Comment faire un cours de philosophie qui permet aux élèves d'être plus critiques ?

Quelques conseils à destination des enseignants de philosophie débutant dans le second degré1

Introduction

L'exigence de former l'esprit critique des élèves fait aujourd'hui consensus au sein de l'institution scolaire et même universitaire française. Celle-ci n'est pas qu'un effet de mode venu d'outre Atlantique2 mais va dans le sens des travaux de recherches sur la pensée critique, en psychologie cognitive, en sciences de l'éducation et en philosophie. Ces recherches ne sont pas non plus un effet de mode, car elles répondent à un contexte et à des préoccupations nouvelles liées pour l'essentiel aux différents terrorismes de ce début de 21e siècle3 et à une mutation dans les usages des moyens de communication et d'information4. Le contenu même des programmes, de la maternelle à la terminale, les cours d'éducation à l'esprit critique dans les universités, les colloques, séminaires et tables rondes, les formations académiques ou extra-académiques et les publications récentes sur le sujet, témoignent de cette exigence. On parlera ainsi d'une "exaltation consensuelle de l'esprit critique dont tout le monde se revendique, qu'on soit "traditionaliste" ou favorable aux pédagogies nouvelles"5. Les responsables éducatifs que nous sommes cherchent donc à donner aux élèves les moyens de contrer les idées fausses, les appels à l'émotion, le complotisme, le climato-négationnisme, le cyber-endoctrinement, les propagandes sexistes, homophobes, idéologiques, racistes, terroristes, commerciales, industrielles, la diffusion de rumeurs, la désinformation, les canulars viraux sur internet (hoax), le dogmatisme, les informations fallacieuses, l'obscurantisme, le fanatisme, le sectarisme, les préjugés, les stéréotypes, qui touchent nos élèves.

Concernant l'enseignement de la philosophie, les prescriptions visant à former le jugement critique ont toujours accompagné les programmes, depuis le 19 septembre 18096, ce qui n'est pas le cas des autres programmes disciplinaire du second degré. Après s'être naturellement penché sur les nouveaux programmes de philosophie qui réaffirment ces prescriptions7, le professeur de philosophie débutant se demandera donc quelle est la place de ses cours face à cette exigence consensuelle élargie à toutes les disciplines.

I) Suffit-il de faire un cours de philosophie pour développer l'esprit critique des élèves ?

Tout comme certains prétendent que la philosophie est sa propre pédagogie, on pourrait penser que le cours de philosophie comporte intrinsèquement une culture de l'esprit critique, c'est-à-dire une mise en valeur spontanée d'un tel esprit.

Selon nous, dans les deux cas, il n'en est rien. La philosophie et l'esprit critique ne ruissellent pas plus sur les lycéens attentifs que l'argent des riches sur les pauvres.

Une telle conception, de la part d'un professeur de philosophie, semblerait bien naïve pour ne pas dire prétentieuse : qui oserait prétendre que son cours est tellement philosophique que les élèves n'ont qu'à accepter d'être guidés vers la sortie de la caverne aux ombres changeantes ? D'ailleurs, Socrate lui-même, qui aimait tant marcher à l'air libre, parviendrait-il dans notre contexte scolaire - avec des élèves masqués, obligés de rester assis six heures par jour sans changer de salle, dans des classes à 35, astreints à l'assiduité et souvent fatigués - à éveiller l'esprit critique des élèves ? On peut en douter. C'est pourquoi nous pensons que doit se mettre en place une véritable réflexion didactique et pédagogique en philosophie, sur les moyens de développer l'esprit critique des élèves.

Rappelons au professeur de philosophie débutant une évidence : le cours de philosophie n'est pas la philosophie. Il s'agit bien d'un cours, dispensé par un professeur dans un cadre scolaire, qui a notamment pour finalité de préparer des élèves à des épreuves académiques, celles du baccalauréat. Qu'en est-il alors des exercices académiques que constituent la dissertation et l'explication de texte et auxquels nous devons en priorité préparer les élèves ? Certes, ils sont utiles dans la mesure où ils permettent de travailler la conceptualisation, l'argumentation, la problématisation8 et l'interprétation9, dans la mesure où ils imprègnent les élèves d'une pensée critique en acte et où ils les confrontent à des pensées nouvelles. Mais selon nous, ils ne suffisent pas et les pédagogues que nous sommes doivent élaborer des dispositifs appropriés aux compétences critiques que nous voulons développer (ce que ne cessent de montrer certains didacticiens et pédagogues, comme Michel Tozzi à travers ses nombreux travaux). Nous renverrons ici à un seul argument, celui de la nécessité de travailler nos capacités critiques de façon explicite.

