Revue

Panser la distance entre oralité et écriture dans les Nouvelles Pratiques Philosophiques en Afrique

La distance est consubstantielle à la naissance du philosopher, l’étonnement. Dans les Nouvelles Pratiques Philosophiques, elle est incontournable dans le sens où la pensée est pensée et pansée. Même si le dialogue était intérieur, c’est dans la prise de distance de soi avec soi qu’il se déroule à la suite d’un ailleurs culturel puisé dans la littérature. La palabre africaine inspire les Pratiques Philosophiques comme lieu où s’effectue une mise en scène et une mise en sens de la parole au profit de la mise en écoute (l’ouïe). Le dialogue (argumenter, interpréter, questionner, problématiser, conceptualiser présupposer) déplace le regard de soi à soi non plus du point de vue de la vue mais du point de vue de l’ouïe, point de l’ouïe philosophique, entendre s’entendre ou s’entendre entendre. Ainsi, penser c’est panser puisqu’il ouvre et couve des voies qui donnent des voix à des constructions philosophiques.

La distance est consubstantielle à la naissance du philosopher. Dans les Nouvelles Pratiques Philosophiques, elle est incontournable dans le sens où la pensée est pensée et de ce fait, pansée. Ce pansement se réalise dans le tourbillon des dialogues intérieur et collectif où se meuvent l’oralité et l’écriture pour une prise de conscience de soi (de ses idées et préjugés), lampadaire d’une prise de distance avec soi. Cela est ainsi dans les pratiques philosophiques avec les enfants ou avec adultes ou encore toute autre couche des personnes en situation difficile (handicap, maladie, etc.).

Tout acte de parole est toujours et déjà un acte de distance quand bien même il est émis dans un dialogue intérieur ou collectif ; on parle à un absent, à quelqu’un à distance même si on monologuait. Il en est de même de l’écriture ; on écrit toujours à l’absence de, à un absent. La réflexion comme voie de retour de la pensée, de l’objet pensé au sujet pensant, plonge le participant à prendre distance avec soi-même par rapport aux idées émises par l’autre, cet autre qui est un tout autre au sens lévinassien.

Nous inspirant d’Edwige Chirouter, cette déconstruction par rapport à la littérature orale pense et se panse, ouvre des voies qui donnent des voix à des constructions philosophiques qui se résument dans le pragmatisme de John Dewey, learning by doing : apprendre en agissant. Dans le sillage de la littérature de la jeunesse élaborée par Edwige Chirouter, une bifurcation de la littérature orale (contes, devinettes,…) en Afrique traditionnelle insiste sur la parole en la déconstruisant par rapport à l’écriture[1], vers une archi-écriture, une distance qui pousse la pratique philosophique à avoir lieu dans un ailleurs, d’ailleurs, que l’école classique, la famille ou la rue par exemple ; à la péripatéticienne.

C’est dans cette optique que notre réflexion entend se déployer sur trois axes. La première, pose le philosopher comme acte de distanciation dans la mesure où la question de l’origine et/ou de la naissance de la philosophie s’affiche comme une question de distance nécessaire qui peut se lire et s’expérimenter dans les nouvelles pratiques de philosophie dont les trois principaux courants. La deuxième, présente l’oralité et l’écriture dans les nouvelles pratiques de philosophie dans une dialectique du pansement du penser, resté longtemps comme un impensé en philosophie africaine (académisme). La troisième enfin, se voulant conclusif, s’est engagé dans le point de l’ouïe philosophique pour déjouer, défigurer la distance qui semble s’ériger entre l’oral et l’écrit en philosophie africaine et négocier dans les nouvelles pratiques de philosophie dans ce continent, une communion entre la philosophie académique et la philosophie populaire.

