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Développer des compétences pour favoriser des échanges à visée philosophique en maternelle ? L'accompagnement par fiches dans Pomme d'Api

Le contexte : une demande

Il n'existe pratiquement pas en France de formation pour permettre à des enseignants de l'école maternelle de développer des activités à visée philosophique dans leurs classes. Le désir de pratiquer semble pourtant, pour nombre d'entre eux, exister. Soit de façon construite, au sens où les enseignants peuvent avoir entendu parler de ces pratiques et être en recherche d'aides (demandes formulées par exemple à l'adresse d'enseignants à l'IUFM lors de leur formation) ; soit dans l'immédiateté, au sens où ils peuvent ne pas en avoir entendu parler précédemment, mais manifester d'emblée leur intérêt lors des formations continues, si la question est abordée à l'occasion d'une réflexion sur l'oral. Dans le même temps, ces enseignants manifestent pourtant leurs craintes, souvent légitimes, face à cette activité nouvelle et qui n'est pas au programme, de se lancer sans que les compétences professionnelles correspondantes soient développées, sans maîtrise des contenus philosophiques pour favoriser par exemple le cheminement des élèves par la problématisation des propos tenus, sans qu'ils disposent d'aides et supports. Ils n'ont par ailleurs pour seule représentation de la philosophie que leur pratique d'élèves en terminale, une pratique souvent de cours magistral peu adaptée à ce contexte, la pratique de classe centrée sur l'oral étant en soi souvent une pratique professionnelle relativement nouvelle.

La prise en compte du problème

La revue française Pomme d'Api, qui développait précédemment une bande dessinée à " thématique philosophique " pour les jeunes enfants, a décidé de tenter de répondre à cette demande d'aide que lui adressaient certains enseignants, en développant pour eux un projet spécifique. S'appuyant sur ces savoir-faire traditionnels, elle s'est d'abord intéressée à la question du support. Prenant en compte d'une part l'idée que les jeunes enfants ont spontanément une représentation plutôt " binaire " et contrastée du monde (sans qu'il s'agisse de faire de ce constat une limite irréductible), et d'autre part la situation de communication collective en situation de classe, le choix a été fait d'insérer dans le journal, après la bande dessinée, deux grandes images pour réfléchir. Elles illustrent une question ouverte, porteuse de problématiques proches de celle-ci, et servent de premier support concret à la réflexion des élèves, avec le risque cependant de les enfermer dans le choix proposé. Proposer ce support ne suffisait donc pas, d'autant que d'autres questions se posaient. Concernant la présentation et la rédaction de ce support : comment choisir la question, tant du point de vue de la forme que de la nature des éléments qu'elle met en évidence ? Et que mettre en exergue par l'illustration, pour ne pas enfermer les élèves dans une pensée préconçue ? Concernant l'emploi de l'image dans la classe : comment aider les enseignants à utiliser le support, à favoriser l'organisation et le développement de réflexions individuelles et collectives dans la classe ? Comment les aider à mieux positionner philosophiquement les propos tenus ?

Finalement, une question nouvelle pour la revue, -sans laquelle toute réflexion sur le support perdait sens faute d'une utilisation réelle dans les classes-, s'est imposée : comment aider les enseignants à développer les compétences nécessaires pour pratiquer, sans pouvoir intervenir dans le cadre des formations continues, et sans contact direct avec eux ?

Une première réponse globale s'est rapidement présentée : elle passait par l'idée d'utiliser le médium internet pour proposer des accompagnements pédagogiques spécifiques. Cette réponse s'est ensuite précisée dans le cadre d'une réflexion novatrice, par l'échange entre les responsables de la rubrique, didacticien, enseignants expérimentateurs.

Une réponse globale

La revue n'est pas en charge de la formation des enseignants. Sa diffusion importante la contraint à ne pas pouvoir assurer un suivi particulier pour chacun. La pratique d'atelier est par ailleurs difficile : fallait-il éditer un ouvrage encyclopédique, charger chacun de le lire, puis l'encourager par ailleurs à poursuivre des études philosophiques, avant de commencer ? Il fallait prendre en compte :

a/ les contraintes propres au journal (qui en principe s'adresse à de jeunes lecteurs, ou à leurs parents) qui n'ont que faire de ces questions d'accompagnement pédagogiques ;

b/ la nouveauté du problème posé (permettre aux enseignants de se lancer, proposer aussi des accompagnements spécifiques à chaque sujet, lors de chaque parution d'un nouvel exemplaire du journal).

