En 2001, Pierre Somville et moi-même publiions un petit livre intitulé La philosophie au programme1. Nous étions portés par un même souci : promouvoir une discipline absente de l'enseignement obligatoire en Communauté française de Belgique2. Il s'agissait de fustiger une situation pédagogique inacceptable.
En Belgique on parle de cours " philosophiques ". Ceci laisse croire, à tort, que les élèves entre six et dix-huit ans sont formés à un enseignement digne de ce nom. Le terme est ni plus ni moins usurpé. Il recouvre en effet une réalité tout autre, puisqu'il désigne l'ensemble des cours de religion ainsi que le cours de morale non confessionnelle. Au début de chaque année scolaire, le père de famille, ou l'élève, s'il a atteint sa majorité légale, a le devoir de choisir, en plus des cours obligatoires, soit un cours de religion catholique, protestante, orthodoxe, israélite, ou islamique, soit de morale non confessionnelle. Exception faite pour ce dernier, qui a cependant longtemps reçu le titre de morale laïque et dont on pourrait donc redouter quelques relents idéologiques, nous jugeons inacceptable que des cours de religion soient appelés " philosophiques ". Comment cautionner en effet qu'un cours où la référence essentielle est celle d'une vérité supérieure, répondant à l'autorité exclusive d'un magistère religieux, s'arroge le pouvoir d'enseigner ce qu'elle envisage de son propre point de vue, prétendument ouvert aux autres, comme étant de la philosophie ? L'engagement religieux plus ou moins explicite, mais toujours bien présent, cloisonne inévitablement la philosophie dans un statut qui la dénature. Nous disions ailleurs : " La philosophie ne se borne pas à susciter un questionnement sur le sens de la vie, ni à pourvoir les individus de solutions toutes faites pour résoudre leurs problèmes "3. Si certains des cours de religion font un usage occasionnel d'une démarche philosophique, est-ce une raison suffisante pour les qualifier de philosophiques ? Les religions chrétienne, israélite et islamique sont certes le terreau fécond de remarquables courants philosophiques, mais leur angle de vue se restreint à une vérité révélée. La philosophie ne peut s'en contenter.
La raison pour laquelle il n'y a pas de cours de philosophie en Belgique réside selon nous dans le combat acharné d'un clergé pour affirmer inlassablement son projet éducatif d'évangélisation. Face à lui, une laïcité moins tenace, divisée, n'a jamais su imposer pareil monopole et s'est donc toujours contentée d'une seconde place. Cela signifie que le combat pour l'émancipation morale et sociale s'est rapidement confiné en un conflit d'intérêts, chacun voulant défendre sa chapelle plutôt qu'oeuvrer à l'émergence d'un enseignement de qualité comprenant un cours de philosophie. Ce constat mérite quelques nuances. Elles seront essentiellement d'ordre historique. Gardons pour ailleurs - sujet de ma thèse de doctorat - d'autres analyses et la perspective d'autres horizons possibles...
Le cours de morale non confessionnelle inspirée par les principes du libre examen fait à nos yeux figure de victime du système scolaire belge. Il aurait dû s'affirmer, ne serait-ce que par les valeurs universelles qu'il pouvait transmettre, comme le seul cours digne d'une éducation morale. Or, l'histoire de l'enseignement ne nous le révèle que comme un pis aller, une alternative pour des élèves non catholiques. Ceux-ci étaient peu nombreux. Jusqu'en 1924 ils sont contraints, soit de suivre le cours de religion, soit d'aller en étude. Le cours de morale est très mal vu du milieu catholique. Sa création est l'aboutissement de longues tractations politiques entre des libéraux puis des socialistes se réclamant d'idéaux laïques, et des catholiques dont l'intransigeance conservatrice sera progressivement tempérée par l'arrivée de démocrates.
