Pour entraîner les élèves à la conceptualisation du temps objectif, ouvrant à la réflexion du rapport de l'homme au temps, l'auteure s'appuie ici sur la méthode dite d' "induction guidée par contraste" de Britt-Mari Barth (NDLR).
Dans les programmes de l'école élémentaire au cycle 2, une part est donnée à la découverte du monde et au temps qui passe. Il ne s'agit pas encore de faire de l'histoire, nous devons permettre aux élèves d'accéder à un usage raisonné des instruments leur permettant de structurer le temps. "Dans la continuité de l'exploration des diverses manifestations de la temporalité entamée en maternelle, les élèves continuent à se doter des instruments leur permettant de structurer le temps et de mesurer les durées" (Documents d'application des programmes, Découvrir le monde - cycle des apprentissages fondamentaux, CNDP, février 2003).
"Être curieux des traces du passé et les questionner pour les interpréter", "développer l'esprit critique", "confronter ses idées dans des discussions collectives", "chercher à valider par l'argumentation", autant de compétences qu'un élève de cycle 2 doit être capable de maîtriser (programmes de l'école primaire, 2007) et qu'un enseignant doit être capable de faire vivre à ses élèves.
Cette double exigence requiert de faire un choix dans les divers outils pédagogiques et intellectuels possibles. Peu d'outils sont à même d'apporter un éclairage intellectuel d'ensemble sur un concept, tout en maintenant un niveau de maîtrise pédagogique dans le processus d'apprentissage. Le "modèle opératoire du concept" proposé par Britt-Mari Barth est l'un de ceux-là. Il permet de préparer en amont de la situation d'apprentissage le savoir à enseigner en recherchant pour celui-ci le transfert visé à partir de quatre niveaux. L'un des plus importants est sans aucun doute le "niveau de validité du concept" qui pose la question "pour faire quoi, dans quel contexte ?". Ces questions ne peuvent en effet être éludées si l'on cherche à répondre aux exigences des programmes : "développer l'esprit critique...". Un élève ne saurait développer son esprit critique si l'on oubliait qu'il s'agit là d'un travail de pensée qui se nourrit de situations réelles engageant l'apprenant dans un enjeu pédagogique et un défi intellectuel qui suscite sa motivation. Sans enjeu de pensée, la pensée ne peut pas entrer en jeu.
Concernant le travail sur le temps au travers du calendrier, voici comment le "modèle opératoire du concept" permet d'entrer dans la phase de préparation.
Les tâches préparatoires de l'enseignant
L'objectif est de travailler la notion de calendrier pour être capable d'en fabriquer un, de l'utiliser, de savoir lire l'information apportée par un calendrier et d'être capable de mesurer et comparer des durées.
1) Niveau de validité du concept : "Pour faire quoi ? Dans quel contexte ?".
Le calendrier sert à se repérer dans le temps. Il peut avoir différents usages en fonction de sa présentation :
- une mémoire du déroulement du temps (se situer par rapport à une date, un mois) ;
- une mémoire des événements
- importants pour une nation ;
- importants dans une religion ;
- pour les saisons, les changements d'heure ;
- les changements lunaires (calendrier lunaire) ;
- les événements personnels importants ;
- ce peut être un objet de décoration (avec les illustrations mises en valeur)...
2) Niveau d'abstraction du concept : "Comment ce savoir s'inscrit-il dans un réseau conceptuel ?".
On le retrouve dans un réseau conceptuel permettant de se repérer dans le temps qu'il soit
passé, présent ou futur (calendrier, agenda, horloge, frise, histoire, temps ...). C'est un outil
qui sert à se repérer dans une année entière.
3) Niveau de complexité du concept : "Quels sont les attributs essentiels ?".
- les jours de la semaine dans l'ordre ;
- les mois de l'année leur numéro, dans l'ordre ;
- les semaines ;
- le quantième pour chaque jour ;
- l'année considérée ;
- l'échelle du temps : l'année contient les mois qui contiennent les semaines qui contiennent les jours...
"Les attributs secondaires" :
- les changements de lune ;
- les saints ;
- les fêtes liturgiques ou laïques ;
- le numéro des semaines.
4) Niveau d'inter-relation du concept : "Quelle est la relation entre les attributs ?".
Les attributs essentiels sont tous présents dans chaque exemple, c'est un concept conjonctif.