Le choix s'est plutôt porté sur l'idée d'un double niveau de propositions. Seraient produits :

- d'une part le document " papier " intégré au journal, pouvant inspirer un travail d'échange familial entre parents et enfants aussi bien qu'un travail pédagogique dans la classe ;

- des fiches d'accompagnements, à destination spécifique des enseignants, et accessibles gratuitement pas le biais d'Internet1. Un site spécifique (www.pommedapi.com) a été créé, proposant des fiches générales, puis spécifiques par numéro.

L'objet du présent article est de décrire, à l'aide d'exemples, comment cet accompagnement est conçu.

Une règle générale pour permettre une pratique réelle

Les fiches n'ont pas seulement pour but d'informer, d'aider, mais plus largement de faciliter une autoformation. Non qu'on puisse penser que le métier d'enseignant puisse ne s'acquérir que par cette modalité d'apprentissage. L'idée consiste plutôt à penser qu'un enseignant ne pratiquera correctement le travail demandé que s'il a intégré les perspectives du travail qu'on lui propose, de façon à gérer correctement les situations inattendues qui ne vont pas manquer de se produire dans la réalité du fonctionnement de la classe, et qui ne sont évidemment pas prévues dans les aides proposées. Sinon, ce serait prendre le risque d'une part de condamner la pratique de l'activité ("  c'est impossible à faire "), d'autre part de condamner le travail proposé ("  ce que la revue propose n'est pas adapté "), enfin d'amener l'enseignant à se disqualifier et se dévaloriser ("  je ne suis pas capable de faire ce qui est prévu, je ne suis pas un bon enseignant ").

Or, nous pouvons constater2, avec le recul d'un an de travail, qu' il est possible à des enseignants intéressés non spécialistes de se lancer, sous la forme proposée par la revue, dans cette pratique, en s'appuyant sur l'utilisation des aides qu'elle propose.

La situation particulière et nouvelle, -essayer de favoriser ce processus à distance, sans contact même virtuel avec l'énorme majorité des enseignants concernés, sans s'inscrire dans une situation d'échange-, ne semblait pourtant pas conduire à oblitérer une règle de base d'un processus de formation. Loin d'être un processus de rupture (comment, à de rares exceptions près, accepter d'abandonner ce que l'on fait, ce que l'on est ?), former consiste surtout à s'appuyer sur des points forts, des connaissances 3, des pratiques déjà intéressantes, pour les faire évoluer. Il s'agit que le sujet identifie l'objectif et les modalités de l'évolution, sa possibilité, son accessibilité. On a cherché par ces fiches à partir de l'enseignant même, ses préoccupations professionnelles, ce qu'il est, ce qu'il sait, ses propres représentations, pour l'aider à s'inscrire dans ce processus d'évolution progressive, à développer ses compétences pour les inscrire dans la maîtrise de cette nouvelle activité.

N'était-il pas contradictoire de retenir l'aide par des fiches brèves, quand par ailleurs on saisit que le processus à l'oeuvre est lent, progressif, tant du point de vue de l'évolution professionnelle de l'enseignant que de celui de la réflexion sollicitée chez l'élève ?

Justification de la forme fiche

La forme fiche a été retenue pour sa facilité et rapidité de lecture. Non qu'on laisse croire à l'enseignant que, les ayant lues, il dominera suffisamment l'activité. L'idée est plutôt double :

