Ce que je vous propose, ce sont trois modes différents de lecture de textes philosophiques courts que j'utilise dans mes classes technologiques; la méthode est une béquille, elle ne remplace ni l'intelligence ni la réflexion. Ces modes, je les appelle: lecture littéraire; lecture structuraliste; lecture phénoménologique. Pour en faire réellement l'exercice je vous propose quatre textes. Chacun se prête à ces méthodes.
Ce que les gens veulent, c'est qu'on naisse lâches ou héros. Un des reproches qu'on fait le plus souvent aux Chemins de la Liberté trilogie écrite par Sartre (1945-1949) se formule ainsi:
"... mais enfin, ces gens qui sont si veules, comment en ferez-vous des héros? Cette objection prête plutôt à rire car elle suppose que les gens naissent héros. Et au fond, c'est cela que les gens souhaitent penser: si vous naissez lâches, vous serez parfaitement tranquilles, vous n'y pouvez rien, vous serez lâches toute votre vie, quoi que vous fassiez; si vous naissez héros, vous serez aussi parfaitement tranquilles, vous serez héros toute votre vie, vous boirez comme un héros, vous mangerez comme un héros. Ce que dit l'existentialiste, c'est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de cesser d'être un héros. Ce qui compte, c'est l'engagement total, et ce n'est pas un cas particulier, une action particulière, qui vous engagent totalement. "
Jean-Paul SARTRE
" La foule... a longtemps méconnu le philosophe, elle l'a confondu soit avec l'homme de science et le savant idéal, soit avec le mystique exalté qui, affranchi de la morale, retiré du monde s'enivre de Dieu; et quand de nos jours on entend dire d'un homme qu'il mène la vie du " sage " et du " philosophe ", cela ne signifie presque rien de plus qu'une vie " prudente " et " retirée ". La sagesse, aux yeux du vulgaire, c'est un refuge, un moyen, un artifice, pour tirer son épingle du jeu; mais le véritable philosophe, ne le sentons-nous pas, mes amis, ne vit ni en " philosophe " ni en " sage ", ni surtout en homme prudent et sent peser sur lui le fardeau et le devoir des cents tentatives, des cent tentations de la vie; sans cesse il se met lui-même en jeu, il joue le mauvais jeu par excellence. "
Friedrich NIETZSCHE
" Les difficultés qu'on rencontre au cours d'une lecture philosophique tiennent rarement au vocabulaire, quoique ce soit presque toujours au vocabulaire qu'on les attribue. Il est inutile et il serait d'ailleurs le plus souvent impossible au philosophe de commencer par définir - comme certains le demandent - la nouvelle signification qu'il attribuera à un terme usuel, car toute son étude, tous les développements qu'il va nous présenter auront pour objet d'analyser ou de reconstituer avec exactitude et précision la chose que ce terme désigne vaguement aux yeux du sens commun; et la définition en pareille matière ne peut être que cette analyse ou cette synthèse; elle ne tiendrait pas dans une formule simple. Parti d'un sens qu'il n'a pas besoin de définir parce que c'est celui que tout le monde connaît, le philosophe aboutit à un sens qu'il a parfaitement défini s'il est maître de sa pensée: son exposé est cette définition même. "
Henri BERGSON
" Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle de puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie... Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ, c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand et l'abeille confond par sa structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas seulement qu'il opère un changement de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. "
Karl MARX</Emphasis>
Elle a l'avantage d'être proche de ce que l'élève a déjà pratiqué en collège et en lycée; il lui faut toutefois ne pas se contenter de réponses succinctes, mais réfléchir sur le sens des réponses apportées; c'est-à-dire que l'on ne peut traiter cette méthode comme une mécanique.
Elle suppose que le texte est cohérent, alors même que plusieurs points de vue sont exprimés et qu'il y a souvent plusieurs types d'interlocuteurs; c'est ce que l'élève doit découvrir et ne pas faire dire à Sartre que nous sommes nés tels et qu'il n'y a rien à changer. L'élève au bac ne voit pas qu'il y a " les gens ", les critiques et le philosophe pas plus qu'il ne voit dans le texte de Nietzsche qu'il y a la foule, " les amis " le philosophe - ou dans le texte de Marx qu'il y a une différence fondamentale entre le résultat du travail de l'abeille et celle du travailleur; trop souvent l'élève en vient à dire que l'animal fait mieux le travail que l'homme ou que l'ordinateur est plus intelligent que l'homme. L'élève oublie que le texte philosophique s'adresse à lui et qu'il a à se positionner.