Philosopher comme acte de distanciation

Nous aimerions partir de l’intitulé de ce premier point afin de ne pas tomber dans le réductionnisme en considérant le philosopher comme acte de distance, et lui reconnaitre dans son déploiement, un effort de distanciation. Pour notre part, le philosopher en tant que démarche discursive consiste à se tenir, à se placer dans une stance à partir de laquelle peut jaillir la signifiance ou le « faire sens » de notre dit (en tant que discours, parole, raisonnement).

Le philosopher comme acte, même dans les Nouvelles pratiques philosophiques c’est toujours et déjà un acte de distanciation, un lieu sans lieu fixe où l’étonnement inaugure l’épiphanie de l’arsenal de la rationalité sur la totalité du réel. Voilà pourquoi nous allons découvrir la question de la distance en philosophie dans le débat sur l’origine de la philosophie, la naissance de la philosophie et dans les courants des pratiques philosophiques avec les enfants.

Origine et naissance de la philosophie : une distance nécessaire ?

Dans cette lancée, l’on peut fonder la nécessité de prendre position à nouveau frais, certainement en rapport avec le débat sur la naissance et/ou l’origine de la philosophie, lieu d’un avoir lieu de la distance par excellence en philosopher. Il s’impose l’obligation de distance, de prises de position des uns et des autres pour un positionnement confortable, non séparatiste comme d’aucuns approchent la différence en terme de distance pour instaurer la différance, fondement de l’unité originaire. L’unité est ici à prendre dans le sens de l’unicité dans l’élan philosophique et non l’unanisme ou l’univocité, germe de la pensée unique qui a longtemps caractérisé ce débat en voulant claustrer la philosophie soit en occident soit en Afrique.

S’agissant de la naissance de la philosophie, l’étonnement est sa mère. Le philosopher naît de l’étonnement qui à son tour donne naissance au questionnement philosophique en vue d’une recherche d’un savoir radical et intégral. L’étonnement est au cœur, en amont, de la démarcation entre le questionnement et la problématisation dans un circuit ininterrompu qui façonne la problématologie meyerienne[2] en tant que art de questionner le questionnement. L’ambition de la problématologie est d’offrir une vision synthétique des différents domaines de la culture comme des diverses activités humaines, les pratique de la philosophie avec les enfants y compris. Dans ce sens, questionner le questionnement est un mouvement de recul, de prise de di-stance, un arrêt dans le dire qui se veut, remise en question perpétuelle. Il s’agit d’un octroi de délai à partir duquel s’initie la démarche philosophique face à l’étrangeté, et à l’énigmaticité d’une situation rencontrée ou d’un phénomène quelconque.

Dans Phédon, un dialogue de Platon, Socrate fait le récit de sa curiosité et de son questionnement. L’étonnement est un choc de l’esprit qui procède de l’incompatibilité d’une représentation, ainsi que de la règle qu’elle donne, avec les principes qui se trouvent déjà dans l’esprit comme fondements ; et celui-ci suscite un doute : a-t-on bien vu ? A-t-on bien jugé ?  »[3].

Dans le souci de marquer un écart avec le sens, son désir de savoir, le philosophe le prouve dans l’étonnement. De ce dernier, c’est l’idée d’une prise de distance avec le monde et ainsi, de libération de l’homme de ses croyances et préjugés afin que l’homme demeure homme.

Nous venons de découvrir que l’étonnement se produit à et en distance, arborant le doute comme mobile de la recherche d’un savoir radical et intégral où le dernier pourquoi et le dernier comment sont au rendez-vous. L’étonnement qui donne naissance au philosopher est incontournable, nécessaire, ouvre et couve la distance dans la quête de la connaissance.

