Revue

Belgique : une expérience de formation de futurs instituteurs en philosophie pour enfants

D'où parlons-nous ?

Notre formation s'organise à l'École normale catholique du Brabant Wallon, un des instituts de la Haute École Léonard de Vinci. Il s'agit d'une formation pour futurs instituteurs qui, en Belgique, se réalise dans l'enseignement supérieur de type court (trois ans), non universitaire. Nous y sommes principalement enseignants du cours de religion et didactique, mais aussi professeur de philosophie.

Les deux expériences de formation que nous relatons ici s'inscrivent dans un projet d'ateliers transversaux d'intégration interdisciplinaire (ATII). Concrètement, soixante heures de formation par étudiant de troisième sont prévues pour ces ateliers. À Nivelles, suite à nos propositions, l'Assemblée Générale des enseignants a décidé de consacrer quinze heures de ce pot au projet de formation en philosophie pour enfants, en préscolaire et en primaire.

Chaque formation est présentée en deux temps. Il y a tout d'abord un descriptif succinct de dispositifs de formation. Ces exposés sont aussi l'occasion de poser un regard critique sur nos pratiques et de soulever quelques lièvres...

FORMATION EN PRÉSCOLAIRE

Un module de formation de dix heures à la "recherche de sens" en Préscolaire pour des étudiants de troisième répartis en deux classes de plus ou moins vingt-cinq étudiants.

Une double conviction de départ

La démarche de formation que je présente repose sur une double conviction étayée par quinze ans de pratique de mes étudiants en stage : il est possible de "philosopher" avec les enfants dès la classe d'accueil (deux ans et demi) ; et ce en profitant des mille et un faits, gestes et paroles du quotidien de la classe.

Il s'agit d'entrer avec les enfants dans une "culture de l'étonnement philosophique" : pouvoir saisir le moindre événement pour s'en étonner, casser l'apparence première de normalité ou d'évidence d'un geste symbolique ou d'une règle de politesse, inviter l'enfant à préciser le sens d'un mot qu'il emploie... Ce qui requiert de l'enseignant d'être en éveil, en éveil amusé, parce qu'il y a du plaisir et du jeu à questionner l'enfant, à le provoquer à réfléchir, à jouer au naïf ou à l'innocent qui s'étonne d'emballer un cadeau ou fait semblant de ne pas connaître le mot "pardon"...

Les antécédents de cette formation dans les deux premières années à l'école normale :

une grosse majorité des étudiants n'ont reçu aucune initiation philosophique dans leur parcours du secondaire. En première année à l'Ecole normale, j'assure un cours de quinze heures de philosophie. Il s'agit d'une "construction" des concepts du juste et de l'injuste à partir de situations de vie, en particulier, dans le contexte scolaire. La première heure de cours les impressionne particulièrement : je les salue personnellement chacun à l'entrée dans l'auditoire et leur demande ensuite "Mais pourquoi donc vous ai-je dit bonjour ?"... avant de conclure que "la philosophie, c'est simple comme bonjour !". Je leur annonce déjà qu'ils devront vivre la même démarche de questionnement avec les enfants lors de leurs stages de troisième année.

En deuxième année, je les retrouve pour un cours de "gestion de groupe", où je travaille en particulier les règles de circulation de la parole dans le groupe-classe, préalable indispensable à un questionnement philosophique.

Les objectifs du module de formation en troisième

Il s'agit d'un module de cinq séances de deux heures, à raison d'une séance par semaine. Module qui est vécu en parallèle dans les deux classes de troisième, deux classes de vingt-cinq étudiants.

L'objectif de départ est de former les étudiants au questionnement philosophique à partir du quotidien de la vie en classe maternelle. Je ne les forme donc pas d'abord à une démarche plus structurée comme celle d'ateliers philosophiques. Dès la première séance, l'objectif s'est affiné : il s'agira ainsi de préciser clairement ce qu'est une question philosophique, d'envisager les moyens de stimuler une recherche de sens chez les enfants et enfin, de rencontrer et "dépasser" le scepticisme affiché par plusieurs étudiants par rapport à cette démarche avec les enfants : "cela ne sert à rien, c'est l'art de couper les cheveux en quatre".

Déroulement du module

Séance 1 : des représentations spontanées à une première "définition" d'une question philosophique. Suite à un recueil de ce qu'ils imaginent être un travail philosophique avec les enfants, je leur montre deux séquences de sept minutes d'atelier philosophique, extraites d'une vidéo Les grandes questions, diffusée par le Ministère de l'Education de la Communauté Wallonie-Bruxelles. La confrontation entre les représentations initiales et l'analyse de la vidéo permet une première approximation de ce qu'est un questionnement philosophique, et fait émerger les enthousiasmes, peurs et réticences à la perspective de devoir "faire cela" avec les enfants.

