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Japon : l'éducation au débat et à la philosophie

Dans cet article, je commencerai par résumer la situation actuelle de l'enseignement de la philosophie dans l'enseignement primaire et secondaire et dans les universités. J'expliquerai en particulier le statut des écoles secondaires en ce qui concerne les textes de philosophie et les examens d'entrée à l'université. Nous examinerons ensuite pourquoi et de quelle manière le débat prend de l'ampleur comme méthode effective d'éducation des sciences humaines et sociales, y compris sur la philosophie et l'éthique.

LA SITUATION ACTUELLE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE AU JAPON

Le système scolaire au Japon

Tout d'abord, nous jetterons un rapide coup d'oeil au système d'éducation japonais. Le système japonais d'éducation se compose de maternelles, d'écoles élémentaires, d'écoles secondaires de premier et second niveau, d'universités, de collèges de formation spécialisée et de diverses autres écoles. Il est obligatoire de suivre une école élémentaire (6 ans) et un premier niveau de secondaire (3 ans) ou de suivre une école d'éducation spécialisée de 5 à 15 ans. Tout étudiant est obligé de passer un examen d'entrée pour accéder à une école de niveau supérieur à celui de l'enseignement obligatoire. Nous y trouvons des écoles de second niveau du secondaire (3 ans), des écoles de formation spécialisée etc. Le pourcentage d'élèves arrivant au deuxième niveau du secondaire est de 95-96 % environ. Les programmes pour les écoles élémentaires et secondaires sont définis par les " Courses of Study " publiés par le ministère de ECSST (Éducation, Culture, Sports, Science et Technologie). Les " courses of study " définissent le cadre de base des enseignements : l'objectif des sujets et le contenu de l'enseignement pour chaque classe. Quant aux institutions d'éducation supérieure, il y a les universités, les écoles de formation, les collèges de formation spécialisée offrant des cours post-secondaires, etc. Le pourcentage d'étudiants accédant à ce niveau est, de nos jours, environ 45-47 %.

L'éducation morale dans les écoles élémentaires et du premier degré secondaire

Pour l'enseignement de la philosophie, il n'y a pas à proprement parler de classe de philosophie mais seulement des classes d'éducation morale jusqu'au second degré du niveau secondaire. À ce niveau, les enseignants apprennent à leurs élèves comment juger les questions morales et comment avoir une bonne conduite morale avec le but d'enseigner la bonne citoyenneté.

Le " Course study " pour le premier niveau des écoles secondaires définit ainsi l'objectif de l'éducation morale : " L'éducation morale vise à développer la moralité comme par exemple les émotions morales, le jugement moral et la volonté de pratiquer cette morale dans toutes les activités scolaires ".

Ainsi, l'éducation morale au niveau des enseignements élémentaire et secondaire du premier degré inclut souvent un entraînement scolaire ou un complément de formation chez soi. Le " Course of study " définit le contenu de l'éducation morale de la manière suivante (Course of study pour les écoles secondaires de premier niveau 1999) :

  1. Concernant soi-même : prendre de bonnes habitudes, se maintenir en bonne santé physique et mentale, faire preuve d'espoir, de courage et de détermination, d'indépendance et du sens des responsabilités, poursuivre la vérité et des idéaux, développer sa personnalité.
  2. Concernant les relations avec les autres : être poli envers autrui, aimer l'humanité, considérer et apprécier autrui, cultiver l'amitié, respecter les personnes de l'autre sexe, respecter les différences et les personnalités.
  3. Concernant la nature et la vie : aimer et protéger la nature, respecter les animaux et les vies humaines, croire au sublime de la vie.
  4. Concernant le groupe et la société : contribuer à la société, comprendre le sens des lois et les respecter, avoir le sens du devoir commun et de la solidarité, respecter la justice et la " fairness ", réaliser une société sans discrimination ni préjudice, comprendre l'importance du travail et du service social, aimer et respecter la famille, l'école, la région et le pays, contribuer à la paix et au bonheur universel.

