Revue

Des dialogues philosophiques inclusifs : Soutenir la participation et l’apprentissage de tous les élèves

Environ 10% des élèves présentent des difficultés de langage ou de communication. Lors des dialogues philosophiques, ces difficultés peuvent être un obstacle à la participation et aux apprentissages réalisés par les élèves. Si les dialogues philosophiques visent à inclure tous les enfants, il est nécessaire de porter attention au langage utilisé et aux interactions verbales lors des ateliers. Cet article présentera des réflexions sur les liens qui existent entre la compétence langagière des enfants, les interactions en classe, le dialogue philosophique et le développement des habiletés de pensée des enfants et des adolescents. Nous discuterons principalement des élèves qui ont trouble du langage, bien que les recommandations faites puissent être utilisées pour tous les élèves. Des pistes de réflexions seront présentées afin de soutenir des dialogues philosophiques accessibles et inclusifs pour tous.

La place du langage lors des dialogues philosophiques

Lors des ateliers philosophiques, le langage occupe une triple fonction. Il est d’abord un outil qui permet d’accéder et de référer aux concepts en jeu. En effet, c’est par le langage qu’on parvient à nommer et à communiquer des idées abstraites. Le langage est également un objet d’étude lorsque les mots sont définis ou que leur sens est questionné (ex. : que signifie « être courageux » ?). Enfin, lors des dialogues philosophiques, le langage est aussi un moyen privilégié de participation puisque les élèves participent en écoutant activement les propos de leurs pairs ou en prenant la parole.

Vu la place importante qu’occupe le langage lors des dialogues philosophiques, il est nécessaire que les personnes qui animent les dialogues philosophiques soient sensibilisées aux répercussions des difficultés de langage sur l’apprentissage en groupe.

Le développement du langage des enfants d’âge scolaire

Contrairement à ce qu’on peut penser, le langage continue de se développer bien au-delà de la petite enfance. Les enfants et les adolescents poursuivent le développement de leur vocabulaire de plusieurs manières après leur entrée à l’école (pour une synthèse des études sur le développement du langage à l’âge scolaire, voir Nippold, 2006).

Enrichir et approfondir le vocabulaire

Durant leur scolarité, les élèves apprennent plusieurs nouveaux mots de vocabulaire, dont ceux qui expriment des nuances (Cordier & Ros, 2006). Par exemple, les enfants découvrent que les mots possible, probable et certain ont une signification précise et qu’ils ne sont pas des synonymes. De la même manière, être agacé, dérangé ou bouleversé sont plusieurs manières d’être affecté par une situation. En grandissant, les élèves approfondissent aussi leur vocabulaire en ajoutant de nouveaux sens aux mots déjà connus. Par exemple, ils découvrent qu’être curieux peut signifier être intéressé (très curieuse, elle voulait tout savoir) ou être étrange (c’est un curieux animal) ou encore qu’être grand peut vouloir dire être haut (une grande échelle) ou être talentueux (une grande écrivaine). Graduellement, les élèves comprennent aussi de mieux en mieux les métaphores et les expressions idiomatiques comme avoir du pain sur la planche (avoir beaucoup de travail) ou avoir le cœur brisé (vivre une grande peine).

Organiser et exprimer des idées complexes

Après leur entrée à l’école, les élèves perfectionnent aussi leur capacité à raconter, à expliquer et à argumenter. Par exemple, ils utilisent de plus en plus de conjonctions pour marquer le lien entre deux idées (ex. : toutefois, pourtant et tandis que) et commencent à organiser et à exprimer leurs idées plus clairement (Mimeau et al, 2015).

Se familiariser avec différentes situations de communication

En vivant différentes situations de communication à l’école, dans la famille et la communauté, les enfants et les adolescents apprennent que chaque situation de communication a ses propres règles de communication : commander un plat au restaurant, appeler pour obtenir un rendez-vous, assister à un cours, etc. Ces règles doivent être apprises implicitement (par observation) ou explicitement : qui a le droit de parler ? combien de temps doit-on prendre la parole ? comment demande-t-on la parole ? qu’est-ce qui marque la fin de l’activité ou de l’échange ?

Lorsque les règles de communication ne sont pas explicites, il est plus difficile pour les élèves de les comprendre et de les respecter.

Les troubles du langage : Un enjeu de compréhension avant tout

Lorsqu’on pense aux habiletés langagières, on réfère souvent à la capacité d’une personne à parler. Ce faisant, on oublie que le langage inclut aussi la capacité à comprendre les idées exprimées par autrui. Plus les idées sont abstraites et exprimées avec de longues phrases, plus elles sont difficiles à comprendre. Afin de prendre part à l’activité, les participants doivent d’abord comprendre ce qui est dit et ce qui est attendu d’eux.