Pour Edwige Chirouter, dans le sillage de Jacques Derrida, John Dewey, Matthew Lipman, Michel Tozzi contrairement à Platon et à René Descartes, il n’y a pas d’âge pour se poser des questions philosophiques et, dès l’âge de trois ans, face à l’expérience de « l’étonnement devant le monde » dont parle Aristote, les enfants se posent des questions insolubles et éternelles sur la vie, la mort, les relations humaines, la morale, le politique. L’enfant, en tant qu’enfant, en tant que regard neuf, naïf (mais non innocent...), fait à chaque pas cette expérience originelle. Le Petit Prince de Saint-Exupéry pourrait être la représentation métaphorique idéale de ce « don » de l’enfance, de ce regard enfantin, toujours neuf, jamais blasé, sur les mystères, les beautés, les horreurs de la vie et du monde. Il serait par excellence celui qui, selon l’expression de Gilles Deleuze, « fait l’idiot » et pose la question du pourquoi et de l’essence des choses en toute naïveté et intensité.[4]

D’ailleurs Johanna Hawken est l’une des rares penseurs très éloquente dans la matière, depuis ses recherches doctorales où elle aborde la question de l’étonnement et de questionnements chez l’enfant, soulignant avec force combien la faculté d’étonnement rime avec l’étrangeté du monde ; et que l’étonnement enfantin est emblématique d’une philosophie humaine universelle et source archétypale de l’ouverture au monde philosophique. Elle a souligné tout autant la fragilité et la fulgurance de la faculté de l’étonnement.

La fragilité de l’étonnement s’explique d’une certaine manière par l’indécision sur l’orientation à laquelle il peut conduire notamment la dénégation de poursuite de l’acte par éblouissement. Quant à la fulgurance, comme étincelle précédent l’ « eurêka », la découverte qui se veut réponse au questionnement devant se constituer comme une nouvelle question prolonge ainsi dans une logique emboîtant le nouveau questionnement en le problématisant.

Aussi peut-on nous demander initier les enfants à la philosophie, est-ce leur imposer un nouveau champ de connaissance qui leur serait étranger ? « Le monde de l’enfance et le monde de la philosophie peuvent sembler à priori très éloigné, voire absolument étrangers. Toutefois, à y regarder de plus près, il apparait que le monde de l’enfance soit déjà empreint de philosophie, et que l’esprit de l’enfant soit déjà ouvert aux dimensions philosophiques du monde. En effet, les enfants présentent parfois une certaine attitude philosophique, au point que certains pensent qu’ils sont naturellement philosophes »[5]. C’est dans cette logique que les questions enfantines permettent l’accès au philosopher. De ce fait, constate Johanna Hawken, il se dégage la première marque d’une affinité entre l’enfance et la philosophie, piste d’une ouverture de l’esprit.

S’agissant du débat sur l’origine de la philosophie, nous sommes là devant une autre interrogation intéressante et vielle qui impose la question de la distance. D’où est-ce que la philosophie a commencé, qui est le premier philosophe ? Devant ce polemos, une panoplie de réponse avec suffisamment de distance géographique et épistémologique que nous résumons à trois :

  • pour la première, la philosophie a commencé en Europe, en Grèce avec l’école des milésiens et ioniens. De ce fait, le premier philosophe fut Thalès de Milet, 625 av. jc. thèse soutenue par Emile Bréhier, et même Louis de Raemarker qui pense que « le peuple grec fut le peuple élu de la raison comme le peuple juif fut le peuple élu de Dieu ». Donc, la bonne distance de l’origine de la philosophie est en Grèce, elle est eurocentriste. Tout celui qui doit philosopher, doit suivre le modèle tracé par l’Europe.

  • Pour la deuxième, la tendance est afrocentriste dans le sens où la philosophie a commencé en Afrique et spécialement en Egypte. Pour les tenants de cette tendance, ce que l’on qualifie des premiers philosophes en Occident, Thales de Milet et les autres ont étudié en Egypte et ramené les connaissances apprises en occident. Donc, ils n’ont été que disciples en Afrique avant de devenir maitres en occident. Ici la distance de l’origine de la philosophie se déplace de l’occident en Afrique, sans faire l’unanimité. Deux philosophes africanistes belges se sont livrés à une guerre terrible pour défendre ces deux premières positions en Afrique depuis 1945. Il s’agit d’un côté du missionnaire Belge Placide Tempels, qui soutient qu’il y a de la philosophie en Afrique et que le Bantu comme peuple en avait. On peut la trouver dans les mythes, proverbes, devinettes. Tandis que son compatriote Franz Crahay pense le contraire. Pour lui, c’est une pseudo philosophie et que pour bien faire la philosophie, les africains devraient imiter le modèle occidental en faisant le décollage conceptuel pour éviter le court-circuit. À ce stade, la tendance est de demander selon nous qui a raison entre les deux tendances ? La troisième nous tente.