L'éducation philosophique dans l'enseignement secondaire de second niveau

Dans les écoles secondaires de second niveau, la philosophie est enseignée dans la classe de Rinri (morale) qui est elle-même une matière de Komin (civisme, ou éducation civique). Le Komin comporte trois matières : société contemporaine (sociologie), éthique, politique et économie. Comme suggéré par le nom, l'importance est donnée, en classe d'éthique, aux questions de la vie, de la morale et de la politique, plutôt qu'aux questions philosophiques comme la métaphysique, la vérité et la connaissance, la science, la relation corps-esprit etc. En ce sens, la philosophie est la prolongation de l'éducation morale qui est offerte aux premier et second degrés du secondaire. L'éthique est en général une matière optionnelle. Le cours d'éthique a lieu habituellement une heure par semaine durant une année au second degré de l'enseignement secondaire.

Nous allons, à ce niveau, donner une vue générale de ce qui est enseigné dans la classe d'éthique à partir de la table des matières d'un livre de classe typique :

Ethics (édition revue) publié by Suken publisher, 2001 :

Part I - L'adolescence face à l'art de vivre en être humain

Chapitre 1 : Les problèmes de la jeunesse et de la construction du moi : qu'est-ce qu'un être humain ? La société contemporaine et la signification de l'adolescence. L'humanité et la construction de la personnalité.

Chapitre 2 : Conscience de notre humanité : philosophie grecque, religion chrétienne, religion islamique, philosophie indienne ancienne et Bouddhisme, philosophie chinoise et confucianisme, l'art et la vie.

Part II - Société et éthique contemporaine

Chapitre 3 : Caractéristiques de l'humanité et de la société contemporaine : réflexions sur l'approche rationnelle de l'homme, la relativité des valeurs, les problèmes de notre société.

Chapitre 4 : Éthique dans la société contemporaine : rationalité et dignité de l'être humain (Renaissance, la Réforme, Bacon, Descartes, Pascal, Kant, Hegel, existentialisme), les sciences et l'homme (formation des sciences modernes, pragmatisme, la technologie dans notre société, le respect de la vie, la bioéthique), la société démocratique et l'individu (droits naturels et contrat social, utilitarisme, socialisme), vers la démocratie adulte (discrimination et droit humain, la participation dans la société et le service social).

Part III - La globalisation et la conscience d'être japonais.

Chapitre 5 : L'environnement et la vision japonaise

Chapitre 6 : Introduction à la culture japonaise et à la pensée étrangère : introduction et développement du bouddhisme, le bouddhisme dans la culture japonaise, la pensée japonaise au 17 e-18e siècle (développement du confucianisme, redécouverte de la pensée et de la culture du Japon ancien, la pensée du peuple, la pensée à la fin du gouvernement Tokugawa Shogunate), la philosophie du Japon moderne (siècle des Lumières et début de la pensée démocratique, retour de la religion chrétienne, civisme, éveil de l'individualisme moderne, Nishida et naissance de la philosophie japonaise, développement de la démocratie à l'ère Taisho : 1912-1926, les idées au début de l'ère Showa et l'ultra-nationalisme, situation et problèmes actuels).

Chapitre 7 : Les Japonais dans le monde : globalisation et paix internationale, environnement, problèmes de la technologie, globalisation et contribution internationale.

Le livre d'étude mentionné est seulement un exemple, une douzaine d'éditeurs publient leurs différents livres d'études sur la morale. Il n'y a pas, cependant, de grosses différences entre eux. Ils traitent, en général :

  • des anciennes idées qui caractérisent les principales civilisations telles que la philosophie grecque, le christianisme, l'Islam, le bouddhisme, et le confucianisme ;
  • de philosophie occidentale, en particulier après la Renaissance ;
  • de la philosophie japonaise, y compris la vision de la nature, de l'homme et de la société tels qu'ils apItemissent dans les romans, les essais littéraires et la poésie ;
  • des problèmes moraux de la société contemporaine, tels que la bioéthique, l'environnement, la morale internationale, etc.