1/ lui permettre de se lancer, commencer, en ayant en tête des points de repère qu'il pourra mobiliser dans la pratique réelle. L'un des inconvénients habituels, lors d'une formation, est que l'intervenant, faute de temps, risque d'accumuler les informations transmises, dans l'hypothèse qu'à tête reposée, ceux qu'il forme reliront leurs notes, les ordonneront en fonction de priorités. Mais comment le feront-ils dans une activité dont la nouveauté consiste précisément en ce que l'on n'en connaît pas les éléments déterminants ? L'application qui s'ensuit est alors souvent délicate, l'enseignant en situation de stress, inquiet de " perdre le contrôle " de sa classe (c'est particulièrement vrai pour une activité centrée sur l'oral, souvent plus difficile à gérer), se trouve en situation de " surcharge cognitive " : il " sait " beaucoup de choses, cette quantité non ordonnée l'empêchant alors de focaliser son activité sur ses éléments clés, de gérer la situation pédagogique pour la faire progresser ;

2/ Que cet essai -c'est primordial- ne se fasse pas au détriment des élèves, confrontés à un enseignant perdu, au détriment de la qualité d'éducation à laquelle ils ont droit.

Prenant en compte ces éléments, deux types de fiches ont été élaborés, l'un concernant l'activité en général, l'autre le support proposé chaque mois.

Les fiches générales

En plus d'un texte explicatif général, permettant aux enseignants de se repérer dans le fonctionnement du site, des fiches s'appuyant sur ce qu'il connaît professionnellement sont proposées. Il s'agit de donner des points de repères simples. L'expérience de la formation continue avait permis aux concepteurs des fiches d'identifier deux questions principales posées prioritairement par les enseignants intéressés :

- comment l'activité s'inscrit-elle dans les attendus institutionnels ("  C'est nouveau, cela a l'air intéressant, mais avons-nous le droit de le faire ? ") ;

- quelle peut être la place de l'enseignant, son rôle, s'il s'agit de permettre aux élèves de réfléchir ? ("  Puis-je intervenir sans les conditionner ? ").

La pratique de la formation a permis d'identifier qu'à ces deux questions légitimes, et en sus du manque de pratique, on pouvait en ajouter une troisième concernant un élément mal identifié par les enseignants au départ, concernant une activité d'oral et d'échange : la question de la préparation. Soit qu'on pense qu'il ne peut pas y avoir de préparation pour laisser libre cours à la réflexion des élèves, soit au contraire qu'on souhaite tout préparer pour les guider vers le concept.

Pour y répondre, trois fiches générales sont proposées sur le site: " les compétences travaillées ", " Préparer son travail ", " Le(s) rôle(s) du maître ".

a/ Les compétences travaillées

L'enseignant doit légalement inscrire son action dans le cadre des attendus institutionnels auxquels il a été formé. C'est donc un souci réel que de permettre aux enseignants de positionner institutionnellement ces activités. Comment faire dans le cas d'ateliers novateurs qui ne sont pas au programme ? Que ces ateliers ne soient pas au programme signifie-t-il qu'ils n'ont pas leur place dans la classe ? Une première fiche ("  les compétences travaillées ")vient positionner institutionnellement ce travail, en lui indiquant ce repère familier et lui montrant l'éventail des possibilités ouvertes. On a identifié par domaine d'apprentissage les compétences travaillées, en hiérarchisant par ordre d'importance. C'est ainsi par exemple que l'activité est présentée comme s'inscrivant prioritairement dans le domaine  " Le langage au coeur des apprentissages ", avec comme compétences fortes des compétences de communication, l'utilisation du langage d'évocation, des compétences concernant le langage écrit qui vont être décrites, et permettent d'identifier que les choix sont nombreux, qu'il faudra donc identifier spécifiquement les objectifs visés à chaque séance.

b/ Préparer son travail

Une deuxième fiche permet de clarifier la nature du travail de préparation qui sera proposé chaque mois. De fait, la position adoptée dans ce travail s'inscrit médiatement entre deux conceptions possibles du travail dans des ateliers à visée philosophique, caricaturées ici faute de place : une première conception, par respect pour l'élève comme "  interlocuteur valable 4 ", et pour lui permettre de vivre vraiment l'expérience de pensée, choisit de créer un cadre de confiance où l'espace de parole lui sera ouvert, sans intervention du maître, pendant une durée de dix minutes, avec la difficulté pour beaucoup d'enseignants de situer leur place, particulièrement quand des propos irrecevables seraient tenus par des élèves, lorsque le sujet n'est pas traité, ou de façon très superficielle. La logique de cette forme de travail ne conduit pas à envisager un travail de préparation d'une séance dont il ne peut savoir où elle va conduire. Une seconde conception voudrait, par souci de progrès " conceptuel " des élèves, des préparations fortes et philosophiques, mises en oeuvre par un maître formé à la philosophie pour guider la démarche5, au risque cependant d'enfermer les élèves dans la préparation.