Selon l'étude de Elena Pasquinelli et Nicolas Gauvrit de 2017, "expliciter les compétences mobilisées dans un cours améliore son efficacité"10. Dans le cas de la pensée critique, dire que l'on est en train de développer l'esprit critique en travaillant telle ou telle attitude ou capacité permettrait donc aux élèves de se les approprier plus facilement. Comment comprendre cela ? Matthew Lipman formulait déjà cette exigence en 2003, expliquant que l'activité métacognitive, par laquelle l'élève réfléchit à propos de sa propre réflexion, lui permet d'objectiver une démarche mentale au moment où il la fait. L'acte mental est ainsi conçu comme une réalisation dont on peut analyser les étapes. Dès lors, en en prenant conscience, l'élève peut décrire sa démarche, la corriger, la remplacer. Autrement dit, devenir conscient de ses actes mentaux permettrait la rétroactivité de la pensée. Et Lipman ajoutait : "une grande part du succès ou de l'échec de l'action éducative dépend de la capacité des éducateurs à se laisser entraîner par ce courant [méta-cognitif de réflexion]"11. Pour aller plus loin dans la réflexion et déterminer quelles compétences sont à expliciter en priorité et de quelle manière, on se référera à l'étude canadienne "Strategies for teaching students to think critically : a meta-analysis"12.

II) Le professeur de philosophie est-il un modèle d'esprit critique ?

Force est de constater que la majorité des élèves n'est pas critique, qu'elle est perméable à tous les travestissements de la vérité et à toutes les influences. De nombreuses études (IPSOS 2011 ; Médiamétrie et Global TV 2016 ; Fondation Jean Jaurès et l'Observatoire du conspirationnisme 2017 ; IFOP 2018 ; CNESCO 2019) montrent le niveau de crédulité des français en général et des jeunes en particulier. À titre d'exemple, l'étude réalisée par l'IFOP en 2018 montre que 55% des 1252 personnes interrogées considèrent que "le ministère de la Santé est de mèche avec l'industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins". On y lit également que les jeunes de 15 à 35 ans (ce qui comprend les lycéens) sont deux fois plus nombreux que les plus de 35 ans (21% contre 11%) à adhérer à au moins 7 théories complotistes.

Mais qu'en est-il du professeur de philosophie ? Aurait-il par la vertu de sa discipline plus d'esprit critique que ses collègues ou que les adultes en général ? Or, développer l'esprit critique des élèves suppose que le professeur lui-même soit critique, ce qui ne va pas de soi, même en philosophie. En témoigne le traitement des cours sur la notion de l'inconscient (souvent couplée avec d'autres notions comme la conscience), qui montre que nous pouvons nous égarer dans des considérations peu critiques, faisant une place démesurée et non interrogée sur la psychanalyse freudienne trop rarement ou rapidement contrebalancée par les approches véritablement scientifiques sur le sujet et les autres positions philosophiques13. Le prof de philo ne serait donc pas au-dessus de la mêlée, du point de vue de son esprit critique14.

III) Qu'entend-on par esprit critique et quelles compétences critiques sont à développer ?

Comme l'a montré une récente étude, "les capacités cognitives ne sont pas suffisantes pour diminuer l'adhésion aux croyances non fondées"15. Certes, les sujets de l'étude étaient des adultes (enseignants), mais nous gagnerions à partir du postulat que ce qui vaut pour l'esprit critique des enseignants vaut a fortiori pour celui des élèves. Les capacités cognitives des élèves (qu'il est difficile d'évaluer du haut de notre chaire) ne seraient donc pas suffisantes pour diminuer l'adhésion aux croyances non fondées. Face à ce problème, notre rôle d'enseignant de façon générale est de substituer aux contrevérités des vérités fondées. Et notre rôle de professeur de philosophie en particulier, tel que nous le concevons, n'est pas d'offrir la vérité sur un plateau mais de libérer les élèves de deux dérives : le scepticisme total et le dogmatisme. Nous parlons bien de scepticisme total, qui est la forme extrême et à la fois la plus superficielle du scepticisme, celui dans laquelle nos élèves peuvent sombrer face à la découverte des incertitudes de la science, de ses limites et des travestissements possibles de la vérité. Le risque pour les élèves est alors de s'en remettre finalement à son contraire et de croire tout et n'importe quoi, de croire ce qui nous arrange ou bien ce qui arrange ceux qui nous influencent ou cherchent à nous manipuler. Le doute doit donc être guidé, il doit se doter des moyens rationnels de s'exercer, sans quoi la pensée non critique, en croyant se libérer, s'asservirait à la première idée reçue ou au premier dogme qui se présenterait. Quant au dogmatisme, il n'épargne ni la philosophie comme nous venons de le suggérer, ni même la science, comme le montre Poincaré : le dogmatisme scientifique consiste à considérer que "la vérité scientifique est hors des atteintes du doute", toute erreur scientifique n'étant alors qu'une erreur déductive (c'est-à- dire logique)16. Ces deux attitudes opposées représentent alors deux dangers opposés, pour nos élèves : "Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir."17

Malheureusement, sauf erreur de notre part, aucun passage des programmes ne nous fournit une définition de l'esprit critique, ni ne nous indique comment le travailler et encore moins comment l'évaluer18. Dans La formation de la pensée critique, ouvrage incontournable sur le sujet, Jacques Boisvert dresse un panorama des définitions de l'esprit critique, à travers cinq penseurs de la pensée critique, qu'il appelle "le groupe des cinq". Trois convergences apparaissent, parmi les diverses définitions étudiées :

  • la pensée critique fait appel à plusieurs capacités ;
  • elle requiert de l'information et des connaissances pour se mettre en oeuvre ;
  • elle implique une dimension affective.

