Revue

L'atelier du petit penseur en 4e

Ce compte rendu d'expérience pédagogique de débat philosophique est motivé par deux objectifs : un travail sur l'oral et l'écrit en cours de français, vecteur et objet d'apprentissages; l'approche d'un certain type de questionnement par les élèves. Les questions débattues ont plutôt correspondu, au départ, à des préoccupations du moment : la guerre, la monnaie européenne. Mais les problématiques soulevées ont vite rejoint des thèmes plus vastes comme l'amour, la mort. On ne trouvera pas dans ce texte une séquence didactique et pédagogique, mais plutôt une ébauche de théorisation sur ce qui se joue dans la mise en place d'un débat régulé à partir de questions existentielles. " Pour que les gens parlent, faut aussi qu'ils osent parler. Ça aussi, ça a l'air de rien et pourtant, c'est quelque chose, le nombre de gens qu'osent pas l'ouvrir, y a même pas besoin de les empêcher, ils se la coupent très bien tout seuls ". (R. Gentis, Guérir la vie, Maspéro, 1971, cité dans L'Anti-manuel de français de C. Duneton).

LA SITUATION DE L'ORAL EN FRANÇAIS

C'est à partir de ces dysfonctionnements que travaille le professeur de français. Il est difficile de " risquer " les élèves dans une prise de parole fonctionnelle et authentique. Il s'agit moins de libérer l'expression par un climat de confiance que d'exercer le système d'interactions expression/communication présent dans la classe, d'occuper l'aménagement d'un espace protégé des obstacles sociaux à la parole. Il s'agit de présenter l'oral aux élèves comme une posture énonciative existentielle; c'est le sujet affectif qui s'exprime. Mais également une posture d'apprentissage : c'est alors le sujet épistémique qui est convoqué. L'oral en cours de français se construit par un ancrage de l'énonciation dans des activités : prendre la parole, questionner, répondre, se taire, écouter les autres mais aussi soi-même, pour faire advenir ses idées.

Deux axes coexistent : un espace de circulation de la parole créé par la communauté scolaire; le territoire intra-psychique d'une pensée et d'un langage en mouvement.

LA PRATIQUE DU DÉBAT PHILOSOPHIQUE

L'oral se présente comme une situation pédagogique exploitant en cours les enjeux sociaux de la parole du sujet, filtrés par les conditions éducatives. Celles-ci ont pour objectifs d'instituer et de mettre en action le rapport au savoir des élèves. Un savoir qui dépasse le contenu disciplinaire du cours de français, une sorte de paradigme de la connaissance humaine. Un collégien, en effet, se pose des questions essentielles : le cours de français peut accueillir dans cette perspective le dispositif du débat régulé, inspiré des cafés philosophiques. Surgit l'intérêt de problématiques fortes, convoquant les sujets épistémique et existentiel.

Tout au long de l'année, mes élèves de 4e ont été sollicités par des situations variées d'expression et de communication : des tables rondes pour présenter des livres de lecture personnelle; des exposés grammaticaux à partir d'une progression de notions. La venue d'un poète dans la classe (Gil Jouanard) a été l'occasion d'aborder les divers genres discursifs de l'oral : interviews, lecture théâtralisée d'extraits du recueil de poésie. La mise en place de débats philosophiques a été motivée par la " dynamique " du groupe-classe. L'équipe des professeurs se plaignait de son agitation. En tant que professeur principal, j'ai pensé que le dispositif du débat régulé permettait d'entreprendre une pacification des relations entre élèves et pourquoi pas entre élèves et professeurs : prise de parole libre dans un cadre posé au départ, écoute des autres qui permet une distance par rapport à soi, co-construction de la pensée, implication dans une situation d'apprentissage " pour de vrai ".

ARTICULER ORAL ET ÉCRIT

J'ai proposé le " rituel " de fonctionnement en demandant l'accord des participants : recherche collective d'une question pouvant donner lieu à débat; l'objectif était la formulation. Cadre incarné par un gardien du temps, un distributeur de paroles, un " reformulateur " à renouveler à chaque séance.

Temps de réflexivité à la fin du débat. Les élèves ont été invités à écrire une trace du questionnement collectif. Je récupérais les écrits pour les restituer toutes les trois semaines. Le débat commençait par un retour sur ce que j'avais pu analyser. J'interrogeais les élèves sur l'état de leur pensée sur un même sujet une fois le temps écoulé. Ceci leur montrait que l'écrit fixe provisoirement les idées, par définition mouvantes. Il constitue un complément dialectique, il " compense " le côté labile, évanescent et fugitif de l'oral.

Les élèves sont arrivés à respecter et apprécier le système des échanges régulés par l'usage du tour de parole. De même, ils ont progressé dans la reformulation des idées des autres. Des amorces de réfutation se sont fait jour. Le professeur visait à approfondir l'argumentation. Une séance de cours, parallèle au débat philosophique, a porté sur les catégories logiques et leurs connecteurs. Mais la classe a eu du mal, à partir d'un débat oral, à retrouver la charpente de l'argumentation générale sur " Le regard de l'autre peut-il nous influencer? ".

Lors d'une séance, j'ai voulu montrer que des textes littéraires recelaient une dimension philosophique. Les élèves se sont interrogés sur la problématique contenue dans des extraits de Brecht. Quelques généralisations ont été tentées. Cependant, la lecture n'a pas amené à dégager le concept philosophique hors de portée de collégiens.

Je leur ai alors proposé un travail d'écriture de transposition de ces extraits. Ils se sont approprié intuitivement et par imprégnation les éléments de la vision philosophique du monde qui fonde la littérarité d'un texte.

EN CONCLUSION

Sur le plan pédagogique, la mise en place de débats sur des questions philosophiques a permis " de surseoir à l'acharnement didactique " (P. Perrenoud), en recomposant la situation de communication dans la classe.

Sur le plan didactique, j'ai tenté de rendre explicite la liaison oral-écriture -lecture. Sur le plan institutionnel, les élèves ont perçu que le collège permettait, dans un temps et un espace aménagés par le professeur et négociés avec la classe, de faire résonner les préoccupations des citoyens en protégeant les élèves de l'artificialité du débat médiatique et des polémiques interpersonnelles. L'enseignante que je suis a pris la mesure de la marge de manœuvre qu'elle s'est octroyée dans son cours de français, en complicité avec la classe avec qui elle a effectué " une escapade philosophique ".

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