Revue

Préparer la dissertation

Des formes d'écriture constituant une alternative à la dissertation pourraient-elles être préparatoires à la dissertation?

HYPOTHÈSES DE TRAVAIL

1) Théoriques

  • Des modes différents d'écriture peuvent être appropriés aux différents moments de la dissertation et à leurs exigences.
  • Pratiquer la forme d'écriture relative au moment correspondant de la dissertation constitue une aide pour le mettre en œuvre.
  • L'emboîtement de ces différents modes d'écriture est une aide pour la construction de la dissertation.

2) Pratique : mise en place d'un dispositif à réaliser en classe

Etapes Formes d'écriture Productions Dissertation
1 Choix d'un énoncé      
2. a Travail individuel Essai Récit spontané : compréhesion du sujet et du questionnement qu'il induit Travail propédeutique
2. b Lecture des essais      
3. a Travail individuel Essai Récit plus élaboré : analyse du sujet, signification de la question, champs d'applications, difficultés Introduction problématisante
3. b Lecture des essais      
4. a Travail individuel Aphorismes Deux phrases indiquant deux pistes d'étude possibles Orientations possibles du devoir
4. b Mise en commun      
4. c Choix collectif de deux aphorismes dans l'éventail proposé     Plan
5. a Travail en binômes (avec répartition des deux aphorismes) Texte argumentatif Pour chaque aphorisme : ce qu'il signifie, les raisons de le soutenir Première partie du corps du devoir
5. b Echangedes productions à l'intérieur des binômes      
6 Travail en binômes Lettre Reformulation, objections, réfutation, questionnement Deuxième partie du corps du devoir
7 Travail individuel Journal ou Dialogue ou Méditation Récapitulation des différents moments de la réflexion
Emergence d'un problème
Proposition de recherche
Troisième partie du corps du devoir

MISE EN OEUVRE DE L'HYPOTHÈSE PRATIQUE (En classe de terminale L (22 élèves))

Première étape : choix de l'énoncé

  • Enoncé choisi par moi-même et s'intégrant au travail des notions de sensation, perception, illusion; objectif de clore cette réflexion.
  • Formulation du sujet : une illusion des sens est-elle une preuve que les sens sont trompeurs?

Deuxième étape : essai spontané

a. Travail individuel (20 mn)

compréhension du sujet et du questionnement qu'il induit

b. Lecture de chaque texte (35 mn)

- pendant la lecture, chacun est invité à repérer les compréhensions différentes du sujet ainsi que les problèmes soulevés

- après la lecture, échange rapide sur ce qui a été entendu

- constat par les élèves :

  • définitions différentes des termes (plus ou moins larges)
  • pistes de réflexion différentes
  • points communs

- évocation par moi-même des problèmes perçus

Troisième étape : essai plus élaboré

a. Travail individuel (20 minutes, consignes :
  • Vous avez entendu des essais différents qui peuvent enrichir votre texte.
  • Ayez le souci de définir les termes et de déterminer les champs d'application.
  • Faites l'effort de pointer ce qui constitue les difficultés du sujet, ce qui résiste aux solutions possibles.
b. Lecture (30 minutes)

- constats par les élèves (et qui rejoignent les miens) :

  • Pour la majorité, le deuxième essai est plus construit, plus réfléchi que le premier. " C'est mieux cadré. Il nous a obligés à repréciser et à voir plus large. Il y a des aspects qu'on n'avait pas vus au départ. "
  • Pour une minorité, " la lecture des premiers essais nous a fait voir des aspects que nous n'avions pas vus mais la multiplicité des idées nous a embrouillés. C'est difficile de faire un deuxième essai. Que dire de plus sur les notions? "

- émergence d'une question : illusion, vérité, peut-on faire la différence?

Quatrième étape : les aphorismes (2 heures)

a. Travail individuel (10 minutes)

deux pistes d'études possibles et différentes

b. Mise en commun (chacun vient écrire les siens au tableau et prend l'ensemble sur une feuille)

 

c. Choix collectif

constats :

  • Les élèves rencontrent des difficultés pour se mettre d'accord dans le choix de deux aphorismes qui constitueraient les deux hypothèses de départ de la réflexion.
  • Beaucoup d'aphorismes présentent de l'intérêt pour les élèves même s'ils n'en sont pas les auteurs.
  • Sept aphorismes ont été rapidement sélectionnés. Pour éviter la dispersion, j'arrête le choix. Je propose de revenir sur la sélection opérée en demandant si certains aphorismes peuvent être regroupés. Deux groupes apparaissent, on justifie les regroupements.
  • Je suggère de les confronter à la formulation du sujet. Il apparaît rapidement aux élèves qu'il manque quelque chose dans les aphorismes sélectionnés puis regroupés car un groupe propose une orientation possible tandis que l'autre groupe serait plutôt de l'ordre du dépassement. Il faut alors rechercher des aphorismes correspondant à une autre orientation possible pour l'articuler aux deux autres.