Contrairement aux difficultés de prononciation qui sont souvent audibles, les difficultés de langage sont invisibles et elles passent souvent inaperçues. Ces difficultés sont pourtant fréquentes : entre 10 à 15% d’enfants et d’adolescents ont des troubles du langage ou de la communication (Norbury et al., 2016). Les élèves qui vivent avec des problèmes auditifs (surdité), un trouble développemental du langage ou de l’autisme ont des difficultés de langage qui perdurent toute leur vie (Dubois et al., 2020). Les difficultés de langage demeurent même si ces élèves n’ont plus de difficultés de prononciation.

Les interactions langagières en classe

Lorsque les dialogues philosophiques sont réalisés en classe, il est pertinent de s’intéresser au déroulement courant des interactions (Gardner, 2012), car les enfants auront tendance à répéter ces habitudes lors des dialogues philosophiques.

Les habitudes de communication en classe

Les études scientifiques indiquent que la prise de parole des élèves est nécessaire à leur apprentissage (Grifenhagen et al., 2022, Leopola et al., 2023). Toutefois, plusieurs études démontrent qu’en classe, la majorité du temps de parole est occupé par l’adulte (Heritage, 2004 ; Doyen & Fisher, 2010), bien que certains contextes et activités puissent favoriser une gestion des tours de parole plus équilibrée (Seedhouse, 2004). L’adulte a également un statut d’interlocuteur privilégier puisque c’est à lui que revient le droit d’allouer les tours de parole aux enfants (Seedhouse, 1996). Les interactions avec les élèves sont souvent basées sur le modèle Initier-Répondre-Évaluer (Mehan, 1979) : l’adulte pose une question (qui a écrit ce poème ?), un élève répond (Émile Nelligan) et l’adulte évalue la réponse de l’élève (oui, c’est exact). Très souvent, l’adulte connaît la réponse à la question qu’il pose. Ces questions ont pour but que l’enfant démontre sa connaissance sur un sujet et exprime la bonne réponse (Boyd et Rubin, 2006). Les échanges en classe sont aussi caractérisés par des temps de silence très courts après une question (moins d’une seconde) ce qui ne permet pas aux élèves de réfléchir et de développer leurs idées (Hindman et al., 2019). Si un élève n’a pas la réponse attendue, l’adulte se tourne parfois vers un autre élève à la recherche de la bonne réponse, ce qui n’encourage pas les enfants à prendre des risques intellectuels (Christoph et Nystrand, 2001 ; Gabas et al., 2023).

La participation et l’apprentissage des élèves qui ont un trouble du langage

En classe, le temps de parole des élèves qui ont un trouble du langage est faible (White, 2016). Ces élèves éprouvent de la difficulté à participer aux activités de classe, à comprendre ce qui est dit ainsi qu’à contribuer à la conversation (Croteau et al., 2015). De plus, les études montrent que les élèves avec un trouble du langage reçoivent moins de soutien de la part de leur enseignant que leurs pairs (White, 2016 ; Zucker et al., 2010).

Plusieurs études indiquent que les interactions en classe sont intimement liées aux apprentissages (Connor et al., 2020). Les apprentissages réalisés par les élèves en difficultés de langage sont donc inférieurs à ceux de leurs pairs, entre autres, à cause de leur participation limitée en classe (Barnes et al., 2017). Ces différences dans les interactions en classe contribuent à l’effet Matthieu (Stanovich, 1986) : les élèves ayant les meilleures habiletés réalisant davantage d’apprentissages que les élèves qui ont des difficultés de langage (Johanson et al., 2016).

Stratégies pour des dialogues philosophiques inclusifs

Les dialogues philosophiques regroupent plusieurs caractéristiques qui peuvent limiter la participation et l’apprentissage des élèves qui ont un trouble du langage : les échanges sont principalement effectués avec le langage, la prise de parole se fait devant un groupe, ce qui peut gêner certains élèves, et les sujets abordés sont difficiles (souvent complexes et abstraits). De plus, les enfants ayant de meilleures habiletés langagières peuvent répondre plus rapidement, laissant peu de chance à ceux ayant des difficultés langagières d’initier une réponse.

Si les dialogues philosophiques visent à encourager la participation et l’apprentissage de tous les enfants, il est nécessaire de porter attention au langage utilisé et aux interactions verbales lors des ateliers. Il revient aux animatrices et aux animateurs de veiller à ce que le langage utilisé lors des dialogues philosophiques ne soit pas un frein à la participation des enfants qui ont des habiletés langagières plus limitées. Plusieurs pratiques peuvent soutenir la participation de tous les enfants.

