Depuis le lancement de la " perestroïka " par Michael Gorbatchev en 1985 et la chute de l'U.R.S.S. en août 1991, tout a changé en Russie d'une manière radicale. Des réformes furent faites dans tous les domaines de la vie publique (économie, industrie, politique, santé publique, éducation nationale etc.). Certaines furent réussies, d'autres furent un véritable échec. Malgré tous ces changements, la construction de la société démocratique en Russie n'est pas terminée et il reste beaucoup à faire dans cette direction.
Il est évident que tous ces changements et réformes sont orientés en particulier vers la future génération. C'est à elle de bâtir en Russie une véritable société démocratique. Et l'éducation nationale y joue un rôle primordial. Depuis les années 90, les programmes scolaires et universitaires, les standards d'état de différentes matières et le système éducatif russe dans son ensemble ont subi beaucoup de changements.
Avant de parler des changements dans l'enseignement de la philosophie et de l'histoire dans le secondaire et le supérieur depuis 1989, il est nécessaire de faire une petite excursion dans l'histoire de la Russie afin de mieux comprendre l'état actuel du système éducatif russe.
En 1921, d'après l'arrêté du Conseil des Commissaires du Peuple de la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie (RSFSR), les disciplines socio-économiques furent introduites dans l'enseignement supérieur. Il s'agissait principalement des disciplines suivantes : économie politique, matérialisme historique et dialectique, marxisme-léninisme, histoire du Parti Communiste de l'Union Soviétique, esthétique, éthique et athéisme scientifique. Dans la plupart des universités, leur enseignement fut confié à la chaire de marxisme-léninisme. À la fin des années 80, les chaires de marxisme-léninisme changèrent de nom et devinrent chaires de philosophie. Durant toute cette période soviétique et communiste de l'histoire de la Russie (jusqu'aux années 90), on n'enseignait qu'une seule théorie que le Parti considérait comme juste et véridique : le marxisme-léninisme.
L'objectif principal de l'enseignement du marxisme-léninisme était de montrer aux étudiants les avantages incontestables du régime socialiste, de souligner le rôle du Parti Communiste en tant que facteur primordial de toutes les " victoires ", et de consolider la foi en la victoire inévitable du communisme. Le contenu de tous les manuels était pareil, même si les auteurs étaient différents.
Il y a treize ans, l'U.R.S.S. cessa son existence et avec elle le monopole du Parti Communiste. Le marxisme-léninisme fut déclaré responsable de tous les malheurs de la société russe. Les professeurs de philosophie furent confrontés à de nombreuses épreuves : réapprendre leur discipline et l'enseigner d'une autre matière. Nombreux étaient ceux qui ne purent accepter cette nouvelle réalité et quittèrent les chaires de philosophie.
De nos jours l'enseignement de la philosophie dans le supérieur reflète en grande partie sa position dans la société russe. Cette position a deux faces :
- d'un côté on constate de nouveau un grand intérêt pour la philosophie dans la société. Ceci est dû à la publication de nombreux ouvrages philosophiques qui étaient interdits auparavant. Il faut dire qu'un tel " boom " dans la littérature provoqua des changements positifs dans les programmes universitaires de philosophie. Les professeurs, les doctorants et les étudiants purent accéder à des ouvrages des philosophes classiques russes et étrangers des deux derniers siècles.
- Mais de l'autre côté la philosophie comme science et discipline universitaire perdit considérablement l'importance qu'elle avait dans le système d'enseignement idéologique à l'époque soviétique. Même si la philosophie marxiste-léniniste n'existe plus, une attitude sceptique envers celle-ci persiste dans de nombreuses universités. On constate que les universités diminuent à leur gré le nombre d'heures de cours (de 104 heures à 52 heures).
" Le fait de renoncer au matérialisme historique et dialectique considéré comme philosophie officielle compromit considérablement la situation professionnelle et institutionnelle des professeurs de philosophie du supérieur. Certains n'étaient pas prêts à admettre la nouvelle situation culturelle et littéraire. Mais ce n'est pas lié avec leur penchant pour la conception du monde marxiste-léniniste, car derrière cette dernière se cache avant tout une réelle étroitesse des connaissances en philosophie "2.
Le passé aussi négatif de l'enseignement philosophique qui demeure jusqu'à présent très rigide se reflète dans les programmes universitaires. Ces derniers furent rénovés et libérés de tous les signes doctrinaires du marxisme-léninisme, mais ils gardèrent le contenu du modèle soviétique de l'enseignement de la philosophie. De ce fait les cours de philosophie représentaient presqu'une reprise du matérialisme historique et dialectique.
Dans les années 90, l'enseignement de la philosophie était basé en grande partie sur l'histoire de cette dernière. Cela était dû sûrement à la publication de la chrestomathie " Le monde de la philosophie " (Livre I " Les problèmes philosophiques, notions et principes " ; livre II " Homme, Société, Culture "), appendice du manuel de I.T. Frolof " Philosophie ", qui était écrit dans l'esprit d'un marxisme " libéral ", " éclairé ", et acheté par toutes les bibliothèques universitaires. Même à présent ce manuel reste le seul accessible dans beaucoup d'universités.
Aujourd'hui, dans la plupart des universités, la philosophie est une discipline obligatoire et les étudiants l'apprennent au cours de leur première année d'études à l'université (54-102 heures de cours). À la fin de l'année universitaire ils passent l'examen.