La position retenue dans le cadre de l'accompagnement par fiche, pour guider le travail de préparation, est plutôt médiane. C'est celle d'un maître médiateur 6, s'appuyant sur des perspectives socio-constructivistes7 de l'apprentissage, qui laisse d'abord ses élèves s'exprimer, peut intervenir ensuite, essentiellement sous forme de questions (solliciter des exemples pour expliquer ce qu'ils veulent dire et commencer à le justifier), pour leur permettre de se questionner à nouveau (problématiser les propos) et progresser dans l'identification de notions (par opposition ou comparaison), leur ouvrir de nouvelles pistes, leur permettre de construire des liens avec ce qu'ils connaissent pour que cela prenne sens.

La fiche générale permet de répondre à un risque posé par les fiches spécifiques : laisser penser aux enseignants que tout est prêt, qu'il ne reste plus qu'à appliquer, suivre pas à pas, sans aucune réflexion. Il s'agit plutôt qu'ils comprennent qu'elle est là pour les rassurer, mais ne doit pas conduire à rigidifier leur travail au nom de la qualité de ce qui y est proposé, par rejet de toute initiative personnelle, d'adaptation. Mais mettre en oeuvre ce type d'activité, permettre réellement aux élèves d'y réfléchir ne peut pas se faire si tout est prévu à l'avance : comment laisser penser à des élèves que ce qu'ils disent est intéressant, si finalement on s'y attendait dès le départ de l'activité, si les questions qu'on leur adresse ont déjà trouvé réponse ? On ne peut pas penser par ailleurs que toutes les classes travailleront de la même façon, seront intéressées par les mêmes problématiques à partir d'un même support, sur un sujet commun. Enfin, chaque situation de classe nous indique l'extrême particularité de chaque élève. Les questions proposées dans les fiches d'accompagnement ont donc des statuts différents, des objectifs multiples qu'il s'agit de faire saisir à l'enseignant. Le but est finalement qu'il fasse de ses interventions l'objet d'un choix pédagogique qui réponde au mieux au souci de permettre à ses élèves de s'inscrire dans une activité ouverte (en posant des questions plus qu'en proposant des réponses), qui répondra à ses objectifs, en fonction de la diversité des situations de classe, des élèves (des questions plus descriptives pour des élèves qui auraient des difficultés à s'exprimer, des questions plus implicantes pour des élèves plus familier de l'oral par exemple), des problématiques abordées spontanément dans la classe (des questions orientées selon des thèmes différents).

S'il n'est pas détenteur de toutes les réponses, s'il doit laisser les élèves parler, quels peuvent être les rôles du maître ?

c/ Les rôles du maître

Une troisième fiche va permettre d'identifier six rôles possibles du maître : préparer la séance, organiser le cadre de la séance dans la classe, organiser la réflexion, organiser la prise de parole, permettre à chaque élève de ressaisir ce qui a été dit, faire le lien. Chaque rôle, présenté par son intitulé pour être mémorisé, sera ensuite détaillé pour qu'il prenne sens. Ainsi, par exemple, la position théorique d'un maître médiateur sera ici illustrée dans la description de troisième rôle :

" Première idée : que le maître, après avoir proposé l'activité, n'intervienne toujours que dans un second temps, après avoir laissé les élèves s'exprimer ;

Seconde idée : que le sens de son intervention soit plutôt d'abord de faire rebondir la réflexion en posant des questions ouvertes, plutôt que de transmettre des éléments déjà prêts et achevés (d'où les questions proposées dans les fiches d'accompagnement) ;

Troisième idée : que ces questions soient organisées en fonction de ce qui s'est passé dans la classe durant le premier temps, soit pour déclencher la parole si les élèves n'ont rien dit (questions descriptives) ; soit pour approfondir selon un axe qu'ils ont évoqués, et/ou pour élargir la modalité de la réflexion

