Disons-le tout net, c'est une gageure, et aussi un entraînement à la prise de décision, décision à prendre à tout instant concernant... ce que je retiens, ce que je laisse de côté, comment je classe, je regroupe, je contracte... je relie... Avec, bien entendu, toutes les limites de " réalité " concernant :
- la synthèse " à chaud ", à mi-course, dans l'immédiateté, difficilement détachée de l'émotionnel, avec peu de possibilité de recul ;
- la synthèse après-coup, plus distanciée, à visée plus globalisante, avec les failles de la mémoire et de la reconstruction ;
- la question de l'écoute, grande question, en lien étroit avec la personne de l'écoutant, qui ne peut faire qu'avec ce qu'il est...
Autant de dimensions qui invitent à la modestie.
Pour accepter d'assumer cette place, une forte motivation est nécessaire, ainsi qu'une certaine dose de sérénité concernant tout ce qui n'a pas été entendu, compris, tout ce qui n'a pu être rapporté, écrit dans un compte-rendu, alors que, sans doute, cela aurait mérité de l'être. Mais choisir, c'est abandonner, et là aussi une synthèse ne peut se faire sans assumer ces abandons.
Pour tenter d'expliquer comment je m'y prends, et ce que je cherche à faire dans les synthèses des cafés philo, je crois nécessaire de dire quelque chose de qui je suis, par honnêteté, pour la compréhension du " comment j'écoute " et " comment je reconstruis ", avant de décrire et expliciter ce qui va constituer la synthèse à mi-course, au retour de la pause, et enfin le compte-rendu après-coup de l'ensemble de la discussion qui sera remis aux participants lors du café philo suivant.
Je suis conseillère d'orientation psychologue et formatrice d'adultes. J'ai donc une formation de psychologue, psycho-sociologue, une longue pratique du " tenir conseil " et de l'animation de groupe. S'y ajoutent un vif intérêt, omniprésent, pour toutes les questions existentielles, et la façon dont on y réfléchit, un goût immodéré pour les relations humaines, la vie des groupes, et enfin, une sensibilité quasi-pathologique pour tout ce qui concerne la question de la démocratie et de son exercice. Ajoutons-y une passion pour l'humain et son développement... et pour l'essentiel, nous aurons fait le tour de la personne.
Après ces longs préalables, nous pouvons entrer dans ce que l'on appelle " le vif du sujet ".
Pour ce qui concerne la synthèse à mi-course, faite au retour de la pause, il s'agira d'une synthèse orale, " à chaud ", de ce qui aura été exprimé dans la première partie de la discussion. Il y aura eu écoute attentive et prise de notes consciencieuse durant le déroulement de la discussion, sortes de " minutes " avec les contenus les plus fidèles possibles des énoncés attribués à leurs auteurs.
Durant la pause, il s'agira de préparer rapidement le contenu de la synthèse, ce qui n'est pas toujours commode car c'est aussi le moment convivial et apéritif, et il n'est pas facile de s'en extraire, de s'isoler.
L'objectif est le suivant : restituer au groupe une sorte de déroulement des problématiques, réflexions, et arguments énoncés, de type chronologie, cheminement, histoire brève de la pensée développée jusqu'à cet instant. Sorte de miroir qui tentera de renvoyer, resituer, rappeler l'endroit où nous sommes arrivés, et par où nous sommes passés. Quelques regroupements, mises en liens, contradictions peuvent être soulignés, mis en évidence. Mais l'ensemble, l'intention est de renvoyer un " reflet " de ce qui s'est déroulé durant la première partie, dans ce qu'on pourrait appeler une " vision cinéma ".
Les différentes opérations mentales convoquées dans cette phase pourraient être décrites comme suit :
- écouter la personne qui se dit dans son expérience d'humain au travers de sa pensée ;
- comprendre le sens de ce qui est énoncé parfois dans la complexité, l'élaboration de la pensée dans l'instant, née d'un insight, d'un besoin d'expression urgent, d'une émotion qui va provoquer une mise en mouvement de la pensée dans une direction parfois inattendue ;
- reformuler, refléter : reprendre l'essentiel de ce qui est dit avec les mots et y rajouter un soupçon de l'émotion exprimée par le non-verbal et qui va rajouter du sens, ou le nuancer ;
- contenir, être le contenant (autant que faire se peut, et dans les limites de l'appareil) ; ce qui laissera trace sera ce qui aura été inscrit dans ce cadre, avec l'inconvénient de la limite, et l'avantage de la structure ;
- mettre en lien, enchaîner les pensées dans une première structuration, après qu'elles se soient " répondues les unes aux autres, après qu'elles aient résonné, fait écho, temps où elles se sont complétées, juxtaposées, opposées, explicitées, exemplifiées.
C'est l'ébauche d'une construction de la pensée collective en gestation, qui va " tricoter le Je et le Nous ".
- raisonner avec le groupe, soi-même caisse à écho des pensées qui frisent, se côtoient, se confrontent, donnent à réfléchir, à s'émouvoir, à réagir, donnent à reconstruire sa pensée personnelle ;
- restituer au groupe à mi-course un reflet de son cheminement dans l'ébauche d'un agencement provisoire de la problématique en train de se développer.
Patchwork qui peu à peu deviendra mosaïque où se distingueront des formes.
Les objectifs du compte-rendu global " à froid ", après-coup, seront différents. Il s'agira là plutôt de donner l'état final de la réflexion collective sur un sujet, un thème, dans tel groupe, à un moment donné (ce qui ne dit rien bien entendu sur le cheminement de la pensée de chacun, ou de quelques uns par la suite).
L'idée est de restituer aux participants une trace de la discussion collective qui constituera la mémoire d'une réflexion unique, originale, imprévisible, création d'un certain groupe, à un moment donné, oeuvre éphémère, qui sera fixée cette fois dans l'instantané d'une vision " photo ".
La forme sera celle d'un écrit, aussi clair que possible, ne dépassant pas un recto-verso. Cet écrit rappellera les problématiques évoquées sur un thème, les interrogations et argumentations développées dans le groupe, bien souvent en s'appuyant sur des expériences vécues, ou un savoir qui sera réinterrogé dans la confrontation avec les réflexions des participants ici présents. Dans ce cas, il s'agira de reconstruire l'ensemble pour une remise en forme des contenus énoncés, en les regroupant par grandes directions, sans trahir le cheminement de la pensée qui s'est construite dans le groupe. Cette fois, les opérations à effectuer seront les suivantes :
- reprendre les différentes idées exprimées, les mettre en regard pour réorganiser l'ensemble dans une problématisation globalisante après-coup, reprenant l'ensemble des énoncés premier et second temps (après la pause) confondus ;
- reconstruire un ensemble " épuré " où l'essentiel de la pensée collective sera repris pour être réorganisé autour de quelques axes forts, reflétant l'état de la pensée de ce groupe sur ce sujet, et ce jour-là, à cet instant ;
- respecter les énoncés autant que faire se peut, pour les nécessités de la synthèse, sans trahison et sans rajouts ;
- relancer parfois le questionnement en bout de course, soit parce qu'il s'est manifesté à cet instant en tant que tel, soit parce qu'il paraît s'imposer dans la logique de la construction.
En conclusion, on dira simplement qu'il s'agit d'un périlleux exercice, mais qui ne va manquer ni de surprises, ni de tensions, ni de jubilations !!!