Les programmes de philosophie sont divisés en deux parties. La première représente l'histoire de la philosophie. La deuxième est une version moderne de l'ancien programme, orienté vers le " caractère systématique " des notions philosophiques. Le matérialisme dialectique est remplacé pratiquement partout par une " philosophie systématique " qui inclut aussi la philosophie sociale. Ainsi la philosophie est présentée aujourd'hui comme un ensemble de connaissances affectées à des notions précises, à un langage spécial, à une problématique et à des traditions. L'enseignement philosophique dans le supérieur représente en quelque en miniature celui de facultés spécialisées en philosophie.
DANS LE SECONDAIRE : PHILOSOPHIE ET HISTOIRE
En ce qui concerne l'enseignement de la philosophie dans le secondaire, la matière proprement dite " philosophie " n'est pas incluse dans les programmes scolaires. Mais certaines notions philosophiques sont étudiées dans le cadre de la discipline : " bases de la civilisation moderne ", par exemple la vérité, la morale et ses critères, la raison et le sensible, l'État et la société. Cette matière est enseignée principalement dans les classes de 10e et 11e (la première et la terminale en France). Il faut dire que certains établissements commencent quand même à introduire la philosophie dans leurs programmes scolaires.
En ce qui concerne l'enseignement de l'histoire, comme celui de la philosophie, il fut soumis pendant près de soixante dix ans à la dictature du Parti Communiste et de l'idéologie marxiste-léniniste. Il était défini par un programme scolaire extrêmement détaillé que les professeurs devaient se borner à transmettre aux élèves sans aucun commentaire ni esprit critique. Ces programmes ainsi que les manuels scolaires imposaient une vision unique de l'histoire, évacuant toute " zone d'ombre " nuisible aux vérités officielles.
À la fin des années 80 et au début 90, suite à des changements politiques, économiques et géographiques de la Russie, la réforme de l'enseignement de l'histoire fut obligatoire. Cette réforme rencontra beaucoup de problèmes, et se poursuit encore de nos jours. Le problème majeur est l'absence du nouveau standard d'État d'enseignement de l'histoire, qui est remplacé par le standard rénové de l'époque soviétique. Et pourtant le moment positif de cette réforme est la publication de nouveaux manuels scolaires. Ces manuels qui sont plus attractifs et mieux illustrés que leurs prédécesseurs sont désormais publiés par des éditeurs indépendants. Ils ne se limitent plus à la seule histoire politique et militaire, mais intègrent aussi des chapitres de société en réduisant les stéréotypes.
Le pluralisme idéologique dans l'histoire (plus de quarante manuels scolaires en dix ans) incite à une confusion des principes méthodologiques. En effet il n'existe pas de points de vue théoriques-méthodologiques concertés sur le processus historique, et les historiens, sous l'influence de leurs penchants idéologiques, interprètent les mêmes événements historiques de manière contradictoire. De ce fait les nouveaux manuels scolaires d'histoire doivent être encore plus travaillés, et être accessibles à tous les élèves, car la plupart des écoles rurales n'ont pas de moyens pour les acheter, et ne possèdent que des manuels de l'époque soviétique.
Il faut dire que le Conseil de l'Europe aide la Russie à la réforme de l'apprentissage et l'enseignement de l'histoire. Il organise des séminaires qui visent à aider les professeurs russes à renouveler leurs méthodes pédagogiques et en coopération avec l'UNESCO, il participe en Russie à des projets d'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la communication comme moyen d'enseignement.
LA PHILOSOPHIE EN FRANCE ET EN RUSSIE
Pour conclure, comparons sous deux axes principaux les enseignements philosophiques en France et en Russie, qui comme vous venez de le constater, ont sûrement plus de différences que de similitudes. En effet le passé marxiste-léniniste de la philosophie russe se ressent encore de nos jours.
Premièrement la philosophie en France est enseignée seulement en classe terminale des lycées, et pourtant nombre de professeurs considèrent qu'on pourrait commencer en classe de première voire de seconde. Elle n'est enseignée officiellement dans aucun lycée professionnel, malgré quelques expérimentations dans quatre académies : ni les baccalauréats professionnels, ni les classes terminales de BEP et de CAP n'ont le privilège d'y avoir accès.
En Russie, l'enseignement philosophique proprement dit commence d'habitude en première année de l'université. La plupart des professeurs considèrent que la philosophie doit être enseignée en troisième, voire même en cinquième année des études supérieures, et être liée avec la profession future des étudiants. Les professeurs pensent que les étudiants en première année manque de connaissances et surtout de maturité pour étudier une discipline aussi complexe que la philosophie. La philosophie est enseignée dans toutes les facultés.
Deuxièmement, vu que les programmes scolaires et universitaires sont tout à fait différents en France et en Russie, les examens en philosophie diffèrent considérablement. Si en France, c'est une dissertation qui pousse l'élève à réfléchir et à exprimer son propre point de vue, dans la plupart des universités russes, c'est un examen oral qui consiste à réciter les nombreuses théories philosophiques et l'histoire de la philosophie.
Il reste encore beaucoup à réformer l'enseignement de la philosophie et de l'histoire en Russie, tant sur le plan didactique, méthodologique, que sur le plan idéologique Le moment crucial de cette réforme est la formation de futurs enseignants, car l'enseignement philosophique aujourd'hui manque énormément de jeunes professeurs avec un esprit libre.
(1) Titre de la thèse : "Étude comparative des systèmes d'évaluation dans l'enseignement supérieur en France et en Russie", Université de Reims.
(2) Apresïan R.G. " L'enseignement de la philosophie. Situation et perspectives ", projet " Développement du système éducatif en Russie ", Moscou, 2003. Voir aussi http://www.humanities.edu.ru/db/sect/309