Expérimentation de la Discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP) par un professeur du secondaire

I) Analyse d'une discussion animée en lycée professionnel à partir de la fiche "Croire et Savoir" du programme PhiloJeunes

A) Préparation de la discussion

J'ai proposé la discussion "Croire et Savoir" à des premières de baccalauréat Professionnel dans le cadre du cours de Français. J'ai demandé au chef d'établissement l'autorisation de mettre en place ces DVDP dans ma classe et de les enregistrer. J'ai fait signer aux parents ainsi qu'aux élèves l'autorisation d'enregistrer la discussion et je leur ai expliqué ce qu'était une DVDP et comment nous procèderions. Les élèves étaient assez enthousiastes pour participer à ce projet et j'ai récupéré rapidement les autorisations.

La direction du lycée a été tout de suite très intéressée par le dispositif mais une des conditions était que je puisse les insérer dans mon programme. Le thème s'est inscrit parfaitement dans les objets d'étude de première. La discussion a fait suite à une séquence sur "Les philosophes des Lumières et leur combat contre l'injustice" et à une autre séquence sur "L'homme face aux avancées scientifiques et techniques".

Avant la discussion, j'ai sélectionné quelques questions qui me paraissaient en lien avec ces deux objets d'étude. Le temps dont je disposais étant très limité, j'ai donc limité le nombre de questions et je me suis concentrée sur les questions de la fiche sur la croyance. Cela me permettait ainsi d'avoir une vingtaine de questions prêtes pour faire avancer le débat.

J'avais prévu d'aménager les tables en U afin que tous les discutants se voient. L'animateur, le président, le synthétiseur et le reformulateur seraient devant le U, l'observateur en retrait. Cette discussion était prévue pour une séance de 55 minutes. J'ai cependant décidé de prendre 30 minutes sur la séance précédente pour expliquer en détail ce qu'était une DVDP et quels étaient les différents rôles. Pour ne pas perdre de temps à la distribution des rôles le jour de la discussion, les élèves ont choisi leur rôle à ce moment-là.

Les élèves se sont portés volontaires pour les rôles. Celui qui a suscité le plus d'intérêt a été celui de président. Très peu d'élèves ont voulu faire les trois autres rôles (synthétiseur, reformulateur, observateur).

Je n'ai prévu aucun travail préalable sur le sujet par manque de temps. Les élèves ont pris connaissance du sujet le jour de la discussion.

B) Animation de la discussion

La mise en place a duré 10 minutes, le temps que nous aménagions la salle et que chaque élève prenne sa place. La discussion s'est déroulée sur 40 minutes, comprenant la restitution du synthétiseur. Douze élèves étaient présents, ce qui a permis à huit élèves d'être discutants. Après la discussion, l'observatrice a fait part de ce qu'elle avait pu constater.

A 101 294 LR Les discutantes ont l'air étonné du thème du débat. Une discutante n'attend pas qu'on lui donne la parole. Celle qui prend des notes écrit beaucoup car il y a beaucoup de choses à dire sur le thème. Des discutants n'ont pas l'air de savoir quoi dire. Ils ont du mal à trouver les mots. De plus, au fur et à mesure qu'on parle, des discutants ont l'air beaucoup plus emballés par le thème.

Son observation s'est surtout portée sur les discutants. Elle a bien résumé la dynamique de la discussion et les problèmes d'expression des élèves.

Nous n'avons pas eu le temps de faire d'analyse collective directement après la discussion mais je leur ai donné, à la séance d'après, un travail de réflexion à l'écrit pour connaitre leur ressenti à la suite de la discussion, ce qui nous a permis de revenir sur les objectifs d'une DVDP.

Avant de commencer la discussion, j'ai demandé à chacun de m'expliquer son rôle. J'ai ensuite demandé à la présidente d'ouvrir la séance et j'ai indiqué que la discussion durerait environ 30 minutes.

La présidente a eu du mal à expliquer son rôle en détail, il a fallu que je lui pose plusieurs questions.

A 101 02 RE Je dois donner la parole
A 101 03 VV Tu dois donner la parole à qui ?
A 101 04 RE Aux gens
A 101 05 VV Qui font quoi ?
A 101 06 RE Qui parle du débat
A 101 07 VV Qu'est-ce que doivent faire les autres pour que tu leur donnes la parole ?
A 101 08 RE Débattre, lever la main
A 101 09 VV Ok, et si quelqu'un parle sans avoir l'autorisation, tu la reprends.