Caractéristiques des livres d'étude et de l'éducation de la philosophie dans les écoles secondaires au Japon

D'abord, tout livre d'étude pour les écoles élémentaires et secondaires doit recevoir l'autorisation du ministère de l'ECSST. Au niveau élémentaire et premier niveau du secondaire, ces livres sont gratuits, et au niveau supérieur du secondaire, à un très bas prix. Les enseignants à ce niveau utilisent souvent un livre supplémentaire.

Afin probablement de réduire son prix, le livre d'étude est très mince. Néanmoins, on y trouve toutes les philosophies et les morales importantes du monde dans la table des matières. Ce sont les descriptions et les explications sur ces idées et philosophies qui sont très pauvres et superficielles. Par exemple, dans le cas du livre d'étude morale édité par Suken, il y a seulement quinze lignes (moins d'une page !) sur Nietzsche, dix lignes sur les stoïciens, treize lignes sur Freud, quatre lignes sur Bergson, treize lignes sur Honen, un des plus fameux bouddhistes japonais du XII-XIIIe siècle, vingt-cinq lignes (une page) sur la bioéthique et ainsi de suite. Il faut comprendre que ceci n'est pas une exception, par exemple : Éthique - Éditions Nihonshoseki ; Éthique - Éditions Jikkyo ; Éthique - Éditions Kyoikushuppan.

De nombreux enseignants utilisent un manuel supplémentaire ou une collection de problèmes dans leur cours. C'est souvent une sorte de dictionnaire ou glossaire de philosophie qui explique les termes techniques et les symboles philosophiques. C'est le rôle de l'enseignant d'enrichir et de développer le contenu réduit du livre d'étude. Il en résulte que l'enseignement dans un cours d'éthique dépend lourdement des compétences et de la volonté de l'enseignant. Cependant même pour un excellent enseignant, il y a une limite qui sont les quarante heures de cours prévues pour le cours d'éthique.

La troisième caractéristique est que les problèmes philosophiques et éthiques sont fortement liés aux problèmes du mode de vie quotidien dans la société contemporaine. Les questions philosophiques sont souvent réduites à ceux du sens de la vie personnelle. Comme mentionné déjà, l'éducation philosophique au second niveau du secondaire est l'extension de l'éducation morale donnée dans les niveaux précédents. Il est très curieux de trouver dans les livres d'étude cités que l'étude de la pensée traditionnelle japonaise est considérée comme un chemin à la prise de conscience de sa condition de Japonais dans la communauté internationale. Étudier le bouddhisme n'est pas trouver le moyen d'éviter la souffrance aux autres ni comprendre les efforts des boudhistes pour approfondir l'humanité, c'est comprendre la soi-disant exception de la culture japonaise dans le monde. On peut détecter clairement un préjugé nationaliste.

Au total, on peut dire que le contenu des livres de classe est beaucoup plus une histoire de la pensée que de la philosophie. Il est très difficile de définir ce qu'est la philosophie, mais on peut dire que l'essence de la philosophie réside dans le questionnement profond d'un sujet ou dans l'argumentation logique d'un thème. Ainsi que Wittgenstein l'affirmait, la philosophie est un acte, et non un savoir qui peut être enseigné. Néanmoins, les livres d'étude japonais, en harmonie avec les cours de morale japonais, semblent attacher plus d'importance à l'acquisition de connaissances générales ou historiques sur les idées, les philosophes et les religions. Le but de l'enseignement de la philosophie au Japon n'est ni la formation à la réflexion rationnelle, ni le développement de la capacité à construire une argumentation sur un sujet donné. On est bien loin de l'enseignement de la philosophie authentique qui consiste à approfondir sa réflexion personnelle comme on la trouve dans les oeuvres de Platon.