En 1830, la liberté de l'enseignement est inscrite dans la nouvelle Constitution belge. Catholiques et libéraux, qui sont les deux seuls partis existants alors et qui seront vite rivaux, ont trop souffert de l'autorité des souverains ayant occupé successivement nos provinces. Ni les idées de Marie-Thérèse d'Autriche, inspirées par l'esprit des Lumières, ni les réformes de Napoléon, bien que tempérées par la signature du Concordat, ou encore le despotisme d'un Guillaume d'Orange, n'étaient favorables à la libre propagation de la parole au sein des établissements scolaires. Dès lors au lendemain de l'indépendance, les constituants, même les libéraux anticléricaux, sont pressés d'inscrire entre autres valeurs dans la loi belge la liberté du culte et la liberté de l'enseignement : " L'enseignement est libre, toute mesure préventive est interdite, la répression des délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la loi ". La libre concurrence entre établissements scolaires est établie et l'État décide de l'octroi des subventions. Le monopole détenu par le clergé sur l'enseignement n'est pas près de s'estomper. Ses tractations politiques le conduisent à obtenir sans difficulté l'aide financière de l'Etat. La liberté de l'enseignement signifie rapidement " la liberté par l'État "4 qui du point de vue des crédits publics traite de façon égale écoles privées et écoles publiques. Cet article 17 va susciter de vifs débats. Il est à l'origine de toutes les querelles scolaires qu'a pu endurer notre pays.
Soulignons encore, pour comprendre l'ambiguïté des liens que notre pays entretient avec le clergé, que la culture y est foncièrement catholique. Le parti libéral reconnu comme opposant au parti catholique est lui-même composé d'une grande majorité de croyants : d'un côté il refuse la mainmise du clergé dans les affaires de l'État, de l'autre il est convaincu que les valeurs chrétiennes sont celles qu'il convient de défendre. Peu à peu cependant une tendance progressiste, franchement laïque, se dessine. Ses positions sont plus tranchées : le pouvoir temporel devrait enfin s'affranchir du pouvoir spirituel. Sans doute est-ce sans compter sur la ténacité du parti catholique, qui marque son attachement confessionnel au sein du pouvoir civil. L'État belge n'est pas laïque. Alors que la France met fin au régime concordataire en 1905, la Belgique finance encore aujourd'hui les cultes reconnus5.
L'éducation religieuse fait partie intégrante de l'instruction. Dans les deux principaux réseaux d'enseignement, le libre confessionnel et l'officiel, le cours de religion détient une place privilégiée. Si les libéraux soutiennent dès 1840 le développement de l'école de l'État, c'est dans un premier temps sans imaginer exclure l'enseignement de la religion au profit d'un cours de morale indépendante. Quand point cette idée, à la fin du XIXe siècle, elle déclenche les passions. Avant cela les revendications sont d'un autre ordre. Nous le disions ailleurs : " [...] au gré des gouvernements en place et par conséquent de la tendance politique du moment, des prises de position diamétralement opposées, soit en faveur de l'enseignement libre, soit en faveur de l'enseignement officiel vont se succéder "6. En 1842, le parti catholique fait voter la première loi organique pour l'école primaire. Des subsides sont officiellement octroyés aux écoles libres. En effet, toute commune doit avoir à sa charge au moins une école. Dans la plupart des cas une école primaire catholique y était déjà fonctionnelle. La commune est dès lors contrainte de l'entretenir. Par ailleurs, le cours de religion est obligatoire pour tout le monde.
