Revue

Ecole maternelle, classe de philosophie

"Le texte qui suit est un texte "historique", puisqu'il a été écrit par Germaine Tortel, grande pédagogue de l'école maternelle, vers...1962 ! À l'époque, la pédagogue, tout juste à la retraite de son poste d'inspectrice, à été nommée au premier poste de recherche sur l'école maternelle. Le musée pédagogique, devenu ensuite INRP, abritait ses collections de dossiers, et Mlle Tortel venait travailler rue d'Ulm. Poursuivant son travail de formation et de réflexion sur sa philosophie, elle organisait des réunions mensuelles auxquelles participaient celles de ses anciennes institutrices qui le souhaitaient. Le texte original, qu'on a voulu préserver, est écrit dans le style particulier qui la caractérise. Son fond, et notamment la référence aux mythes, ne peut que nous interpeller (J.-C. Pettier) !"

L'école maternelle devient classe de philosophie, dès lors que le regard de l'institutrice sur chaque thème abordé avec l'enfant :

- parvient à en déchiffrer ce qui, d'ordre rationnel et non sensible, s'attache à la nature humaine, à en déceler le mystère, à en percer l'énigme.

- parvient à y découvrir sous-jacente la question éternelle, celle que l'homme pose de sa naissance à sa mort, et qui intéresse le sens même de l'existence, le problème des origines, le problème des causes, celui de la cause première, irréductible, irréductible en son secret.

Ainsi s'explique le sort que nous avons fait aux grands mythes dans nos classes, par le jeu qui en animait l'enseignement, en replaçant l'enfant au seuil de ses premières méditations :

  • en lui faisant apparaître l'existence d'une pensée inquiète, proprement incertaine ;
  • en le remettant en présence du secret, de l'ineffable ;
  • condition même de l'exercice d'une pensée et de sa production ;
  • nous donnons à l'âme enfantine ses dimensions humaines authentiques, à sa mesure ;
  • nous la pétrissons de ses exigences primordiales.

Qu'on ne s'y trompe pas !

Les premières questions que se pose un enfant raisonnant, et pour lui importantes, à l'aurore de son besoin de savoir, de sa faculté de penser, sont d'ordre métaphysique !

Nous les accueillons, nous en provoquons l'expression ou la formulation plus ou moins habile, mais nous nous arrangeons pour que le domaine dans lequel s'introduit la discussion coïncide avec l'interrogation philosophique latente, qui requiert le besoin impérieux d'une réponse plausible, au terme d'une exploration rassurante et explicative parmi des hypothèses, le besoin d'un choix dûment délibéré qui confère à cette réponse la qualité de produit reconnu de l'esprit, et la valeur attachée à toute recherche dotée de conscience.

"Raisonner avec les enfants", demandait Locke, envisageant le rattachement de leurs démarches, de leurs conduites, à des fins exprimables, à des raisons données.

L'aphorisme répond chez lui à cette intuition fondamentale :

- que la conscience est présente, dès l'origine de la vie mentale ;

- qu'elle est inscrite dans le psychisme en tant que donnée structurale préformatrice de l'être, finalité de l'espèce, son attribut inséparable, non retranchable.

C'est cet être déjà là, qui anticipe son devenir, qui devance toute son évolution et la commande.

C'est lui qui en est la loi intime : cette loi de présence, de sensibilité spécifique, d'assimilation et de compréhension du monde, en chacune de ses manifestations perçues.

C'est encore lui, dont le psychisme en expansion emplit le monde, qui donne à l'action éducative sa positivité, sa légalité, sa légitimité.

Antérieurement à toute éducation, il y a :

- l'être en attente de la connaissance ;

- l'être en instance d'une activité imputable à des fins, munie de ses motivations essentielles, de ses moteurs et de ses gouvernails, eux-mêmes garants de sa marche vers le savoir cohérent et informateur de la conduite.

Faute de se représenter la dynamique d'appétence qui caractérise si souverainement l'enfance, l'éducation reste frustrante, incompréhensive, fermée et étrangère aux besoins de l'être en croissance.

C'est notre péché à toutes, dû à notre incompétence foncière, que cette dénutrition mentale de l'enfant à l'école que je dénonce par ailleurs.

Les institutrices doivent apprendre à vivre leur classe en termes de développement, et non en termes d'addition linéaire de faits de croissance, de facultés ou de savoirs enfantins ; avec, toujours présente à l'esprit, l'idée de l'unité et de la continuité biopsychique de l'être enfantin ; lui-même organisme complet, à tout moment de sa croissance, selon le plan de la nature ; avec, enfin, cette conception d'une biologie étreignant ses problèmes, se créant sa philosophie éducative ; en contact constant avec cette énigme qu'est pour l'enfant, la vie, sa destinée..., mais où son état d'enfance trouve son éminente fonction.

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