Revue

Réinventer l'enseignement de la philosophie en séries technologiques (Journées d'étude de l'Acireph) - 23-24 octobre 2010

Argumentaire

Quand on parle des mérites de l'enseignement de la philosophie, on oublie souvent de mentionner les séries technologiques. Rares sont les inspections dans ces classes, où il est implicitement admis par tous que les professeurs, qui font du mieux qu'ils peuvent, ne sont pas en mesure de faire convenablement leur métier. Les collègues qui enseignent dans ces séries le font souvent bon gré mal gré, et on plaint souvent secrètement ceux qui n'ont que ces classes, et qui le vivent parfois comme un bannissement de la profession.

Le rapport de l'Inspection Générale sur l'enseignement de la philosophie en 2007-08 est alarmant : une proportion importante des élèves de ces séries "manifestent une indifférence totale et sans nuance au caractère libérateur de la philosophie", et "ne satisfont pas pour beaucoup aux critères scolaires admis". Les professeurs y connaissent "des conditions de travail extrêmement difficiles", et "le refus de considérer la spécificité de ces séries entretient le sentiment d'un enseignement inattentif aux élèves et donne une image dissuasive de la philosophie".

Bref, la situation actuelle met tout le monde en difficulté, élèves comme professeurs.

Il est donc urgent, si on souhaite maintenir un enseignement de la philosophie en séries technologiques, et ainsi gagner le pari d'une démocratisation réelle de cet enseignement, de le faire évoluer. Or, une réforme est en cours dans les séries STI / STL : c'est le moment ou jamais d'avancer des propositions pour y réformer aussi l'enseignement de la philosophie.

Si la situation y est alarmante, c'est aussi dans ces séries que les professeurs de philosophie font souvent preuve d'une grande inventivité. Cela s'explique aisément : on se rend compte assez rapidement quand on y enseigne que les exigences institutionnelles ne peuvent être remplies, et on est alors contraint, si on ne renonce pas purement et simplement à faire travailler les élèves, à inventer des méthodes, des exercices, des manières d'enseigner différentes. Par conséquent, les classes de séries technologiques et industrielles deviennent souvent de véritables laboratoires, grâce auxquels nous pourrions ouvrir des pistes vers de nouvelles manières d'enseigner la philosophie partout où se rencontrent des difficultés de même nature.

Ce n'est pas la première fois qu'à l'Acireph, nous nous intéressons aux séries technologiques. Depuis longtemps déjà nous défendons l'idée selon laquelle il faut tenir compte des spécificités de ces séries, au lieu de leur offrir un modèle réduit de la formation dont "bénéficient" les séries générales. Qu'on ne vienne pas nous dire que nous proposons un enseignement au rabais. Il n'y a pas ici de quoi rabattre, si ce n'est de prétentions aussi stériles dans leurs effets que sublimes dans leurs intentions. Il s'agit pour nous de revendiquer enfin de véritables exigences de formation pour ces élèves, dans cette discipline. Si tout le monde le souhaite, encore faut-il s'atteler à la tâche et essayer de trouver les moyens d'y parvenir : définir ces spécificités, trouver comment il faut en tenir compte, faire l'analyse de ce qui se fait déjà dans ces classes, et tenter de repérer ce qui est généralisable...

C'est l'objet des journées d'études de l'Acireph d'octobre 2010.

Il est temps en effet que ceux qui enseignent dans les séries technologiques, qui en connaissent le mieux les difficultés mais aussi les spécificités, puissent sinon décider, au moins proposer des améliorations.

Repenser les objectifs

La question est moins de savoir si les élèves de séries technologiques "peuvent faire de la philosophie", que de savoir pourquoi ils doivent en faire et à quelles conditions ils le peuvent. Aujourd'hui, la finalité de l'enseignement de la philosophie telle qu'elle est formulée dans le programme est la même dans toutes les séries (quelles que soient les différences d'horaires) : "l'exercice réfléchi du jugement". Cette formule reste vague et ne permet pas de saisir précisément ce que les élèves doivent apprendre, et ce dont ils doivent être capables au terme d'une année de philosophie. Il faut donc reposer la question.

Mais au lieu de partir de LA philosophie, nous proposons de partir des élèves : qui sont-ils ? Quels sont leurs besoins de formation ? Dans quelle mesure et sous quels aspects, la philosophie, avec d'autres disciplines et ni plus ni moins qu'elles, peut-elle contribuer à les armer intellectuellement pour leur existence à la fois professionnelle et personnelle ? Qu'est-ce qui, dans l'héritage de 2500 ans de philosophie comme dans la vie philosophique contemporaine, pourrait se révéler bénéfique pour leur formation ? Quels outils (quels concepts et distinctions conceptuelles, quels éléments de savoir et de culture) pouvons-nous prétendre leur transmettre ? Quelles démarches intellectuelles peuvent-ils espérer acquérir avec notre aide? Que pouvons-nous les aider à comprendre et à faire ?

L'expression

Les difficultés que nous rencontrons dans ces classes sont multiples, mais l'une d'entre elles est très souvent mise en avant : c'est l'insuffisante maîtrise de l'expression écrite (et nous savons combien cette formule est un euphémisme, parfois !)

Il faut poser franchement la question : y a-t-il là un obstacle insurmontable ?

Cette idée conduit certains d'entre nous à privilégier l'oral. Est-ce une solution ?

On peut se demander si les élèves seraient mieux formés et plus justement évalués si on donnait plus de place à l'oral. Mais en réalité les élèves ne maîtrisent pas davantage l'expression orale ! Dans les classes, les prises de paroles "spontanées", pour ne pas dire compulsives, ont souvent pour seul but l'expression de soi, et on a le plus grand mal à faire acquérir un usage plus élaboré du discours oral.