Quelques années plus tard la majorité politique change. Les libéraux vont s'empresser de favoriser le réseau officiel afin d'y restreindre la présence du clergé. Ses représentants ne sont plus autorisés à enseigner que la religion. Cette mesure est bien vite contournée par la ruse cléricale et il faut attendre 1879 pour que des mesures radicales apparaissent. Un Ministère de l'instruction publique voit le jour, avec à sa tête un laïque convaincu, franc-maçon et anticlérical. Pierre Van Humbeeck décrète que chaque commune se doit d'entretenir une école neutre et laïque. L'enseignement de la religion y est supprimé et dans le meilleur des cas remplacé par un cours de morale. Le statut de celui-ci n'est pas clair, ses contenus le sont encore moins. On parle en effet d'une morale naturelle et universelle dont les principes sont finalement très proches de ceux de la morale chrétienne. Dès lors le gouvernement en place n'est pas enclin à faire valoir un cours de morale indépendante. Ni celle-ci ni la religion n'ont à vrai dire leur place dans un programme scolaire. Il revient à l'instituteur ou au professeur d'inculquer au travers de ses leçons les principales valeurs morales qui leur sembleront utiles. Ces dispositions heurtent violemment le monde catholique qui en appelle au boycott de l'école officielle. C'est une véritable guerre scolaire que vont se livrer les deux partis rivaux pour amener la population à choisir son camp. L'opinion publique, galvanisée par une résistance catholique forte, fustige cette loi perçue comme sacrilège. On ne lésine pas sur les moyens pour convaincre ceux qui ne le seraient pas encore. Le pape frappe d'excommunication les enseignants des écoles publiques et même les parents qui inscriraient leurs enfants dans ces " écoles du diable ". La pression idéologique est telle qu'aux élections suivantes les catholiques reviennent en force au pouvoir : toutes les mesures prises par le précédent gouvernement sont abrogées. Le cours de religion est aussitôt rétabli.
Le parti catholique reste au pouvoir jusqu'en 1914. Les laïques oeuvrent dans l'ombre. Modestement ils tentent de maintenir les quelques établissements d'État qui subsistent. En Belgique deux réseaux d'enseignement continuent d'exister côte à côte. C'est toujours la situation actuelle. Les seules dispositions significatives pendant cette période consistent en une augmentation accrue des subsides envers le réseau libre. En même temps les milieux laïques ne tarissent pas d'efforts pour faire entendre la pertinence qu'aurait un cours de morale indépendante au sein des établissements de l'État. On pourrait d'ailleurs se dire que si le Ministère de l'éducation avait été indépendant du pouvoir clérical, il aurait pu véritablement ne se consacrer qu'à l'enseignement officiel. Aujourd'hui encore, l'enseignement catholique est fréquenté par plus de la moitié des jeunes en âge d'aller à l'école ; l'État, dans toutes les décisions qu'il prend en matière scolaire, ne consent pas à le faire indépendamment d'un avis rendu par les autres pouvoirs organisateurs. Ceci explique sans doute qu'il a fallu faire preuve de tant de patience et de ruse pour pouvoir esquisser à partir des années vingt la possibilité de créer un cours de morale. Cela explique peut-être aussi que rien ne soit fait en faveur d'un enseignement de la philosophie.
Au début du XXe siècle, il faut compter avec la présence d'un nouveau parti sur l'échiquier politique. Le parti ouvrier, fondé en 1885, prend de l'importance et vient contrebalancer heureusement les hésitations libérales et le refus catégoriques des catholiques d'intégrer un cours de morale dans le cursus scolaire. Le combat n'est pas gagné d'avance, et il dépendra une fois encore de la majorité politique au pouvoir. En 1919, Jules Destrée devient Ministre des Sciences et des Arts, il a l'éducation en charge. La guerre avec ses horreurs a donné à réfléchir. Il est temps de remettre au goût du jour