Cette étude complète le compte rendu des journées d'étude de l'Acireph sur la problématisation, que l'on trouvera dans ce numéro.
Le tableau suivant récapitule les conseils méthodologiques donnés par les auteurs des dix manuels de philosophie pour les classes de terminale des séries technologiques édités à l'occasion de l'entrée en vigueur du "nouveau" programme, concernant deux points de méthode :
- la définition de la problématisation et les moyens de l'effectuer;
- le traitement de la dernière question du sujet texte1 (appelée aussi bien, et cela est symptomatique de l'incertitude : "essai", "mini-dissertation" ou "sujet de réflexion").
Ces deux points sont liés car, si l'on trouve le plus souvent le premier développé dans la partie de la méthodologie consacrée à la dissertation (sujets 1 et 2 du baccalauréat), il concerne aussi la réalisation de la réponse à la dernière question du sujet 3 (sujet-texte). Notre méthode a consisté à citer le plus fidèlement possible les auteurs (chaque manuel étant désigné par le nom de l'éditeur et celui de l'auteur ou du premier des auteurs, suivant les cas) et de résumer leurs propos quand ceux-ci étaient trop longs pour figurer intégralement dans notre tableau.
Sans prétendre juger chacune de ces propositions méthodologiques, permettons-nous, cependant, quelques remarques :
- il faut noter, tout d'abord, l' aspect éthique des conseilsconcernant le point 1 (la palme du laconisme revenant au manuel édité chez Magnard, puisqu'il n'y a rien sur nos deux points et sur la méthodologie en général, ce qui montre bien toute la considération qu'ont les auteurs, proches de par leurs fonctions des corps de l'Inspection de philosophie, pour la pédagogie et les attentes réelles des élèves). À leur lecture, il semble difficile de croire qu'un élève puisse comprendre en quoi consiste l'opération mystérieuse de la problématisation.
- De plus, on note de sérieuses divergences dans la conception même de la problématisation : c'est le problème lui-même, c'est la découverte de ses présupposés ou de ses enjeux plus ou moins cachés, c'est encore l'exposé des difficultés et contradictions inhérentes au sujet. Ce flou et ces contradictions sont la résultante logique d'un manque de réflexion de notre profession, cumulé à un déni de la part de nos représentants officiels. En effet, un consensus flou et mou (il faut analyser le sujet et ses termes, il faut étudier les paradoxes, difficultés et contradictions liés au sujet...) masque mal une incertitude fondamentale à propos des buts et des modalités concrètes de l'acte de problématisation. Il nous faudrait avec précision définir ce que sont une question, un problème et une problématique pour pouvoir dire en quoi consiste la fameuse problématisation et sérier les étapes de son effectuation. On notera d'ailleurs au passage que certains auteurs parlent de construire une problématisation, alors que d'autres, de manière implicite ou explicite, la considèrent comme déjà donnée.
- Les divergences concernant le deuxième point de méthode sont encore plus importantes. Certains concevant cette question comme une"mini-dissertation" quasi indépendante du texte, alors que d'autres la perçoivent comme une explication de texte ouvrant sur des réflexions plus générales.Conçue probablement par les instances officielles comme un moyen pour faciliter l'épreuve d'explication de texte au baccalauréat, cette dissertation-explication-de-texte est perçue, à juste titre, par nos élèves comme une épreuve bâtarde, qu'ils traitent le plus souvent par un paragraphe ignorant le texte et leurs propres efforts explicatifs effectués grâce aux questions préliminaires. Le préliminaire est devenu de facto l'essentiel, la dernière question se transformant en une pauvre annexe bâclée.
- Il faut aussi remarquer comment ces deux manques de détermination se cumulent pour les élèves des classes techniques, devant modifier lors de l'épreuve-texte une technique de problématisation qu'ils n'ont pas acquise à l'issue de l'apprentissage de la dissertation. Ainsi, une fois encore, ce sont eux qui pâtissent de la "liberté" que s'accordent leurs professeurs de philosophie, par une servitude à des méthodes minute plus ou moins sérieuses, soumises à l'inspiration (qui, comme on le sait, favorise ceux qui culturellement ont les moyens d'être "inspirés"), ou simplement par une note négative.