Quatrième idée : qu'il prenne en compte la diversité des élèves, tous n'ont pas nécessairement la même facilité ou la même habitude de parole. Sans les forcer à parler, il peut cependant parfois solliciter les élèves qui ne parlent jamais, au risque sinon qu'ils pensent que c'est indifférent. Certains d'entre eux ont également plus de mal à se repérer dans ce qui est dit, il peut donc intervenir périodiquement pour en faire une petite synthèse. " On constate que les conseils sont brefs, les éléments importants identifiés typographiquement, pour " fixer " les idées.

La brièveté de ces fiches générales, au regard de la complexité des pratiques, nous indique qu'elles ne sont pas suffisantes. Elles n'ont pour rôle que d'introduire à la pratique en en indiquant les points essentiels de façon brève, pour pouvoir être mobilisées dans l'action. Elles trouvent directement écho dans les fiches proposées chaque mois.

L'organisation du travail d'aide par les fiches : l'exemple du travail sur l'amitié

Des fiches qui ne fassent qu'exposer des données, des réponses à exploiter ensuite en classe, pourraient sembler en contradiction avec les objectifs de réflexion voulus pour les élèves, et dans lesquelles chaque maître avec ses particularités doit s'inscrire. On a préféré proposer des fiches adaptées à chaque image, conçues selon un modèle spécifique pour favoriser par des questions simples ses compétences correspondantes en identifiant les propositions aux questions qu'il se pose le plus souvent. La fiche d'accompagnement d'une image concernant l'amitié nous permettra d'en saisir les modalités.

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Qu'est ce qui se joue dans cette thématique ?

Il s'agit de lui permettre de comprendre en quoi aborder ce sujet peut avoir de l'importance, l'idée étant qu'un enseignant qui ne saisit pas les enjeux d'une pratique risque de ne pas s'y investir pleinement, et de la disqualifier par son attitude dans l'esprit même des élèves. Pour autant, si les enjeux sont importants dans l'absolu, une école centrée sur le progrès de l'élève doit plutôt lui permettre qu'il se centre immédiatement sur les objectifs possibles pour l'élève. Concernant l'amitié, les enjeux identifiés, puis expliqués  sont : mettre des mots sur un ressenti, de façon à progressivement l' identifier en le nommant " ; " exprimer la difficulté de cette mise en mots (particulièrement concernant ce sujet " affectif ") " ; " découvrir ou mettre en évidence qu'il n'est pas le seul à éprouver ce sentiment " ; "  préciser ce sentiment en le nuançant  au regard d'autres sortes d'amour : l'amour familial (parental, filial, fraternel), le sentiment amoureux, l'amitié, le copinage, l'attachement aux animaux, aux objets ; en le problématisant: l'amitié se conclut-elle d'un raisonnement ? ; "  travailler en continuité pour approfondir le travail déjà réalisé précédemment sur l'amour (pas nécessairement mesurable en termes de quantités, mais il y a pourtant des niveaux d'amour) ".

Quels sont les points-clés, les principales notions abordés par les grandes images ?

Il s'agit de permettre à l'enseignant de pouvoir utiliser au mieux le support proposé, d'ouvrir la lecture qu'il pourrait avoir a priori de ces images. Leur construction est complexe, car elles doivent à la fois proposer une entrée simple, accessible, " parlante ", tout en n'enfermant pas la réflexion des élèves dans les propositions faites. Or le risque serait que l'enseignant se cantonne à un stricte commentaire de ce qui est le plus apparent, sans permettre aux élèves d'ouvrir leur réflexion à d'autres perspectives. La construction de l'image se fait progressivement par le croisement, à partir du choix d'un sujet, entre les perspectives philosophiques ouvertes par la question, des éléments choisis pour proposer des pistes par l'image9 sans enfermer la réflexion, des essais faits avec une classe au moins pour voir si cela " fonctionne ", c'est-à-dire si image et texte sont compris et suscitent des commentaires riches. L'image sur l'amitié montrait deux aspects apparemment contradictoires de l'amitié : la recherche de celui avec qui je peux partager, parce nous avons des points communs, des proximités, et dans le même temps le partage avec celui qui est différent.