l'importance de certaines valeurs universelles qui transcendent la simple adhésion à une religion. Les projets du ministre donnent lieu à un programme d'éducation morale et civique pour l'enseignement primaire. On peut estimer que c'est à partir de 1924 qu'est officiellement organisé un cours de morale à tous les niveaux d'enseignement. Il se présente comme un pis-aller. Si les élèves non catholiques ont théoriquement le droit de s'y inscrire, cela reste exceptionnel. " Certes, nous dit Marcel Coulon, depuis Destrée, on a créé pour tous un cours de morale laïque qui vaut ce qu'il vaut. Mais en pratique, le cours de religion reste au pinacle. L'enfant qui en est dispensé ne reçoit rien en échange. Et la formule du certificat de dispense est calculée pour donner au père de famille l'impression d'une déclaration d'amoralité "7. Les catholiques sont convaincus que seule l'éducation religieuse est porteuse de moralité et de civisme. Ils freinent des quatre fers pour empêcher toute évolution dans le sens du développement d'un cours de morale. La Seconde Guerre mondiale met pour un temps une sourdine aux revendications des uns et des autres. Il faut attendre 1954 et l'avènement d'un ministre socialiste anticlérical et autoritaire pour imposer brutalement toute une série de mesures privilégiant le réseau officiel et lésant par là même le réseau confessionnel. Avec des mesures aussi radicales on fait pis que mieux. L'histoire ne semble pas éviter que se reproduisent les mêmes erreurs. Les subsides sont bien évidemment revus à la baisse pour l'enseignement libre confessionnel. On exige que la majeure partie du corps professoral du réseau officiel soit diplômé de ce même réseau, ce qui signifie le licenciement de quantités d'enseignants diplômés du réseau libre. Les réactions ne se font pas attendre. La résistance s'organise immédiatement. La chaire de vérité reprend du service et les manifestations paralysent le pays. La deuxième guerre scolaire s'engage sur une campagne de dénigrement radical des établissements officiels. L'absence de dialogue est frappante. La politique scolaire est désastreuse. Elle ne profite à personne si ce n'est à maintenir tant bien que mal les idéaux de quelques bastions plus soucieux de leurs propres intérêts que de la qualité de l'enseignement. Quelques politiciens modérés finiront par le comprendre. Catholiques ou laïques, certains voient l'urgence d'apaiser les tensions et d'oeuvrer à l'avènement d'un projet éducatif cohérent. On est sur le point d'aboutir à un compromis honorable. Malheureusement la modération ne concourt par toujours au débat constructif. Ici, en tout cas, elle est le vecteur d'une langue de bois qui muselle toute initiative sortant des limites imposées par le Pacte scolaire. Celui-ci est conclu en 1958 et ratifié par la loi portant le même nom en 1959. Cette loi dite du Pacte scolaire part sans doute d'une bonne intention : faire taire les querelles. Mais si elle fixe enfin un cadre légal pour le cours de morale, elle le réduit au même titre que le cours de religion. Un cours de philosophie semble ainsi exclu.
Voici ce que dit l'article huit de ce Pacte : " Dans les établissements officiels ainsi que dans les établissements pluralistes8 d'enseignement primaire et secondaire de plein exercice, l'horaire hebdomadaire comprend deux heures de religion et deux heures de morale. Dans les établissements libres subventionnés se réclamant d'un caractère confessionnel, l'horaire hebdomadaire comprend deux heures de religion correspondant au caractère de l'enseignement. Par enseignement de la religion, il faut entendre l'enseignement de la religion (catholique, protestante, israélite, islamique9 ou orthodoxe10) et de la morale inspirée par cette religion. Par enseignement de la morale, il faut entendre l'enseignement de la morale non confessionnelle ". Cet article a été inspiré par une certaine volonté d'ouverture et de pluralisme. Il ne transparaît absolument pas dans la