Séance 2 : animer un atelier philosophique. Je constitue un groupe de dix étudiants volontaires et j'anime avec eux un atelier philosophique inspiré de la démarche de M. Lipman, avec des consignes clairement définies qui "sécurisent" le groupe. À partir d'un conte assez court, je procède à une cueillette de questions suivie du choix de l'une d'entre elles à travailler ensemble. J'anime alors l'échange pendant trente minutes. Les autres étudiants ont un rôle d'observateurs. Lors de la mise en commun, participants et observateurs renvoient leurs remarques par rapport aux compétences ou habiletés développées ainsi que par rapport aux techniques d'animation mises en oeuvre.

Au cours des séances suivantes, je veille à ce que chaque étudiant ait l'occasion d'animer un moment d'échange à son niveau de jeune adulte.

Séance 3 : la classe est divisée en trois groupes de sept à huit étudiants. Dans chaque groupe, trois étudiants animent, à tour de rôle, dix minutes autour d'une question donnée par le professeur. Après chaque tranche de dix minutes, il y a un temps d'analyse de ce qui s'est vécu, avec la consigne de repérer les interventions qui stimulent vraiment une recherche de sens ainsi que les difficultés rencontrées. Les trois questions débattues étaient : "Mais pourquoi donc faut-il dire bonjour ? Pourquoi faut-il emballer un cadeau avant de l'offrir ? Qu'est-ce qu'une question philosophique ?".

Lors de l'analyse qui suit, les difficultés se précisent : comment "rebondir" à partir d'une affirmation de l'un ou l'autre ? ("On dit bonjour parce qu'on est poli... tiens, que mets-tu derrière le mot poli ?") ; faut-il rester (et comment) dans la question de départ ? Et si la question autour de laquelle animer "ne me branche pas", que faire ?

Séance 4 : d'abord un bref retour sur les définitions de la question philosophique formulées à la séance 3. Ensuite, entraînement à la technique du kangourou : l'art de rebondir sur les mots ou affirmations exprimées par les participants. Je renvoie aux étudiants une "carte conceptuelle" que j'ai élaborée à partir des compte rendus du travail de la séance 3 à propos de la question : "Mais pourquoi donc emballer un cadeau ?".

Dans les mêmes groupes que la semaine précédente, les étudiants qui ne se sont pas encore exercés, animent à tour de rôle cinq minutes à partir d'un des items de la carte conceptuelle : "pour faire une surprise ? Pour faire joli ; parce que c'est la coutume ; parce que j'aime beaucoup celui à qui j'offre le cadeau...". Après chaque temps d'animation, le groupe renvoie à l'animateur certains constats sur sa pratique et engrange des interventions qui paraissent pertinentes au plan philosophique.

Une mise en commun finale aboutit à la création d'une "boîte à outils" d'interventions stimulantes pour une recherche de sens.

Séance 5 : lors de deux journées d'observation dans leur classe de stage, les étudiants ont eu pour consigne de repérer diverses "situations de vie en classe" qui seraient susceptibles de déboucher sur un "questionnement philosophique" et imaginent, pour ces situations, une "question de départ" pertinente.

La séance 5 procède à une mise en commun des "situations" repérées, ce qui permet aux étudiants d'élargir leur éventail d'occasions philosophiques auxquelles ils n'auraient pas pensé (et le professeur également !). On précise aussi les critères d'une "bonne" situation de départ (éviter par exemple les conflits ouverts, les rappels à l'ordre...). Enfin, l'échange permet encore de préciser la formulation de questions vraiment philosophiques. Au terme de la séance, des consignes sont données pour le stage. Chaque étudiant est invité à animer trois moments "imprévus" (surgis des événements de la classe) ainsi qu'un moment collectif qui aura été anticipé, à en faire un compte-rendu et à analyser la pertinence des questions posées : suis-je bien dans une démarche de recherche de sens avec les enfants ?

Les cinq séances décrites ci-dessus visent à rendre les étudiants "capables de se lancer" dans l'animation avec droit à l'échec, à condition de pouvoir l'analyser. Au retour du stage, cinq heures de cours permettront de tirer les enseignements de ce premier essai, et de préciser les consignes pour le deuxième stage.

