Revue

Langage et parole dans les cafés-philo

Marc Sautet, voulant renouer avec la pratique philosophique à la mode classique antique grecque, et lassé de l'ésotérisme philosophique universitaire confinant la philosophie dans des cénacles d'experts, inventa la formule populaire des cafés philosophiques.

La philosophie contemporaine, jusqu'alors élitiste et hermétique, est enfin redescendue dans la rue sur l'Agora comme elle était appliquée du temps des Grecs.

La philosophie antique classique grecque ne se concoctait pas dans des cercles restreints de rares initiés, mais s'adressait à tous les citoyens de la Polis, de la Cité.

Les dialogues de Platon sont toujours là pour nous rappeler que Socrate n'avait pas d'école et qu'il philosophait sur la place publique avec tout citoyen passant à sa portée, sans distinction de titre nobiliaire, ni de fonction prestigieuse.

De plus, la philosophie classique grecque associait théorie et pratique, l'une n'allant jamais sans l'autre ; d'ailleurs les débats socratiques se nourrissaient de l'expérience pragmatique du quotidien de chacun.

J'estime utile, après tant d'années d'expérience des cafés philosophiques, d'analyser le langage et la parole dans ces lieux.

Nous définirons le café philosophique comme une technique de groupe s'étayant sur le langage et la parole pour la recherche de vérités.

Nous distinguerons le langage d'une part et la parole d'autre part.

Le langage est le fonds de tous les signifiants communs à la langue, il est l'instrument, l'outil au service de la parole qui est l'expression subjective individuelle de la pensée singulière.

Le langage est collectif et la parole est individuelle.

En quoi le café philosophique se différencie-t-il de la philosophie universitaire d'expertise sur le plan du langage ?

Tout d'abord le café philosophique échappe en règle générale au jargon des experts, en usant d'une sémantique partagée par la plupart des participants. Nous dirons que le langage des cafés philosophiques est suffisamment riche pour exprimer les idées sans sombrer dans un jargon abscons. Dans un café philosophique, lorsque tel ou tel fait référence à un concept théorique abstrait de tel ou tel grand philosophe, il lui est précisé qu'il convient de le définir dans un langage abordable par tous afin que tous en fassent bon usage. En cela la diversité des cultures personnelles qui caractérise la pluralité des protagonistes d'un café philosophique permet une action pédagogique non négligeable.

Le langage des cafés philosophique associe abstrait et concret, il use souvent de métaphores et de métonymies permettant d'imager les idées abstraites.

Il ne s'émancipe pas toujours des modes médiatiques dont font grand usage les journalistes que lisent les participants des cafés, mais cette vogue des clichés, des termes à la mode est tempérée par une critique que ne manque pas de solliciter les avis contradictoires que suscitent les débats dialectiques.

Les cafés philosophiques sont la mise en œuvre de la dialectique grâce aux points de vue divergents soulevés dans des débats contradictoires.

Le langage des cafés philosophiques est un trésor d'antinomies, d'oppositions dualistes que cherchent à concilier les participants dans des formulations syncrétiques symboliques.

Les cafés philosophiques sont le règne du diabole et du symbole !

Le café philosophique, c'est d'abord l'arène du diabole, c'est-à-dire en grec de ce qui divise, en effet les débats sont le lieu de confrontations des opinions antinomiques qui sont source de conflits intellectuels.

Mais le café philosophique à terme, c'est le culte du symbole, en grec ce qui unit, car l'animateur qui pondère les débats pousse le groupe à trouver des médiations symboliques entre les antinomies.

Quant à la Parole, en tant qu'expression subjective du désir des individus, elle n'est pas en reste. En effet souvent certains participants, tels des médiums des représentations inconscientes collectives du groupe travaillées depuis le début du débat, amènent une parole vraie, authentique, qui vient souvent troubler le ronronnement mécanique du langage conformiste des cafés philosophiques, pour créer des moments féconds où s'exprime l'inconscient collectif du groupe.

Ces paroles vraies authentiques qui ne sont pas rares sont souvent métaphoriques et symboliques. Elles ont pour fonction de lever le voile de Maya des illusions des apparences, pour faire accéder le groupe aux idées fondamentales qui le sortent du dilemme, de l'impasse, de l'aporie.

La Parole vraie est souvent une métaphore vive, qui plus que les concepts théoriques abstraits, féconde le débat qui devenait stérile.

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