Revue

Provoquer des opportunités en CM1

Témoigner de ce qui m'a amené à la philosophie et plus particulièrement à la pratiquer en classe avec mes élèves en CM11, est une large question à laquelle il est difficile de répondre succinctement.

Je crois qu'avant tout c'est une recherche intérieure qui m'a toujours habitée. Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais pu me satisfaire de réponses matérialistes à la question du bonheur. Les " modèles " de vie des adultes que je côtoyais me semblaient générateurs d'insatisfaction. Je me suis donc tournée vers l'Orient où traditionnellement les gens semblent plus concernés par le devenir de leur esprit ou de leur âme, plutôt que par l'accumulation de biens.

J'ai donc voyagé d'abord par les livres à travers la philosophie de l'Inde ancienne, puis je me suis rendue à plusieurs reprises en Asie où j'ai séjourné longuement. Malgré tout, j'étais toujours insatisfaite, car je ne fonctionne pas sur la base de la foi. Finalement, j'ai rencontré une tradition qui s'est appliquée fort longtemps à comprendre le fonctionnement de l'esprit. Je me suis alors passionnée pour l'analyse de la façon dont chaque individu perçoit " la réalité " et se construit son propre monde, pour des questions aussi essentielles que celle de la liberté et du libre arbitre, du bonheur, de la mort.

Je suis revenue depuis à l'enseignement, et tout naturellement ma façon d'aborder la vie et les autres est entrée avec moi dans la classe. Je ne revendique pas de démarche particulière; je n'ai pas instauré de séquence philosophique instituée. Par contre, je saisis des opportunités qui se présentent en classe. Le moment philosophique peut surgir au cours d'une séquence de lecture, de grammaire, de sciences ou encore d'éducation civique, de poésie, d'arts plastiques...

DES TEXTES APPROPRIÉS

Il est vrai que je choisis pour la lecture des textes qui se prêtent au questionnement. Avec des C.M.1., nous avons étudié Le Petit Prince, Vendredi ou La Vie sauvage, Le petit frère tombé du ciel... À partir de ces ouvrages, nous avons abordé des questions telles que :

- Qu'est-ce qu'un être civilisé? Un sauvage? Qu'est-ce que regarder avec le cœur? Qu'est-ce que la mort, le bonheur...?

En travaillant durant la semaine du goût, nous avons analysé la manière dont nous " connaissons " le monde : nous avons " observé " les perceptions sensorielles, puis en sommes venus au rôle de la mémoire pour terminer par nous interroger sur le fonctionnement de la pensée. Question bien trop vaste et compliquée pour pouvoir y apporter une quelconque conclusion, néanmoins, tout le parcours de raisonnement et de questionnement a mis en évidence le rôle important de la pensée dans la rencontre avec le monde.

- En étudiant les droits de l'homme, nous avons fait des recherches sur le sens de la liberté, sur celui de la liberté de pensée, sur la notion d'identité, sur le droit à la différence...

- Dans les activités d'expression artistique revient souvent le concept du beau que l'on peut analyser.

UNE SITUATION DE RECHERCHE

Il ne s'agit en aucun cas de cours magistraux où l'adulte détiendrait la réponse juste. Au contraire, il s'agit d'une situation de recherche où l'interrogation est reine et où la réflexion mène petit à petit au raisonnement. J'essaie de cultiver chez les élèves la capacité de s'interroger, l'art de trouver les questions appropriées et de développer un regard neuf sur le monde, les êtres et les évènements. Les idées toutes faites, les opinions sont remises en question et à l'aide d'arguments, de raisonnements, les élèves peuvent établir leur opinion sur leur propre analyse. N'est-ce pas là le chemin vers la conscience? Vers une certaine forme de liberté et donc de responsabilité?

À l'heure où les problèmes de violence, de motivation, de sens, où des difficultés de tous ordres envahissent l'école, j'ai le sentiment que la pratique de la réflexion philosophique peut aider les élèves à prendre en main leur devenir et certains enseignants à retrouver du plaisir dans l'acte d'enseigner.

EXEMPLE D'ÉCHANGES

Transcription d'une séance en octobre dernier après la lecture de Marguerite fait de la métaphysique (coll. Acte Sud Junior) : Comment est apparu le premier homme?

- Antony : Dieu a créé le premier homme.

- Alban : Moi, je crois que les cellules microscopiques sont à l'origine du premier homme. En se mettant à plusieurs elles ont créé le premier homme.

- Benjamin : Oui, mais c'était les cellules des dinosaures; une météorite a explosé sur la terre, les cellules des dinosaures ont survécu à cause de leur taille microscopique.

- Pierre : Non, Dieu est arrivé dans la galaxie et il a voulu construire une planète et donc il a tout créé.

- Mathieu : Jésus a créé des hommes de terre et leur a donné la vie. C'est pour ça qu'on dit : " Tu redeviendras poussière ".

- Justine : Moi je suis d'accord. Dieu a créé une planète et il a créé un homme et une femme.

- Bouchra : Les planètes se sont créées à partir de morceaux de météorites. Les hommes descendent du singe. Ils ont évolué.

- Cindy : Les singes ont fait un bébé et il est devenu humain.

- Florent : Le soleil est peut-être à l'origine de tout. Il a fait les étoiles et les planètes.

- Aurélia : La nature a créé les moustiques. Les moustiques ont piqué un singe et après le sang du singe a formé un singe différent et petit à petit un humain.

- Benjamin : Oui, c'est ça, les moustiques ont prélevé du sang lorsque la météorite a détruit les dinosaures. L'ADN a survécu et a donné naissance à un singe qui a évolué.

- Alban : Le Big Bang a donné naissance à la terre. La pluie a aidé à la naissance de la nature et des cellules microscopiques et ensuite à l'évolution des hommes.

- Jennifer : C'est Dieu, car il a des pouvoirs et il peut tout créer.

- Enseignante : Qui a créé dieu?

- Mathieu : Dieu a toujours existé. Avant il n'y avait pas d'homme donc il a toujours existé. Jésus est arrivé après Dieu.

- Dominique : Un dinosaure est à l'origine de Dieu et d'autres se sont transformés en humains.

- Enseignante : Quelle différence y-a-t-il entre dieu et les humains?

- Jennifer : Dieu possède tout ce qu'il veut, mais pas les humains.

- Mathieu : Il a des pouvoirs, il peut donner la vie, mais pas les humains.

- Enseignante: Moi j'ai eu trois enfants.

- Pierre : Dieu peut créer un homme à lui tout seul.

- Benjamin : Si Dieu a toujours existé, ça veut dire qu'il est immortel, alors.

- Jennifer : Dieu peut guérir les malades, quand les médicaments ne marchent pas, tandis que les hommes ne le peuvent pas.

- Mathieu : il reste toujours une chose à faire : prier.

- Justine : Parfois je me demande si Dieu ne nous a pas créés comme ses jouets...

- Cindy : Si Dieu est immortel, pourquoi dit-on qu'on l'a crucifié, alors qu'il ne faisait que le bien?

- Pierre : Dieu a donné un petit peu de son énergie à chaque humain.


(1) Élèves de 9-11 ans.

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