(14 février 2004)
Un débat parlementaire sur l'éventualité de l'introduction de la philosophie dans l'enseignement secondaire belge, en parallèle ou en remplacement des cours de religion et de morale laïque, a eu lieu en décembre 2000. On trouvera le rapport introductif, l'état du débat et les interventions des différents groupes politiques, ainsi que les discussions qui se sont développées dans la société civile à cette occasion, dans l'ouvrage La philosophie à l'école, Editions Luc Pire, Bruxelles, 2001 (272 p.).
Un rapport de recherche a été établi à cette occasion, à la demande du Conseil de la Communauté française de Belgique, par N. Dauphin, sous la direction de J.F. Guillaume (Université de Liège), et C. Maroy (Université de Louvain), en octobre 2003 : " L'introduction de davantage de philosophie à l'école ".
Le Parlement francophone belge a enfin organisé le 14 février 2004 un colloque sur " La philosophie pour enfants - Apprendre à penser dès 5 ans à l'épreuve du modèle de M. Lipman ". Le matin, quatre interventions théoriques :
M.-F. Daniel, professeure agrégée de philosophie à l'Université de Montréal est intervenue sur les " Présupposés philosophiques et pédagogiques de M. Lipman et leurs applications " ;
F. Mortier, Directeur du Département de Philosophie et Science morale de l'Université de Gand a traité de l'" Evaluation de la méthode de M. Lipman comme moyen de développement personnel, cognitif et affectif ". Il a fait le point sur les recherches menées aux Etats-Unis depuis trente ans et au Québec depuis quinze ans concernant l'efficacité de la méthode sur le développement de compétences disciplinaires et transversales.
J. Lévine, psychanalyste de l'éducation, fondateurs des ateliers de philosophie de l'AGSAS en France, a décrit, puis explicité les présupposés et conséquences psychologiques, philosophiques et anthropologiques de ces expériences, amenant à enrichir l'approche de la culture.
M. Tozzi, professeur à l'Université de Montpellier 3 et Directeur du CERFEE-IRSA, a montré l'intérêt et la spécificité des approches de M. Lipman et J. Lévine, et a situé ces démarches de façon complémentaire par rapport aux travaux qu'il mène depuis quinze ans sur la didactique de l'apprentissage du philosopher.
L'après-midi, après la projection de la cassette vidéo sur Les grandes questions,un panel animé par C. Leleux, professeur de philosophie dans une Haute Ecole (équivalent d'un IUFM) a confronté les représentants des quatre associations belges sur la philosophie pour enfants avec les conférenciers, abordant avec la salle (250 inscrits) les pratiques concrètes du questionnement, des supports, du degré de guidage du maître etc.
Une journée dense, qui va déboucher sur un ouvrage de synthèse chez De Boeck.
M. Tozzi
(CRDP de Caen)
NOUVELLES PRATIQUES PHILOSOPHIQUES
" COMMENT DÉBUTER, POURSUIVRE, ANALYSER ? "
Le 4e colloque sur les nouvelles pratiques philosophiques a eu lieu au CRDP de Caen les 26 et 27 mai 2004, en présence d'une centaine de participants. J.-P. Gabrielli, Directeur du CRDP de Bretagne, ouvrait le colloque en retraçant l'historique des trois derniers colloques et des problématiques abordées (voir les trois ouvrages publiés par ce CRDP1).
F. Galichet introduisait l'état des lieux en constatant trois évolutions : du seul oral vers l'intégration de l'écrit ; l'appui important sur la littérature de jeunesse (avec des ouvrages ad hoc), impliquant un croisement avec le français ; et de nouvelles modalités (approches métaphoriques, dilemmes moraux...). Il clarifiait le statut de la croyance, en s'appuyant sur la définition qu'en donne Kant : un " besoin de la raison " pour agir, un assentiment subjectif, mais pour des raisons objectives à visée universalisante, qui s'oppose aussi bien au savoir scientifique qu'à la foi ou l'opinion. Le problème étant de savoir quel statut donner à cette croyance dans une discussion.