Elle a cependant tenu son rôle : elle a donné la parole à ceux qui l'ont demandée et a noté le nombre d'interventions pour chacun. Elle est intervenue quand les discutants prenaient la parole sans y être autorisés et a demandé à ceux qui bavardaient pendant la discussion de se taire.

L'élève reformulateur a eu des difficultés à reformuler les propos des autres élèves sans donner son opinion.

A 101 73 VV C'est ce que tu as entendu ou c'est ton avis ?
A 101 74 CI Ben, c'est ce que j'ai entendu et c'est mon avis
A 101 75 VV Ah, attention, tu ne peux pas donner ton avis
A 101 76 CI Ben pour moi ça se traduit par ça

Après la discussion, elle a dit qu'elle était frustrée de ne pas avoir pu participer à la discussion et donner son opinion sur le sujet.

La synthétiseuse est intervenue à la fin et a restitué à l'oral les notes qu'elle avait prises. Elle a eu besoin d'un petit encouragement au milieu de sa présentation, car elle n'était pas sûre de ce qu'elle disait. Elle a repris les définitions que nous avions établies sans les exemples.

A 101 290 AL [...] Croire c'est une supposition et savoir c'est être sûr de quelque chose et de le prouver. La science c'est l'inverse de la croyance mais un scientifique peut aussi être croyant par rapport à ce qu'il a vécu.

Les discutants ont tous participé mais quatre d'entre-eux ont pris la parole le plus souvent. La présidente et moi-même avons veillé à ce que tout le monde s'exprime. Les règles de prise de parole ont été respectées sauf à quelques occasions où les élèves voulaient répondre directement à un autre élève. Ils ont été repris par la présidente.

La discussion sur la religion et la foi a donné lieu à une discussion un peu agitée qui a poussé certains élèves, qui n'avaient pas encore pris la parole, à s'exprimer et à donner des contre arguments. Les échanges se sont faits dans le respect, mais les discutants ont parfois plus essayé de convaincre que d'écouter le point de vue de l'autre. C'est à ce moment-là de la discussion que les discutants ont pris la parole directement. L'intervention de la présidente et le rappel des règles a permis de désamorcer la discussion et que chacun écoute l'autre.

Les discutants se sont surtout adressés à l'animatrice. Malgré l'aménagement des tables qui leur permettaient d'échanger avec tout le groupe et de réagir par rapport à ce que disait l'un d'entre-eux, ils étaient toujours dans le schéma traditionnel de l'école, à savoir, j'interviens si le professeur me pose une question. Il leur a fallu du temps pour comprendre que la DVDP permettait, en respectant les règles de la prise de parole, de réagir à ce que les autres discutants disaient et que les questions n'attendaient pas de réponses préétablies. Les élèves sont souvent prisonniers de ce contrat didactique implicite qui existe dans le monde scolaire : le professeur a le savoir et quand il pose une question, il attend une certaine réponse, donc les élèves essaient de dire ce qu'ils pensent que le professeur attend d'eux. Cela provoque souvent des blocages par peur de se tromper. Au début de cette discussion, je pense que les discutants se sont laissé enfermer dans ce schéma. J'ai dû rappeler au cours de la discussion que mes questions étaient neutres, que si je leur demandais de préciser, ce n'était pas parce qu'ils n'avaient pas répondu correctement, mais que c'était pour les obliger à approfondir leur réflexion. Au cours de la discussion, je pense qu'ils ont pris conscience que l'opinion de chacun était valable et que l'objectif était de s'écouter et de réagir aux propos des autres et non de répondre à des questions du professeur/animateur.

A la fin de la DVDP, la discussion sur la religion a amené les discutants à échanger directement entre-eux et à libérer la parole. Les discutants ont osé aborder un sujet très personnel de manière libre. Je suis intervenue uniquement pour faire préciser. Ils se sont également entraidés pour s'exprimer.

