Le point de vue de la psychologie sociale
La pratique du dialogue philosophique est une activité qui intéresse au premier chef les recherches en psychologie sociale. En ce qui nous concerne, l'ancrage du dialogue philosophique comme conduite argumentative spécifique a constitué notre entrée principale. Cette entrée a permis de fixer une finalité claire, bien que discutable, aux pratiques auxquelles nous avons formé des enseignants (voir Auriac-Peyronnet, 2002b). Dans ce cadre nos études se sont peu à peu orientées sur l'étude des phénomènes d'articulation entre l'oral et l'écrit. D'autre part, en lien avec les résultats obtenus outre-atlantique concernant les impacts positifs de cette activité, nous avons tenu à répliquer certains protocoles pour tenter de généraliser ces résultats au sein du système éducatif français.
Les trois champs d'impacts repérés au Québec dont nous avions connaissance sont la qualité du raisonnement logique, le développement de l'estime de soi, et la représentation d'une coopération de haut niveau.
Nos études sont en ce sens intégrées au champ de la psychologie sociale sans être représentatives de tout ce qui pourrait se faire à ce niveau. Il paraît néanmoins intéressant sur la seule base de nos propres études exploratoires de tracer quelques pistes pour l'avenir.
Définir l'activité de dialogue à visée philosophique
Tenter de définir l'activité de dialogue philosophique conduit à s'interroger sur les liens entre discuter et argumenter. Dans ce cadre, nous nous sommes graduellement posé les questions suivantes : peut-on qualifier ces oraux ? Quelles sont les finalités possibles de l'activité ? Y a-t-il un impact entre la pratique de ces oraux et la production d'écrits de type argumentatif ? Est-ce que les capacités dialogiques développées dans ces oraux se transforment au fil des séances, selon l'âge des élèves ? Peut-on dresser un lien entre le maniement des capacités dialogiques et les capacités de raisonnement (formel versus naturel) ?
Nous avons en fait privilégié une entrée pragmatique pour l'étude de cet oral qui nous situe au coeur de la transformation actuelle des points de vues en psychologie, ce que l'on peut nommer " le tournant pragmatique « : " L'arrivée d'abord " timide " de la pragmatique en psychologie, puis son installation, a provoqué des bouleversements fondamentaux tant sur le plan théorique que méthodologique. On privilégie la parole et non plus la langue, les raisonnements déterminées par les croyances mutuellement partagées et non plus par des systèmes logiques, les méthodes " écologiques " et contrôlées et non plus les méthodes, certes aseptisées, mais qui aboutissent à décontextualiser les comportements humains » (Trognon & Bernicot, 2003, p. 26). En ce sens, l'étude de l'activité de dialogue philosophique comme praxis d'oral particulière est importante à mener.
Maîtriser un dispositif dans ses fondements est la seule possibilité d'en faire un objet de recherche à part entière. Aussi, dans le cadre d'une recherche action (Daniel & Auriac-Peyronnet, 1999-2001), nous avons cherché à qualifier l'oral philosophique d'après un corpus effectif constitué d'un oral produit l'un en septembre et l'autre en mai dans une même classe québécoise d'élèves de 12 ans (voir Auriac-Peyronnet & Daniel, 2002 ). Cette étude a permis de dégager que le dialogue philosophique est une conversation rationnelle et tutorée.
Extrait septembre :
My : bien moi c'est pour la question que MF a dit tantôt bien il n'y a pas juste les grandes personnes qui peuvent bien qui peuvent bien l'affaire (...) bien ce n'est pas à cause des grandes personnes les adultes qui faut qu'on qu'on dise que c'est eux les autres les meilleurs parce qu'il y a des adultes qui connaissent rien et puis il y en a qui connaissent les affaires.
Extrait Mai :
Alb :bien moi je pense que ceux qui se pensent bon je pense qu'ils ne sont pas vraiment bons à l'intérieur d'eux autres parce que comme o.k. admettons que quelqu'un est bon en maths et qu'une autre personne n'est pas bonne en maths tu n'as pas à te vanter " moi je suis bon puis toi tu n'es pas bon " parce que je pense que s'ils se vantent comme cela ils ont des problèmes.
Conversation car l'oral procède par tours et détours qui différent peu en apparence d'une conversation ordinaire (cf. exemple ci-dessus). Rationnelle car l'enseignant conduit les élèves à définir, exemplifier, élaborer des critères, juger, décider. Tutorée puisque le rôle de l'enseignant est ainsi loin d'être négligeable dans ce guidage vers la rationalité.