On peut alors se demander : comment la philosophie peut-elle permettre de progresser dans la maîtrise de l'expression écrite ou orale ? Faut-il considérer que ce n'est pas du ressort du professeur de philosophie ?

Mais la philosophie peut apporter une aide précieuse pour la maîtrise de l'expression écrite, et il faut tenter d'identifier explicitement en quoi : on peut penser au caractère dialogique du discours, ou l'attention portée à la définition de ce dont on parle, ou à l'explicitation d'une démarche, par exemple ; et cela correspond à autant de compétences que les élèves peuvent acquérir grâce à cet enseignement.

Les textes

Autre difficulté souvent relevée, la lecture des textes philosophiques représente souvent un défi usant. Pourquoi là encore ne pas poser la question, même si elle peut paraître choquante : pour faire de la philosophie, est-il ou non nécessaire de lire des textes de philosophes ? Certains d'entre nous y ont renoncé, et présentent les doctrines, sans en passer par la lecture. D'autres au contraire maintiennent cette exigence coûte que coûte, pour favoriser une plus grande autonomie des élèves dans la réflexion. Cette question mérite d'être discutée.

S'il s'avère qu'on ne peut pas renoncer à l'usage des textes, il faut se demander comment alors aborder la difficulté :

  • Faut-il distinguer les textes accessibles et ceux qui le sont moins ? Mais quels sont les critères selon lesquels on juge qu'un texte est lisible ou non ? Ce qui pose problème aux élèves n'est pas toujours lié au style de l'auteur ni même au degré de technicité des textes, c'est parfois un problème de culture par exemple : dans ce cas peut-on le régler en déterminant un corpus de textes en rapport avec le programme ?
  • Faut-il ne choisir que des textes très courts, comme cela se fait en bac professionnel, par exemple ? Mais s'il y a une difficulté réelle à se concentrer sur un texte long, il n'en reste pas moins que les textes courts présentent d'autres difficultés, dont le caractère implicite ou allusif de certaines expressions, ou idées.
  • Faut-il privilégier des textes argumentatifs comme les articles de journaux, par exemple ? Peuvent-ils avantageusement remplacer les textes "philosophiques" ?

Les exercices

Enfin, en dehors de la dissertation, dont tous reconnaissent qu'elle est infaisable pour les élèves de séries technologiques, à commencer par le rapport de l'Inspection Générale, quels exercices pouvons-nous proposer à nos élèves ?

Il faut examiner toutes les propositions issues des expériences menées dans les classes et se demander : qu'est-ce qu'elles permettent de former ? D'évaluer ? En quoi permettent-elles ou non aux élèves de progresser ? En quoi sont-elles ou non plus efficaces, plus réalisables, plus formatrices que la dissertation ? L'important sur ce point est d'ouvrir l'horizon pour que des alternatives à la dissertation soient envisagées. Ensuite, il faudra faire le tri !

Repenser le programme et les épreuves

Le programme des séries technologiques a toujours été conçu sur le modèle de celui des séries générales, comme si la seule différence entre les séries tenait au nombre d'heures. Il s'agit donc d'un programme de notions dont l'indétermination est d'autant plus injuste que les élèves possèdent encore moins l'habileté rhétorique et la culture générale nécessaires pour réussir l'évaluation finale. Or il existe d'autres possibilités : il y a eu des idées de programmes différents dans l'histoire de notre discipline, dont certaines qui proposaient un programme de problèmes précis. Il y a aussi ce qui se fait ailleurs : au Québec, en Grande-Bretagne, en Italie, il existe des programmes de philosophie, qui ne sont pas des programmes de notions, et qui peuvent constituer une source d'inspiration, si on les estime valables, pour imaginer un autre enseignement de la philosophie.

Il faut faire le point sur ces propositions et les examiner, en se demandant à quelles exigences doit répondre un programme et si ces différentes pistes remplissent ces exigences.

Mais quoi qu'on fasse, ce seront toujours les épreuves du bac qui normeront l'enseignement de la philosophie, du moins tant que celui-ci n'existera qu'en Terminale. C'est pourquoi, il est inutile de vouloir changer quoi que ce soit, si cela ne correspond pas aussi à un changement d'épreuve. Dans les séries technologiques, l'évaluation du bac est une épreuve douloureuse, parce qu'on demande aux élèves un exercice auquel leurs quelques heures de cours de philosophie ne peuvent pas les préparer, et que les élèves le savent. Il faut impérativement proposer de nouvelles formes d'épreuves. La nature de l'épreuve devrait en principe dépendre des objectifs définis. Pourquoi alors ne pas envisager que l'évaluation finale porte sur plusieurs de ces objectifs distincts ? Là encore, ce ne sont pas les idées qui manquent, et dans les classes, les professeurs inventent de nouvelles formes d'écriture, des procédures d'évaluation des connaissances, des manières d'accompagner davantage les élèves dans leur travail de préparation ou dans leurs lectures. Il serait souhaitable que toutes ces trouvailles soient connues, mais aussi analysées : toutes les idées ne sont pas bonnes, et il nous arrive, en testant de nouveaux exercices, de nous apercevoir qu'ils sont moins efficaces que nous ne l'aurions cru. Cela aussi il faut pouvoir le mettre au jour, pour éviter que ne soient adoptées de fausses solutions.

Ce travail, ce sont les professeurs de philosophie, et en particulier ceux qui enseignent en séries technologiques qui sont le mieux placés pour le faire. C'est pourquoi nous vous invitons à participer activement aux journées d'études de l'Acireph, qui auront lieu les 23 et 24 octobre prochain, au lycée Ravel, à Paris.

Contact : contact@acireph.org

Site  : www.acireph.org

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