Revue

En 6e et 3e

Cette action a été menée par deux enseignants (français et éducation musicale) :

  • dans une classe de 6e faisant l'objet d'un suivi particulier autour du thème " Écoute, suivi et aide de l'élève ", pendant quelques heures de français ;
  • avec un groupe d'élèves de 3e demandeurs, en dehors des heures de cours.

À partir d'une question philosophique (" Qu'est-ce que penser? " " De quoi puis-je être sûr? "), l'objectif de ce type de discussion est de permettre aux élèves de construire, en interaction, un cheminement d'idées menant à l'universel. Démarche de groupe où les arguments entrent en contradiction, démarche individuelle où chacun est amené à apporter ses idées, modifier son jugement.

" Elle vise à contribuer au développement de l'autonomie intellectuelle de l'enfant, au " penser par soi-même ", à la réflexion personnelle sur le monde, autrui et soi-même. Elle s'inscrit dans la mise en œuvre de pratiques favorisant la socialisation démocratique des élèves. Elle suppose que l'apprentissage de la réflexion et du débat philosophique, par son exigence d'une part d'éthique communicationnelle (respect de la parole et du point de vue d'autrui, et besoin de lui dans une communauté de recherche) et d'autre part de démarches intellectuelles rigoureuses (se questionner, problématiser, savoir ce dont on parle (conceptualiser), si ce que l'on dit est vrai (argumenter rationnellement)), est une garantie pour la qualité du débat démocratique, une vigilance vis-à-vis de ses dérives doxologiques (énonçant des opinions communément admises) ou sophistiques (basées sur la persuasion sans souci du vrai) ". (M. Tozzi).

En classe de 6e

Cinq discussions philosophiques d'une heure ont eu lieu dans l'année, autour des questions suivantes : Quelles sont mes libertés? Ce que je sais, ce que je crois. Ai-je envie de grandir? À quoi sert l'école? etc.

La discussion s'est toujours organisée dans la disposition traditionnelle de la salle de classe. Les élèves demandent la parole en levant le doigt. Un des animateurs gère la prise de parole, peut demander des précisions, reformuler. Assez souvent, nous avons noté les différentes idées au tableau en les structurant. Un plan général destiné à clarifier le cheminement apparaît ainsi. Assez souvent, nous faisons une synthèse orale en cours ou en fin de discussion. Les interactions entre élèves n'ont pas été privilégiées, du fait du nombre assez important d'élèves (vingt six).

Avec le groupe de 3e

Une demi-heure hebdomadaire entre 12h30 et 13 heures a été décidée et respectée tout au long de l'année avec un petit groupe d'une dizaine d'élèves désireux de se " poser des questions et d'entendre le point de vue d'autres élèves et adultes " sur des sujets de réflexion divers. Ces sujets ont été proposés soit par les enseignants, soit par les élèves. Nous avons ainsi pu aborder au cours de l'année : Opinion et vérité. Peut-on penser par soi-même? Pourquoi la société? Peut-on apprendre à mourir? L'autre, mon ami ou mon ennemi? L'art est-il universel? L'art, le beau, le goût. La technique est-elle un progrès pour l'humanité? Qu'est-ce que la philosophie? Responsabilité et autorité. Quelles sont mes valeurs? Ai-je envie de devenir adulte? Les hommes peuvent-ils s'aimer les uns les autres? (amitié, amour).

Le petit nombre d'élèves nous a permis de nous installer en cercle, après avoir essayé différentes formules (face au tableau lorsque l'écrit venait synthétiser la discussion). Les approches ont été plus diversifiées : textes philosophiques et littéraires, extrait d'un film, citations, travail en petits groupes. Contrairement à la classe de 6e, nous avons privilégié les interactions entre élèves, la prise de parole moins contingentée, la place de moins en moins importante de l'enseignant dans le contenu de la discussion.

Avec d'autres classes, il nous est arrivé également de partir d'une notion abordée en cours (" opinion et vérité " en français, " la vie a-t-elle un sens? " en éducation musicale) et de l'élargir par une discussion où les élèves apportent leur vision du problème.

Mise en œuvre humaine et matérielle

L'action " discussion philosophique " dans le collège ne reposait que sur deux personnes, ce qui a facilité considérablement la gestion et nous a permis de passer beaucoup de temps sur la cohérence du contenu et l'analyse de l'animation des débats. Nous n'avons pas pensé à informer les parents de son existence. Peut-être d'ailleurs est-il difficile d'en décrire le contenu. Le seul terme de " philosophie " laisse attendre une érudition effrayante, qui est à l'opposé de la démarche effective. Le meilleur moyen pour les parents de comprendre ce qu'est une discussion philosophique serait... d'y participer. Notre chef d'établissement est demandeur d'actions émanant du corps enseignant et s'est montré ouvert à nos démarches. Nous avons été en relation tout au long de l'année avec Michel Tozzi, qui nous a fait parvenir des documents d'accompagnement, apportant des conseils et mises en garde, ou décrivant d'autres expériences dans le primaire.

Des comptes rendus ont été rédigés après chaque discussion relatant la trame du discours, les problèmes rencontrés ou les réussites. Les points importants ainsi que les documents relatifs à la discussion philosophique ont été mis à la disposition de notre chef d'établissement, de notre CPE et des enseignants.