Les attributs ont en outre une relation particulière : l'année contient des mois, qui contiennent des semaines puis des jours. La relation est donc conjonctive et organisée.
On a pu ainsi dégager les éléments essentiels et pertinents par rapport à l'acquisition visée, ceux que l'apprenant doit parvenir à distinguer et à comprendre, il convient de sélectionner des exemples et des contre-exemples permettant de faire ressortir les attributs essentiels. Le choix a été fait de prendre dans un premier temps des contre-exemples qui permettent de pointer les caractéristiques essentielles une à une ; dans un second temps, d'en choisir qui paraissent très proches de l'exemple mais qui toutefois n'en font pas partie de manière subtile. Cette éducation du regard oblige l'apprenant à un travail de pensée qui s'affine au fur et à mesure que l'oeil, et le langage, distinguent de mieux en mieux ces attributs.
La situation d'apprentissage en classe
1) Phase d'exploration
On part d'un cas réel afin de situer le travail que l'on attend de la part des apprenants.
Enseignant : Pour colorier le jour où nous sommes le matin, j'ai demandé aux élèves en CE1 d'aider les CP et vous passez à deux. Savez-vous pourquoi je vous demande de faire ce travail tous les matins ?
Apprenant 1 : Pour apprendre quel mois on est, pour qu'on ne se trompe pas de mois.
Apprenant 2 : Pour apprendre aux CP à colorier sans dépasser.
Apprenant 3 : Pour se repérer, savoir quel jour on est.
Apprenant 4 : Pour que les CP apprennent le calendrier.
Apprenant 5 : Pour savoir compter et lire les nombres.
Apprenant 6 : Pour savoir quand on va à l'école et quand on n'a pas école.
Enseignant : Vous devez colorier le calendrier pour savoir effectivement quel jour on est, et repérer les jours où vous avez école et ceux où vous n'avez pas école. Maintenant si je vous demande, les élèves en CP, de venir le faire tout seul, est-ce que vous en êtes capables ?
Apprenant 7 : Non, moi je sais pas faire.
Apprenant 5 : Moi, je sais faire toute seule.
Enseignant : Alors va colorier la date d'aujourd'hui sur le calendrier de la classe, explique nous comment tu vas t'y prendre, qu'est-ce que tu vas faire exactement ?
Apprenant 5 : Je vais colorier en vert la case qui n'est pas coloriée.
Apprenant 6 : N'importe quoi !
Apprenant 7 : Mais si c'est ça ! C'est comme ça que m'a montré G.
Apprenant 3 : Non, tu te trompes, tu oublies les deux jours du week-end qu'il faut colorier en jaune parce qu'on a pas école.
Enseignant : Alors comment faut-il s'y prendre ?
Apprenant 3 : Il faut regarder quel jour n'est pas colorié sur le calendrier. Si c'est un samedi, il faut le colorier en jaune parce qu'on n'a pas école.
Apprenant 5 : Oui, mais il faut aussi colorier le dimanche en jaune.
Enseignant : Donc il faut colorier certains jours en jaune et d'autres en vert ?
Apprenant 5 : On colorie en jaune le samedi et le dimanche parce que c'est le week-end. Tous les autres jours on doit les colorier en vert.
Apprenant 8 : Non, y'a des mercredis où on n'a pas école, il faut les colorier en jaune.
Enseignant : D'accord. Il y a donc des jours particuliers, sur le calendrier. On va prendre un peu de temps pour comprendre comment est fait un calendrier et comment on peut s'en servir pour que chacun soit capable de faire ce travail tout seul.
2) Phase de clarification et d'évolution conceptuelle
Il s'agit de créer les conditions qui permettent aux apprenants de se confronter au savoir à apprendre, en les guidant dans le processus de négociation du sens. Utilisation des exemples et des contre-exemples afin de dégager les caractéristiques essentielles du savoir à apprendre.
Je présente aux élèves la méthode de travail que nous allons utiliser pour trouver les caractéristiques d'un calendrier.
Enseignant : Je vais vous montrer un exemple de calendrier et vous allez me dire tout ce qu'il faut pour faire un calendrier. Observez-le bien. Je noterai vos propositions sur une affiche pour que vous puissiez y revenir si vous en avez besoin. Si vous n'êtes plus d'accord avec une proposition, je la barrerai.