De plus, nous avons pu mettre en évidence le fait que les progrès entre le début et la fin de l'année ne ressortissaient ni d'une organisation spécifique des tours de paroles (structure de l'enchaînement) ni d'un mode d'appui particularisé sur les référents sociaux (cible sociale). Malgré l'idée que ces discussions font progresser du particulier au général, l'enchaînement des propos se fait à l'intérieur de la paire adjacente avec validation au troisième tour de parole, et peu de reprises se font en dehors de ces espaces. Les cibles sociales sont préférentiellement les individus qui viennent de parler (élèves ou enseignant), parfois seulement le groupe classe, et très occasionnellement des référents génériques extérieurs. Rien ne change entre septembre et mai en ce qui concerne les aspects structurel et social. En revanche, les progrès constatés concernent les modes d'appropriation du dit (aspect cognitif).
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En septembre seuls l'enseignant et quelques élèves portent de manière saillante la catégorie du jugement (5). Les catégories de création (3) et de raisonnement (4) sont peu utilisées. Beaucoup d'élèves se situent dans la première catégorie (1). En mai, en revanche, les cinq catégories se répartissent de manière hiérarchique (cf. graphe ci-dessus). Or, ce n'est plus l'enseignant qui produit les jugements (5) mais quasi exclusivement les élèves. Les élèves se sont donc saisis du sens de l'activité et la font fonctionner. De cette étude nous avons tiré la conclusion que la finalité de la pratique des dialogues philosophiques devait correspondre à entraîner 1) à l'aptitude au raisonnement et 2) à l'aptitude au jugement.
Mise en place d'un dispositif de recherche
Puisque la conversation reposait sur une conduite précise de l'enseignant (tutorée dans le sens de l'avènement chez les élèves de raisonnements visant des jugements), il nous a paru nécessaire de bien définir les conditions de recueils de nos discussions. Ce sont ces conditions auxquelles nous avons formé les enseignants pour une recherche-action en France (Daniel & Auriac-Peyronnet, 2000-2004). Nous nous sommes alors situé dans le cadre des différents courants qui existaient à l'époque en respectant au mieux les caractéristiques du dispositif Lipman (étude à paraître).
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Plusieurs enseignants ont été formés à comprendre la pratique correspondant au courant Lipman tant dans ses fondements (parler pour raisonner et juger) que dans ses aspects méthodologiques (utilisation des supports etc.). Nous avons pu disposer ainsi de plusieurs classes dites " expérimentales " qui ont pratiqué les discussions philosophiques durant six mois consécutifs et de classes contrôles ne bénéficiant d'aucun enseignement spécifique de type oral philosophique. Nous disposions là d'un vaste chantier qui a permis quelques études portant sur les impacts.
Chantier recherche-action Auriac-Peyronnet & Daniel (2000-2004)
Groupes contrôles | Âge | Classes " expérimentales " |
---|---|---|
Ce1 : 39 sujets | 7/8 | 38 sujets |
Ce2 : 61 sujets | 8/9 | 21 sujets |
Cm1 : 75 sujets | 9/10 | 35 sujets |
C.l.i.s.: 6 sujets | 7 à 12 | 9 sujets |
L'administration de tests dans les classes dites expérimentales et les groupes contrôles a porté sur les différents aspects dont nous avions connaissance dans le champ des recherches antérieures conduites au Québec (voir I.).
Étudier les impacts de la pratique de dialogue philosophique
Nous ne pouvons détailler l'ensemble des tests utilisés et les raisons pour lesquelles certains tests ont été adaptés et d'autres non. Nous exposerons seulement les données essentielles qui reposent sur des résultats significatifs.
Un test dit d'argumentation a été utilisé qui consistait à confronter les élèves à une tâche en deux phases :
- n°1) produire des idées (arguments propres et arguments susceptibles d'êtres ceux des parents) pour tester les capacités dialogiques ;
- n°2) produire un texte présenté sous forme de lettre aux parents.
Concernant la partie de production d'idées (n°1) les résultats suivants sont établis (Auriac-Peyronnet & Daniel, 2004). Toutes classes confondues, la pratique des oraux a un impact sur la production d'idées en fin d'année. Pour les CE1 et les CE2 la pratique d'oraux les conduit à générer autant d'idées que s'ils étaient en CM1. Il semble à cet égard qu'en CM1 un seuil plafond soit atteint dans le cadre particulier de notre tâche.