  • La troisième est anthropocentriste. Autrement dit, tout homme de partout se pose des questions sur la vie, l’existence et le monde, bref sur la totalité du réel. Donc la distanciation philosophique n’est pas géographique mais anthropologique. Telle est la position du très célèbre philosophe congolais, Professeur Ordinaire Abbé Louis MPALA Mbabula, notre Maitre.

Le courant philosophique des Nouvelles Pratiques Philosophiques : distance et tangence

De tous les courants des Nouvelles Pratiques Philosophiques, le courant philosophique, pense Edwige Chirouter, met au cœur la parole et l’enseignant s’inscrivant ainsi dans la perspective didactique. Le support culturel, la question du texte littéraire, l’écriture donc, occupe une place centrale dans ce dispositif. L’oralité et l’écriture riment dans ces pratiques, provoquent la distance puisque nées de la distance dans les dialogues intérieur ou collectif, démocratisés.

Le courant psychanalytique

Ce courant, appelé aussi le courant des préalables à la pensée, est le fruit de recherches menées par le psychanalyste français Jacques Lévine fondé sur les préalables à la pensée. Ainsi « l’enfant est invité à libérer sa parole sur des questions existentielles. »[6]. En prenant en compte les interrogations de l’enfant, les adeptes de ce courant se donnent comme « objectif de pouvoir répondre aux questions des enfants et d’instaurer un rapport non dogmatique au savoir. »[7]C’est un courant des préalables à la pensée. Grosso modo, les tenants de ce courant estiment que la philosophie pour enfants donne la possibilité de penser la pensée, et de l’objet pensé au sujet pensant.

Le courant d’éducation à la citoyenneté[8]

Les tenants de ce courant estiment que l’éducation du futur citoyen devrait être prise en considération dès le bas âge. Ce courant est plus développé en France grâce aux recherches entreprises par Michel Tozzi. Selon Edwige, l’objectif prioritaire de ce courant serait l’apprentissage d’habitus démocratiques. Sylvain Connac, comme membre de ce courant, estime qu’il s’agit dès lors de « prendre l’enfant aux sérieux, partir de ses préoccupations, être attentif à sa parole, ses besoins, lui apprendre le respect des différences, lui faire confiance et l’habituer à exercer des responsabilités. »[9]

Le courant philosophique

Le courant philosophique accorde une très grande importance à la parole des enfants et n’écarte nullement pour autant la place de l’enseignant. Ce courant s’inscrit ainsi clairement dans une perspective didactique. Il est souvent soutenu par des professeurs de philosophie dont le pionnier est Lipman. Edwige elle-même se réclame de ce courant : « Je me reconnais d’emblée dans le courant dit “philosophique” où les exigences intellectuelles restent premières et où la présence du maître est de fait importante. »[10] L’objectif de ce courant est de démocratiser l’enseignement de cette discipline. Cependant, ce qui intéresse le plus, à entendre cette ambassadrice de la philosophie pour enfants dans le monde, c’est « la place centrale qu’occupe le support culturel dans ce dispositif. »[11]La question du texte littéraire y est donc bien centrale.

