Revue

Maroc : quel programme?

Association marocaine des enseignants de philosophie

STRATÉGIE DE TRAVAIL

À l'issue du renouvellement des membres du bureau national de l'AMEP pour la période 1997-1999, nous avons le plaisir de faire publier un projet de stratégie de travail qui, nous souhaitons, fera objet de réflexion et de dé bat.

Ce projet vient comme réponse aux aspirations nouvelles de l'AMEP et traduit l'esprit de son dernier congrès concernant soit l'ouverture de l'association vers la société marocaine, soit l'élaboration d'une conscience nouvelle à propos de sa situation, ses potentialités, ses formes de travail ainsi que les modalités de son apport possible pour revivifier la pensée et l'enseignement philosophiques au Maroc.

Ces idées s'articulent en trois groupes de questions :

La question de l'horizon

Nous questionnant sur la naissance de la philosophie au Maroc, sur la signification de cette naissance dans son rapport à son passé propre ainsi qu'à son futur - qu'est notre présent s'actualisant - sur le rôle des langues (arabe et française) dans ses cheminements et problématiques et aussi sur le lien entre la philosophie et ces cheminements avec les revendications de la modernité de la raison, du droit et de la transformation de l'espace social marocain en un espace public, nous aspirons à poser les jalons d'une prise de conscience nouvelle du rôle et statut de notre association dans les possibilités de penser notre pays le Maroc. Car l'horizon de l'association n'est pas autre que la question du Maroc en tant que champ de pratique et de réflexion. Et c'est pourquoi la question de la stratégie ne se confinera pas dans le professionnel comme elle ne transcendera pas l'associatif, mais sera plutôt une synthèse et un complexe où nous lirons le cheminement de l'association ainsi que celui des changements culturels survenus dans le pays, les mouvements d'idées qui se sont répandus à une époque où se sont absentés les livres publiés, traduits...

De la profession à la pensée

Comme ce n'est guère un hasard que l'histoire de l'AMEP soit, à peu près, l'histoire de la philosophie dans le pays, il devient nécessaire de penser cette coïncidence : qu'ont récolté la philosophie et son parcours intellectuel marocain durant plus de trente années? Pouvons-nous parler d'une présence de la philosophie au Maroc? ou bien juste de son enseignement? Cet enseignement a-t-il été capable de favoriser ne serait-ce que les germes d'un lien fondamental avec la pensée philosophique dans sa diversité?

Nos questionnements aspirent à inciter à une pensée critique à propos d'une situation passée et présente que vit la philosophie au Maroc. Situation que nous pouvons qualifier de dépendance déviée, sinon perverse : dé pendance de la pensée aux programmes scolaires qui emprisonnent les publications dans un cadre scolaire taxé par la répétition et la spontanéité meurtrières d'où les questionnements forgés à partir d'un choix subjectif intellectuel sont absents. Comme il en advient que l'enseignant se transforme en salarié dépourvu de pensée. Sinon, comment comprendre que les questionnements les plus vaillants de la pensée viennent de l'historien, du sociologue, de l'anthropologue, du linguiste...? Pourquoi donc les protagonistes de la philosophie n'interviennent-ils pas pour penser les questions du Maroc? À qui, à quoi imputer cela? à la philosophie en soi? à ses protagonistes? à la philosophie enseignée et à ses méthodes? à la langue et à la culture qui lui sont relatives? aux structures socio-historiques? à l'absence des questions de stratégie?

La leçon de philosophie et ses revendications

L'enseignement de la philosophie vit actuellement sous le joug de sa mise en quarantaine institutionnelle et la suffocation de son enseignant de par la tendance à restreindre sinon éliminer son horizon. Ceci se fait par la non-cré ation de départements dans les facultés nouvellement instituées, son confinement dans seulement celles de Fez et Rabat, et la restriction du nombre de ses heures programmées dans l'enseignement secondaire. Ce qui la relègue au statut d'une matière secondaire, contrairement à son passé glorieux chez les peuples civilisés. Quant à la fameuse heure unique programmée pour les classes scientifiques et techniques, elle se passe de tout commentaire. L'enseignant, de son côté, souffre de son incarcération suffocante dans son cadre et de la dé valorisation de son statut professionnel et éducatif (fermeture du département de philosophie dans le centre de formation des inspecteurs de l'éducation nationale).

Cette situation nécessite la reconsidération du statut et rôle de l'association et de la qualité de ses liens et rapports avec la société civile. Auprès de ces conditions objectives, la leçon de philosophie vit une situation subjective qu'on ne peut que soulever; il est clair que cette leçon a accumulé ses propres questions à propos des outils de travail, de la matière enseignée et des méthodes d'enseignement et d'évaluation. Ces questions qui ont accompagné le changement des programmes, manuels et méthodes sont restées, d'un autre côté , prisonnières de la rigidité des méthodes d'évaluation, de l'ampleur de leur phobie liée à un problème de sécurité sous lequel elles sévissent et qui, à chaque fois, traduit en échec la pertinence des questions soulevées et le sé rieux des efforts fournis. Ceci nous pousse et oblige à dire qu'il est absolument nécessaire de libérer l'évaluation de cette phobie étrangère à tout système éducatif pour la remettre dans son champ normal...

Traduit de l'Arabe par Fadoua Nasr

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