situation scolaire telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Le Pacte scolaire n'a fait que renforcer le cloisonnement des réseaux, et en accordant la légitimité absolue à la coexistence des cours de morale et de religion, il a cadenassé toutes les possibilités visant à faire autre chose. C'est du moins ce qu'avanceront les politiciens réticents à modifier une tradition qui ne les indispose pas plus qu'elle ne les arrange. Ils y sont tout simplement indifférents. La perspective de créer un cours de philosophie ne laisse percevoir aucun intérêt immédiat. Ceci nous conduit parfois à penser que nos espoirs sont à mettre aux rangs des illusions et à nous laisser convaincre par la citation suivante : " Un jour il vit de grands moulins à vent qu'il prit pour des géants "11. Nous ne devons cependant pas céder au découragement. Le meilleur moyen d'y contrevenir reste pour nous la dénonciation d'une certaine tendance de notre politique scolaire. Bridée par la toute-puissance du réseau libre, elle s'est rivée à l'énonciation théorique de principes qui n'ont jamais eu qu'une portée fantasmatique. Qui se risquerait en effet à définir les concepts de neutralité ou encore de pluralisme applicables aux établissements du réseau officiel ? N'est-ce pas une mystification politique ? Comment ne pas y penser dans une institution où s'organisent côte à côte, mais sans jamais se croiser, des cours " dits philosophiques " relevant, sauf pour le cours de morale, de cinq magistères différents ? Dans le décret sur la neutralité voté en 1994, il est explicitement recommandé aux enseignants de ne faire preuve d'aucun prosélytisme idéologique. Ceci ne valant évidemment pas pour les titulaires des cours " dits philosophiques " qui eux peuvent prêcher pour leur paroisse respective. Ils doivent cependant s'abstenir de " dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles ". De quelle neutralité s'agit-il si elle n'est pas valable pour tous ? De quel pluralisme nous avise-t-on s'il ne donne lieu qu'à des cours cloisonnés, dont certains s'apparentent à une instruction religieuse ? En pareil cas, qui peut nous assurer que les élèves sont formés à développer leur esprit critique ? Il y a bien chez nous des personnes pour nous dire que ces cours favorisent le développement d'une identité personnelle authentique, des potentialités à une citoyenneté épanouie et autonome. Ce sont les mêmes qui voient dans la philosophie la menace d'une pensée unique, l'ombre d'un nouvel obscurantisme. Nous baignons dans le paradoxe ou dans le malentendu. En 2000, le Ministre-Président de la Communauté française de Belgique a suscité l'émoi, voire l'indignation auprès de ces personnes, en faisant part de son intérêt pour la création d'un cours de philosophie et d'histoire comparée des religions. Les pouvoirs organisateurs des cours de religion et des militants laïques ont aussitôt constitué un groupe de résistance mettant sur pied pétition, débats publics et autres manifestations pour clamer l'importance de leurs cours. Cette mobilisation commune a donné lieu à la rédaction d'un Manifeste pour la coexistence des cours " dits philosophiques ". Les inspecteurs du cours de morale ont assez rapidement pris leur distance par rapport à ce mouvement, plus polémiste que prompt au dialogue constructif. Sans doute est-ce ce vent de tourmente qui a fait tourner court le débat parlementaire et le rapport qui en a résulté. On nous a brandi le manque de moyens et les impasses législatives. Mais au fait le Ministère de l'éducation ne redoutait-il pas en réalité une troisième guerre scolaire ? Le clergé n'a certainement plus le même pouvoir qu'au début du siècle dernier. Il n'en tient que plus à maintenir le cours de religion dans le réseau officiel, dernier bastion d'un monopole qui ne cesse de se rétrécir. La création d'un cours de philosophie, avec le risque de voir supprimer les cours " dits philosophiques ", contreviendrait à ses intérêts.