Voici la définition que nous proposons à partir des différents travaux sur le sujet : être critique c'est savoir mobiliser un ensemble de savoirs, de capacités et d'attitudes et de les mettre à profit conjointement afin de déterminer de façon réflexive, autonome et rationnelle, ce qu'il convient de penser ou de faire.

Quelles sont alors ces compétences critiques à développer (explicitement) chez les élèves ? Voici une liste possible, probablement non exhaustive et certainement discutable.

a) Capacités (ou savoir-faire ou habiletés de pensée) :

  • Rechercher des informations ou des précisions dans la mesure où le sujet le permet
  • Définir des termes de façon adaptée au contexte et évaluer les définitions
  • Distinguer hypothèses / conclusion / justification
  • Formuler des hypothèse plausibles
  • Evaluer la crédibilité d'une source d'information
  • Prendre une position dans une argumentation orale ou écrite mais avec nuance
  • Analyser ou évaluer des arguments, des interprétations, des opinions ou des théories
  • Distinguer les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas
  • Distinguer les faits prouvés des faits supposés
  • Comparer des situations analogues : transférer ce qu'on a compris à de nouveaux contextes

b) Attitudes (ou savoir-être ou compétences comportementales)

  • Avoir tendance à rechercher les raisons de phénomènes
  • Etre ouvert d'esprit
  • Savoir remettre en question ses opinions ou son action
  • Faire preuve d'impartialité
  • Faire montre d'humilité (notamment intellectuelle)
  • Savoir suspendre son jugement (douter de soi, des autres)
  • Penser de façon autonome
  • Avoir le souci de l'exactitude dans ses raisonnements, observations et actions
  • Savoir résister au conformisme (ou pression du groupe)

Savoir résister à l'autorité, à l'ordre ou à la demande illégitimeNous le voyons, ces compétences critiques qui mériteraient d'être explicitées sont théoriques et pratiques. Ce dernier aspect que nous allons maintenant préciser, est particulièrement manifeste avec les deux dernières compétences que nous avons choisi d'ajouter à cette longue liste (qui mériteraient d'être explicitées).

IV) Quels sujets aborder avec les élèves ?

Pas plus qu'il ne faudrait réduire le développement de l'esprit critique à la seule réflexion sur le complotisme, il ne faudrait négliger la valeur pratique de l'esprit critique au profit de sa seule dimension théorique (le rapport à la vérité). Il ne s'agit donc pas seulement d'avoir en ligne de mire les falsifications de la vérité et les dogmatismes de tout ordre. Il s'agit alors, en ce qui concerne le cours de philosophie, de trouver les moyens de mettre les élèves en garde contre les conséquences pratiques auxquelles risque de conduire une absence d'esprit critique. Notre conception de l'esprit critique a en ce sens une forte coloration pragmatique.

À titre d'exemple, il nous paraît utile de travailler avec les élèves sur l'idée de propagande et ses différentes expressions (commerciales, étatiques, idéologiques, etc.). Illustrer la réflexion par une analyse des propagandes commerciales de l'industrie de l'alcool dont nos élèves peuvent être victimes, est très parlant pour eux. Et ce sujet peut s'enrichir des analyses d'Edward Bernays, propagandiste pour l'industrie du tabac (notamment), qui s'appuie sur les sciences sociales afin de fabriquer le consentement20. Celui-ci dévoile précisément les stratégies qu'il a utilisées par le passé et qu'il mettra à nouveau en oeuvre en 1929 pour la firme American Tobacco afin de faire fumer les femmes.

La dimension pratique de l'esprit critique renvoie bien sûr à l'idée de responsabilité, qu'elle soit individuelle ou collective, que l'on peut aborder avec le traitement des notions au programme de Liberté et de Devoir. On pensera ici au risque de perdre le sens de ses responsabilités en agissant par conformisme (la pression du groupe) ou en étant placé dans ce que Milgram appelle "l'état agentique"21, devenant alors l'agent d'exécution d'une volonté extérieure. Dans ces cas, l'individu peut rapidement perdre de vue le sens de ses responsabilités en suivant des injonctions illégitimes. On se souviendra probablement de la mise en situation de Ron Jones dans ses propres cours d'histoire22, dans le contexte des années 1960 et de l'École de psychologie de Palo Alto (la systémique). De façon plus légère, mais déjà bien efficace, nous mettons nous-mêmes depuis quelques années les élèves en situation d'obéissance à des injonctions illégitimes afin d'éveiller, à la fois, leur sens des responsabilités et l'exigence d'un esprit critique toujours en alerte, face aux diverses autorités. Notre expérience durant le cours permet de travailler les deux dernières compétences critiques listées ci-dessus (la résistance au conformisme et aux ordres illégitimes). En une dizaine de minutes, nous mettons les élèves en situation de dresser officiellement, pour le compte du Rectorat, une liste d'élèves qui seront définitivement exclus des bibliothèques publiques en raison de leur appartenance religieuse, de leur orientation sexuelle ou de leur origine migratoire. L'efficacité de la séance repose sur l'enfermement des élèves dans une puissante structure d'autorité, celle du professeur et de l'Institution scolaire, de leur placement dans un état agentique et de leur incapacité à résister au conformisme du groupe classe par habitus scolaire ; elle montre d'année en année une obéissance de l'ordre de 100 %, point de départ de notre réflexion en classe23.