Examen d'entrée et problèmes de l'éducation au japon

L'enseignement de la philosophie au Japon consiste donc le plus souvent simplement à acquérir une connaissance générale sur les idées du passé. Cette tendance est causée et renforcée par les examens d'entrée à l'Université. Ces examens sont très souvent des questions à choix multiples ou du type " à compléter par un mot " semblable aux jeux de la télévision. Aujourd'hui, de nombreuses universités adoptent diverses façons de sélectionner les candidats, y compris un système d'admission sur recommandation, une procédure spéciale de sélection pour les étudiants adultes, etc. Cependant, l'approche la plus générale pour entrer à l'Université est de passer un test qui est le même pour toute la nation, test appelé NCUEEE (National Center for University Entrance Examination), ou de passer un examen spécifique à chaque université. Plusieurs universités exigent que les candidats passent les deux. Le nombre de candidats ayant passé le NCUEE a été de cinq cent cinquante cinq mille la dernière fois. Toutes les questions du test sont du type à choix multiples, et les réponses sont traitées par ordinateur. L'examen d'entrée spécifique aux universités contient habituellement différents types de questions ; beaucoup d'entre elles sont à choix multiples ou " à compléter par un mot ", mais quelques-unes demandent un très court essai d'une demi à une page entière. L'éthique est un des sujets optionnels du NCUEE et très peu d'universités proposent un test d'Éthique comme sujet de leur examen. C'est pourquoi la plupart des étudiants des écoles secondaires japonaises se préparent pour des questions du type : " Qui est le Grec ancien qui a écrit le Phédon, la République, etc. ? " ou " Quel est le nom de la plus grande oeuvre de Kant qui parle des limites de l'expérience et des possibilités de la métaphysique ? ".

De nombreux examens d'entrée en sciences humaines et sociales testent les connaissances générales, et la plupart sont du type à choix multiples, du type " mot à compléter " ou même du type vrai/faux. De tels tests seraient valides pour les mathématiques, les sciences naturelles et les langues étrangères. Mais quand les questions pour les sciences humaines et sociales sont de ce type, leur effet est catastrophique. Ils font croire à tort aux étudiants que ce qui est requis pour ces études est seulement de la mémoire et jamais une réflexion et la construction d'argumentations logiques. On comprend facilement comment ce type d'examen, si un étudiant se consacre à répondre aux questions, contribue à déséquilibrer ses capacités à la réflexion, l'argumentation et la discussion avec les autres.

ENSEIGNEMENT AU DÉBAT

Les mauvais effets de l'approche japonaise traditionnelle de l'enseignement

Beaucoup d'étudiants sont vraiment perturbés quand ils comprennent que la façon d'étudier exigée par l'Université est complètement différente de celle à laquelle ils s'étaient habitués à l'école secondaire. Dans les universités japonaises, comme dans celles des autres pays, les enseignants demandent aux étudiants de trouver des thèmes nouveaux et originaux, de faire eux-mêmes leur recherche en utilisant les ressources telles que les bibliothèques, les musées, les sites Internet, ou des expériences précises, du travail hors université, des enquêtes... On leur demande aussi de discuter et de débattre avec les professeurs et les étudiants, et d'aboutir à des solutions ou des réponses. Cependant, beaucoup de ces étudiants ont très peu ou pas d'expérience dans la pratique de telles études, parce qu'ils n'ont travaillé que pour des tests de mémoire.

Dans l'enseignement universitaire, les faiblesses des étudiants en réflexion rationnelle et capacités de communication créent de sérieux problèmes. Selon un rapport résultant d'une enquête par la NCUEE datant de 1998, 80 % des présidents d'université pensent que leurs étudiants sont peu motivés pour attaquer un sujet par eux-mêmes et qu'ils ont des faiblesses à penser et s'exprimer logiquement.