Dans les prochaines sections, cinq stratégies favorisant l’inclusion seront explicitées : 1) être explicite sur les règles de communication, 2) donner un modèle, 3) soutenir la compréhension du langage, 4) favoriser la prise de parole de tous et 5) rejoindre tous les élèves en s’ajustant à leurs habiletés.

Ces cinq stratégies ont fait l’objet de plusieurs études et elles sont reconnues efficaces par la littérature scientifique. Elles sont déjà utilisées, de manière intuitive et à différents degrés, par les adultes qui animent des activités en classe. Toutefois, en connaissant mieux leurs bénéfices, ces stratégies pourront être utilisées intentionnellement, donnant lieu à des retombées plus manifestes.

Être explicite sur les règles de communication

Pour la majorité des élèves, le dialogue philosophique est une nouvelle activité de communication avec des règles d’interactions différentes de celles de la classe régulière. Les élèves qui ont des troubles du langage ont souvent de la difficulté à saisir les règles de communication lorsqu’elles sont implicites. Par conséquent, il est préférable que la personne qui anime les dialogues philosophiques informe clairement les élèves de comment les échanges se dérouleront.

Par exemple, il serait bénéfique d’aviser les élèves qu’ils auront plus de temps de parole qu’à l’habitude et que la personne qui anime n’a pas de contenu à enseigner (contrairement à un cours d’histoire par exemple). Également, il est préférable d’informer les élèves que les questions seront difficiles, qu’on ne détient pas déjà la réponse, que les élèves peuvent changer d’idées au cours du dialogue, etc. Voici d’autres sujets qui pourraient aussi être abordés afin de permettre à tous les élèves de bien participer à l’activité :

  • Quel est le rôle de la parole qui anime ?

  • Comment les tours de parole seront-ils gérés ? Les élèves seront-ils interpelés directement (sans qu’ils aient levé leurs mains) ? Comment voulons-nous que les élèves demandent la parole ? S’attend-on à ce que tout le monde participe ? Les silences seront-ils plus fréquents ou plus longs qu’à l’habitude ?

  • Qu’est-ce que les élèves doivent faire s’ils ne comprennent pas ce qui est dit ?

  • Qu’arrive-t-il si quelqu’un « se trompe » ? Si deux élèves ne sont pas d’accord ?

  • Qu’est-ce que les personnes qui animent attendent des élèves quand ils prennent la parole et quand ils écoutent les autres ?

Ces sujets n’ont pas tous à être abordés lors du premier atelier, mais ces informations sont toutes importantes à partager explicitement au cours des premières rencontres. Le profil des élèves (ex. : âge, expérience antérieure avec les dialogues philosophiques) va influencer les règles de communication établies ainsi que la durée des explications. Au besoin, il peut être aidant d’utiliser des supports visuels.

Donner un modèle

Après avoir informé les élèves des règles de communication, une deuxième stratégie qui favorise l’inclusion de tous les élèves est de donner des modèles de réflexion. Ainsi, si on inclut une période de collecte de questions, il est préférable de donner un modèle à voix haute avant de demander aux élèves de nous partager leurs questions. Ce modèle devrait surtout inclure la réflexion qui a précédé la formulation de la question. Autrement dit, l’important est de donner accès aux enfants au langage interne qui a permis d’arriver à la question. En écoutant comment notre pensée a progressé vers la question, les élèves en difficulté pourront s’approprier la démarche de réflexion et prendre la parole plus facilement.

Par exemple, la personne qui anime pourrait donner un modèle de formulation de question en disant « Dans l’histoire, ce que Naïla a fait m’a beaucoup surpris. Moi, quand je fais un dessin, je veux le montrer à tout le monde. Ce n’est pas ce qu’elle a fait dans l’histoire. Et ça me fait me demander à quoi ça sert de dessiner si on garde notre dessin juste pour nous? ». Par ce modèle, les élèves se familiarisent avec une manière de débuter la réflexion, soit de comparer les comportements des personnages de l’histoire à leurs propres comportements. Les élèves qui ont moins d’idées pourraient s’appuyer sur ce modèle afin de contribuer aux échanges.

