Revue

Les goûters philosophiques

interview de Brigitte Labbé

interview de Brigitte Labbé

Les éditions Milan (Toulouse) viennent de sortir une collection " Les goûters philo ", qui invite les enfants de huit à treize ans à penser par eux-mêmes. Celle-ci s'inscrit dans la volonté " de donner un véritable statut intellectuel à l'enfant ", et " souhaite impulser un mouvement pédagogique pour que l'éveil à la philosophie soit pris en compte dès l'école primaire ". Elle est philosophiquement supervisée par Michel Puech, Maître de Conférences en philosophie à la Sorbonne.

Premiers titres parus : La vie et la mort, La guerre et la paix, Les Dieux et Dieu, Le travail et l'argent, Prendre son temps et perdre son temps, Pour de vrai et pour de faux, Les garçons et les filles...

Nous avons demandé à Brigitte Labbé, rédactrice des ouvrages, le sens de sa démarche.

Qu'est-ce qui vous a amené à écrire des livres de philosophie pour les enfants?

Une grande colère! Il y a quatre ans, alors que j'étais chef d'entreprise, j'ai eu la chance de pouvoir m'offrir une année sabbatique. Je l'ai passée à la Sorbonne, en année de licence de philosophie. Et je ne comprenais pas les trois quarts des cours! À vingt ans on se dit que c'est normal, à trente-six ans on se dit qu'il y a un problème! Cela m'a d'autant plus mise en colère qu'il y avait certains cours lumineux, ces cours dont on sort heureux, avec le sentiment d'avoir progressé dans la pensée. Il m'a semblé que le principal obstacle à la compréhension était le langage utilisé.

Est né alors un désir de rendre ces idées accessibles, de les dépouiller de leur jargon, d'aller à l'essentiel sans se masquer derrière des mots compliqués. Et naturellement j'ai pensé aux enfants. Parce qu'ils posent très tôt, spontanément, des questions philosophiques.

Je suis maman d'une grande fille de huit ans, et je constate, comme tous les parents, que les questions que posent les enfants sont des questions profondes, essentielles.

Les non-philosophes que sont la plupart des adultes sont souvent démunis face à ces questions. Ces livres sont donc conçus comme des boîtes à outils, où chacun va piocher, et en cela ce sont des livres qui ouvrent la discussion. Loin de réponses toutes faites, loin aussi de toute morale enfermante. Le contraire même de ce qui se passe avec des catalogues de réponses apportées par " l'adulte qui sait ".

Michel Puech, Maître de conférences en philosophie à la Sorbonne, vous aide dans cette tâche. Pourquoi et comment?

Ce que fait Michel Puech ne s'appelle pas de l'aide, le mot n'est pas approprié! Tout simplement parce que si je n'avais pas rencontré un enseignant de la qualité de Michel Puech, et s'il n'avait pas adhéré à ce projet, " Les goûters philo " n'existeraient pas.

Michel Puech garantit à ces livres une grande rigueur, il veille à ce que l'essentiel des pensées philosophiques sur un thème donné soit transmis, à ce que la nécessité de simplification ne se fasse jamais au détriment du fond. Je trouve extraordinaire quait accepté de relever ce défi, et qu'il s'inscrive à ce point dans ce désir de transmission.

Comment vous y êtes-vous pris très concrètement pour les écrire?

D'abord le choix des thèmes. Je suis en contact avec des enfants de huit, neuf, dix ans, je leur suggère des sujets mais eux-mêmes en demandent spontanément. J'écris sur un thème seulement si nous sommes convaincus de son intérêt pour des enfants, à partir de huit ans.

Ensuite pour l'écriture, deux impératifs : être intéressant et être clair.

Parler de choses qui les préoccupent, qui font partie de leurs questionnements, ou de leur quotidien, bref des idées qui trouvent un écho en eux, sans vouloir plaquer des problématiques qui ne sont pas les leurs. Trouver des histoires qui illustrent les idées, des histoires du quotidien ou des histoires imaginaires.

Et être clair. Je n'utilise que le vocabulaire d'un enfant de huit ans, et pas question d'astérisques qui renvoient à des définitions! Cela demande beaucoup de travail, d'exigence car aucune facilité de langage n'est possible.

Michel travaille avec moi les textes, mot à mot, pour que chaque mot, chaque phrase, chaque petite histoire, traduise exactement la pensée philosophique que nous voulons exposer. Ce sont des lectures et des relectures incessantes pour éclaircir, dépouiller, simplifier mais sans jamais perdre le fond.

Comment pensez-vous que ce matériel peut être utilisé?

Ces petits livres sont déjà utilisés comme supports dans de " vrais " goûters philo. Ces goûters philo, avec gâteaux et boissons - c'est important car nous sommes d'emblée dans une ambiance plaisir - sont des lieux de débats sur les thèmes abordés dans la collection.

C'est passionnant et émouvant de voir le plaisir qu'ont les enfants à manier les idées, à construire eux-mêmes leurs réponses, à découvrir l'intérêt du questionnement. Ces goûters vont plus loin qu'une simple discussion de salon.

En général, je commence par un vote, pour que les enfants choisissent le thème dont ils veulent parler ce jour-là. Ensuite je lis, ou un enfant lit, un passage du livre, et cette lecture lance naturellement la discussion. J'utilise alors des techniques classiques de conduite de réunion, acquises en entreprise! Mon rôle est double : éviter de trop les laisser sortir du thème, c'est un apprentissage à la rigueur de la discussion, et remettre au centre du groupe des problématiques trop individuelles.

Ce sont des lieux de paroles dont les enfants sortent valorisés et passionnés : leur intelligence, leur capacité de réflexion sur des choses importantes sont reconnues. Les parents me disent que la discussion continue toute la semaine, à la maison! C'est d'ailleurs étonnant de constater que ces livres, conçus pour des enfants, intéressent les adultes. Le livre Prendre son temps et perdre son temps, par exemple, a soulevé beaucoup de questions chez les adultes, dans les familles... Voilà, c'est de la philosophie compréhensible et ancrée dans la vie, et c'est sans doute cette approche de la philosophie que beaucoup d'entre nous cherchons.

Nous réfléchissons à la manière de diffuser cette expérience pour que les professeurs puissent organiser des goûters philo. Des professeurs des écoles sont intéressés par des goûters philo dans leurs classes et certains vont avoir lieu dans des classes de primaire. Michel Puech et moi-même allons sans doute proposer aux I.U.F.M. des interventions, pour préparer ceux qui le souhaitent aux goûters philo à l'école.

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