Revue

Ovalisophie : oser rapprocher rugby et philosophie

Ovalisophie...c'est une histoire de rencontres.

Une rencontre avec une pratique sportive au fort ancrage culturel, le rugby.

Le rugby, pratique forte par la force du groupe, des individus, de ses règles.

Le rugby, réelle source d'inspiration littéraire, plastique et aussi musicale.

Une rencontre avec une pratique inhabituelle compte tenu de l'âge de nos élèves du cycle 3 : la philosophie.

Des rencontres à distance entre la pensée des enfants et celle des adultes.

Des rencontres à venir à partir du DVD réalisé pour initier des discussions dans l'unité du corps, l'unité de la pensée, l'unité de l'Homme qui pense avec tout son corps.

Il n'est pas possible d'envisager quoi que ce soit de notre existence humaine sans prendre en compte la question du corps. S'il n'y a pas de corps, il n'y a ni apprentissage, ni enseignement.

Pourquoi une Fédération sportive, fut-elle scolaire, s'invite-t-elle dans un tel débat ?

Des éléments de réponse peuvent être mis en exergue dans la Convention signée entre le Ministère de l'Education Nationale et l'USEP :

" Article 1 : La mission de service public confiée à l'USEP par le ministère portera sur la contribution à l'engagement civique et social des enfants par leur responsabilisation progressive ...

Article 2 : L'USEP s'engage à développer ... des pratiques associatives et des projets pédagogiques ouvrant les rencontres à des approches transversales (citoyenneté, santé, culture, sécurité routière...) "

De plus, le projet humaniste de la Ligue de l'Enseignement dont l'USEP est une des composantes est explicite : " l'USEP doit permettre de donner à l'enfant la capacité de faire des choix éclairés, de favoriser le développement harmonieux et libre de la personne, de favoriser l'esprit critique, l'esprit collectif, le vivre ensemble... " autour des valeurs fondatrices de laïcité, de citoyenneté et de solidarité.

Pourquoi avoir choisi le rugby ?

Pour " profiter " de l'actualité de la Coupe du Monde se déroulant en France en septembre-octobre 2007, et ainsi créer une motivation auprès des enseignants et des élèves, l'opération Scolarugby - partenariat Education Nationale, Fédération Française de Rugby et USEP - a permis aux 2 classes gagnantes d'assister à un match à Montpellier.

Pour une raison tenant à la spécificité même du rugby, même si nous pensons que toute activité sportive et même toute activité humaine peut être un support adapté. Hannah Arendt1 écrit qu'il convient de " penser ce que nous faisons ", que c'est dans l'examen des activités humaines que l'on peut découvrir ce qu'est la condition humaine à l'époque moderne.

Comme l'exprime Catherine Kintzler1, professeur de philosophie à Lille III, le rugby, " c'est un jeu où le rapport entre le permis et le défendu n'est pas simpliste et infantile. La faute est intégrée au jeu..., elle est présente mais réprimée, pas refoulée. " C'est parce que le rugby est un sport complexe et paradoxal qu'il nous a paru judicieux de l'utiliser comme moyen d'éducation.

Comment ce projet a-t-il été mis en oeuvre ?

Un stage USEP au mois de septembre 2006, inscrit au Plan Départemental de Formation, a été l'élément déclencheur. Des éléments de formation sur la discussion à visée philosophique à l'école ont été donnés en référence aux travaux dirigés par Michel Tozzi2. Un dossier3 créé par les formateurs et complété par les stagiaires s'est révélé être un outil utilisable dès le retour en classe.

Trois concepts, dans le sens de la construction conceptuelle d'une notion à teneur philosophique4, ont été dégagés et formulés par contraste. Ils ont été " naturellement " évoqués lors d'échanges avec des élèves en amont de la préparation du stage et leur formalisation s'est appuyée sur les idées développées dans l'ouvrage " Petite philosophie du rugby " de Thierry Tahon5. Ces premiers regards croisés ont permis de croire en cette aventure. Il s'agit de :

  • Un et Multiple
  • Violence et Force
  • Ordre et Désordre

Trois entrées étaient proposées pouvant se poser comme des leviers à la réflexion :

  • par les mots du rugby, les mots du corps
  • par la littérature et la littérature de jeunesse
  • par les arts dédiés à ce sport (Arts Visuels, Musique, Danse)

Quels objectifs ont été fixés ?