Nouvelle sélection pour aboutir à trois groupes. Remarques des élèves :

  • Les trois groupes sélectionnés peuvent constituer les trois parties de la dissertation.
  • La formulation d'aphorismes différents permet d'avoir des approches différentes au niveau de réponse à apporter.
  • Certains aphorismes élaborés par un même élève vont dans la même direction. Cela veut dire qu'il ne va travailler qu'un aspect du sujet. Il faut en prendre conscience pour l'éviter.
  • Les aphorismes précisent l'angle d'approche. Cela permet d'éviter le plan minimal oui/non.
d. Pour finir, choix d'un aphorisme dans chacun des trois groupes constitués. Trois combinaisons apparaissent

==>Première combinaison :

  • La perception trompe les messages de nos sens.
  • La perception du monde est modifiée par l'illusion de nos sens.
  • ?

==>Deuxième combinaison :

  • Les sens comme liens trompeurs entre l'homme et le monde.
  • Une illusion des sens ne suffit pas à prouver que nos sens sont trompeurs.
  • La sensation est le moteur de la réflexion.

==>Troisième combinaison :

  • La perception du monde est modifiée par l'illusion de nos sens.
  • Les sens sont faussés par l'interprétation qu'on en fait.
  • Si on ne peut pas croire en ses sens, on ne peut pas croire en ses connaissances.

La première est éliminée rapidement car trop ambiguë. Hésitation entre la deuxième et la troisième. Cette dernière est retenue car jugée plus pertinente.

Remarques :

Cette étape a nécessité deux heures. D'un côté c'est fastidieux de reprendre les aphorismes de chacun (2 x 22), d'un autre côté je note un intérêt à prendre connaissance de ce que l'autre a écrit.

Je n'avais pas prévu ce qui allait se passer au niveau du choix collectif : il y a un risque de dispersion qu'on ne peut gérer que si les matériaux apportés le permettent. Cela a été le cas et j'ai trouvé la démarche qui s'est mise en place ainsi que les réactions des élèves pertinentes. Il m'a semblé que se précisait dans leur esprit une certaine manière d'organiser et d'articuler des étapes de la réflexion avec le souci de la faire progresser.

Cinquième étape : texte argumentatif à partir des deux premiers aphorismes de la combinaison retenue

a. Travail en binômes consignes :
  • Rapide concertation pour se mettre d'accord sur l'aphorisme que chacun travaillera de façon à ce que à l'intérieur du binôme les deux aphorismes soient traités (5 mn).
  • La répartition étant faite, chacun écrit un texte argumentatif (pour chaque aphorisme, ce qu'il signifie, les raisons de le soutenir) (20 minutes).
b. échange des productions et lecture individuelle

 

Sixième étape : lettre

À la suite du texte argumentatif reçu, chacun écrit une lettre à son auteur (reformulation, objections, réfutation, questions). (20 mn)

- Remarque : je souhaitais à ce moment-là passer à la dernière étape du travail mais les élèves ont demandé la possibilité de répondre à la lettre reçue. Ceci a pris à nouveau 20 mn.

- Constat par les élèves : une argumentation peut se faire sous forme de dialogue, c'est dynamique.

Septième étape : journal ou dialogue ou méditation

- Elle n'a pas été mise en œuvre collectivement en classe mais proposée comme exercice facultatif à la maison.

Remarque : une seule production (sous forme de dialogue); elle était intéressante. Les autres élèves avaient exprimé une certaine lassitude.

- À la place, à partir des échanges de textes et de lettres et de l'intérêt qu'ils avaient suscité, j'ai montré comment dans un devoir on pouvait procéder pour préserver le dynamisme de l'argumentation et intégrer l'aspect dialogue (plans dialectiques avec les variantes possibles, plans progressifs).

Remarque : Pour certains élèves cela a semblé être une " révélation "; ce qui a permis de remettre en cause leur façon spontanée de construire un devoir et de comprendre qu'il n'y avait pas qu'une seule manière de faire. Autre découverte : chacun dans son esprit ne fonctionne pas de la même façon et la meilleure méthode n'est pas celle qu'il faudrait appliquer à tout prix mais celle qui correspond à sa manière de fonctionner; pour cela il faut en prendre conscience.

Conclusion

  • Démarche profitable dans cette classe de TL.
  • Déroulement intéressant : les élèves ont joué le jeu, ils se sont sentis acteurs (" C'est nous qui faisons le cours! ").
  • Progrès notoires au niveau de la dissertation en temps limité qui a suivi et confirmés dans les devoirs ultérieurs (la majorité des élèves a dit avoir profité du travail à partir des aphorismes et de la lettre).
  • Tout cela prend du temps (environ 6 heures).

N. B. Sur des expériences proches et une théorisation, voir aussi Diotime-L'Agora n° 7, sept.2000, pp. 32-35, et n° 8, déc.2000, pp.27-36.

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