Il sied de remarquer que ce courant pourrait ouvrir la brèche à un autre champ d’investigation philosophique lié à la question de la textualité, les modalités de l’interprétation qui convoque l’herméneutique philosophique, mais aussi et surtout le malaise et/ou l’aisance relatif à l’orphelinat de l’écriture, disons du texte parfois abordé, non sans prétexte, dans un contexte toujours nouveau et donc un peu étrange à sa production. Cette situation pourrait également soulever, à nouveau frais, le débat du rapport entre l’oralité et la scribalité, par crainte de la trahison inhérente à toute interprétation, surtout du texte.

Dans les Nouvelles pratiques philosophiques avec les enfants surtout à la suite d’Edwige Chirouter, le courant philosophique est une piste dans laquelle distance et tangence se meuvent. Distance parce que toute éducation, en tant que conduction vers, est de part en part distanciation. Elle est distance en tant que travail de socialisation de l’enfant. Ici on convoquerait David Hume qui place l’association d’idées et l’habitude au sommet de prise de conscience du savoir, de la connaissance.

Elle est aussi distance dans la perspective d’inter-action qui mise non seulement sur la communication du savoir, mais aussi : échange, partage des savoirs en deux pôles de l’apprenant et de l’enseignant. Et ici, on bénéficie de la pertinente remarque kantienne qui préconise qu’il ne faut pas apprendre la philosophie mais apprendre à philosopher. Ce qui rime avec la reforme de Bologne sur les cours magistraux interactifs (CMI) et facilite le transfert de savoir.

Oralité et écriture dans les Nouvelles Pratiques Philosophiques : panser le penser de l’impensé de la distance en philosophie africaine

Distance de soi en soi de toute part, pour peu que l’enseignement reste un exercice de projection vers les horizons toujours mélioratifs de l’enfant et évaluatif de l’enseignant pour extirper la routine en imprimant le caractère dynamique et actuel de savoir à transmettre pour peu que, en République Démocratique du Congo, trois objectifs sont liés notamment la recherche, l’enseignement et le service à la société.

Oralité et écriture : déconstruction ou des constructions ?

Il s’avère opportun de panser la distance impensée dans la nouvelle pratique de la philosophie en philosophie africaine au regard du culte scripturaire auquel se sont livrés plus d’un philosophe africain et africaniste dans le souci de l’accréditation, de la reconnaissance d’une philosophie. La distance oralité / écriture a pris une tournure idéologique au point qu’on a vite fait d’aller à une coupure à la hache entre la portion orale et écrite de la discursivité philosophique.

Palabre africaine : une expérience de distance dans la littérature orale

Heureusement la palabre africaine, pratique sociale qui porte une facture philosophique d’envergure atténue cette dichotomisation. Dans sa pratique, son décor d’effectuation, elle se fait en circularité non pas pour que chaque point de vue soit émis mais entendu. D’où le privilège et la préséance de ce que nous appelons, point de l’ouïe philosophique.

Les Nouvelles Pratiques Philosophiques mettent en scène et en sens la parole par temps et partant de la littérature comme le démontre Edwige Chirouter. Ce sont les lieux qui donnent aux mots la possibilité de leur apparition dans les images qui laissent entrevoir l’au-delà d’une certaine limite, l’ailleurs comme le dit Jacques Derrida[12]. C’est le lieu de bien tourner les mots pour dire ce qui, passant déjà par des mots, passait aussitôt les mots, traversait ou excédait à chaque instant le discours. Ces pratiques sont les lieux de la distance puisque lieu de la différance. D’ailleurs, même si l’ailleurs était proche de nous, c’est toujours un ailleurs pense Derrida. Même si le dialogue était intérieur, c’est toujours dans la prise de la distance de soi avec soi qu’il se déroule à la suite d’un ailleurs culturel puisé dans la littérature où la déconstruction produit des constructions.