Faites cet exercice en suivant les indications:
1. lisez le texte;
2. numérotez les lignes du texte;
3. lisez le texte au moins trois fois;
4. soulignez les sujets avec leur verbe et les verbes avec leur négation. (ligne par ligne);
5. remplacez-les " il " " on "... par les noms;
6. soulignez les mots clés importants rencontrés au cours de cette relecture (ligne par ligne);
7. encadrez phrase par phrase, les mots de liaison: de coordination, de subordination, d'opposition;
8. posez-vous les dix questions qui suivent et répondez-y (questions à apprendre par coeur);
9. formulez à partir de ces réponses la problématique du texte;
10. à partir de cette problématique, faites votre plan ou répondez en paragraphes aux questions posées.
QUI
1. qui est l'auteur de ce texte? situez-le.
2. qui parle dans ce texte?
3. qui répond?
4. à qui l'auteur s'adresse-t-il dans ce texte?
5. de qui s'agit-il dans ce texte?
QUOI
6. de quoi (opinions) s'agit-il dans ce texte?
7. de quelles notions philosophiques le texte fait-il l'objet?
8. quelle thèse (ce qui s'oppose à l'opinion) est posée?
9. quels sont les arguments justificatifs de la thèse de l'auteur?
10. quelles nouvelles questions pose le texte?
Elle part du présupposé qu'un texte ne se construit pas de façon linéaire, mais que les idées se juxtaposent comme des séquences de creusement d'un puits, comme si l'auteur n'avait jamais fini d'en faire le tour, sans jamais pour autant s'écarter d'un centre de pensée qu'il tente de cerner. Au-delà des redites, des nuances, des retours en arrière, des modifications et des oppositions d'idées, le texte présente un ensemble spontanément structuré et vivant; c'est cet aspect qu'il importe de prendre en compte dans ce mode de lecture. Cette méthode paraît parfois difficile aux élèves les moins vifs et qui manquent d'à propos ou qui lisent un texte de l'extérieur, mais elle est celle qui permet l'explication d'un texte d'une manière la plus personnelle.
Tentez l'exercice en suivant les indications:
1. lisez le texte en articulant;
2. numérotez les lignes;
3. encadrez les mais, cependant, toutefois, et... en début de phrase ou de proposition;
4. relisez le texte;
5. au fur et à mesure de la lecture, soulignez ou surlignez les mots clés (un groupe de sens par ligne) sans oublier leur négation;
6. notez ces mots clés numérotés par ligne au brouillon;
7. rapprocher la première et la dernière ligne, la seconde et l'avant-dernière etc.;
8. formulez les sens obtenus;
9. posez les questions critiques que ce texte vous suggère;
10. construisez à partir de ces sens et des questions, la problématique du texte; elle servira à établir votre plan.
LA LECTURE PHÉNOMÉNOLOGIQUE
Elle part du présupposé que la phénoménologie met l'accent sur l'idée qu'un écrit contraint de passer par des modes linguistiques dévoile et cache à la fois le sens des choses. Il reste possible de dégager ces sens notamment en travaillant sur les verbes qui donnent forme et sens à la pensée. C'est cette manifestation de la pensée que nous voulons saisir.
Pour appliquer cette méthode, l'élève doit posséder assez de grammaire et d'analyse grammaticale; en fait peu d'élèves s'y frottent car les acquis de collège se sont envolés au profit de l'à peu près ou n'ont pas été vécus comme moyens de dynamiser un texte.
Osez l'exercice sur un ou plusieurs textes proposés:
1. lisez le texte au moins deux fois en articulant;
2. numérotez les lignes du texte;
3. lisez le texte en entourant les conjonctions de coordination. et de subordination;
4. relisez le texte;
5. soulignez ou surlignez les verbes avec négation et mettez une sous leurs sujets, ligne par ligne;
6. classez les verbes avec leurs sujets en trois colonnes:
d'état, d'action, de réflexion,
incitant à l'action,
de souhait ou de devoir;
7. ajoutez pour chaque catégorie de verbe leurs compléments;
8. posez les questions critiques que ce texte vous suggère, la problématique;
9. cette problématique vous servira à faire le plan ou à répondre aux questions posées pour les sections techniques.