De telles mises en situation déstabilisent et captivent les élèves. Elles les plongent dans une remise en question qui est probablement plus formatrice de leur esprit critique qu'un cours magistral brillant mais aseptisé. Certes, le cours magistral a ses vertus mais il ne saurait porter à la vertu. Or selon notre conception, l'esprit critique n'est pas seulement une qualité intellectuelle et une valeur épistémique : être critique est aussi une exigence morale et une disposition d'esprit qui doit s'incarner dans nos actes. Certes, l'esprit critique doit se situer dans un juste milieu entre la crédulité et ce scepticisme total que Poincaré appelle "superficiel" ( La science et l'hypothèse), mais il possède aussi une valeur pratique comme capacité à bien agir, c'est-à-dire de façon critique. Les élèves doivent comprendre que ce qui compte n'est pas seulement de penser de façon critique mais de se comporter de façon critique. En effet, comprendre que nous glissons, individuellement ou collectivement, sur la mauvaise pente tout en se regardant glisser, est de peu de valeur. La condamnation morale, voire l'indignation, qu'expriment souvent les élèves au cours de la mise en situation évoquée plus haut, devrait s'accompagner dans le même temps d'une double résistance, au mouvement induit par l'autorité et à la pression du groupe. Cette disposition, selon nous, peut s'enseigner.

De sorte que l'enseignant se doit de réfléchir à des dispositifs qui permettent de développer en eux cette vertu critique par un retour réflexif sur leurs propres actes. Alors nous pourrons prétendre véritablement conduire nos élèves à être critique et les porter à cette vertu qui est pour nous non seulement une cinquième vertu cardinale mais également " une vertu complète", au sens aristotélicien24.

V) Comment aborder ces sujets ?

Rappelons que l'exigence de prise en compte de tous les élèves et de leurs différences interindividuelles (grande diversité dans leurs fonctions exécutives) nous impose de varier les entrées, les dispositifs pédagogiques, les supports de travail et le type de travail (lecture, écriture, activités orales, individuelles, collectives, etc.). Cette variation peut être prise en compte au sein même d'une séquence (ou ensemble des séances s'organisant autour du traitement d'un problème philosophique) ou bien entre les diverses séquences, à travers les différents dispositifs pédagogiques mis en oeuvre.

Examinons, à titre d'exemple, notre séquence " Sommes-nous libres de désobéir à des ordres illégitimes ?" à laquelle nous faisions référence ci-dessus. Celle-ci traduit notre volonté d'inscrire la culture de l'esprit critique dans une dimension pragmatique et qui soit à la fois soucieuse d'une spéculation théorique rigoureuse.

Nous proposerons tout d'abord un schéma, étape par étape25, de notre séquence afin d'en offrir une vision globale.

Étapes   Type de travail
1 Mise en situation d'obéissance à une injonction illégitime
(L'exclusion des bibliothèques par le Rectorat)
Collectif par groupes de 4
2 Retour critique sur ce qui vient d'être accompli Individuel écrit : questionnaire à compléter
3 Quel était votre devoir ?? Idée de conflit des devoirs (prendre conscience de l'absence de contrainte ou de menace) Oral classe entière avec synthèse écrite
4 Première formulation du problème de la responsabilité : Si l'enquête avait été réelle, qui aurait été responsable de l'exclusion des élèves ? Collectif oral
5 Généralisation du problème : dans le cas d'une obéissance à une injonction illégitime, sans contrainte ni menace, qui est responsable ?
(Cette réflexion appelle la notion de liberté ?)
Débat par 1/2 groupe avec observateurs
(Le 1er débat enrichit le 2ème)
6 Synthèses des problèmes et des idées qui ont surgi Par groupe de 4
Guider la synthèse : problèmes / idées /concepts utilisés / qu'est- ce qui a manqué pour résoudre le problème (connaissances, concepts, etc.)
7 Synthèse collective avec présentation de chaque groupe. Cela aboutit à la formulation du problème : Sommes-nous libres de désobéir aux ordres illégitimes ? Collectif avec trace écrite à élaborer par les élèves
8 Analyse de deux processus conduisant à l'obéissance (conformisme et escalade d'engagements). Extension au cadre politique (régimes totalitaires ; le cas Eichmann).Explication d'un texte de Sartre (L'existentialisme est un humanisme) Cours magistral + vidéos (expériences en psychologie sociale) + analyse d'une fiction (film I comme Icare) avec questionnaire sur l'expérience de Milgram
Textes : Sartre, T. d'Aquin, Milgram, Kant, Arendt
9 Rédiger un dialogue mettant en scène Sartre et un interlocuteur qui le questionne, lui fait des objections,présente un contre-exemple, etc. Écrit par 2 Puis oral
10 Analyse d'un film : Trahison d'État, de Per Fly
Repérer les étapes de l'escalade d'engagements ayant conduit à l'obéissance finale
Analyse seul.
Synthèse seul ou par 2

Cette séquence peut se décliner de différentes façons selon les classes et s'étirer sur plus ou moins de séances selon le temps disponible et les notions que l'on veut traiter en priorité.