Il s'agit également de permettre à l'enseignant de comprendre les premières bases philosophiques sur lesquelles elles ont été construites, qui ont guidé le choix de certains détails, pour qu'il puisse " mieux " (de façon plus riche) pouvoir les faire lire si la nécessité se présente, mettre éventuellement en évidence un élément qui viendra réinterroger les conceptions des élèves, mieux maîtriser ces points de repère (des concepts, des problèmes, des argumentations brièvement indiquées). Il ne s'agira évidemment pas qu'il fasse ensuite un cours, mais qu'il comprenne d' " où " viennent les questions qu'il pourra proposer, leur " sens ".

Une question, en soi, n'est peut-être pas nécessairement significative d'un questionnement philosophique. La proposition faite dans la fiche peut ne pas être exactement adaptée à la classe concernée. Si l'enseignant comprend le " sens " d'une question par rapport au thème, il pourra plus facilement en moduler la forme, voir l'abandonner si elle n'est pas adaptée à la situation de sa classe. Concernant la fiche sur l'amitié, on insistera sur les différentes formes de l'amour, l'idée d'intérêt pour l'autre, la proximité. On précisera par ailleurs des éléments concernant la ressemblance et la différence : l'amitié : une ressemblance absolue ? On rappellera que se ressembler n'est pas être identique, qu'une différence n'est pas non plus nécessairement source d'une rupture. L'affiche conduira plutôt à penser en termes de tendances à l'identité ou la différence, dont on identifiera avantages et inconvénients tout en interrogeant l'idée d'un calcul (ou d'une réflexion, d'un choix) à la source de l'amitié.

L'affiche concrétisera la présentation de différences ou ressemblances " externes ", que l'échange permettra de développer par l'évocation du sentiment " interne ", profond, avec des expériences, des goûts, des objectifs, des analyses qu'on a plaisir à échanger.

Comment peut-il utiliser son expérience pour préparer l'échange ?

L'enseignant ne part pas de rien par rapport au sujet posé, et comme personne, et comme enseignant. Comme personne, le statut de ses " acquis " peut être problématique, s'ils ne sont pas identifiés comme tels : soit que l'enseignant s'appuie implicitement dessus pour intervenir, sans s'en rendre compte, au risque d'enfermer les élèves dans ce qu'il pense, soit qu'il n'identifie pas qu'il a ces acquis et ne voit pas en quoi ils peuvent l'aider à comprendre ou interroger ses élèves. Des questions vont donc lui permettre de se saisir du sujet au regard de son expérience propre, qu'elles amèneront à préciser ou questionner. Par exemple, pour l'amitié, on lui demandera de réfléchir à partir de ses amitiés : leur origine, comment les comprendre, leur nature. A l'opposé, si la source de l'amitié est difficile à identifier, la source d'une inimitié est peut-être plus facilement rationalisable : qu'est ce qui condamnerait l'amitié ?

Son expérience professionnelle va être sollicitée, parce qu'elle peut l'amener à identifier des situations de classe en écho avec le sujet, qui seront parlantes pour les élèves. On n'en citera que quelques-unes : "  Y a-t-il dans la classe des enfants qui sont amis ? A quoi cela se voit-il ? Les enfants ont-ils déjà " lu " des livres ou vu des films en classe où est abordée l'amitié? Quels livres ? Qu'est ce qui en était dit ? Y a-t-il déjà eu des anecdotes liées à l'amitié dans la vie de la classe ? A l'égard de qui : de la maîtresse, d'un ami, d'un amoureux ? Pour quelles raisons ? "

Quels types de questions l'enseignant pourra-t-il poser ? La fiche générale concernant les compétences travaillées lui a permis de saisir l'intérêt pédagogique de types de questions possibles, en fonction des élèves. On lui en donne ici des illustrations,pour qu'il puisse organiser facilement des interventions pertinentes.Il ne s'agit pas de le laisser penser qu'il doit absolument suivre toutes les questions et ne suivre que ces questions. D'où une formule, présente systématiquement sur chaque fiche :