De la même manière, on peut aussi donner des modèles de réflexion à la suite de l’intervention d’une autre personne du groupe. Par exemple, dans le cadre d’un dialogue philosophique, une élève pourrait affirmer que ce serait mieux si l’argent n’existait pas parce qu’il sert à financer la guerre et plusieurs activités qui polluent la planète. La personne qui anime pourrait prendre la parole et donner un modèle qui n’inclurait pas seulement sa réflexion finale « prête à partager », mais aussi les pensées qui l’ont amené à cette réflexion finale : « Au départ, quand j’ai entendu Béatrice dire que l’argent finançait la guerre, j’étais d’accord et je me suis dit que ce serait mieux si l’argent n’existait pas. Et après, j’ai pensé que l’argent, ça peut aussi servir à acheter des légumes, à organiser une fête, à faire un voyage... Alors, je me demande si enlever l’argent c’est la meilleure solution ou si on pourrait trouver une autre manière d’arrêter la guerre. »

Les modèles qui donnent accès à notre pensée à voix haute sont particulièrement importants pour les élèves en difficulté qui peinent souvent à démarrer des réflexions sur des sujets abstraits (Van Kleeck, 2008). Ils donnent à ces élèves des exemples de comment ils peuvent initier un raisonnement et passer d’une réflexion individuelle (ex. : ce que j’aime, comment j’aurais réagi) à une réflexion plus abstraite et plus universelle.

Soutenir la compréhension

La troisième stratégie pour favoriser l’inclusion de tous les élèves est de soutenir la compréhension. Tel que mentionné précédemment, les difficultés de compréhension des élèves qui ont un trouble du langage sont invisibles et elles passent souvent inaperçues. Les sujets de conversations abordés lors des dialogues philosophiques sont particulièrement difficiles à comprendre parce qu’ils sont souvent abstraits et décontextualisés (c’est-à-dire pas directement liés à des objets, des personnes ou des évènements qui se passent dans la pièce). Au départ, dans une perspective d’inclusion, il est préférable de choisir des sujets avec lesquels une majorité d’élèves sont familiers. Cela favorisera la compréhension et la participation des élèves en difficulté puisqu’ils pourront se baser sur leurs expériences pour débuter leurs réflexions.

Utiliser des supports visuels

Une des stratégies clés pour soutenir la compréhension est d’ajouter du visuel afin de laisser une trace de ce qui est dit. Différents supports visuels peuvent être utilisés. La personne qui anime peut écrire les mots importants sur des feuilles ou au tableau, dessiner pour illustrer certains concepts, ajouter des flèches pour indiquer le lien qu’un élève établit entre deux idées ou utiliser des gestes naturels pour représenter certains mots (ex. : joindre les mains pour représenter qu’un élève propose de réunir deux concepts).

Enseigner explicitement les mots de vocabulaire importants

Afin de favoriser la compréhension de tous les élèves, il est préférable que la personne qui anime utilise des mots simples dans leur sens le plus courant. Si des mots moins fréquents ou polysémiques sont utilisés, et qu’ils sont essentiels à la compréhension du dialogue philosophique, il est préférable d’enseigner leur sens explicitement.

L’enseignement explicite de mots de vocabulaire nécessite de présenter le sens de multiples façons (Beck et McKeown, 2007) : 1) une définition simple, 2) des synonymes (lorsque possible), 3) quelques exemples d’utilisation du mot et 4) une invitation pour les élèves à faire des liens entre ce nouveau mot et leurs expériences. Par exemple, si on souhaite utiliser le mot « idéal » (mot qui a plusieurs sens), on pourrait faire un enseignement explicite en disant : « L’idéal, c’est quelque chose qu’on préfère plus que toutes les autres choses, qui est mieux (définition). Un idéal, ça veut dire le meilleur, le plus beau, le plus parfait (synonymes). Par exemple, on pourrait penser à un gâteau idéal, à une chambre idéale ou à des vacances idéales. Ce serait le meilleur gâteau qu’on peut imaginer, une chambre parfaite pour nous (exemples). Pouvez-vous me dire pour vous, qu’est-ce que ce serait l’école idéale (lien avec les expériences des enfants) ? »

Tout au long du dialogue philosophique, la personne qui anime doit rester vigilante aux mots qui sont utilisés par elle-même ainsi que par les autres participants. Certains élèves avec un vocabulaire très développé peuvent utiliser des mots plus rares qui ne seront pas compris par les autres élèves et qui limiteront leur compréhension de l’échange. Si la personne qui anime juge qu’un mot utilisé par une participante ne sera peut-être pas compris par tous, elle peut donner un synonyme (« Présumer, ça veut dire penser. Donc, Aurélie pense que... ») ou demander à l’élève qui a utilisé ce mot de le définir pour le reste du groupe.