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D'autre part, d'après l'analyse qualitative du mode de liaison entre les arguments imaginés du point de vue propre et ceux imaginés pour les parents, il apparaît que dans les classes expérimentales cette liaison est préférentiellement dialogique : les arguments se répondent l'un l'autre, à la manière d'un dialogue fictif. C'est à mettre en rapport avec le taux élevé d'arguments imaginés du point de vue des parents. À l'inverse, dans les groupes contrôles, les élèves produisent des idées qui ne sont pas connectées entre elles entre les arguments propres et parentaux. Le faible effectif des classes spécialisées (CLIS) associé à une hétérogénéité de ces classes n'a pas permis l'exploitation des données.
Ce type de résultat doit être pris avec précaution. Dans le cadre de notre étude, l'hypothèse que les oraux philosophiques entretiennent une forme d'accélération des capacités dialogiques est valide. Ces résultats demandent à être répliqués et approfondis.
Une deuxième voie consiste à étudier le passage entre cette émission d'idées et la production effective du texte. Est-ce qu'apprendre à penser en dialoguant, si cela occasionne une plus grande productivité d'idées (résultats à répliquer), occasionne aussi le passage vers un texte mieux orienté ? Des études sont en cours pour vérifier cet aspect (Auriac & Favart, en cours).
Différents auteurs ont montré que la pratique d'oral philosophique avait un impact global sur l'élévation de l'estime de soi (Lago-Bernstein, 1990, Sasseville, 1993, Lafortune, Mongeau, Daniel & Palascio, 2000). Sur la base de ces résultats, nous avons administré un test d'estime de soi (questionnaire de 80 items) aux classes de CE1, CE2 et CM1. L'adaptation trop sommaire du test avec seulement dix questions pour un entretien oral avec les élèves de grande section maternelle n'a donné aucun résultat. Une passation tronquée dans les classes spécialisées n'a pas permis d'exploiter les données des CLIS.
Le questionnaire permettait d'explorer six sous-domaines : le comportement, le statut scolaire, l'apparence physique, l'anxiété, la popularité, le bonheur. Pour chacun de ces sous-domaines de l'estime, on repère que les dimensions de l'apparence pour les CE1, de l'anxiété (4) et de la popularité (5) pour les CE2 seraient concernés par des effets tendanciels. Les CE1 des classes expérimentales conserveraient un meilleur score pour l'apparence physique (effet légèrement tendanciel p. 04). Pour les classes expérimentales de CE2, le score de popularité serait mieux sauvegardé (p. 02) mais le taux d'anxiété (p. 02) serait plus élevé. Il est difficile de statuer sur ces résultats qui n'indiquent que des légères tendances à la significativité. L'élévation de l'anxiété peut cependant être intéressante à étudier car cet oral est jugé par les enseignants comme déstabilisant. Or, on ne sait dans quelle mesure l'anxiété joue un rôle positif ou contre-productif.
Nous avons fait des contrastes entre bons, moyens et élèves faibles d'après le jugement global porté par l'enseignant de la classe. Dans ce cadre, des tendances apparaissent en ce qui concernent les élèves forts des classes expérimentales de CE2 (p. 03) et de CM1 (p. 02). La pratique des oraux conduirait à une meilleure estime de soi globale pour les élèves jugés bons. Est-ce que la pratique d'oraux philosophiques serait une pratique élitiste à partir du cycle 2 ?
Rapporté à chacun des sous-domaines, on ne trouve aucun résultat significatif concernant un impact du niveau scolaire (bon versus moyen versus faibles) respectivement sur le statut scolaire (2), la popularité (5) et le bonheur (6). En revanche, le facteur anxiété est à nouveau repéré avec une effet tendanciel en CE2 (p<. 02) et un effet significatif en CM1 (p <. 001). Pour les CM1, il est difficile de juger ce résultat en regard de la configuration spécifique de la classe expérimentale puisque dans cette classe les bons élèves étaient déjà plus anxieux que les autres en début d'année (p <;. 001). On ne retrouve plus qu'une différence tendancielle en fin d'année (p <;. 02) ce qui tendrait à prouver que ces élèves forts aurait abaissé leur taux d'angoisse dans la classe expérimentale. Les élèves jugés faibles par les enseignants sont eux aussi concernés par ce facteur anxiété. Les élèves de CM1 globalement moins anxieux (p <;. 01) dans la classe expérimentale conserverait cet acquis en fin d'année avec une tendance significative dans les mêmes proportions (p<;. 01).
Au total, la réplication de ces résultats acquis outre-atlantique a conduit à plus d'interrogations que de généralisation. Mais ces interrogations sont porteuses. On doit sur cette base étudier les liens entre la pratique et l'anxiété, d'une part, et sauvegarder d'autre part des études portant sur les effets différentiels dûs au niveau académique des élèves pour vérifier si cette pratique est potentiellement élitiste.