Quelques questions à partir des réactions des étudiants au fil des séances :

- comment faire percevoir, pour les étudiants, la pertinence d'un tel travail avec les enfants ? Je crois que l'expérimentation sur le terrain est indispensable. Tant qu'ils n'ont pas essayé et "goûté" à la démarche, les objections ou réticences, le scepticisme demeure...

- La question des "frontières" entre le questionnement philosophique, les interventions éducatives (rappel des règles, résolution des conflits...), ou l'interrogation scientifique. Ces frontières paraissent parfois très floues. Personnellement, j'invite les étudiants à ne pas trop se préoccuper d'une "pureté" de la recherche de sens et de s'accommoder d'un certain "flou". L'important, avec les petits, me paraît être de stimuler et d'entretenir un questionnement "tous azimuts". L'ouverture et la gratuité (la non-rentabilité immédiate en termes de solutions à trouver ou de règles éducatives à rappeler) me paraissent être des critères intéressants pour caractériser les "questions philosophiques" mais, de grâce, ne durcissons pas les différences entre les domaines du réel...

FORMATION EN PRIMAIRE

A) Un terreau pour cette formation

Relisant mon parcours vers la formation de futurs instituteurs à l'animation de communautés de recherche philosophique, il me semble qu'il trouve son ancrage dans trois lieux importants.

1) En faculté de théologie où je rentre convaincu d'y trouver un discours net, clair et précis sur la religion catholique et sur la nécessité de la transmettre, je découvre plutôt à longueur de cours que cette volonté de s'installer dans des évidences, quand il s'agit de Dieu ou de la croyance en Dieu, s'appelle dans les faits de l'idolâtrie. Je comprends donc que le fait de vouloir couler ou figer Dieu en un veau d'or ou dans un système fixe de pensée et de connaissance est ce que la théologie définit comme son opposé. Sa dynamique est plutôt d'être en recherche constante. Désarçonné au début, j'ai vite pris du plaisir à vivre dans cette dynamique, dans ce mouvement.

2) Dans le cours de religion que j'assume après la faculté, il m'est légalement interdit de faire de la catéchèse d'une part (enseignement de la religion catholique à des personnes présupposées croyantes et voulant s'engager plus avant dans cette religion), et du strict enseignement du fait religieux d'autre part (enseignement de la religion catholique dans une vaine perspective de neutralité). Entre ces deux extrêmes, le programme officiel du cours de religion1 me demande de partir des questions fondamentales des élèves et de leur volonté de croître en humanité. Sur cette base, j'offre aux élèves de se confronter aux ressources issues de la foi chrétienne, en compagnie d'autres éclairages issus des sciences humaines par exemple, afin qu'ils approfondissent leur propre questionnement.

3) A un moment, les "communautés de recherche philosophique" (désormais nommées pour abréger CRP) ont été pressenties pour se substituer à nos cours de religion et de morale. C'est donc avec un mélange de curiosité pour le dispositif en soi, mais aussi avec un arrière-fond corporatiste que je me rends à ma première formation à Lille organisée par Asphodèle. J'étais quelques mois plus tard à Genève avec Michel Sasseville avant que celui-ci n'engage un cycle de formations en Belgique à partir de 2006. J'y participe toujours, avec de plus en plus d'enthousiasme. La perspective corporatiste a donc cédé le pas.

Un élément important, qui apparaît dans ce triple terreau, me semble être la conviction de l'importance (et le plaisir qui y est lié) de la recherche, d'être en recherche, en particulier à partir des questions que posent la vie, qui se posent dans la vie.

B) Descriptif de dispositifs

Je décris ci-dessous trois dispositifs de formation institués dans la formation de futurs instituteurs, en développant davantage le cours de douze heures créé avec comme cahier des charges de former à l'animation de CRP.

1) En première normale primaire (1NP) : intégration dans les ateliers de formation pratique (AFP).

L'objectif des AFP en première (ces AFP représentent plus ou moins deux cents heures par année académique) est d'initier de manière pratique les étudiant(e)s au constructivisme2. Cela signifie notamment leur faire prendre conscience de l'importance de construire les apprentissages en partant du déjà-là, des représentations initiales. Concrètement, nous préparons les étudiant(e)s à animer des micro activités créatives dans des classes de stage à partir d'albums jeunesse. Comme la CRP me semble elle aussi constructiviste (elle permet notamment aux élèves de commencer en exprimant leurs points de vue, elle est aussi un lieu de remise en question de ces représentations initiales grâce au dialogue...), elle me semble un excellent outil pour former nos étudiants à l'importance et au plaisir qu'il peut y avoir à laisser les enfants poser leurs questions et chercher ensemble leurs propres réponses.

