Revue

Pourquoi participer à un café-philo ? Le café-philo comme auberge espagnole

Nombre d'articles ont été écrits sur l'animation d'un café philo, mais peu sur les participants, mis à part deux ou trois études de type sociologique.

Sans doute y a-t-il autant de motivations et d'implications que de participants, sans compter que les unes et les autres peuvent varier d'une séance à l'autre en fonction de différents paramètres (sujet, animateur, lieu, participants, etc.).

On peut tenter une typologie :

  • celui qui vient parce qu'il a vu de la lumière, ou qui était en train de consommer quand le café-philo a commencé : il écoute quelques minutes puis s'éclipse, avec peut-être l'idée que tous ces gens se compliquent bien la vie pour pas grand-chose ;
  • celui qui vient parce que le sujet du jour fait partie de ses préoccupations spécifiques : c'est souvent un militant, il est très réactif, passe souvent outre les règles de fonctionnement, il a du mal à concevoir la controverse parce qu'il est empli de convictions, mais il apporte des informations pointues ;
  • il y a l'habitué, le fidèle, celui dont le style est bien connu. La catégorie des habitués se subdivise en trois sous groupes :
  1. ceux qui développent une prise de position que l'on sent marquée par le désir d'être " idéologiquement correct " ;
  2. ceux qui ont une entrée, une grille de lecture spécifique qu'ils mettent à l'épreuve sur tout type de sujet (économie, sociologie, politique, psychanalyse etc.);
  3. enfin ceux qui viennent surtout pour la convivialité, ce qui ne les empêche d'ailleurs pas d'avoir une réflexion pertinente.

Cette typologie est centrée sur la plus ou moins grande assiduité, mais on pourrait en concevoir d'autres : selon l'implication dans le débat par exemple, et là le panel va de celui qui assiste en spectateur, à celui qui a fait des recherches préalables, en passant par celui qui est très passionné mais ne s'autorise pas à parler, ou celui qui n'avait pas d'idées a priori mais se laisse progressivement interpeller par les arguments échangés.

Liberté de penser un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout...

En tout cas il est évident que les postures sont très variables et que la manifestation de ces différences dans un dispositif qui fait place à beaucoup de liberté doit être un atout, comparativement à d'autres lieux d'activité philosophique (scolaire, universitaire, comme les conférences et les colloques où les styles sont contraints). De même que pour chacun et pour tous (excepté peut-être pour l'animateur), il n'y a d'obligation ni de moyen, ni de résultat, pas de pré-requis, pas d'obligation de balayer l'ensemble du sujet, d'avoir toutes les références, d'arrêter une conclusion. De sorte que la pensée du groupe, qui va un peu " à sauts et à gambades " (Montaigne), envisage des aspects du problème qui n'auraient pas été soulevés par une démarche plus classique.

Le participant est toujours libre de se mettre au travail, de peaufiner son propre objet de réflexion à partir du sujet proposé, de se laisser déstabiliser par la controverse, de solliciter son aspiration à la vérité. Le dispositif café-philo crée les conditions pour qu'émerge le désir de penser : se saisir de l'objet de réflexion et se mettre en demeure de le travailler collectivement. Même s'il y a des règles contraignantes (par exemple les tours de parole réglés), la place de la liberté est grande. Encore faut-il ne pas se laisser voler cette liberté par des contraintes imaginaires : désir de prestance, peur de dire des bêtises, compulsion à contredire, ou à se manifester même si on n'a rien à dire, etc.

Côté plaisir...

Un petit mot sur la convivialité : elle peut être affective, on vient voir les copains ; mais elle peut être aussi intellectuelle (" l'amitié philosophique " d'Épicure). De la même manière que tous les membres du groupe ne sont pas mes amis, je n'accueille pas toutes les interventions avec le même intérêt (c'est sans doute regrettable !), mais certains intervenants vont, je le sais, ensemencer ma pensée. La pause est l'occasion de m'adresser à ces personnes-ressources pour tester une idée ou aller chercher une petite graine de pensée.

Il y a aussi les moments féconds qui viennent de la surprise de la rencontre avec un point de vue différent, la pensée devient aventureuse, il y a du risque, il y a du frisson...

Plaisir de se faire une opinion sur un sujet : ce n'est sans doute pas avoir trouvé le fin mot de l'histoire, les hommes les plus éminents ne l'ont pas fait depuis des millénaires, non c'est plutôt pouvoir dire : voilà ce que je tiens pour vrai après réflexion, même s'il y a des points qui me semblent encore obscurs ou litigieux. Quand j'en arrive à cela, je sais que je vais être habité encore par cette hypothèse, que j'aurai encore envie d'en parler, d'y repenser, de lire...

En conclusion, le café philo est l'auberge espagnole de la pensée, chacun y apporte en fonction de ses compétences et de ses disponibilités pour mitonner les idées : le repas final est toujours très varié, souvent délicieux, pas forcément équilibré.

Télécharger l'article