Ces brèves notations, que l'on pourrait hélas étendre à l'ensemble de la méthodologie philosophique (pensons aux divergences à propos de l'explication-commentaire de texte des séries générales ou encore à la structure d'une introduction, etc.), confirment l'urgence qu'il y a à lever le secret qui pèse sur des méthodes qui devraient être discutées et définies de façon claire et publique. Ennemis déclarés de tous les obscurantismes, les professeurs de philosophie ne devraient plus réserver la révélation initiatique de leurs méthodes au public privilégié des classes préparatoires. Ce ne sont pas les récentes instructions du Bulletin officiel de l'É;ducation nationale (numéro 23 du 08/06/06) qui permettront cette clarification : elles affirment, entre autres, que les questions suivant le texte dans l'épreuve 3 du baccalauréat "n'ont pas pour but principal de vérifier ponctuellement la compréhension du texte par les candidats, mais d'abord de guider et d'aider ceux-ci dans la rédaction de l'explication." Comment peut-on expliquer un texte sans en avoir d'abord une bonne compréhension ? Que faire alors dans les questions préliminaires censées justement aider à la compréhension du texte ? Il est dit d'autre part : "La dernière question, en proposant la discussion de l'idée centrale du texte, devra permettre au candidat d'en préciser la signification et de faire apparaître le problème dont il est question" (ce qui semble, au passage, invalider toutes les interprétations de cette question comme "essai libre" ou para-dissertation indépendante du texte). Comment faire apparaître un problème qui est déjà donné dans le sujet lui-même, puisque l'idée centrale du texte et le problème dont il est question sont la même chose, ou sont, à tout le moins, très proches ? Voici ce qui arrive quand on préfère le rafistolage à l'examen radical des difficultés.
Belin/Pasquier | Bordas/Leguil-Badal | Bréal/Grataloup | Delagrave/Raffin | Foucher/Chatain |
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1 / La problématisation : Problématiser c'es " faire ressortir les paradoxes et tensions internes au sujet."/Aller du problème aux hypothèses puis aux réponses (en classant les arguments en colonnes oui et non). 2/ La dernière question de l'épreuve -texte : " ...racine méthodologique commune avec la dissertation. "/ " ...occasion de prolonger l'explication de texte et de montrer sa capacité à l'intégrer dans une réflexion critique. "/ "Plan en deux parties mieux admis que dans la dissertation " mais possibilité d'un plan en trois parties. / Pas de barème fixe, la copie est jugée dans son ensemble./ L'essai doit faire trois pages./ Exemple de plan : 1- Thèses du texte 2- Critiques argumentées |
1/ Repérer les concepts de la question/ Rechercher les concepts associés/ Reformuler la question. 2/ Même méthode pour " l'essai " que pour la dissertation mais il faut "appuyer sa réflexion sur le texte " ou des textes. |
1/ " Un problème présente plusieurs aspects, contient des dimensions différentes"/ Il faut analyser le sens des mots du sujet (qui sont comme les pièces d'un " puzzle ") et confronter les réponses possibles ("problématiser en mettant en évidence les hypothèses et arguments entre lesquels il y a débat "). 2/ " ...rédiger une brève dissertation à partir d'une question en rapport avec le texte. "/ " ...procéder comme pour une dissertation. Les seules différences sont, d'une part, que vous devez tenir compte du texte, situer votre réflexion par rapport à ce que dit l'auteur, et que vous pouvez vous servir de ses arguments, d'autre part, que cette dissertation peut être plus courte qu'une dissertation "normale" ". |
1/ Ø 2/ Ø |
1/ Problématiser c'est trouver les enjeux du problème, " ce qui fait obstacle à la possibilité de répondre"/ Etapes : identifier le problème, réfléchir, construire une solution. 2/ " Exprimez dans une mini-dissertation vos jugements personnels ", le but étant de développer une réflexion argumentée par rapport à " un problème en relation avec le texte "/ La réponse " peut s'appuyer sur le texte, sans se contenter de le paraphraser ou de le répéter "/ Il faut situer son argumentation par rapport au texte, avec la possibilité de s'opposer à ses conclusions mais en montrant qu'on les a bien comprises |