Durant la mise en situation initiale, j'informe les élèves d'une (soi-disant) demande du Rectorat concernant une enquête statistique sur l'ensemble des lycéens de notre Académie et qui impliquerait les élèves eux-mêmes dans le dépouillement. Je précise que cela se fait "sous la responsabilité du professeur". Le dépouillement doit se faire par groupe de 4 élèves. Suivant les consignes pas à pas, les élèves sont finalement conduits à cocher des cases correspondant à l'exclusion d'élèves selon leur orientation sexuelle, leur origine migratoire ou leur religion déclarées, ce dont ils sont explicitement informés. Nombre d'entre eux exprime plus ou moins ouvertement, mais toujours sans éclat, leur étonnement, leur incompréhension26 voire leur indignation. Mais rapidement, les groupes me remettent l'étude signée par eux. Je déchire alors les documents et les jette ostensiblement. Les élèves sont soulagés mais encore sous le coup d'une émotion qui est à prendre en compte et qui doit s'exprimer. Mais l'essentiel reste à faire : comprendre la situation d'obéissance à des injonctions illégitimes et se forger les armes permettant de ne plus s'y soumettre. Nous ciblerons alors la situation d'obéissance la plus problématique, celle qui a lieu sans contrainte ni menace.

Présentons maintenant brièvement deux activités parmi les 10 étapes de notre séquence. Celles-ci permettent d'aiguiser l'esprit critique des élèves, en développant les capacités et attitudes critiques suivantes : savoir résister au conformisme ; savoir résister à des injonctions illégitimes ; analyser ou évaluer des arguments ; penser de façon autonome ; savoir remettre en question ses opinions ou son action ; être ouvert d'esprit ; prendre une position dans une argumentation orale ou écrite mais avec nuance ; évaluer la crédibilité d'une source d'information ; définir des termes de façon adaptée au contexte et évaluer les définitions

L'activité proposée à l'Étape 5 correspond à la mise en place de deux débats. Le sujet est : Dans le cas d'une obéissance à une injonction illégitime, sans contrainte ni menace, qui est responsable ?

De nombreux collègues n'ont pas attendu que le programme de classe terminale mette en avant l'oral27 pour travailler avec leurs élèves l'argumentation orale dans le cadre de débats28. Contentons-nous ici de quelques rapides indications utiles en commençant par préciser que le débat, sous ses diverses formes, offre l'avantage de constituer au sein de la classe des "communautés de recherche" entre élèves29. "Un des avantages principaux que représente la transformation de la classe en communauté de recherche, nous dit Lipman, c'est, outre l'amélioration certaine de l'ambiance, que les membres sont attentifs aux méthodes et procédés les uns des autres et se mettent à se corriger mutuellement. Et ainsi, dans la mesure où chaque membre est plus ou moins capable d'intérioriser globalement la méthodologie de la communauté, il parvient à s'autocorriger dans sa propre réflexion."30 De plus, le débat sous sa forme orale expose davantage l'élève au choc des oppositions que ne le ferait un débat qui passe par la médiation de l'écrit. Et c'est cette confrontation à l'autre qui est intéressante pour l'apprentissage de la remise en question, pour la maîtrise des émotions et pour la prise en compte de la position de l'autre qu'elle exige, ce qui renvoie directement aux compétences critiques que nous avons listées. L'étude d'un dialogue du type de ceux de Platon ou de Hume, si enrichissante soit-elle, mobilise d'autres ressources critiques que la pratique du débat oral. Ainsi que l'explique Michel Tozzi, "le dialogue écrit n'obéit pas aux même règles que le dialogue oral" et se délivre des "interactions rapprochées" qui nous font entrer dans un jeu émotionnel que les élèves doivent apprendre à maîtriser.31 Dans le cadre des débats, la posture de l'enseignant n'est plus celle d'un détenteur de savoir qui déroule son cours mais simplement d'un animateur (qui peut déléguer partiellement ce rôle), garant du respect de certaines règles.

La mise en place de débats en cours suppose, selon-nous, une réorganisation de la disposition des tables et chaises de façon que les interlocuteurs puissent tous se voir. La nouvelle disposition en cercle, demi-cercle ou rectangle, décentre le discours du professeur (traditionnellement détenteur et donneur de la parole) vers les élèves eux- mêmes. Prenant alors possession du discours, ils peuvent élaborer leur argumentation en se sentant responsables de leur parole, en discutant de leurs choix, en apprenant à formuler leur pensée, à la remettre en question en écoutant les objections des autres, etc. ce qui présente probablement plus de vertu qu'une simple exhortation édifiante de la nécessité d'être autocritique.

Une objection récurrente à la mise en place de débats est le manque de temps pour les organiser. Mais leur mise en place est en fait peu chronophage : d'une part, les élèves sont toujours partants pour modifier l'organisation traditionnelle de la classe (la réorganisation spatiale en particulier, profite d'une main d'oeuvre disponible, efficace et à bas coût) et d'autre part un débat peut, avec profit, durer moins d'1/2 h, rangement compris. De plus, il ne s'agit pas de faire un débat à chaque nouveau cours mais de faire quelques débats dans l'année, de façon à varier les entrées pour accrocher un public hétérogène qui découvre la philosophie.