Rappel 

Il ne s'agit ici que d'exemples possibles de questions ;

on ne doit pas poser toutes les questions, ni les poser dans l'ordre, on cherche juste à permettre l'expression des élèves et l'élaboration d'une pensée. "

Deux grands axes guident ces propositions :

- par rapport aux facilités des élèves pour s'engager dans la parole, on proposera d'abord des questions descriptives, s'appuyant sur l'observation de l'image support, peu implicantes pour la personne. Par exemple pour l'amitié : "  Qu'est ce qui est dessiné sur l'affiche ? Que fait tel personnage ? Que fait tel autre ? (insister en particulier sur la différence entre les deux personnages de droite, sur la dissemblance physique ( trompe de l'éléphant qui permet le jeu, du côté droit de l'affiche) ? Comment est tel personnage (s'intéresser en particulier, concernant le côté gauche de l'affiche, aux ressemblances entre les deux personnages) ? Qu'est ce qui est pareil des deux côtés de l'affiche ? Qu'est ce qui n'est pas pareil ? ". Viendront ensuite des questions qui l'amènent à s'impliquer davantage, à émettre un jugement, à donner une appréciation ou faire des hypothèses : "  Qu'est ce que tu penses de cette affiche ? De tel personnage ? Aimerais tu plutôt jouer avec les personnages de droite, ou avec les personnages de gauche ? Pourquoi ? Côté droit : aimerais-tu plutôt être le singe, ou l'éléphant ? Pourquoi ? L'éléphant et le singe peuvent-ils inverser les rôles ? Pourquoi ? Est-ce grave ? À ton avis, resteront-ils quand même amis s'ils s'aperçoivent que ce n'est pas possible ? ", etc.  

- Par rapport aux axes " conceptuels " possibles, on partira de questions portant directement sur l'affiche (par exemple sur le côté gauche. : "  Que font les deux personnages ? Pourquoi les deux personnages sont-ils contents à ton avis ? Est-ce que tu aimerais toi aussi avoir des amis qui te ressemblent beaucoup ? Pourquoi ? ") ; en passant par des questions faisant le lien entre ce thème et la vie personnelle et scolaire de l'élève (" As-tu un ami hors de l'école ? Comment es-tu devenu ami avec lui ? As tu remarqué que des camarades étaient amis dans l'école ? Lesquels ? À quoi l'as tu vu ? Est-ce que ton ami aime toujours les mêmes choses que toi ? Qu'aimes-tu faire avec tes amis ? Y a-t-il des choses que tu fais avec tes amis, et pas avec des copains ? Y a-t-il des choses que tu n'aimerais pas faire avec un ami ? Que se passe-t-il, dans ta tête, quand tu rencontres un ami ? Et quand tu le quittes ? ", etc.

Il peut arriver sur certains sujets qu'on soit conduit à réinterroger les pratiques de classe ou familiales, par exemple dans un sujet sur l'erreur ("  Et la maîtresse (le maître...), fait-elle (il) parfois des erreurs ? Et les papas et mamans ? "). Les questions chercheront ensuite à s'inscrire dans les logiques de pensée d'un enfant, faire un premier pas vers le concept dans la logique d'une construction par contraste 10, des questions procédant essentiellement par opposition stricte ou, plus nuancées, par comparaisons : "  C'est quoi la différence entre un ami et quelqu'un que tu détestes ? C'est quoi la différence entre ton animal préféré et ton meilleur ami ? Entre ton meilleur ami et un copain ? Entre ton meilleur ami et ton amoureux (se) ? Entre les gens de ta famille et tes amis ? Avec quel genre de personne connue ne pourrais-tu pas être ami ? Pourquoi ? Avec quelle personne connue aimerais-tu être ami ? Pourquoi ? ").

Comment conclure le travail ?