Les élèves étaient demandeurs, attentifs, ne posant pas de problèmes de " discipline ", ce qui nous a permis de veiller librement à la qualité du contenu, sans avoir le souci de rétablir l'ordre. Les compétences des deux enseignants se sont complétées (connaissances philosophiques/expérience du débat, souci d'organisation et d'analyse/approche plus intuitive).

Difficultés rencontrées, questions soulevées

Concernant les élèves

Passer de l'exemple ou de l'anecdote à la définition d'un mot-notion (conceptualiser); de l'exemple comme argument à l'argument comme (bonne) raison (argumenter). Ne pas recevoir l'objection contre une idée comme une agression contre sa personne. Arriver à se maîtriser. Ne pas se sentir propriétaire de ses idées. Savoir écouter les autres. Mais aussi être cohérent, savoir (se) mettre en question.

Concernant l'enseignant

Dans la gestion du contenu de la discussion : Comment utiliser l'exemple, et parvenir à le dépasser par la conceptualisation? Quelle différence entre une question philosophique et une question qui ne l'est pas? Comment entendre philosophiquement les questions des élèves? Comment leur faire formuler des questions philosophiques? L'enseignant doit-il intervenir sur le fond (dire ce qu'il pense, redresser une erreur - faits inexacts, raisonnement incorrect, objecter...), ou rester en retrait : ne pas du tout intervenir, ou se contenter de gérer le débat (répartition de la parole et régulation socio-affective)? Faut-il une progression dans le débat, laisser dériver, recentrer? Faut-il des synthèses partielles, finales? Au niveau de(s) (l')animateur(s) s'imposent deux types de conduites, l'une nécessitant des éléments de maîtrise de l'expression des élèves (distribution de la parole, reformulation, demande de précisions...), l'autre demandant une connaissance du sujet pour aider à une construction souple de l'articulation des idées (mettre en valeur les idées phares, résumer, réorienter, ouvrir).

Dans l'organisation des débats

Faut-il établir des " règles " dans les tours de parole ou se laisser " porter " par le groupe? Comment écouter attentivement un élève pour le comprendre, lui laisser le temps de formuler sa pensée, et gérer en même temps le groupe (qui peut se dissiper)? Comment articuler discussion avec un seul et discussion collective? Comment intégrer et faciliter le dialogue entre les élèves? Comment gérer en même temps la discipline dans le groupe, les tours de parole, la compréhension de ce que disent les élèves, la reformulation et la progression du débat? Comment distribuer la parole quand beaucoup la demandent en même temps? Comment gérer le nombre d'élèves?

Dans les approches

Doit-on s'en tenir à de l'oral, ou l'articuler avec de l'écrit? Peut-on passer par d'autres supports (vidéo, chansons, textes philosophiques, littéraires...)? Qui choisit les questions retenues (prof, élèves), et comment (ex : vote)?

Dans la relation

Comment prendre en compte les dimensions affective et sociale, et pas seulement cognitive? Comment être à la fois rigoureux et convivial dans la discussion? Quel est le statut du maître? Change-t-il son rôle scolaire habituel? Si oui en quoi? Est-il perçu différemment par les enfants?

Dans l'évaluation de l'apport pour les élèves

Quelles compétences développe la discussion philosophique chez les élèves? De type disciplinaire (exemple : en français, langue, communication), transversales? Quels types de savoir, savoir-faire, savoir-être? Y a-t-il des retombées de la pratique de la discussion philosophique sur d'autres disciplines (comportement, attitude face au savoir et au sens des connaissances scolaires...)?

Dans la formation, les compétences, les connaissances des enseignants

Quelles sont les compétences nécessaires? Quelles exigences pour que la discussion philosophique soit démocratique? Quelles exigences intellectuelles pour qu'elle ne soit pas seulement démocratique, mais philosophique? Faut-il préparer un débat? L'enseignant doit-il avoir un fil conducteur?

Évaluation de l'action

Régulièrement au cours de l'année, nous avons, par des questionnaires oraux ou écrits, cherché à mesurer à la fois l'intérêt des élèves, la facilité ou non de prise de parole pour chacun, les sujets et les conditions d'approches les plus appréciés. Un questionnaire approfondi est en cours de réalisation pour définir précisément les raisons de l'intérêt des élèves. Une analyse de documents permettra également de déterminer les apports des interactions entre élèves et avec l'enseignant. Nous avons pu apprécier par l'intermédiaire de ces questionnaires l'intérêt des élèves pour ce type de débat. Nous considérons qu'il répond à un besoin insatisfait d'expression personnelle. La mise en place de conditions démocratiques du débat (droit d'expression, écoute, respect de chacun) aide chaque élève à s'intégrer au groupe. L'intérêt de la discussion philosophique vient également du fait que les élèves construisent eux-mêmes, en " communauté de recherche ", la démarche de réflexion, et que l'animateur n'intervient que pour la structurer (reformulation, plan noté au tableau, liens entre les idées, éclairage par des exemples tirés de la philosophie, de la littérature ou de l'expérience).

La première approche réalisée cette année nous semble assez intéressante pour que nous la poursuivions. Mais les conditions restent à définir : la discussion philosophique doit-elle être un moment institutionnalisé? Nous pouvons envisager de l'intégrer comme cette année dans le temps de travail oral du cours de français ou hors temps de classe. Mais se pose à long terme le problème de l'impossibilité de la pérennisation d'une action basée uniquement sur le volontariat des instigateurs.

Télécharger l'article