Que devient la traversée de la distance de soi avec soi quand on aborde l’oralité et l’écriture en Afrique, cette Afrique accusée à tort ou à raison d’être de la culture de l’oralité ? Godefroy Bidima[13] pense la traversée en termes d’interfaces, d’entre-deux. Éduquer, c’est conduire hors, traverser, c’est un acte de mouvement, de distance. La culture africaine inspire les Nouvelles Pratiques Philosophiques à la lumière de la palabre où s’effectuent une mise en scène et une mise en sens de la parole au profit de la mise en écoute (l’ouïe). Ici, le regard et l’écoute dans le face-à-face permettent de mieux se connaître, de mieux prendre distance de soi ; la prise de la parole est bien plutôt la distance de cette parole, l’écoute. Le plus important dans le dialogue intérieur ou collectif n’est plus ce que l’on entend mais ce que l’on entend de ce que l’on entend et ce que l’on attend. Cette double entente déplace, met en mouvement, fait traverser le regard de soi à soi non plus du point de vue de la vue mais du point de vue de l’ouïe, point de l’ouïe philosophique, entendre s’entendre ou s’entendre entendre.

Conclusion

Cette réflexion qui visait « panser la distance entre oralité et écriture dans les nouvelles pratiques philosophiques. Un tel exercice ne peut atteindre son effectuation que dans une décision de déconstruction pour ériger des constructions nouvelles en Afrique confrontée à la distance criante entre l’oralité et la scribalité. En fait, s’il est évident que la distance est consubstantielle à la naissance du philosopher, il faut encore ausculter dans les nouvelles pratiques de la philosophie avec les enfants comment cette distance peut brouiller les pistes de réflexion qui naissent de l’étonnement de deux pôles de cette pratique à savoir l’enseignant et l’apprenant.

C’est alors que s’impose la nécessité du pansement dans les tourbillons du dialogue intérieur et/ou collectif où se meuvent l’oralité et l’écriture dans la prise de conscience de soi englobant tout à la fois les idées, et pourquoi pas les préjugés, dans la rencontre ainsi occasionnée par l’enseignement.

Pour ce faire, nous avons posé le philosopher comme acte de distanciation sous le prisme du questionnement sur l’origine et la naissance de la philosophie avant de présenter les différents courants des pratiques de la philosophie avec les enfants. Il s’est agi dans ces deux points d’insister sur l’origine anthropologique de la philosophie qui accrédite tout être humain, enfant soit-il, de la vertu d’étonnement et du questionnement d’une part, et de passer d’autre part en revu les principaux courants de pratique de la philosophie avec les enfants notamment : le courant psychanalytique, le courant d’éducation à la citoyenneté et le courant philosophique.

Le deuxième grand axe a planché sur Oralité et écriture dans les nouvelles pratiques de la philosophie pour panser le penser de l’impensé de la distance en philosophie africaine. Confronté à un académisme rampant qui a fait de la philosophie en Afrique une affaire des universités à cause du sérialisme d’une érudition parfois déconcertante, la pratique philosophique mérite un pansement en Afrique afin de cicatriser cette plaie profonde qui fragilise la philosophie africaine en la rendant étrangère à son peuple et partant non utile.

Le dernier axe qui se voulait conclusive, proposer le point de l’ouïe philosophique comme des antidotes possibles pour rétrécir ce fossé entre l’académisme et le pragmatisme, entre l’oralité et l’écriture dans les nouvelles pratiques de la philosophie. Ce point de l’ouïe philosophique a le mérite de synthétiser tous les organes de sens et opérer ainsi une jonction entre l’oral et l’écrit, entre la philosophie académique et la philosophie populaire au rang duquel peut s’inscrire les nouvelles pratiques de la philosophie qui ne restreint pas le champ du philosopher aux seuls adultes ou au seuls spécialistes en philosophie. L’arbre à palabre africain en est une illustration du fait qu’il se déploie dans le champ de ce que l’on attend de ce que l’on entend, pour être à mesure de donner sens à la vie même sans lire et écrire.

  • BIDIMA, J.-G. (1997). La Palabre. Une juridiction de la parole. Paris, Michalon, Coll. Le bien commun.