La " pensée rationnelle " dont nous parlons est différente de la capacité à manipuler les abstractions et les symboles qui sont requises pour réaliser une déduction mathématique ou une déduction en logique symbolique, bien qu'une base commune existe. La " pensée rationnelle " mentionnée consiste dans la capacité d'argumenter rationnellement avec d'autres personnes sur un sujet d'intérêt en utilisant un langage commun et naturel. Les étudiants qui possèderaient la première seraient très pauvres dans l'expression. Il est clair que la raison de cette faiblesse vient du manque de dialogue en cours, autrement dit, du manque d'opportunités d'exprimer son opinion devant ses collègues et les enseignants, et de discuter avec eux d'un problème dans les classes du secondaire. En vérité, quand l'objectif est d'obtenir de bonnes notes sur des tests mnémoniques, il n'est pas étonnant que ces opportunités soient considérées comme inutiles.

Selon la philosophie traditionnelle japonaise, étudier signifie apprendre quelque chose de quelqu'un. C'est recevoir des connaissances de personnes pleines d'expérience et de savoir. Ce genre de représentation du savoir présuppose une société hiérarchique ; le savoir absolu se répand de haut en bas ; on doit seulement accepter et mémoriser le savoir autorisé. Beaucoup d'enseignants dans le secondaire et même des professeurs d'université croient encore à cette conception autoritaire du savoir.

Il est évident que ceci ne convient pas à la société contemporaine, et cause des problèmes posés par notre vie. Il y en a à trois niveaux :

  • au niveau individuel, les étudiants ne peuvent pas être motivés réellement pour apprendre dans ce système autoritaire d'éducation. Ce système rend les étudiants très passifs à l'école et dans la vie quotidienne, dans l'attente permanente de directives de leur professeur ou de leur supérieur.
  • au niveau de l'économie, la forme d'intelligence qui est mise en valeur dans cette approche autoritaire n'est d'aucune utilité dans notre société post-industrielle. Ce dont on a le plus besoin dans la société post-industrielle est une intelligence critique, flexible et créative qui peut produire de nouveaux produits, services, moyens de communications et connaissances. Ceux qui sont seulement efficaces à exécuter ce qui a été demandé ne conviennent pas aux affaires contemporaines.
  • enfin au niveau politique, ceux qui ont la conception autoritaire du savoir ne peuvent pas créer une société véritablement démocratique. Ils préfèrent un gouvernement paternaliste qui prétend assurer la sécurité au détriment de la liberté. Bien que la société japonaise semble être démocratique - elle est en fait démocratique d'un point de vue légal -, elle contient encore beaucoup d'aspects autoritaires.

Les séminaires de licence et le progrès de l'enseignement du débat

Afin de combler la lacune entre les enseignements secondaires et universitaires, plusieurs universités japonaises ont créé des séminaires de licence ces dix dernières années. Dans ces séminaires, les professeurs enseignent aux étudiants de première année comment conduire un projet dans son champ de recherche, comment prendre des notes, utiliser les sources d'information comme les bibliothèques, lire avec une approche critique et évaluer ses sources, procéder à des expériences ou des observations scientifiques, mener des recherches sociologiques et hors de l'université, collecter et traiter des données, organiser ses idées, faire une bonne présentation, bien argumenter, écrire un essai, ... Ces talents ne sont pas enseignés à ce jour dans les universités japonaises. Les étudiants doivent les acquérir par eux-mêmes et de manière dispersée en imitant les professeurs et les élèves doués.

Depuis que plusieurs universités ont mis en place ce type de séminaire, des livres d'études additionnels ont été publiés. En particulier, le livre CHI-NO-GIHOH (la méthode du savoir), édité pour ces séminaires à l'Université de Tokyo, est devenu un best-seller dans presque toutes les librairies d'université. Un grand nombre de livres " Comment... " pour la rédaction d'un essai, la présentation orale, la discussion et le débat ont été publiés. Ils ne sont pas seulement utiles aux étudiants d'université mais aussi aux employés des entreprises qui sont intéressés par de telles méthodes et les talents de communication. Il semble qu'enfin les Japonais commencent à comprendre que la communication joue un rôle essentiel dans la créativité intellectuelle et que l'enseignement de la communication est indispensable au développement de l'intelligence générale des étudiants. En fait, plusieurs universités dans les années 90 ont créé des facultés ou départements appelés " département des communications ", " communications internationales " et " communications humaines " ou ont réorganisé la faculté d'éducation générale en ces nouvelles facultés.