La représentation de la coopération
Nous avons là aussi cherché à répliquer des résultats qualitatifs indiquant qu'au fil de l'année les élèves transformaient peu à peu leurs comportements et la représentation qu'ils avaient du phénomène coopératif (voir Daniel, in Auriac-Peyronnet, 2003). La pratique des oraux philosophiques conduirait les sujets à asseoir l'intérêt de pratiquer une coopération de haut niveau, portant sur l'interdépendance des membres, plus que pratiquer une coopération simple, portant sur le fait qu'être réunis en groupe suffit. Nous avons sélectionné dans une batterie totale de tests les items qui correspondaient à notre entrée langagière. Deux champs d'items ont été sélectionnés qui croisaient :
- 1) l'interdépendance et la coopération (item du type : deux élèves un fort en math, deux faibles travaillent ensemble : coopèrent-ils ?) ;
- 2) la communication et la coopération (item du type : des élèves échangent entre-eux : coopèrent-ils ?).
Jugé trop complexe d'accès pour les élèves de CE1 et CE2, ce test n'est administré qu'aux classes de CM1. Concernant la dimension interdépendance, ce sont les bons élèves qui semblent progresser sur cette dimension (effet tendanciel à p<.056) a contrario des élèves faibles qui eux ne stabilisent pas de rapport entre coopérer et dépendre positivement d'autrui (voir graphe ci-dessous). Concernant la dimension communication, il y a une interaction entre le niveau et la condition : or, ce sont les élèves faibles de la classe expérimentale qui construisent une représentation particulière (contre-productive) des liens entre communiquer et coopérer.
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Ces résultats indiquent, conformément aux résultats obtenus sur la dimension de l'estime de soi, que les élèves ne réagissent pas de la même manière à ces pratiques philosophiques en fonction de leur niveau scolaire. Ces résultats permettent alors de questionner certaines impressions données par les enseignants qui expliquent clairement que ces pratiques d'oraux philosophiques contribuent à changer les représentations qu'ils se font eux-mêmes des élèves faibles versus des bons élèves. Ces résultats témoignant en ce sens doivent être approfondis.
Deux tests différents ont été administrés. Le premier exploité dans le cadre de travaux antérieurs (Schleifer & al, 1987) est répliqué pour vérifier les résultats dans le contexte de l'enseignement français. Pourquoi cette réplication ? En fait, il nous apparaissait que d'autres disciplines en France pouvaient elles-aussi déjà largement contribuer à un accroissement des qualités logiques des élèves : nous n'étions alors pas certains de la valeur ajoutée par la pratique de ces oraux. D'autre part les liens entre argumenter et raisonner étant à creuser, bien que ce test issu des théorisations piagétiennes soit selon nous peu conforme pour tester les progrès reliés à la pratique du dialogue philosophique, il constituait seulement une bonne opportunité. Un deuxième test fut construit pour l'étude, adapté aux classes de maternelle auxquelles on ne pouvait administrer le premier test. Ce deuxième test est davantage destiné à vérifier les capacités de jugement moral qui reposent sur une analyse logique de la situation dans une perspective plus pragmatique. Ce type de test permet selon nous de vérifier de meilleure façon l'exercice d'une logique naturelle et non strictement formelle (voir Grize, 1990) en lien avec l'exercice d'oral philosophique.
Une série de dix items (cf. l'exemplaire ci-dessous) constituent le test dans son ensemble administré en début d'année (pré-test) et en fin d'année scolaire - après les six mois de pratique d'oral philosophique - (post-test) dans chacune des classes de CE1, CE2 et CM1 (condition contrôle et expérimentale).
Patricia dit : " Seuls les oiseaux sont des aigles ". Une autre façon de dire cela serait :
- Tous les aigles sont des oiseaux.
- Tous les oiseaux sont des aigles.
- Quelques aigles sont des oiseaux.
On obtient un effet de niveau (en pré- et post-test) : les bons sont meilleurs que les moyens, les moyens et les faibles ne se différenciant pas significativement. Deuxième élément, l'effet de la classe (CE1/ CE2/ CM1) est quasiment significatif (effet tendanciel à p.07), en pré- et post-test. Qu'est-ce que cela signifie ? Que plus on grandit, plus on devient logique (entre le CE1 et le CM1) et que meilleur on est (bon niveau scolaire) meilleur on reste (comparativement aux élèves faibles et moyens). La pratique des oraux philosophique n'est donc pas une activité qui permet de contre-carrer, ou d'infléchir pour les élèves les plus faibles cet effet massivement développemental. En point d'orgue, on prendra la précaution de critiquer un peu le matériel que nous avons paradoxalement utilisé pour les besoins de réplication. Car, nous sommes en accord avec l'idée qu'il faudrait pouvoir administrer d'autres types de tests de raisonnement, en considérant le point de vue suivant : "beaucoup de recherches dans le domaine du raisonnement ont été motivées par la volonté de comprendre sous quelles conditions les individus répondent de façon normative aux tâches de raisonnement, comme si la seule mesure importante était le pourcentage de réponses correctes. (...) Des enjeux importants du point de vue du travail théorique sont impliqués dans le fait de séparer minutieusement les influences normatives et pragmatiques dans le raisonnement." (Noveck & Politzer, 2002).