A 101 264 JS Moi, je pense que ça a pas trop à voir avec la foi. [à Ke] je suis désolée de te contredire à chaque fois [rires]. [au groupe] Parce que je pense que plus on en fait, plus on en fait par rapport à la religion plus on en fait par exemple quand on va à la messe tous les dimanches, c'est qu'on a besoin de se, de tout ça pour comment dire, de tout ça pour se dire ok si je fais ça forcément ça va faire ça, c'est que forcément ça va exister, c'est que ça va me rapprocher du truc quoi. Alors que c'est pas parce qu'on prie une fois tous les mois que ça veut dire qu'on a moins la foi
A101 265 RE KA
A101 266 KA En fait, moi, je ne suis pas d'accord avec l'histoire que c'est les parents qui donnent enfin qui je n'sais pas comment expliquer....
A 101 267 MI qui transmettent
A 101 268 KA voilà qui transmettent les, enfin, la religion, enfin, moi par exemple, si aujourd'hui j'ai décidé de devenir musulmane je fais ce que je veux, c'est mes droits, c'est ma pensée à moi, en fait donc
A 101 269 VV ça veut dire quoi pour toi, c'est ma pensée ?
A 101 270 KA ben c'est
A 101 271 VV si tu le résumais
A 101 272 KA ben on a le choix de tout

En tant qu'animatrice, j'ai épaulé la présidente pour que la discussion se passe dans de bonnes conditions. Je me suis efforcée de faire avancer le débat en relançant la discussion avec les questions de la fiche. J'ai également essayé d'intégrer les exigences intellectuelles sur lesquelles repose la DVDP, à savoir, la problématisation, l'argumentation et la conceptualisation.

C) Les exigences intellectuelles

Au cours de la discussion, j'ai fait définir aux discutants plusieurs termes. Ils ont commencé par donner leur définition des termes croire et savoir. D'une définition très vague, "croire, c'est quand on est sûr de quelque chose" et "savoir c'est quand on le sait", les élèves ont petit à petit apporté des précisions sur les notions de croire et savoir en donnant des exemples et en les rapprochant d'autres termes comme les connaissances, les croyances, la science et la religion et la foi, qu'ils ont également définis.

A 101 121 JS En fait croire c'est que des suppositions et savoir c'est quelque chose qui a été admis par des preuves, qui a été cherchée dans un contexte où on est sûr à 100%, quelque chose qui a été prouvée
A 101 122 RE MI
A 101 123 MI La religion on y croit on n'est pas sûr et la science on est sûr parce qu'on l'a prouvé. Au niveau du questionnement, j'ai posé les questions au groupe ou à un individu. Seule une discutante s'est interrogée quand nous avons fait une mise en relation de la science et de la religion en demandant "Pourquoi on ne pourrait pas croire en Dieu et être scientifique ?". Dans leur programme de Français, les élèves doivent arriver à trouver la problématique de la séance et à interroger les textes que nous étudions. Ils ont énormément de difficultés à se poser des questions et attendent souvent que le professeur les pose.

Au début, les discutants ont eu besoin d'aide pour argumenter et justifier leur propos. Ils répondaient par des réponses courtes et des termes très peu précis.

A 101 25 MI Croire, c'est quand c'est quand on est sûr de quelque chose, euh c'est ce que notre tête nous dit, et savoir, on le sait, c'est qu'on est sûr que ça existe
A 101 26 VV Est-ce que tu peux m'expliquer un petit peu ce que tu veux dire par, ce qu'on sait ce qu'on ne sait pas

Mais plus le débat a progressé, plus les discutants ont approfondi leurs réponses en utilisant des exemples et en faisant référence à leurs connaissances. La discussion sur la foi a été celle qui a incité le plus les discutants à argumenter et à s'exprimer.

A 101 137 JS Moi, je pense qu'on peut croire en Dieu et en même temps être scientifique parce que après ça dépend de l'environnement dans lequel t'as vécu, si pendant toute ton enfance on t'éduque en te disant ça c'est sûr ça existe et tout, à part si vraiment les opinions divergent à ce point, et ben on va grandir en croyant ça et on peut tout autant être assez terre à terre par rapport à son métier.
A 101 198 LN Après, croire en Dieu ou une religion bon c'est selon notre mentalité, mais c'est pas forcément, par exemple, c'est pas forcement aussi, quelqu'un dans notre famille est croyant on n'est pas forcément croyant comme par exemple, si on prend l'exemple de la mère de Staline, sa mère elle, elle était croyante tandis que lui était pas du tout croyant parce qu'il a brûlé quand même des... c'était quelqu'un du parti socialiste, il a brûlé des églises donc ça dépend comment chacun pense et agit.

Les questions que pose l'animateur pour faire émerger ces processus de pensée sont très importantes. Il est nécessaire d'inciter les discutants à aller en profondeur et d'être le plus précis possible.