Bien qu'excellent à mes yeux, cet outil porte néanmoins des ambitions peut-être démesurées par rapport à ce dont sont capables des jeunes lancés dans leurs premières expériences de gestion d'apprentissage. Le sentiment d'insécurité des jeunes étudiants stagiaires peut être renforcé par le fait que les maîtres de stage accueillant nos étudiants dans leur classe ne peuvent souvent pas jouer un rôle précis de formateur.

Ce processus de formation se déroule en cinq temps de formation. Il est inspiré de notre rencontre du travail de Martine Nollis (Philomène) avec l'ASBL Ateliers sorciers présenté au colloque de l'Unesco en 2006.

- Avec des groupes de 15-20 étudiant(e)s, j'anime une CRP à partir d'un album jeunesse. Après l'échange à visée philosophique, les étudiants sont invités par ma collègue plasticienne à exprimer une pensée en usant d'une technique créative travaillée en cours.

- Entre les deux séquences à l'école, les étudiants sont en projet de rédaction d'une préparation d'animation similaire à celle qu'ils ont vécue, mais à destination de leur classe de stage.

- Deux heures d'AFP sont alors consacrées à formaliser le dispositif dans ses points essentiels. J'insiste surtout sur l'importance de permettre l'expression et la réflexion des enfants, et sur le devoir de "multipartialité" de l'animateur. Une émission du DVD réalisée par Michel Sasseville sur la responsabilité de l'animateur termine la formation à l'école.

- Une animation dans la classe d'un maître de stage (ne pratiquant le plus souvent pas la CRP).

- Une auto-évaluation de la gestion de cette animation par les étudiant(e)s et une évaluation de la formation vécue à l'école normale.

2) En 2NP : Intégration dans le parcours de formation de mon cours de didactique de la religion

Dans mon cours en 2NP, je prépare les étudiants à développer une "compétence" intitulée dans le programme officiel : "S'initier à un agir chrétien responsable".

Deux temps autour de la CRP dans cette formation

- Rappel "tronqué" de la CRP par l'animation d'une discussion pour tenter de définir ce qu'est un "agir chrétien" responsable. Je dis "tronqué" notamment car la question est la mienne en tant que formateur, et pas celle des étudiants. Au-delà, je dois être attentif à ne pas manipuler la discussion dans mon animation. Mon présupposé sur le sujet est en effet très clair : "il n'existe pas d'agir chrétien", mais il est des "agir" qui se veulent le plus universel possible, et les chrétiens y collaborent sans prétention à l'exclusivité. Pour reprendre l'expression de Jean Ladrière dans la préface d'un livre de Jacques Vallery : "Ce n'est pas parce que je crois en Dieu que je fonde la moralité de mes actes à partir de la règle d'or, mais hors de celle-ci, je ne puis me dire chrétien"3.

- Après cette CRP tronquée, j'encourage de manière non contraignante les étudiant(e)s à utiliser ce dispositif dans leur stage, comme un des outils possibles pour "laisser à l'enfant l'espace de liberté dont sa conscience morale naissante a besoin pour se construire, en évitant ainsi le moralisme"4. Il s'agit donc d'un projet très léger en 2NP.

3) En 3NP : un cours spécifique de douze heures (+1)

Il s'agit du dispositif le plus important à mes yeux, mais aussi du plus fragile dans notre contexte organisationnel. L'AG de notre département a voté la création d'un cours de 12 heures sur l'animation de CRP.

L'organisation du cours s'articule autour du dernier stage de quatre semaines des étudiants. Dix heures de cours sont données à l'école normale avant le stage. Celui-ci est l'occasion de quatre expérimentations minimum. Les deux dernières heures de cours, post stage, sont consacrées à une discussion relative aux expériences menées par les étudiants et à la rédaction du travail certificatif.

Séance 0 : Contractualisation du module. Mise en route, écoute des projets des étudiants vis-à-vis de ce cours, exposé du projet de cours et précisions sur les modalités d'évaluation.

Séance 1
1re heure : animation d'une CRP par moi-même / Participants et observateurs
2e heure : structuration avec les observateurs au sujet du dispositif et de ses étapes

Séance 2
1re heure : animation d'une CRP par moi-même / Participants et observateurs
2e heure : structuration avec les observateurs au sujet de la CRP pour développer la pensée créative

Séance 3
1re heure : animation d'une CRP par une paire d'étudiant(e)s / Participants et observateurs
2e heure : structuration avec les observateurs au sujet de la CRP pour développer la pensée vigilante

Séance 4
1re heure : animation d'une CRP par une paire d'étudiant(e)s / Participants et observateurs
2e heure : structuration avec les observateurs au sujet de la CRP pour développer la pensée critique

Séance 5
1re heure : animation d'une CRP par une paire d'étudiant(e)s / Participants et observateurs
2e heure : structuration avec les observateurs au sujet de question spéciales : traces, évaluations, CRP et expression de l'affectivité, le matériel (Lipman ou autres), Bible et CRP...