Le jugement moral en maternelle
Sur la base de la même théorie piagétienne, nous nous sommes inspirés des études de cas proposées par Piaget lorsqu'il étudiait le jugement moral, puisque la définition de l'activité d'oral philosophique est justement, selon nous, d'associer raisonnement et jugement. Pour ce faire nous avons élaboré un matériel qui était constitué de quatre situations dessinées (image de 1 à 4) sur des cartons (voir exemplaire ci-dessous) présentant un niveau de bêtise différent et hiérarchiquement ordonné.
Les bêtises étaient moralement ordonnées en fonction de différents paramètres comme l'absence versus la présence de la mère, l'intention (bonne versus mauvaise), la gratuité versus le caractère accidentel de l'acte.
L'ordonnancement :
- Image 1 : Mère présente/ fait pas exprès/intention = faire plaisir
- Image 2 : Mère absente/fait pas exprès/intention = s'amuser
- Image 3 : Mère présente/fait exprès/intention =découverte
- Image 4 : Mère absente/fait exprès/intention = vengeance
Les images étaient constituées chacune de quatre icônes reprenant un critère saillant pour l'ordonnancement : rappel du lieu, présence parent, intention, rappel de la bêtise. La bêtise invariante était que l'enfant avait coupé un morceau de la nappe : l'icône fleur était choisie en référence à la première bêtise où l'enfant voulait découper une fleur pour sa mère.
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Malgré une icône peut-être peu compréhensible à première vue (fleur), les élèves ont tous bien réagi et compris la tâche. Chaque élève a classé les quatre images dans un ordre croissant de la "moins grosse bêtise" à la "plus grosse bêtise". Le test fonctionne bien : les bons élèves sont meilleurs que les moyens qui sont supérieurs aux élèves faibles, quel que soit le type de classe et le moment de l'année scolaire. Les histogrammes du graphique (ci-dessous) présentent le taux d'erreurs commises (de 0 à 5) pour chacun des groupes d'élèves : bons, moyens, faibles. On lit parfaitement l'étagement du nombre d'erreur décroissant en fonction du niveau.
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L'évolution dans les deux conditions est la même : il y a bien acquisition d'un meilleur niveau de jugement moral et dans les classes contrôles et dans les classes expérimentales. Le taux d'erreur baisse significativement (p<. 013). En revanche, malgré l'écart visible sur le graphique la différence en fin d'année entre les groupes contrôles et expérimentaux n'est pas significative.
L'étude complémentaire portant sur la finalité et les impacts attribuables à l'activité de dialogue philosophique nous a conduits à peu à peu adopter l'idée que trois concepts majeurs sont à explorer et à relier : celui de conversation, celui d'argumentation et celui de raisonnement. Il semble qu'étudier l'interdépendance entre ces trois champs constitue du point de vue de la psychologie sociale une voie intéressante pour mieux caractériser ce que l'on peut dénommer dialogue philosophique à l'école primaire. Il faudra particulièrement rester vigilant à tester l'effet de ces pratiques en regard du niveau scolaire des élèves, élaborer des tests de raisonnements adaptés à la spécificité de cette pratique, comprendre davantage les liens entre les caractéristiques dialogiques de l'activité d'oral quant à leur impact possible sur les modalités de penser et d'argumenter à l'écrit, tester si la pratique conduit à des modalités de conceptualisation du monde qui permettrait d'accélérer certains aspects du développement, voir enfin si ces conditions entraînent des effets productifs ou contre-productifs au plan des apprentissages en général (facteur anxiété). Au coeur de ces études à venir il est évident que spécifier le rôle que joue l'enseignant dans ces dispositifs doit avant tout être étudié pour être mieux spécifié. Car selon les conditions pratiques, il semble que notre définition des finalités de l'activité puisse ne pas du tout correspondre à d'autres dispositifs ayant la même appellation.
N.B. : remerciements à Luc Bourassa (CRHS Montréal) et Marylène Chalard (Laboratoire de psychologie de Clermont-Ferrand, LAPSCO) pour la réalisation des statistiques sous SPSS.