Il s'agit que l'enseignant permette aux élèves de ressaisir l'échange.Cela se fera, d'une part par des propositions d'activités collectives (par exemple "  Qu'est-ce qu'on a dit ? Proposer un mot (adjectif) pour dire ce qu'est ou ce que n'est pas un ami, faire une poésie énumérative : " un ami, c'est...mais un ami, ce n'est pas... ")et par une ressaisie individuelle selon des modalités diverses pour permettre à des élèves structurés différemment de s'y retrouver (par exemple par le dessin : "  Chacun va dessiner son meilleur ami " ; par un jeu sur la notion de ressemblance, à partir d'un des personnages de l'affiche, et d'animaux découpés (photocopie) : " Ce personnage ne veut être ami qu'avec ceux qui lui ressemblent. A ton avis, avec quel personnage pourra-t-il peut-être être ami ? Colorier les animaux possibles, entourer ce qui fait qu'ils se ressemblent ".

Ici, on signalera qu'il peut ne pas y avoir de " bonne " réponse, l'intérêt étant de faire justifier en identifiant des ressemblances qui peuvent être très générales : ils ont tous des yeux par exemple...

Des réunions de concertation montrent que les enseignants de maternelle manifestent leur intérêt pour cet accompagnement, qui semble bien répondre aux questions qu'ils se posent en les guidant pour une pratique effective. Ils se lancent et... poursuivent leur effort. Ils souhaitent à présent échanger avec d'autres, pour les aider ou au contraire les solliciter. C'est pourquoi il est envisagé, dans le cadre d'un partenariat avec l'UNICEF et les éditions Belin, de proposer bientôt un site d'échange, où par ailleurs seraient examinées certaines questions récurrentes, périodiquement, par un " spécialiste ", pour proposer une aide.

Bibliographie

  • BARTH, B.-M., L'apprentissage de l'abstraction, Paris : Retz,1987, 192 p.
  • PETTIER, J.-C., La philosophie en éducation adaptée : utopie ou nécessité ?, Thèse : Sciences de l'éducation, Université Strasbourg M. Bloch, 2000, 767 p.
  • VYGOTSKI, L-S., Pensée et langage (trad F. SÈVE), 2è éd Paris : Messidor / éditions sociales, 1985, 416 p.
  • SITE : www.pommedapi.com

(1) L'intérêt des enseignants pour ces fiches, combiné avec la facilité d'utilisation du support papier, a conduit nombre d'entre eux à pouvoir aussi bénéficier, en les payant, de fiches imprimés, ce qui est désormais possible.

(2) Ce dont témoignent auprès de la revue des lecteurs du journal qui enseignent en maternelle. Il ne s'agit pas pourtant d'affirmer que, magiquement, toute pratique devient possible par la simple lecture de la revue et des fiches. Les concepteurs de la rubrique ont fait des choix pédagogiques qui font débat, comme par exemple celui d'un guidage par l'enseignant (on y reviendra).

(3) Sur la mise en place d'un processus de formation, on consultera le DVD réalisé pour le Centre International d'Etudes Pédagogiques (CIEP) (à paraître en 2008) Pettier, J-C (resp).

(4) L'expression admirable est de J. Lévine. Les quelques lignes descriptives d'un atelier sans intervention du maître cherche à préciser ce qu'il propose dans le cadre de l'atelier de philosophie de l'AGSAS. Qu'il nous pardonne d'en traiter si superficiellement !

(5) Cette seconde position, en particulier concernant la nécessaire formation du maître et son rôle de guide, nous semble proche de celle défendue par A. Lalanne, à nouveau trop simplifiée ici...

(6) Cette perspective est, pour une part importante, guidée par la réflexion sur le rôle du médiateur dans les programmes de remédiation cognitive du type du Programme d'Enrichissement Instrumental de R. FEUERSTEIN, qui avait précédemment inspiré une part du travail proposé en enseignement spécialisé dans le cadre de : PETTIER, J-C (2000).

(7) En particulier VYGOTSKI (1987).

(8) Avec l'aimable autorisation de Pomme d'Api.

(9) L'image au départ est souvent conçue de façon très complexe, avec des " détails " multiples pour ouvrir la réflexion, puis progressivement simplifiée pour ne retenir que quelques éléments correspondant mieux visuellement à une exploitation dans la situation collective de la classe.

(10) On fait ici référence aux remarquables travaux de B-M. BARTH (1987) concernant l'induction guidée par contraste.

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