L'un des dispositifs possibles est une adaptation de "la méthode de l'aquarium"32. Dans la méthode décrite par Wolfgang Mattes et Rémy Danquin (voir la note 32), c'est avant tout la forme du débat qui est observée, c'est-à-dire le comportement des participants. Cette approche est probablement la plus judicieuse pour fixer les modalités du premier débat de l'année. Dans notre adaptation, plus complexe et donc délicate, une demi-classe observe l'autre partie en complétant un document. Elle est amenée à prendre en compte le comportement des participants33 (Votre camarade a-t-il exprimé une opinion ? A-t-il coupé la parole ? Etc.) en même temps que le fond du débat (Votre camarade utilise-t-il un exemple ? Un contre-exemple ? Justifie-t-il son propos (utilisation de car, parce que, étant donné que, puisque ...) ? A-t-il pris en compte une opinion déjà exprimée (pour la justifier, la contredire ou simplement la répéter) ? A-t-il formulé une objection ? Etc.). D'autre part, le nombre des participants n'est pas 5 à 7, comme proposé dans l'ouvrage, mais la moitié de la classe. Il y a ensuite inversion des rôles, chaque élève étant en binôme avec un camarade (l'un sera observateur pendant que l'autre sera participant). Enfin, durant le débat, le professeur peut intervenir pour le relancer, l'étayer, l'orienter. En l'occurrence, il s'agit de guider les élèves jusqu'à la formulation de l'idée de liberté à associer avec l'idée de responsabilité.

Quels constats faisons-nous d'année en année ? Bien que placés sous l'oeil scrutateur des observateurs, les élèves prennent pourtant la parole et ils sont même environ deux fois plus nombreux à le faire que dans une discussion en classe entière, dos à dos. Et parmi eux, certains qui ne prenaient jamais la parole se révèlent particulièrement éloquents. De plus, les élèves prennent plus spontanément le temps de déplier leur pensée et même de la justifier, là où, en classe entière, ils se contentaient d'une phrase voire d'un mot. La parole se libère et les personnalités se révèlent de façon souvent surprenante.

Exposons très brièvement le contenu de l'Étape 9: les élèves sont amenés à rédiger un dialogue de type platonicien, mettant en scène 2 ou 3 personnages dont Jean-Paul Sartre34. Cet exercice suppose l'étude préalable d'un dialogue platonicien et une réflexion sur l'essence dialogique de la philosophie. Comme l'explique G. Ferrandez, reprenant le Traité de l'argumentation de Lucie Olbrechts-Tyteca et Chaïm Perelman, "par le dialogue philosophique [...] le maître forme son élève [...] en le réveillant, en le stimulant, en le renvoyant à son ignorance ignorée pour l'obliger à penser, même si cette pensée ne débouche que sur des apories"35. Un autre prérequis est évidemment l'étude d'un texte de J.P. Sartre, en l'occurrence l'extrait de L'existentialisme est un humanisme (passage "l'homme est condamné à être libre").

L'objectif affiché de notre séance est de rédiger des argumentations selon leurs différentes modalités : formulation de thèses, justifications, utilisation d'un exemple pertinent, formulation d'un contre-exemple, d'un paradoxe, d'une limite, d'une objection, demande de précision, raisonnement hypothético-déductif, utilisation d'une logique rigoureuse, de concepts bien définis, etc. L'établissement de cette liste est à établir auparavant avec les élèves (éventuellement dans une autre séquence) à partir d'un corpus de textes, et éventuellement à compléter à cette occasion afin de réactiver et préciser le sens et les techniques de l'argumentation, exploitables dans les exercices académiques du baccalauréat. C'est alors l'occasion pour les élèves d'interroger l'auteur sur les points obscurs de sa pensée et de le mettre en situation d'argumenter, et c'est aussi l'occasion pour les élèves de se placer en situation de lui opposer des arguments.

Après relecture critique du professeur, chaque binôme lit à la classe son dialogue. Cette étape prend du temps si l'on vise la qualité argumentative et stylistique. Mais il est possible d'établir un rituel de fin de semaine, où une heure est dégagée à ce type de travail en groupe. Il est enfin possible de faire jouer les dialogues.


(1) Cet article, initialement destiné à une base de réflexion collective pour l'ACIREPh, reprend certaines idées et certains passages de mon mémoire professionnel (Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Formateur Académique) intitulé "Comment former les enseignants à éveiller et aiguiser l'esprit critique des élèves, dans le second degré ?" (Mars 2020).

(2) Pour y voir plus clair sur les travaux de recherche de la fin du 20ème siècle (essentiellement dans le monde anglo- saxon), qui ont conduit à la mise en place de nouvelles politiques éducatives dans de nombreux pays, voir la synthèse de Serge Cosperec dans son intervention à la journée d'étude "Formation à l'esprit critique", organisée par Pascal Séverac, le 06/12/2017 à l'ESPE de Créteil

(3) Un lien de causalité a été établi entre des attentats extrémistes idéologiques, politiques ou bien religieux, et les multiples théories du complot et autres élucubrations, qui sur tous les continents (depuis les attentats en Nouvelle- Zélande) entretiennent la volonté d'en découdre avec l'ennemi fantasmé, en exacerbant la violence. Eviter la perméabilité des élèves vis-à-vis de ces thèses et d'"une foule de petites hypnoses" (expression de Raoul Vaneigem) qui se situent en amont et en aval des attentats est donc une nécessité sociale.