Séance 6
Évaluation du dispositif

La certification de ce module de formation s'est faite par la remise d'un travail qui contenait les préparations des CRP, une autoévaluation de la gestion du dispositif en classe et une analyse détaillée de cinq minutes d'une séance enregistrée5.

Un premier regard réflexif

Quelles sont les questions les plus prégnantes que cette pratique soulève à mes yeux ? Dans le concret, le module donné pour la première fois l'an dernier a soulevé un certain enthousiasme chez les étudiants. De même, les collègues ont eu l'occasion d'observer des CRP lors de leurs visites de stage. Les CRP étaient l'objet de nombreuses discussions, et cela, à propos de sujets variés, du plus attendu au plus étonnant. La question sur laquelle j'insisterai le plus est celle qui est relative aux modalités de formation choisies. En Belgique, la formation au métier d'instituteur est une formation professionnalisante. Elle vise donc principalement à former des professionnels de l'enseignement. Cela signifie par exemple que des cours dits de formation générale (sociologie de l'éducation, politique de l'éducation, philosophie...) sont parfois considérés comme anecdotiques par rapport à d'autres comme ceux de techniques de gestion de groupe, ou encore les AFP assumés avec des instituteurs de terrain par exemple. En outre, les cours de didactique des disciplines ont la cote, surtout s'ils sont ancrés sur la didactique davantage que sur le contenu scientifique de la discipline elle-même.

Dans ce cadre, quel type de professionnel contribuons-nous à former avec ce dispositif ? Pour cela, la grille de L. Paquay me semble intéressante, car elle ouvre des questions. Le paradigme du "praticien réflexif" est aujourd'hui celui connoté le plus positivement en Belgique. Je construis mon cours avec la perspective de préparer à ce modèle. Néanmoins, comment sont perçues les choses par les étudiants ? La formation n'est-elle pas vécue par eux selon le modèle de "technicien" ("animer une CRP, c'est appliquer la technique expérimentée en classe"), voire de "praticiens artisans" ("animer une CRP, c'est pratiquer, pratiquer et pratiquer encore") ? Dans le modèle de praticien réflexif, les études critiques de cas et l'expérimentation sont davantage le fait de l'enseignant que des étudiants. Là où les étudiant(e)s réalisent une étude de cas, c'est dans un exercice à vocation certificative où la dimension stratégique est évidemment présente.

Questions

Le fait de consacrer la moitié du temps de formation à de la "pratique" empêche de facto une étude critique du dispositif lui-même, par exemple dans sa confrontation aux différents modèles existants par exemple. En outre, la formation de maître instruit est très peu présente (rejoignant par là une critique souvent entendue relative au fait qu'il n'y a pas d'enseignement de contenus en CRP). Au regard de la manière d'envisager la formation en préscolaire et dans le cadre institutionnel particulier de la Belgique francophone, une dernière question se pose : devons-nous encourager l'institution à prévoir des moments précis consacrés à l'animation de CRP et/ou former à saisir l'occasion ? Malgré ces questionnements, nous continuons à penser que nos dispositifs ont leur pertinence dans notre contexte. Mais, en tant qu'animateurs de CRP, nous livrons cette conviction personnelle telle un présupposé au regard critique, bienveillant et créatif de nos interlocuteurs, espérant qu'ils entrent dans ce jeu d'une construction commune autour de la formation à l'animation de CRP.


(1) Voir http://www.restode.cfwb.be/ROOT/pgres/programmes/Recherche_prog.asp

(2) Voir par exemple Jonnaert Ph. (2002), Compétences et socioconstructivisme - Un cadre théorique, Ed. De Boeck, Bruxelles

(3) Selon les termes du programme officiel du cours de religion dans l'enseignement primaire.

(4) Valléry J. (1988), Passages - Paroles de sens, paroles de foi, Lumen vitae et Vie ouvrière, Bruxelles, p. 16.

(5) Cette année, suite à l'article d'une collègue (Thérèse Allard) dans la revue Informations à destination de professeurs de religion, je m'apprête à vivre un examen qui se déroulera en deux temps : une CRP pour commencer et un temps d'analyse de ce qui se sera passé au sein de cette CRP.

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