Il n'y a que les pouvoirs organisateurs eux-mêmes qui sont prêts à défendre les valeurs incontournables des cours dont ils ont la charge. Nous sommes loin de les nier de but en blanc. Ce sur quoi nous voulons attirer l'attention, c'est que ces cours ne sont pas d'ordre philosophique, ils sont d'ordre confessionnel. Quant au cours de morale qui fonctionne en parallèle avec les cours de religion, il nous paraît un peu en porte-à-faux et n'a certainement pas la place qu'il mérite. Son nouveau programme est le modèle même d'un programme de philosophie. Sa spécificité est strictement différente de celle des cours de religion. Cependant tous les cours " dits philosophiques " sont traités de la même façon. L'article 24 de la Constitution12 et l'article 5 du décret sur la neutralité l'affirment clairement. Ceci n'empêche pas le peu d'intérêt dont ces cours bénéficient. En effet il est inutile de se voiler la face, les cours " dits philosophiques " souffrent d'une certaine forme de marginalisation. Aucun titre spécifique n'est requis pour enseigner la morale ou la religion. Si les licenciés en philosophie, en philologie romane ou en histoire ont souvent la priorité, il n'est pas rare de trouver des diplômés d'autres facultés sans même parfois de complément pédagogique. Les plages horaires réservées aux deux heures de morale ou de religion sont très souvent celles dont personne ne veut. Autre signe de ce dénigrement : les cours " dits philosophiques " ne sont plus soumis à une évaluation terminale. Or, aux yeux des élèves, un cours où il n'y a pas d'examen est un cours qui n'est pas important. Dès lors on ne le prend pas au sérieux et la rumeur s'est vite répandue que l'on n'y fait pas grand-chose. Pour avoir enseigné la morale pendant quatre ans dans plusieurs établissements, dans tous les degrés et dans toutes les filières, je peux en témoigner. A chaque nouvelle classe, la même difficulté se présentait : convaincre les élèves de l'utilité du cours et d'y travailler. Par ailleurs, jusqu'où la mosaïque des cours proposés répond encore à un besoin précis des élèves ? Dans mes classes, j'avais régulièrement des élèves croyants, catholiques ou musulmans. L'attachement religieux des uns et des autres mérite notre estime, mais faut-il vraiment l'ériger en un droit à la différence et continuer à accepter que des élèves curieux de ce que représente la culture de l'autre ne soient confrontés qu'à la confession qui est la leur, soit par conformisme social, soit parce qu'ils sont obligés de choisir... ? Alors que la multiculturalité semble aujourd'hui constituer le meilleur rempart contre les dogmatismes en tout genre, nous nous contentons d'isoler nos élèves dans une vision restreinte. La création d'un cours où l'on pourrait faire dialoguer les idées, les religions, les cultures, ouvrant au vrai questionnement philosophique, et par conséquent à la citoyenneté, nous semble la solution idéale dans un système éducatif où une nouvelle réforme pédagogique suit son court, celle des missions de l'enseignement. Reste à voir si elle sera à la hauteur de ses ambitions théoriques.
(1) Bruxelles, Ed. Labor et Espace de Libertés, Coll. Liberté j'écris ton nom.
(2) La situation est à peu de choses près identique en Communauté flamande. Cependant depuis 1989, des élèves inscrits dans le troisième degré de l'enseignement secondaire et qui ont fait le choix de la section " sciences humaines " peuvent suivre un cours d'une heure par semaine intitulé Wijsgerige strommingen (courants philosophiques) dont le contenu est véritablement philosophique.
(3) Idem, p.47.
(4) Voir G. HAARSCHER, La Laïcité, Puf, Coll. Que sais-je ?, 1996, p.4.
(5) Ceci concerne les cultes catholique, anglican, protestant, orthodoxe, israélite, musulman. Depuis 2002, la laïcité est elle aussi reconnue au même titre que ces cultes. Ceci soulève d'ailleurs bon nombre de questions et remet selon nous en cause l'authenticité d'une laïcité dynamique et indépendante.
(6) La philosophie au programme, p. 7.
(7) "Le cours de Religion et de Morale dans l'enseignement public",Bruxelles, supplément au bulletin n°4 de la Ligue de l'Enseignement, document n°147, 1955, p. 6.
(8) Faute de moyens, ces établissements n'ont en réalité jamais existé. En théorie l'école pluraliste aurait du concrétiser l'idéal d'une école sans clivages religieux ni idéologiques d'aucune sorte, valorisant véritablement un principe de tolérance pleinement vécu.
(9) Depuis 1974.
(10) Depuis 1985.
(11) Don Quichotte.
(12) Il s'agit de l'ancien article 17 modifié.