M. Onfray affirmait qu'il fallait s'appuyer sur le " naturel philosophique " des enfants dans les pratiques de classe (Il y a un atelier de philosophie pour enfants dans son université populaire, animé par G. Geneviève). Très critique par son option libertaire vis-à-vis de l'institution scolaire, il ne souhaitait pas l'institutionnalisation de ces innovations. Il pense que la philosophie peut être populaire, pourvu qu'elle se travaille. De ce fait il craint l'improvisation de nombreux cafés philo, non préparés, où l'animateur ne propose pas, comme il le fait à l'Université populaire de Caen, une vision personnelle du monde.
Les participants au colloque avaient la possibilité de suivre deux types d'ateliers sucessifs distincts :
un atelier continu de deux séances à choisir entre les thèmes " Débuter, poursuivre ou analyser ", où il s'agissait, en partant de contributions écrites préalables recueillies par Y. Picard du CRDP Bretagne, de mutualiser les nombreuses expériences présentes, en repérant les difficultés rencontrées et les pratiques permettant de s'y confronter.
Deux séances de mises en pratique, où l'objectif était de vivre chaque fois une situation proposée différente, puis de l'analyser : la méthode Lipman (S. Brel et V. Delille), le protocole Lévine (G. Chambard), l'arbre du respect (B. Saligny-Roger), un atelier d'écriture philosophique (M. Boeglin), le travail sur un texte philosophique (O. Brenifier), le café philo (C.E. Leroux), le dialogue socratique de Nelson (G. Prawda).
La dernière séance, animée par M. Tozzi, présentait une synthèse des ateliers thématiques à partir de quelques points significatifs :
le repérage de difficultés externes (relatives à la résistance à l'innovation d'une partie de l'institution) et internes (ex : absence de formation, réticence à aborder des sujets sensibles comme la mort...). Le recours à un intervenant extérieur compétent, le soutien constructif de professeurs de philosophie, l'accompagnement par un collectif d'analyse des pratiques semblaient facilitateurs ;
l'intérêt, dans une perspective de conceptualisation, d'ancrer la réflexion sur une question dans une approche corporelle ou métaphorique préalable ;
l'amorce d'un processus, avec ces nouvelles pratiques, d'un processus de transformation de l'identité professionnelle des enseignants, par le déplacement du rôle du maître (et des élèves) dans le rapport à la parole, au savoir et au pouvoir ; le pouvoir de l'animateur a été qualifié de " philosophique " : aider les élèves à problématiser, conceptualiser et argumenter...Il est souhaitable que le sens du questionnement contamine les pratiques des autres disciplines, pour ne pas s'en tenir à un " oasis de liberté " ;
le recours à un intervenant apporte une étrangeté formative dans la classe, que le maître doit prolonger en son absence ;
quand on poursuit dans la durée cette activité, le problème est de soutenir l'intérêt, et de maintenir les ambitions initiales, d'agir sur l'environnement ;
Quatre mots cristallisent les débats qui demeurent au sein du réseau :
La spécificité de ces pratiques : leur effet formateur constaté repose-t-il sur le caractère " philosophique " de l'activité (il y aurait alors un " effet-philo "), ou/et sur la dévolution de la parole aux élèves, et sur le dispositif de co-construction d'une réflexion ? L'expérience par les élèves (dans un cadre scolaire ou relativement " déscolarisé ") du questionnement suffit-il à caractériser la philosophie (il faudrait s'appuyer sur un " naturel philosophique " de l'enfant), ou l'apprentissage du philosopher nécessite-t-il une guidance du maître ? Est-ce la posture de l'enfant comme " sujet pensant ", l'interaction socio cognitive d'une communauté de recherche ou le degré de guidage du maître qui assurent la philosophicité de la démarche ?
