Revue

Des activités à visée philosophique avec des personnes dites... " déficientes intellectuelles " ?

Encore une provocation ?

Il y a moins de trente ans, en France, envisager la philosophie dans d'autres classes que la terminale relevait pour beaucoup d'une provocation : traduire le roman de M. Lipman n'avait alors pour fonction que de montrer que, dans d'autres pays, on revendiquait la pratique de la philosophie avec des enfants...

Petit à petit, par des voies diverses depuis dix ans, ce type de pratiques avec des adolescents ou des enfants en grande difficulté scolaire s'est développé. Mais on considérait qu'il s'agissait là d'une situation limite : si c'était possible dans ce cas, rien n'interdisait de penser à une généralisation, au nom d'un droit de philosopher1! Aucun élément cependant " officiellement " concernant les publics relevant du secteur médicalisé.

Jusqu'à ce qu'un premier vidéogramme, en 2001, Petit atelier de philosophie en IM Pro, viennent montrer comment l'objectif d'autonomie intellectuelle pouvait amener un enseignant spécialisé, T. Bour, à construire une pratique avec des adolescents relevant de ce secteur.

Vint alors une recherche, qui en s'interrogeant sur les possibles apprentissages résultant de ces pratiques dans le secteur de l'Adaptation et de l'Intégration Scolaires (AIS), a conduit à solliciter entre autres des enseignants volontaires travaillant en Institut Médico-Professionnel (IM Pro). Les conditions particulières de travail rendent difficiles ce type de recherche : elles seront décrites et analysées dans le premier article de ce dossier par T. Bour et J-C. Pettier. Qu'en apprend-on finalement ?

S. Huet nous décrit le public concerné et les expériences qu'elle a menées.

Un des enseignants ayant participé à notre travail, F. Chabert, nous montre ensuite comment ce type d'activité conduit à innover sur les moyens : il a été conduit à une pratique originale avec ses élèves, passant par la médiation théâtrale.

Mais comment ces pratiques, organisées en groupe, s'articulent-elles précisément aux difficultés si spécifiques et particulières de chacun des élèves ? Pour la première fois, un enseignant, M. Perrazo, les décrit en termes professionnels et en dresse le bilan. On comprend mieux par son article la spécificité du travail effectué.

Ce type de pratique, davantage accepté désormais dans le milieu de l'enseignement spécialisé, peut parfois être l'objet d'un mémoire professionnel préparant à l'obtention du diplôme spécialisé, le CAPSAIS (actuellement CAPASH) : G. Girard nous propose une synthèse de son travail, à partir de la question : " La pratique d'ateliers philosophiques en Institut Médico Professionnel peut-elle permettre aux jeunes de mieux se poser comme sujets pensants ? "

Que les enseignants formés ou en formation rendent compte de leurs pratiques est une forme d'article classique dans cette revue : il est plus original de laisser les pratiquants rendre compte, avec leurs animateurs, de ce qu'ils y font, de l'intérêt qu'ils y voient, d'autant plus s'il s'agit non plus d'apprendre à débattre, mais d'apprendre à des usagers de la psychiatrie à... animer des séances de débat ! Dans le dernier article de ce dossier, A. Bisciglia,

V. Delille et S. Brel nous décrivent le vécu intérieur de cet apprentissage.

Ce dossier n'est qu'un début : notre revue, en rendant compte de ces expériences, veut rendre hommage à ces praticiens qui, en refusant de cantonner les pratiques à visée philosophique à certains milieux, en réinterrogeant par là même leurs pratiques professionnelles, renouvellent certes notre approche du secteur de l'Adaptation et Intégration Scolaires mais surtout... de l'Humain, et donc de nous-mêmes.


(1) C'est sur ce droit que se fonde la thèse de J.C. Pettier, La philosophie en éducation adaptée : utopie ou nécessité ?, université de Strasbourg 2, 2000.

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