Je leur propose un premier calendrier qui comporte toutes les caractéristiques définies ci-dessus grâce au modèle opératoire du concept. Je note ainsi toutes les propositions faites par les élèves au fur et à mesure sans commentaires de ma part. Les principales observations qui en ressortent sont les jours, les mois de l'année, les numéros des jours, l'année considérée, les semaines, les saints, le jour de l'an et le fait que les mois doivent commencer par 1 et finir par 28, 30 ou 31.
A la deuxième séance, nous reprenons les caractéristiques énoncées. À la lecture de "les mois doivent commencer par 1 et finir par 28, 30 ou 31", un élève inaugure un nouvel échange :
Apprenant 1 : Normalement, c'est pas 28, c'est 30 ou 31.
Apprenant 2 : Oui, voilà.
Apprenant 3 : Et aussi 28 et 29, parce que février c'est 28 jours.
Apprenant 1 : Quoi ?
Apprenant 2 : Le mois de février c'est un mois particulier parce qu'il a 28 jours, ce n'est pas un mois comme les autres.
Enseignant : Tu dis qu'il faut garder le 28 parce que c'est le mois de février. As-tu besoin d'un exemple pour vérifier ?
Apprenant 2 : Oui.
Je leur présente un calendrier de l'année 2008 "Winnie l'ourson" avec des illustrations pour chaque mois.
Ici, les élèves vont confronter leurs points de vue à partir des caractéristiques déjà validées. Ces échanges permettent de changer de perspective et d'opérer un changement conceptuel
Apprenant 2 : Vous voyez, c'est ce que je voulais expliquer.
Apprenant 3 : Ah non, y'en a 29 en février. Il y a en 29.
Apprenant 4 : 28, 28 !
Apprenant 3 : Non, y'en a 29.
Apprenant 5 : J'ai raison et vous vous avez dit non.
Apprenant 3 : Février ça finit par 29, y'a pas de 28.
Enseignant : Donc, je rajoute 29.
Apprenant 6 : Oui.
Apprenant 7 : Non, tu barres 28 et tu rajoutes 29.
Enseignant : Bon, vous n'êtes pas d'accord, je vous montre un autre exemple de calendrier pour que vous puissiez décider ce qu'il convient de garder ou pas.
Apprenants : Ah ! Ça finit par 28 !
Enseignant : Ah !
Apprenant 3 : Ah ! ... Tu barres 29 et tu dis dans "pas toujours".
Apprenant 8 : Non, parce que parfois, il se met avec 29 et parfois il se met avec 28.
Enseignant : Je marque dans "ce qui n'est pas obligatoire" le mois de février.
Apprenant 5 : Mais non, le mois de février il y est toujours !
Enseignant : Alors que dois-je écrire ?
Apprenant 7 : Tu écris : "Le mois de février, il finit par 28 ou 29 dans "pas toujours"."
Enseignant : Donc, j'écris dans "ce qui n'est pas obligatoire" que le mois de février a 28 ou 29 jours.
Cette question du 28 ou du 29 pose un vrai problème aux élèves. Ils ne comprennent pas pourquoi le nombre de jours n'est pas fixe. Je leur explique alors ce qu'est une année bissextile et pourquoi il a fallu rajouter un jour tous les 4 ans.
Je leur présente ensuite les premiers contre-exemples basés sur le calendrier de "Winnie l'ourson" : ils doivent les comparer à l'exemple afin d'affiner les attributs précédemment dégagés.
Je leur présente des calendriers où les mois, ou les jours ou les numéros sont mélangés pour faire ressortir la notion d'ordre. Lorsque les contre-exemples ou exemples infirment une proposition, celle-ci est barrée après une argumentation de l'élève qui souhaite l'enlever ou la déplacer. C'est ainsi que "le jour de l'an" et "les saints" sont barrés sur l'affiche. Lorsque les élèves constatent qu'il faut que les mois soient écrits dans l'ordre, un échange sur la notion de cycle s'engage :
Apprenant 1 : Janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre et après ça recommence.
Enseignant : Il faut que ça recommence sur le calendrier ?
Apprenant 1 : Oui, il faut que ça recommence. Décembre, janvier...
Apprenant 3 : Non ! Non ! Parce que sinon ça fait deux ans !
Apprenant 4 : Non, je suis pas d'accord !
Apprenant 2 : Et après ça fera trois ans. Et ça, ça fait que un an.
Apprenant 1 : Je suis pas d'accord. Je suis pas d'accord.