La légitimité de ces pratiques : au nom de quoi, puisque ces pratiques ne sont pas scolairement obligatoires, se les autorise-t-on ? Au nom de quoi les nommer " philosophiques " ? Si l'accord se fait sur l'intérêt éducatif de ces activités, le débat reste vif entre professeurs de philosophie eux-mêmes, définissant différemment la philosophie et le philosopher, et entre praticiens et certains professeurs de philosophie, nombre des premiers jugeant cette polémique inutile, du moment qu'il y a formation réflexive...Un autre aspect est soulevé, le problème éthique d'une manipulation toujours possible de l'animateur des échanges.
La formation à ces pratiques : il y a accord sur la nécessité d'une formation. Mais laquelle ? Sur des méthodes assurément, avec aussi la capacité à s'accompagner pour analyser sa pratique. Mais quelle méthode, vu la grande diversité actuelle ? Et sur quel contenu : l'enracinement dans l'histoire de la philosophie, ses auteurs, les doctrines, ou/et des distinctions conceptuelles nécessaires pour penser (ex : légal/légitime, le fait/le droit...), ou/et le repérage et la mise en oeuvre de processus de pensée (problématiser, conceptualiser...) ?
L'institutionnalisation scolaire de ces nouvelles pratiques : la reconnaissance de cette innovation semble à l'unanimité souhaitable, pour lever les obstacles à son développement. Mais son entrée dans les programmes du primaire beaucoup moins : on craint la normalisation, la promotion d'une seule méthode aux dépens des autres, alors que la diversité, acceptée et même valorisée au colloque, semble une richesse. Il semble que l'orientation soit à ce que chaque praticien trouve son propre style, pourvu qu'il y ait d'une part une visée philosophique, d'autre part un cadre éthique à ces pratiques.
Un prochain colloque, organisé par I. Olivo, professeur de philosophie à l'IUFM de Caen, approfondira ces deux points de la formation et de l'institutionnalisation les 25 et 26 novembre.
CERFEE-IRSA (Montpellier 3) et LIRDEF (IUFM et Montpellier 2)
Les 4 et 5 juin 2004, à l'IUFM de Montpellier, dans le cadre de journées d'études sur " l'analyse des situations, des pratiques, de l'action et du travail en éducation et formation dans la perspective d'une socialisation démocratique ", a lieu un symposium animé par M. Tozzi sur :
Analyser les situations et pratiques scolaires de discussion à visée philosophique
De nouvelles pratiques à visée philosophique se développent actuellement dans le système scolaire français, en particulier à l'école primaire et au collège. Ayant touché d'abord des innovateurs, elles sont désormais favorisées par certains responsables institutionnels. Le problème de la formation, tant initiale que continue, se pose donc avec leur élargissement, car la philosophie n'est pas au programme officiel.
L' analyse des situations et pratiques professionnelles apparaît aujourd'hui centrale dans les processus de formation. Cette analyse peut donc être un moyen important pour les formateurs d'accompagner l'impulsion et l'approfondissement des nouvelles pratiques philosophiques à l'école, et un appui aux praticiens pour s'accompagner eux-mêmes dans l'intelligibilité et la pertinence de leur activité innovante.
Le symposium tentera, dans cette perspective, de faire un inventaire des démarches et outils d'analyse disponibles ou souhaitables de ces nouvelles situations éducatives et pratiques professionnelles, en travaillant leur spécificité didactique. Il s'agira notamment de prendre en compte :
la forme discussionnelle dominante qu'elles ont prises (comment analyser, par l'observation, la vidéo, le script etc. ce type de débat, sa spécificité épistémologique, l'éthique revendiquée, les différents types de dispositif, les interactions cognitivo-langagières du groupe, le rôle du maître, les fonctions des élèves etc.) ;
la visée philosophique qu'elles poursuivent (repérage des expériences à faire et/ou des types d'exigences intellectuelles à mettre en oeuvre) ;
leur effet démocratiquement socialisateur.
(1) Nouvelles pratiques philosophiques en classe, 002. Les activités à visée philosophique en classe : l'émergence d'un genre ?, 2003. La philo à tous les étages, 2004.