Ralentir le rythme des échanges

Les élèves qui ont des troubles du langage traitent le langage plus lentement que les autres. Quand les tours de parole s’enchaînent sans moment de pause et que les personnes parlent rapidement, le langage est plus difficile à traiter et à comprendre.

Pour favoriser la compréhension des élèves en difficulté, il est bien d’inclure des pauses entre deux tours de parole (quelques secondes de silence). La personne qui anime peut également prendre l’habitude de laisser 5 secondes de silence après avoir posé une question afin de laisser le temps à tous les élèves de réfléchir et de formuler leurs pensées. L’utilité de cette pause de réflexion peut être explicitée à tous les élèves. Le fait de résumer les échanges par des mots-clés au tableau instaure naturellement des moments de pauses qui soutiennent la compréhension des enfants en difficulté.

Favoriser la prise de parole de tous

Les études scientifiques sont plutôt claires : les élèves qui prennent la parole et qui participent activement lors des interactions verbales en classe apprennent davantage que les élèves qui ne prennent pas la parole (Leopola et al., 2023, Connor et al., 2020, Justice et al., 2018). Soutenir tous les élèves dans la prise de parole, c’est tenter de contrer l’effet Matthieu (Stanovitch, 2009). Tel que mentionné précédemment, cet effet indique que les élèves les plus avancés sont ceux qui profitent le plus des interactions avec les adultes en classe. Ces résultats d’études invitent à poursuivre la réflexion sur la gestion du temps et des tours de parole (Borella, 2016).

Si la personne qui anime croit que tous les élèves ont quelque chose à partager et qu’elle souhaite entendre tout le monde, elle doit nommer cette attente clairement et soutenir la prise de parole de tous. Il est pertinent de se rappeler que les échanges habituels en classe tendent surtout à valoriser les élèves qui donnent « les bonnes réponses ». Donc, à l’inverse, si la personne qui anime informe les élèves qu’ils peuvent choisir de ne pas prendre la parole, certains élèves (surtout ceux en difficulté) pourraient avoir tendance à s’auto-exclure des échanges parce qu’ils jugent que l’adulte n’est pas intéressé par leurs réponses.

Favoriser la participation de tous peut nécessiter, qu’à l’occasion, l’adulte protège les tours de parole des élèves qui ont des difficultés de langage : leur laisser plus de temps pour s’exprimer, s’assurer que les autres élèves ne leur coupent pas la parole, etc. (McMahon-Morin et al., 2019).

Rejoindre tous les élèves là où ils sont en s’ajustant à leurs habiletés

C’est au fil des échanges auxquels les élèves prennent part et à la suite des rétroactions reçues que les élèves peuvent parfaire leur jugement et leurs capacités d’argumentation. Pour donner de la rétroaction à tous, il faut d’abord que tous les élèves se soient exprimés (Gagnon, 2008).

La majorité des classes regroupent des élèves avec différente capacité d’abstraction. Dans ce contexte, la personne qui anime devra ajuster son soutien selon les élèves afin de les rejoindre là où ils sont rendus. Le concept d’étayage est central au soutien offert par l’adulte (Pentimonti et al., 2017). Étayer, c’est faire avec l’élève ce qu’il ne peut pas encore faire seul. Les élèves ayant des difficultés de langage peuvent avoir de la difficulté à répondre à des questions ouvertes complexes. Par exemple, pour étayer, la personne qui anime pourrait simplifier la question, faire un lien avec le vécu de l’élève ou encore donner un exemple. Ainsi, selon le besoin de l’élève, il peut être nécessaire de le soutenir fortement en limitant beaucoup son degré de liberté (ex. : suggérer des réponses ou poser une question à choix).

L’objectif de faire réfléchir les élèves par eux-mêmes ne doit pas être un prétexte pour ne pas offrir un soutien important aux élèves qui en ont le plus besoin. L’idée n’est pas de réfléchir à leur place, mais de reconnaître que certains élèves auront besoin de réfléchir « avec l’adulte » avant de faire par eux-mêmes ultérieurement.

Conclusion

Les ateliers de dialogues philosophiques sollicitent beaucoup les habiletés langagières et communicatives des élèves. Vu le haut pourcentage d’élèves ayant des difficultés de langage, il est souhaitable que les personnes qui animent utilisent des stratégies afin que les ateliers de dialogue philosophique soient des espaces inclusifs.

En portant une attention particulière aux interactions et au soutien offert à tous (ex. : en explicitant les règles de communication), il est possible de soutenir la compréhension et la participation des élèves et, ce faisant, de contribuer au développement des habiletés de pensée de tous.

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