Dans ce courant, le débat a attiré l'attention comme une méthode pédagogique efficace pour faciliter l'acquisition de la réflexion logique et critique. Le débat est le type de discussion dans lequel plus de deux parties prennent des positions opposées sur un sujet particulier et une troisième partie juge laquelle des parties a donné l'argumentation la plus solide. De fait, tout le monde prend part à un débat au sens large dans diverses situations de la vie sociale. Le cas le plus représentatif est celui des débats judiciaires en cours. Mais le débat dont nous parlons comme outil pédagogique est celui du type compétition. Bien qu'il y ait plusieurs versions des règles et procédures telles que les procédures américaines, le débat d'Oxford, le type de contre-interrogatoire, le style " Oregon "etc., un débat de compétition inclut les éléments suivants :

  • discours constructifs : affirmations, négations, interrogatoires croisés.
  • discours de réponse : négations, affirmations.

L'enseignement du débat a été introduit par des professeurs d'université, spécialement de langue et littérature anglaises. Cependant cela s'est étendu ces dix dernières années aux écoles des cycles primaire et secondaire. Aujourd'hui, le débat est pratiqué dans beaucoup de cours du primaire et secondaire tels que la littérature japonaise, la société contemporaine, l'éthique, la politique, l'économie et l'histoire. Les enseignants ont modifié la forme originale du débat pour l'adapter aux différents sujets. Dès les années 90, une série de livres intitulés " Le nouvel âge du débat en classe " ont été publiés. Cette série est une collection de guides pour les enseignants des cycles primaire et secondaire pour introduire le débat pédagogique dans leurs cours. La série comporte à présent quinze volumes. De plus, quelques programmes éducationnels à la télévision et des tournois de débats tenus par L'association japonaise pour le débat ont aussi aidé à populariser le concept de débat.

Je ne peux indiquer le pourcentage d'enseignants du primaire et du secondaire qui ont introduit le débat dans leurs classes. Cependant, il est évident que le débat comme méthode pédagogique se popularisera de plus en plus, puisqu'il y a deux ans, le ministre de l'ECSST à créé un cours d' "Étude Générale" à partir de la moitié supérieure du cycle primaire jusqu'au niveau secondaire. Un cours d'"Étude Générale" a des objectifs similaires à ceux des séminaires de licence à l'université, à savoir : le développement de la réflexion et de l'apprentissage actif, l'apprentissage de la méthode pour étudier et faire des recherches. De deux à quatre heures par semaine sont consacrées à ce cours, chaque enseignant pouvant organiser ce cours selon ses propres méthodes. De nombreux enseignants ont commencé à voir dans le débat pédagogique une méthode efficace pour atteindre les objectifs du cours.

Le débat comme outil pédagogique en morale et philosophie

Comme on l'a vu, il n'existe pas de cours de philosophie, mais seulement des cours d'éducation morale au niveau primaire et secondaire au Japon. Le débat pédagogique est souvent introduit dans le cours d'éducation morale ; il y a plusieurs guides pour enseignants pour apprendre à mener des débats dans une classe d'éducation morale. Les morales appliquées, comme la bioéthique, l'environnement, l'éthique médicale, l'éthique de l'ingénieur, l'éthique dans les affaires... sont devenues très populaires au Japon ces dix dernières années ; ces sujets sont souvent évoqués dans les mass media. Il y a donc de nombreuses et abondantes sources pour un débat dans les cours d'éducation morale.

Le but de ces cours d'éducation morale est plus pratique que celui du cours d' "éthique" dans le secondaire supérieur. Quoique le but de celui-ci inclût la compréhension théorique et philosophique de l'éthique, celui du cours d'éducation morale est principalement l'acquisition d'attitudes et de jugements moraux dans la vie quotidienne. Il est clair que le débat ou le dialogue en général approfondit la réflexion individuelle, mais, à mon avis, il est aussi très efficace pour l'éducation morale des niveaux primaire et secondaire.