Le cahier des charges de l'épreuve culturelle consistait à produire un document sur support électronique à partir de discussions à visée philosophique et à le présenter en février 2007 devant un jury et devant les autres enfants participants.

De ces documents et de la présentation orale, une cinquante de phrases ont été retenues et ont été soumises pour réaction à trente personnalités du monde de l'Education, du monde politique et du monde du rugby. Un DVD est né de cette initiative et présenté en séance publique le 5 septembre 2007 ; il est constitué de 6 " spots " de 10 minutes chacun (2 spots par couple de concepts).

Comment ne pas être interpellé par ces mots d'enfants ?

C'est un désordre ordonné qui fait avancer. École de Villegly CM1-CM2

Le courage, c'est affronter les adversaires et ses peurs. École d'Espéraza CE2

La force, cela peut être aussi la force mentale. École de Villegailhenc CM1

On peut être entouré et se sentir seul. École de Badens CE1-CE2

Respecter, c'est comprendre et respecter les différences. École V. Hugo Limoux CM1

Perdre, c'est se reconstruire. École de Montlaur CE2

Tout ce travail nous a permis de comprendre le rugby, le jeu, de comprendre le respect et l'amitié ; ça nous a changé notre envie de penser, notre façon de penser. École de Villegailhenc CM1

Yannick Jauzion, international et ambassadeur de l'Education Nationale, confie dans Rugby Mag de Juin 2007 : " J'ai été épaté des réflexions de gamins de 10 ans... ; ça permet d'aborder le rugby sous un autre angle que le jeu à proprement parler. "

Y a-t-il un " après " ?

Ovalisophie n'est pas un gadget lié à l'évènement " Coupe du Monde de rugby 2007 ".

Le DVD réalisé est utilisé dans des stages de formation initiale et continue. La discussion à visée philosophique y acquiert un statut de discipline transversale à l'école primaire. La pensée des enfants y interpelle celle des adultes qui, à son tour, fait écho à d'autres réflexions au-delà du monde du rugby.

La démarche qui lie philosophie et corps se poursuit dans les classes. Suite à un module " Rugby ", des élèves ont participé à une rencontre organisée par l'Usep 11.

À leur retour en classe, un atelier-philo a porté sur ce thème. Parmi d'autres pensées exprimées, nous citerons celle de Michel, élève de Clis (Classe d'Intégration Scolaire) : " Au rugby, on se fait des passes avec le ballon ; en philosophie, on se fait des passes avec des mots. "

Peut-on alors parler d'élèves " philophysiquement " éduqués ?

Martha Boeglin6 a écrit : " Prendre conscience du réel et de sa propre intériorité par le biais du corps permet à l'enfant une approche ludique de problèmes philosophiques ou une approche philosophique de leur vie quotidienne et de leurs problèmes. "

Cet élève est celui qui réfléchit sur son corps en action, celui qui forge son estime de soi et le respect des autres, celui qui peut exprimer, parler de ce qu'il fait et de ce qu'il fait avec les autres, celui qui s'éveille à l'altérité dans sa capacité à échanger, donner, partager.

Cet élève devient progressivement un citoyen sportif réflexif.

Il ne peut y avoir de conclusion à cette aventure Ovalisophique, mais des ouvertures, des perspectives, un chantier ...

" Dans la philosophie, il faut réfléchir avant de faire, dans le rugby aussi. C'est pour ça qu'il y a un lien entre les deux, la sagesse. " Amélia, 10 ans, École Marcel Pagnol de Carcassonne.


(1) KINTZLER Catherine, Le rugby est une philosophie du contact, Philosophie Magazine n°12 sept 2007.

(2) Tozzi Michel, dir., L'éveil à la pensée réflexive à l'école primaire, Hachette éducation 2002

(3) Dossier consultable : www.usep-lr.org/telechargements/resultats/1161610710_ovalisophie.dossier.site.pdf

(4) Tozzi Michel, Revue Diotime n°33

(5) Tahon Thierry, Petite philosophie du rugby, Milan, 2004

(6) BOEGLIN Martha, Philosopher avec le corps, CRAP Cahiers Pédagogiques, n°432, 2005

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