Apprenant 2 : Après si tu continues ça fera deux ans.
Apprenant 1 : Oui, mais après décembre ça recommence, y'a janvier qui revient.
Apprenant 2 : Oui, mais c'est pas la peine de le marquer parce que sinon ça fait plus un calendrier.
Enseignant : En effet, vous avez raison. Une année contient douze mois. Lorsqu'une année se termine, une nouvelle commence. Donc après le mois de décembre qui finit la première année, vient le mois de janvier qui débute la seconde année.
Je place les élèves devant une boîte portant une étiquette "2008", support pour fabriquer notre nouveau calendrier. Les élèves déduisent qu'une seule caractéristique n'est pas respectée pour l'instant et qu'ils vont devoir mettre en oeuvre toutes les autres.
La première idée est de mettre sept jours dans une année, puis certains se rendent compte que c'est trop insuffisant, et une première estimation est portée aux alentours de deux cents. Lorsque le nombre de 366 jours (en 2008, NDLR) est trouvé, je place à leur disposition les étiquettes des jours. Une deuxième discussion démarre sur le premier jour à mettre dans le calendrier.
Apprenant 1 : D'abord faut regarder quelque chose... Il faut d'abord regarder dans celui de 2007 pour voir ça se finit dans quel jour, quel jour de la semaine.
Deux élèves vont voir le calendrier de 2007 et annoncent fièrement :
Apprenants : Euh, ... lundi. Il faudra commencer par mardi !
3) Phase de validation
Première évaluation individuelle de compréhension et prise de conscience des critères d'évaluation.
Pour faire un premier point sur ce qu'ils ont compris, je leur propose de nouveaux exemples et contre-exemples qui comportent quelques-unes ou l'ensemble des caractéristiques, sans les présenter en tant qu'exemples ou contre-exemples. Les élèves doivent justifier leurs réponses, chercher à valider par l'argumentation et rester cohérents dans leurs propos. C'est pourquoi l'affiche des caractéristiques essentielles devient un outil très utile et précieux pour les élèves : ils prennent l'habitude de s'y référer afin de vérifier si tous les attributs sont présents dans les exemples donnés. Le processus de pensée prend corps, les échanges se construisent et s'étoffent peu à peu, prenant appui sur ce qui vient d'être compris et sur ce qui est en cours de compréhension. De plus, les différents niveaux d'entrée dans le concept permettent à chacun de s'exprimer en fonction d'un niveau de complexité, chacun trouve une place dans l'échange qui permet de faire avancer la compréhension de tous.
4) Vérification de la compréhension individuelle par des actes de compréhension.
Cette étape de compréhension étant acquise, je propose aux élèves une situation nouvelle dans laquelle ils doivent mettre en oeuvre les connaissances et compétences qu'ils viennent d'acquérir. Ce changement de contexte modifie le niveau de validité initialement dégagé par le biais du modèle opératoire du concept et oblige l'apprenant à transférer ces connaissances mais aussi ce qu'il a compris du processus de pensée dans cette situation nouvelle. C'est une étape importante qu'il faut prendre soin de préparer en amont, pour préparer au transfert.
Désormais, il ne s'agit plus d'observer et de trouver des critères à partir d'exemples et de contre-exemples, mais de fabriquer un calendrier en volume qui servira de modélisation de ce que nous avons appelé "l'échelle du temps" : la relation conjonctive et organisée entre les attributs.
Cet apprentissage du temps au travers du calendrier permet d'étendre la réflexion au-delà de celui-ci. Une fois étudié sous l'angle du modèle opératoire du concept, le calendrier devient un prétexte à l'étude du temps qui passe. Les dates portées sur le calendrier sont autant d'échos aux lointaines batailles, aux commémorations, aux dates anniversaires, aux fêtes dont on veut se souvenir, mais certaines dates sont aussi pleines de promesses, comme l'attente des grandes vacances, ou des fêtes de fin d'année, ou tout simplement d'un rendez-vous à ne pas manquer. Le calendrier prend un sens beaucoup plus vaste, et devient alors une machine à explorer le temps poursuivant ainsi la quête intellectuelle initiée précédemment. C'est bien cela que produit cette démarche : cherchant du sens aux opérations de l'esprit, elle engage l'apprenant dans une investigation intellectuelle de haute envergure qui l'entraîne vers une envie toujours grandissante de compréhension.