L'éthique n'a jamais consisté en une attitude visant à suivre sans esprit critique les règles comme la tradition morale venant des parents et des enseignants. Les règles morales venant de la tradition ne peuvent pas guider nos conduites, car elles se contredisent quelquefois, sont dépassées et manquent de principes de base. En vérité la simple affirmation de la tradition et des habitudes n'est rien d'autre qu'une attitude autoritaire. L'attitude morale, en conséquence, consiste à réexaminer les règles et les propositions morales existantes pour discerner le vrai bien de ce qu'il n'est pas. L'éthique demande une réflexion critique sur les sujets moraux, de même que la science demande l'examen critique des théories existantes.

De ce point de vue, les débats sur les questions morales sont pédagogiques. D'abord, en débattant, les opposants doivent trouver les raisons de défendre leur position respective sur une question morale. Trouver une raison sur une proposition morale, c'est trouver une valeur fondamentale qui supporte cette proposition. Par exemple, la proposition morale que l'on doit respecter les règles de circulation est supportée par une valeur plus fondamentale que la vie et la sécurité doivent être protégées. De plus, il est nécessaire d'examiner si la demande est vraiment supportée par la raison ; par exemple, si une règle de circulation n'est pas utile pour protéger les piétons, la proposition de respecter les règles de circulation n'est pas supportée par la raison. Ces raisonnements au cours du débat nous font comprendre quelles règles et demandes morales sont fondamentales, lesquelles en sont dérivées, la distinction entre l'essentiel et l'accessoire dans les questions morales. Ils nous donnent aussi l'opportunité d'examiner si les règles sociales qu'on a traditionnellement considérées comme règles morales sont vraiment en accord avec les valeurs morales fondamentales. On comprend alors que certaines règles sociales sont simplement des coutumes arbitraires, sans lien avec des valeurs morales. Le débat est un bon moyen d'éviter l'autoritarisme. Il est particulièrement nécessaire pour une société comme le Japon, dans lequel l'autoritarisme est encore vigoureux.

En second, je crois, avec R. M. Hare (1963) et d'autres philosophes, que la moralité est basée en dernière analyse sur la capacité à " se mettre à la place de l'autre ". Tout principe moral, que ce soit la déontologie kantienne, l'utilitarisme, ou l'éthique individuelle, nous demande l'attitude d'adopter la position de l'autre. Selon Jean Piaget (1995), le développement de l'intelligence consiste à se "décentrer", ce qui objectivise un point de vue particulier en liaison avec d'autres possibles ou différents. Se décentrer revient à reconnaître que son propre point de vue est un des nombreux autres possibles, à le coordonner avec d'autres différents, et à en faire une synthèse. On peut dire la même chose sur le développement de la moralité. La moralité est finalement basée sur la socialisation d'une personne. En ce sens, le débat facilite l'acquisition du point de vue de l'autre, par anticipation des opinions des opposants et par le passage du rôle d'affirmation à la négation.

Dans les écoles primaires et secondaires du Japon, la philosophie est enseignée dans le cadre du Riniri (éthique), un sujet de Shakaika (éducation civique). Une plus grande importance est attachée aux questions morales qu'aux autres sujets philosophiques. Le concept traditionnel de savoir qui dit que cela ne signifie rien d'autre que mémoriser conserve de l'influence. Il a eu un mauvais effet sur l'enseignement de la philosophie qui ne peut exister sans réflexion critique. Cependant, l'enseignement au développement de la réflexion, de la recherche et de la communication est récemment devenu la préoccupation des enseignants et des spécialistes en éducation. Le débat pédagogique est souvent introduit dans les cours de sciences humaines et sociales, y compris l'éthique et la philosophie. Le débat est aussi efficace pour l'éducation morale parce qu'il fournit des possibilités d'examiner si les règles sociales sont vraiment reliées aux valeurs morales. Il aide également à l'acquisition de la qualité de considérer le point de vue de l'autre, qui est le fondement de la moralité.

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