Revue

Dans les docks de la philo errante

Sept mots pour un encouragement à persévérer : " Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ". La devise de Diderot, chuchotée dans les salons du XVIIIe puis gouvernail de l'embarcation branlante de L'Encyclopédie, pouvait-elle mieux signifier, en vigie des affiches du Second Colloque international sur les cafés-philo, l'ambition des actuels animateurs-capitaines sur le pont de leur zinc? Amarrées les 25 et 26 novembre derniers à Castres, leurs embarcations disparates étaient au carénage sur les planches du théâtre municipal de la cité de Jaurès.

Dès la première matinée, après une soirée de débats et d'ajustements prolongée jusque tard dans la nuit, une Déclaration des cafés-philo1 était adoptée afin de baliser l'errance des chaloupes novices et autres radeaux d'initiatives burlesques qui font parfois naufrage, nuisant à l'image de ce phénomène de société toujours en plein essor depuis huit ans. Car le café-philo est, quoi qu'on (mé) dise parfois, un " lieu de débat et de réflexion ", qui peut surprendre dans sa capacité à hisser les voiles de la philo pour partir " à l'aventure de la pensée ".

LES BRAS DANS LE CAMBOUIS DU MONDE

C'est pourquoi une grande partie des questions a concerné, durant ce colloque, les formes et enjeux de l'animation d'un café-philo. Michel Tozzi, maître de conférences à l'université Montpellier III et animateur à Narbonne, insistait sur l'importance du dispositif en termes de contrat de communication et d'objectif commun dans un cadre éphémère structuré. Günter Gorhan, professeur à la Sorbonne et co-animateur du café parisien " Les Phares " restait circonspect quant aux moyens de dépasser l'opinion, tout en s'appuyant sur elle ou " en la travaillant comme une matière première ". Une idée très débattue par les deux cent quatorze participants du colloque. Retroussant ses manches, le philosophe autodidacte ou diplômé doit peut-être, pour réussir, faire l'effort de plonger ses bras dans le cambouis du monde et soulever les rochers de certitudes avec l'abnégation d'un Sisyphe. Une doxa brute et parcellaire que la démarche café-philo aspire à confronter, sculpter et rassembler, sans espoir d'atteindre les rivages d'une quelconque vérité.

CATACOMBES-PHILO A NEW YORK

Cette seconde rencontre biennale2, à l'initiative de l'estuaire tarnais, était aussi l'occasion d'échanger des expériences très diverses à travers un horizon désormais bien vaste. Outre celles de Jean Noël et Paul Mairesse à Bruxelles, de Pascal Hardy et Eugène Calschi à Paris ou de Léna Monnerot à la Martinique, l'initiative américaine de Bernard Roy, professeur au Sarah Lawrence College de New York apportait la problématique de pérenniser le café-philo dans une société où il n'existe pas de culture de café. Un élément participant à expliquer la singularité de la situation française, impulsée par Marc Sautet3, où les bistrots-philo sont estimés à deux cent cinquante pour une centaine seulement ailleurs dans le monde. Faudra-t-il, comme l'envisagent certains à Manhattan, descendre dans les forums des supermarchés ou des lieux de restauration rapide? Assurément des catacombes agoresques pour qui veut, comme Diderot en son temps, impulser des changements dans la société.


(1) Déclaration des cafés-philo sur internet : http ://agora81.free. fr

(2) Actes du colloque en ligne sur http ://cafephiloweb. net ou auprès de Jean-François Chazerans, tél : 0549889456 ou a jean-francois.chazerans@wanadoo.fr

(3) Initiateur du premier café-philo, en 1992, au bistrot Les Phares; décédé en mars 1998. Auteur de Un café pour Socrate, Editions Grasset.

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