(4) Nos élèves sont définitivement tous des digital natives nés au 21e siècle.

(5) Cahiers pédagogiques n° 550, janvier 2019, p 10.

(6) Date où la philosophie est introduite pour la première fois dans les "lycées chefs-lieux d'académies". Lire Serge Cospérec, La guerre des programmes (1975-2000), l'enseignement de la philosophie, une réforme impossible ?Limoges, Lambert-Lucas, 2019, p 23.

(7) Dès la première phrase du préambule des nouveaux programmes de philosophie nous ne sommes pas surpris de lire que "l'enseignement de la philosophie a pour but de former le jugement critique des élèves [...]". Et nous trouvons, dans les travaux qui sont demandés aux élèves cette même attente : l'élève "examine ses idées et ses connaissances pour en éprouver le bien-fondé ; circonscrit les questions qui requièrent une réflexion préalable pour recevoir une réponse ; confronte différents points de vue sur un problème avant d'y apporter une solution appropriée ; justifie ce qu'il affirme et ce qu'il nie en formulant des propositions construites et des arguments instruits ; mobilise de manière opportune les connaissances qu'il acquiert par la lecture et l'étude des textes et des oeuvres philosophiques." (Arrêté du 19-7-2019 publié au BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019)

(8) Michel Tozzi, L'éveil de la pensée réflexive à l'école primaire, CNDP, 2001.

(9) François Galichet, Philosopher à tout âge. Approche interprétative du philosopher, Vrin, 2019.

(10) Voir la présentation de l'étude de Elena Pasquinelli et Nicolas Gauvrit dans la Revue Cerveau et psycho n° 91 de septembre 2017

(11) Matthew Lipman, A l'école de la pensée, enseigner une pensée holistique, De Boek, 2011, p 143.

(12) Philip C. Abrami, Robert M. Bernard, Eugene Borokhovski, David I. Waddington, C. Anne Wade, and Tonje Persson : "Strategies for teaching students to think critically : a meta-analysis" Review of educational research, vol 85, n°2, juin 2015, p 275-314.

(13) Voir l'analyse que faisait Cécile Victorri dans Côté philo n° 8. Doit-elle être actualisée ? Les choses sont probablement en train de changer, les professeurs dépassant la laborieuse et douteuse présentation des deux topiques freudiennes. À vérifier.

(14) D'autre part, la philosophie elle-même est-elle toujours suffisamment critique ? Sinon, pourquoi Kant dénonce-t-il un certain dogmatisme en philosophie ? Pourquoi Carnap dénonce-t-il les simili-énoncés métaphysiques et le "non- sens" de "toute prétendue connaissance qui veut avoir prise par-delà ou par-derrière l'expérience" ? Toute philosophie constituée ne se présente-t-elle pas toujours comme une surenchère critique vis-à-vis des philosophies antérieures ?

(15) Adam-Troian J, Caroti D, Arciszewski T, Ståhl T. Unfounded beliefs among teachers: The interactive role of rationality priming and cognitive ability. Appl Cognit Psychol. 2019; 1-8.

(16) Poincaré, La science et l'hypothèse, 1968, Champs Flammarion, p 24

(17) Ibidem.

(18) La recherche "Éducation à l'esprit critique", financée en partie par l' Agence Nationale de la Recherche, se déroulera de janvier 2019 à décembre 2022. Elle étudiera les méthodes proposées par les différents acteurs de l'Éducation nationale et s'intéressera en particulier au problème de l'évaluation de l'esprit critique.

(19) Jacques Boisvert, La formation de la pensée critique - Théorie et pratique, Éditions du Renouveau pédagogique, 1999, pp. 11-29.

(20) Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie.

(21) Stanley Milgram, Soumission à l'autorité.

(22) Bien relatée de façon romancée dans La vague de Todd Strasser. Sur ce sujet, les élèves connaissent souvent le film allemand du même nom, de Dennis Gansel.

(23) Il ne nous échappera pas que la situation sanitaire et politique actuelle conduit naturellement à une telle réflexion sur notre placement généralisé dans un état collectif qui, s'il n'est pas rendu conscient et s'il n'est pas librement consenti, peut être nommé agentique. Parvenues au-delà de certaines limites, dont chacun jugera, les injonctions d'obéir aux restrictions de nos libertés doivent toujours interroger leur légitimité.

(24) À titre d'exemple, est-il possible de concevoir un nazi critique ? Toutes les vertus sont en interdépendance, de sorte que parvenir à l'idéal d'état critique suppose à la fois du courage, de la tempérance, de la prudence aussi bien que de la justice. Bien entendu, l'homme-critique, tout comme l'homme-vertueux de façon générale, doit constamment se surveiller, de sorte que l'état critique ne saurait jamais être un état stable. Mais l'action que nous accomplissons avec un esprit critique ne court jamais le risque de tomber sous le coup des dérives fanatiques violentes, elle s'affranchit des préjugés nauséabonds et résiste à la pression du groupe aussi bien qu'aux ordres illégitimes. Pourquoi ne serait-elle pas essentiellement bonne, au même titre que l'action juste ?