Hachette/Solal | Hatier/Consil | Magnard/Marchal | Nathan/Biaggi | Nathan/Rosenberg |
1/ " Posez une problématique qui annonce en même temps le plan de la dissertation en fin d'introduction "/ " Poser une problématique dès l'introduction " en formulant et construisant un problème. 2/ " La dernière question demande de rédiger un essai personnel, une sorte de mini-dissertation en rapport avec le thème ou l'un des thèmes du texte étudié. Cet essai pourra éventuellement établir un dialogue avec la thèse du texte, sans se réduire à la paraphraser "/ " ...on attend une analyse précise des concepts tels qu'ils prennent sens et fonctionnent dans l'argumentation de l'auteur "/ " ...on pourra exprimer ses jugements personnels, aussi bien sur le problème proposé que sur le texte lui-même, qui pourra ainsi servir d'appui à notre réflexion / L'essai doit être " plus court mais structuré comme une dissertation " (deux ou trois parties) / " ...sa qualité oriente une bonne partie de la note". |
1/ Il faut " construire une problématique c'est-à-dire le fil conducteur qui guide sa propre discussion du problème posé " selon un " ordre justifié enchaînant les arguments ". 2/ " ...la dernière question est un sujet de mini-dissertation. Rechercher dans ce cadre les questions et/ou les réflexions personnelles par lesquelles on prolongera l'explication du texte " / " Le texte doit être l'occasion d'une réflexion personnelle prenant appui sur son explication, mais ne s'y limitant pas forcément ". |
1/ " Construire la problématique d'un sujet, c'est chercher à préciser le(s) problème(s) philosophique(s) du sujet [notamment grâce à l'analyse de ses termes] et proposer un questionnement pour se donner les moyens d'y répondre " / Problématiser c'est " réfléchir sur le problème lui-même sans vouloir y répondre tout de suite " en : " supervisant " les problèmes, " distinguant " les vrais problèmes des faux, " découpant et hiérarchisant " ces problèmes, en développant les enjeux (" ...enraciner la question dans les réalités concrètes "). 2/ " La dernière question vise à prolonger l'analyse du texte par un problème plus général où vous devez prendre position en argumentant " / " La formulation de cette dernière question peut ressembler à un sujet de dissertation ". |
1/ " Décomposer le problème en plusieurs questions qui s'articulent avant d'y apporter une réponse en s'appuyant sur son analyse " / Analyser les concepts, souligner le(s) paradoxe(s) puis s'orienter vers une réponse. 2/ " La question trois porte l'attention sur un point essentiel de l'argumentation à partir duquel le candidat est invité à réfléchir librement ...elle aide souvent à repérer la thèse du texte...permet de développer la thèse de l'auteur dans des directions variées. Il appartient au candidat de privilégier une piste parmi d'autres...suppose souvent le recours à des connaissances et questions actuelles illustrant la modernité de la pensée de l'auteur". |
1/ La problématique et le problème sont la même chose / " ...c'est comprendre le problème sous-jacent à la question posée " notamment par l'analyse des termes du sujet / Exemple : préciser le sens du concept, repérer les alternatives, réfléchir sur les possibilités matérielles, retrouver les notions du programme contenues dans la question, identifier les présupposés de cette question. 2/ " ...telle une dissertation, le sujet de réflexion doit être rédigé entièrement en s'appuyant sur vos connaissances et le texte proposé à l'explication " / " ...bien que plus courte qu'une dissertation, la réponse doit être structurée de la même manière " (deux ou trois parties) / " La dernière question pose un problème auquel il faut répondre en s'appuyant notamment sur le texte " / " En fonction de la question posée, la référence à la thèse du texte peut être un point de départ, discuté par la suite, ou constituer un moment du développement " / "S'appuyer sur des exemples et des citations notamment celles du texte à expliquer ". |
(1) "La dernière question, en proposant la discussion de l'idée centrale du texte, devra permettre au candidat d'en préciser la signification, et de faire apparaître le problème dont il est question".