnent pour énoncer leur point de vue au lieu d'entrer dans une recherche autonome.
  • Lorsque l'enseignant délaissait son rôle de transmetteur pour favoriser celui de "guide" et qu'il supportait les élèves dans la réflexion, sans toutefois stimuler les habiletés argumentatives et critiques de ces derniers, alors les élèves apprenaient à penser de façon autonome mais ils n'apprenaient pas à argumenter; ils s'opposaient parfois mais davantage dans une perspective de confrontation que de négociation; ils parvenaient rarement à justifier leur point de vue de façon complète, utilisant plutôt des exemples personnels pour démontrer leur point de vue.
  • Finalement, lorsque l'enseignant encourageait les élèves à la réflexion, favorisait l'interaction entre élèves, demandait des justifications, stimulait l'apport de critiques, etc., alors les élèves apprenaient à respecter les points de vue divergents, à justifier leur opinion, à devenir critiques quant aux énoncés des pairs et aux leurs, à prendre conscience du bien-fondé de la critique pour l'enrichissement et la modification des perspectives; bref, ils apprenaient à philosopher.

Bref, une formation des enseignants devrait toujours accompagner la mise en place d'un curriculum, et ce pour les orienter à la fois sur le contenu et la forme de la matière à enseigner. La formation est d'autant plus essentielle lorsqu'il s'agit d'un curriculum philosophique, dont l'intention première consiste à développer une pensée et un dialogue critiques chez les élèves dans une visée de paix entre les peuples.


(1) Dans l'ouvrage dirigé par M. Tozzi en 2007 (Apprendre à philosopher par la discussion - Pourquoi? Comment?, De Boeck, Bruxelles) j'ai décrit la démarche d'opérationnalisation du philosopher que nous avions menée et qui a résulté en un processus d'apprentissage d'une pensée critique dialogique. Dans cette optique, il convient d'éviter la confusion des rôles, en ce qu'il revient aux enfants de prendre plaisir à philosopher avec leurs pairs, et il revient aux enseignants de stimuler intellectuellement les enfants afin de favoriser leur progression et, ce faisant, d'augmenter leur plaisir à philosopher. Autrement dit, concevoir la philosophie dans une perspective de développement d'une pensée critique ne dénature pas la philosophie mais la soutient.

(2) Les arguments déjà mis en place par des philosophes professionnels ont été exposés dans un article qui sera publié dans l'Educational Philosophy and Theory. Voir le numéro suivant de Diotime (47).

(3) Paolo Freire définissait la praxis philosophique (philosophie qui a fortement influencé la Philosophie pour enfants de Matthew Lipman) comme l'interaction entre la pensée et l'action. La pensée seule n'est pas suffisante pour l'amélioration du bien commun, et l'action non réfléchie risque d'être erronée.

(4) Je ne fais ici référence qu'à la pensée critique, car j'estime que c'est la visée de la philosophie et que le dialogue critique entre les élèves en est à la fois le reflet et le moyen concret pour la développer. Le développement d'une pensée critique étant un processus (et non un produit), une recherche avec des enfants de 5 ans et avec des élèves de 9 à 12 ans a fait parallèlement émerger un processus développemental du dialogue philosophique qui trouvait son point de départ dans l'échange anecdotique, qui évoluait vers le monologue puis vers le dialogue non-critique et enfin vers le dialogue quasi-critique et le dialogue critique, ce dernier correspondant davantage à l'aboutissement du processus, c'est-à-dire à une pensée critique dialogique plus assumée.

(5) Tiré de : Daniel, M.-F. (2002/2009). Les Contes d'Audrey-Anne - Dialoguer sur le corps et la violence : un pas vers la prévention qui accompagne, Le loup de Gouttière, Québec. (support pour les 4 à 7 ans).

(6) Tiré du même ouvrage : Les Contes d'Audrey-Anne.

(7) Tiré de Lipman, M. et Sharp, A.-M. . (1980). Social Inquiry. Instructional manual to accompany Mark. IAPC. Montclair State University.

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