(25) Qui ne correspondent pas à des séances.

(26) Je prends soin, dans les semaines ou les mois qui précèdent, d'affirmer explicitement des valeurs personnelles et institutionnelles en total désaccord avec ce qui leur ai demandé de faire ici (parfois même avec l'aide de la LICRA qui intervint, de façon convaincante et appréciée par mes élèves, la veille de l'une de ces mises en situation).

(27) À travers l'épreuve du Grand oral dont on espère (naïvement ?) qu'elle ne sombre pas dans un simple exercice de rhétorique.

(28) Nous pensons à l'atelier mené par Lucie Chanut autour du débat dans les pédagogies coopératives, lors des journées d'étude de l'ACIREPH en oct. 2016. Et nous pensons à la promotion des débats à visée philosophique que font, depuis des années, Michel Tozzi, Jean-Charles Pettier ou encore François Galichet, parmi d'autres.

(29) Précisons qu'en toute rigueur, il n'y a pas plus de communauté de recherche en classe qu'il n'y a de démocratie à l'école. C'est-à-dire que la classe peut seulement être un lieu où les élèves peuvent être mis en situation d'apprendre à coopérer dans leurs recherches en s'appropriant certaines règles, comme ils peuvent apprendre à exercer des responsabilités, à élire des délégués, à participer aux instances représentatives d'un établissement. Quelle est alors le sens d'une communauté de recherche qui se livre à une enquête dont le professeur, bien souvent, a les clés, les résultats et qui aura tout pouvoir de valider ou non le travail ? Elle a un sens heuristique: il s'agit de dégager, avec les élèves, les règles de la recherche et de la découverte et de leur faire découvrir par eux-mêmes ce qu'on veut leur apprendre afin qu'ils s'approprient le savoir. L'heuristique comme discipline et comme méthode pédagogique rejoint en partie son sens philosophique : une hypothèse heuristique est ce qu'on appelle encore une hypothèse de travail; "on ne cherche pas à savoir si elle est vraie ou fausse, [on l'] adopte seulement à titre provisoire, comme idée directrice dans la recherche". Mais l'heuristique, comme discipline (en histoire notamment, où elle vise l'établissement des faits) et comme méthode pédagogique, dépasse ce sens philosophique dans la mesure où la validation des hypothèses est au coeur du travail de recherche : il y a bien des arguments à construire lors des débats, il y a bien des résultats expérimentaux à dégager en SVT, il y a bien des sources fiables à distinguer de sources douteuses en histoire, etc. Et il serait contre-productif que le professeur fasse appel à l'argument d'autorité pour trancher un problème non résolu ou, pire, pour corriger une enquête mal menée par le groupe de recherche. Et il est indispensable de dire expressément aux élèves que le type de travail qu'ils mènent a un intérêt pour les familiariser avec tel type d'activité. En effet, comme l'explique Dewey : la vraie science n'est qu'une extension et un approfondissement de ces techniques ( Comment nous pensons, p 115).

(30) Matthew Lipman, A l'école de la pensée, enseigner une pensée holistique, De Boek, 2011, p 23.

(31) Michel Tozzi (Dir.), L'oral argumentatif en philosophie, 1999, "Contribution à une didactique de l'oral philosophique" (Michel Tozzi), p 109.

(32) "Dans la méthode de l'aquarium, un groupe débat au milieu de la salle de classe ou devant. Le reste de la classe observe les débatteurs et leur rend compte, à la fin, de leur comportement lors du débat. L'exercice s'appelle l'aquarium, car les participants au débat sont observés comme des poissons dans un aquarium. Les observateurs et les participants alternent leur rôle. Dans la méthode de l'aquarium, il s'agit d'entraîner à l'adoption d'un comportement approprié lors d'une discussion ou d'un débat. Cette méthode est donc un objectif d'enseignement. Les participants ont bien sûr besoin d'un sujet, mais le contenu du débat est ici au second plan." (52 méthodes pour enseigner, de Wolfgang Mattes, Rémy Danquin, décembre 2015, p. 148).

(33) La mise en place de débats suppose une réflexion, en amont ou en aval, sur les conditions d'un débat constructif, c'est-à-dire qui constitue réellement une communauté de recherche. Cette réflexion doit aboutir à l'établissement de règles du débat : "chacun a droit à la parole", "toute opinion doit être argumentée", "celui qui n'a jamais parlé doit avoir priorité de parole", "interdiction de se moquer", etc. (Jean-Charles Pettier, Apprendre à philosopher, Chronique Sociale, 2004, p 85 à 88).

(34) (...après avoir expérimenté avec moins de succès le personnage de Bergson. Bien sûr, une foule d'autres possibilités s'offrent à nous).

(35) Michel Tozzi (Dir.), L'oral argumentatif en philosophie, 1999, "Perelman : la dimension argumentative du dialogue" (G. Ferrandez) p 69-79.