Balaruc, mars 2003
Le colloque de Balaruc a été un succès quantitatif : cent trente participants de l'Éducation Nationale, malgré le nombre de refus d'autorisation d'absence, de remplacement pour le premier degré et surtout de prise en charge financière par certains Rectorats ou Inspections académiques. Vingt académies représentées, avec leurs équipes d'accompagnement des innovations qui en répercuteront les réflexions. Ce n'était pas le premier colloque " officiel " (celui de mai 2002 était coorganisé avec le Crdp de Rennes), mais une manifestation interacadémique à l'initiative d'un Recteur en informant ses collègues, placée sous le signe de l'innovation puisque coorganisée avec le Bureau des Innovations du Ministère, dirigé par C. Faucqueur, et les équipes innovations des académies de Montpellier, Caen et Créteil.
Le colloque, ouvert par G. Bontemps, responsable de la Direction Académique de la Formation des Personnels et de l'Innovation, au nom du Recteur de l'académie de Montpellier, comportait des enjeux importants. L'Inspection générale de philosophie, bien qu'il ne s'agisse pas du lycée, a demandé d'y participer, ce qui a infléchi le titre du colloque : de " La discussion à visée philosophique à l'école primaire et au collège " à : " Des expériences de débats à l'école primaire : discussion à visée philosophique ou pensée réflexive ? " Le bureau des Innovations, comme c'est son rôle, tenait à problématiser le sens de ces pratiques innovantes. L'axe du colloque, qui avait pour objectif au départ de faire l'état des lieux des pratiques, formations et recherches, et de permettre la confrontation entre praticiens de différentes sensibilités, s'est orienté dans certaines séances plénières vers une question préjudicielle : ces pratiques, ou tout au moins certaines d'entre elles, sont-elles vraiment de nature philosophique, si non pourquoi, si oui en quoi, ce qui engageait la précision délicate de ce que l'on entendait par " philosopher ". Avec une question subséquente : si l'on veut maintenir une " visée philosophique ", quelle formation souhaitable, voire nécessaire ?
M. Tozzi, responsable scientifique du colloque, faisait l'état des lieux (que précisait pour l'Hérault J.-L. Cousquer, IA-adjoint), et présentait la problèmatique, à partir des enjeux et des spécificités ; F. Raffin, responsable de l'équipe de didactique de la philosophie à l'Inrp, présentait les conditions auxquelles une discussion pouvait devenir philosophique, point repris par la suite par I. Olivo, professeure de philosophie à l'Iufm de Caen ; J. Hébrard, Inspecteur Général du premier degré, montrait le sens culturel des nouveaux programmes du primaire, où les débats prennent sens à partir de la littérature de jeunesse.
Les tables rondes donnèrent lieu à des échanges courtois sur la forme, mais très différents sur le fond : J. Limouzin, IPR d'histoire-géographie faisait le lien avec l'esprit actuel des programmes d'éducation civique ; L. Vincenti, maître de conférences en philosophie à Montpellier 3, récusait fermement toute prétention philosophique de ces pratiques ; Mme Menasseyre, doyenne de l'Inspection Générale de philosophie, insistait sur le rôle de part en part philosophique de l'instituteur dans sa pratique quotidienne, sans besoin de ce fait de moments spécifiques ad hoc, et plaidait pour le retour à une forte formation philosophique des professeurs d'école en Iufm.
Sur ce terrain de la formation, alors que certains proposaient une formation philosophique des enseignants classique, à base de cours et d'étude de grands auteurs, d'autres, comme M. Bailleul, maître de conférences à Caen et J.-C. Pettier, professeur de philosophie à L'Iufm de Créteil, témoignaient de stages (jusqu'à quatre semaines à Caen !), où l'expérience vécue par les stagiaires de discussions à visée philosophique entre eux suivie de leur analyse d'une part, et l'analyse de pratiques professionnelles expérimentées sur le terrain entre les sessions d'autre part, étaient fondamentales dans le processus de formation. Il serait vain d'ailleurs d'opposer deux modalités qui peuvent chacune entraîner à philosopher.
En séance plénière furent par ailleurs exposées, vidéo à l'appui pour certaines, différentes approches pratiques, confrontées ensuite dans des ateliers : l'articulation avec un travail sur la maîtrise de la langue orale (J. Caillier), ou avec la pédagogie institutionnelle et l'éducation à la citoyenneté (S. Connac) ; le protocole Pautard-Lévine autour de la construction identitaire d'un sujet qui fait l'expérience publique de sa pensée ; enfin l'appui de départ que peut donner la " méthode Lipman " pour élargir sa perspective (G. Geneviève). Alors que l'Inspecteur Général de philosophie Chateau, ouvert sur l'aspect formateur de pratiques jugées réflexives, ne voyait guère cependant la trace d'exigences philosophiques dans les expériences rapportées, M. Tozzi rappelait que précisément elles prenaient une visée philosophique si l'on y parlait en vue de penser, si les dispositifs démocratiques mis en place s'acccompagnaient d'exigences intellectuelles en matière de problématisation des évidences, de conceptualisation des notions et d'argumentation rationnelle dépassant les exemples, points de repères pour ceux qui voulaient se lancer dans l'expérience.
Une deuxième vague d'ateliers partait d'une approche thématique de points nodaux : le statut du questionnement, et d'abord de celui des enfants dans ces expériences ; la vigilance sur les processus de pensée à mettre en oeuvre ; la déontologie nécessaire sur des sujets souvent sensibles, et l'éthique discussionnelle à promouvoir ; les contenus et les modalités de la formation. E. Laloy, professeur de philosophie à Caen, tentait avec E. Jardin une synthèse des points d'accord et de discussion, tandis que F. Galichet, professeur des universités en philosophie et grand témoin, situait l'intérêt de cette innovation dans une perspective socio-historique et didactique. Côté pratique, D. Mercier, avec A. Delsol et F. Carraud, avaient animé un soir un café-philo sur " Les maux de la démocratie ", pendant que J.-F. Chazerans montrait toutes les possibilités de s'informer de ces pratiques sur internet (sites, listes de diffusion...).
Réflexions de participants : il y a ceux qui continueront le travail entrepris, peu leur importe de savoir s'il est philosophique ou pas, du moment qu'il est formateur ; ceux qui parleront désormais plutôt de " pensée réflexive " pour nommer leurs pratiques ; et ceux qui maintiennent la visée philosophique de leur travail, le mot et les exigences du " philosopher ". Ce ne seront pas les derniers à se former davantage, mais la formation à des pratiques innovantes demande toujours mutualisation, analyse, accompagnement... C'est précisément la formation qui sera au centre du colloque des 4 et 5 juin 2003 à Nanterre1 ! Les Actes du colloque de Balaruc seront ultérieurement publiés par la Direction de l'Enseignement Scolaire du Ministère.
(1) Compte-rendu dans le prochain numéro de Diotime-L'Agora.