  • CHIROUTER E. (2008). A quoi pense la littérature de jeunesse ? Portée philosophique de la littérature de jeunesse et pratiques à visée philosophique au cycle 3 de l’école élémentaire. Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en science de l’éducation. Montpellier, Université Paul Valery- Montpellier3.

  • CHIROUTER E. (2015). L’enfant, la littérature et la philosophie. Paris, L’Harmattan.

  • DERRIDA J. (1997). L’écriture et la différence. Paris, Seul.

  • HAWKEN J. (2016). Philosopher avec les enfants : enquête théorique et expérimentale sur pratique de l’ouverture d’esprit. Thèse pour l’obtention du grade de docteur en philosophie. Paris, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, inédit.

  • KAKUMBI BELUMBA G.-T. (2018). Penser éducation et droits de l’enfant. Diagnostic et philothérapie. Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en philosophie. inédit, Kisangani, UNIKIS.

  • KANT E. (2015). Critique de la faculté de juger. trad. A. RENAUT, Paris, Flammarion.

  • MEYER M. (2008). De la problématologie. Paris, PUF.

  • PROFIL D’ailleurs, Derrida, Un documentaire écrit et réalisé par Safaa Fathy, Coproduction GLORIA FILMS Production, La Sept ARTE, KINOTAR OY (68 mn), Edité en cassette par ARTE Vidéo (collection Ecrivains)

  • http://ressources.univ-lemans.fr/AccesLibre/PRN/publije/Vol2/pdf/2.B2.CHIROUTER.publije2.OK.pdf [en ligne ] page consultée le 20 janvier 2023 à 19h20’

Notes
  1. Cf. DERRIDA J. (1997). L’écriture et la différence. Paris, Seul. ↩︎

  2. MEYER M. (2008). De la problématologie. Paris, PUF. ↩︎

  3. KANT E. (2015). Critique de la faculté de juger. trad. A. RENAUT, Paris, Flammarion. P.281-282. ↩︎

  4. http://ressources.univ-lemans.fr/AccesLibre/PRN/publije/Vol2/pdf/2.B2.CHIROUTER.publije2.OK.pdf [en ligne ] page consultée le 20 janvier 2023 à 19h20’ ↩︎

  5. HAWKEN J. (2016). Philosopher avec les enfants : enquête théorique et expérimentale sur pratique de l’ouverture d’esprit. Thèse pour l’obtention du grade de docteur en philosophie. Paris, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, inédit. p. 25. ↩︎

  6. E. CHIROUTER, L’enfant, la littérature et la philosophie, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 63. ↩︎

  7. Ibidem, p. 64. ↩︎

  8. Cf. KAKUMBI BELUMBA G.-T. (2018). Penser éducation et droits de l’enfant. Diagnostic et philothérapie. Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en philosophie. inédit, Kisangani, UNIKIS. ↩︎

  9. S. CONNAC cité par CHIROUTER E. (2015). L’enfant, la littérature et la philosophie. Paris, L’Harmattan. p. 65. ↩︎

  10. Cf. CHIROUTER E. (2008). A quoi pense la littérature de jeunesse ? Portée philosophique de la littérature de jeunesse et pratiques à visée philosophique au cycle 3 de l’école élémentaire. Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en science de l’éducation. Montpellier, Université Paul Valery- Montpellier3. p.19. ↩︎

  11. CHIROUTER E. (2015). L’enfant, la littérature et la philosophie. Paris, L’Harmattan. p. 67. ↩︎

  12. PROFIL D’ailleurs, Derrida, Un documentaire écrit et réalisé par Safaa Fathy, Coproduction GLORIA FILMS Production, La Sept ARTE, KINOTAR OY (68 mn), Edité en cassette par ARTE Vidéo (collection Ecrivains) ↩︎

  13. Cf. BIDIMA, J.-G. (1997). La Palabre. Une juridiction de la parole. Paris, Michalon, Coll. Le bien commun. ↩︎

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