A 101 39 LN Alors pour moi croire, c'est, comment dire, euh, quand on croit à quelque chose, c'est qu'on n'est pas sûr en fait, c'est quelque chose dont on n'est pas sûr, en fait, on suppose, pour moi c'est une hypothèse et savoir c'est le contraire, c'est quelque chose de sûr en fait.
A 101 40 VV Comment on est sûr ?
A 101 41 LN Ben, on est sûr ben par déduction, euh, des expériences ou bien euh en se documentant euh, en recherchant.
A 101 42 VV Tu dis on, qui c'est on ?
A 101 43 LN Ben, on ben c'est, c'est moi, c'est des autres personnes de notre entourage
A 101 44 VV D'accord, donc si tu dis quelque chose alors c'est vrai ?

II) Comparaison avec la deuxième discussion animée

La deuxième discussion que j'ai animée reposait sur la fiche "Comment savoir si l'information est fiable ou non ?". Elle a été proposée à la même classe de baccalauréat professionnel lors d'une séance de 55 minutes. Comme lors de la première discussion, douze élèves ont participé. Nous avons distribué cette fois-ci les rôles au début de la séance. Les élèves se sont précipités sur le rôle de président, mais aucun ne voulait exercer les autres rôles. Finalement, une élève a accepté d'être synthétiseuse et j'ai demandé à une autre élève d'être reformulateur.

Je me suis appuyée sur les questions de la fiche, mais je n'ai pas utilisé les situations proposées ni l'extrait de roman. Contrairement à la première discussion, je n'ai pas fait rappeler les rôles de chacun, j'ai juste revu les règles de parole.

Nous avons perdu du temps à choisir les rôles et je voulais être sûre que nous aurions assez de temps pour la discussion et l'intervention de la synthétiseuse. Nous n'avions pas d'observateur. La disposition des tables a été conservée. Sur les huit discutants un seul ne s'est pas exprimé. Quand j'ai essayé de lui faire prendre la parole, plusieurs fois, il a dit que ce qu'il voulait dire avait déjà été exprimé.

Les élèves ont pris la parole beaucoup plus rapidement qu'à la première discussion et leurs réponses étaient plus longues. La première partie de la discussion a permis de faire définir certaines notions aux élèves. Ainsi les termes d'information, de fait, d'opinion, de fiabilité, d'interprétation et de témoignages ont été définis et mis en relation. Au début, mes questions avaient pour objectif de faire distinguer aux élèves ces notions : Faites vous une différence entre une information et un fait ? Qu'est-ce qu'un fait ? Qu'est-ce qu'une opinion par rapport à un fait ? Dans la deuxième partie de la discussion, j'ai ensuite demandé aux élèves s'ils connaissaient un fait historique qui a été déformé ou dont certaines personnes nient l'existence. Après avoir discuté sur les raisons qui pouvaient pousser des personnes à nier certains faits comme par exemple les chambres à gaz, les élèves ont voulu aborder d'autres événements comme les attentats. Cela a provoqué de nombreuses réactions car les discutants ont voulu faire part de leurs théories. Cette partie a été difficile à gérer car les discutants ont eu du mal à attendre leur tour pour parler et comme tous les discutants étaient convaincus que les théories qu'ils avaient lues sur Internet étaient la vérité, j'ai essayé de déconstruire leur désinformation par des questions ; je ne suis pas toujours arrivée à rester neutre.

Voici un exemple avec un extrait de la discussion :

JU De toute façon, j'en suis presque persuadée que les attentats qui se déroulent sur chaque pays, les présidents, les gouvernements ils sont au courant c'est sûr. Eux, ils ont leur vie, leur famille, donc quelques vies comme ça, ça ne va pas les toucher de près ou de loin
VV Quels gouvernements ? Du pays où ça arrive ?
JU Oui, c'est sûr qu'ils sont au courant.
VV Ils sont au courant à l'avance de l'attentat qui va avoir lieu ?
JU Je suis sûre qu'ils ont tous des contrats entre eux et après on marche par le truc de l'argent, pour avoir le pouvoir et tout. Et c'est comme ça et ce sera toujours comme ça.
VV Tu tiens ça d'où ? Parce que tu as dit que tu parlais avec ta famille, tu es sûre de toi ?
JU Il n'y a jamais personne qui est d'accord et donc je prends celle qui me paraît le plus euh...
VV Ok, donc pour toi, l'Etat serait de
JU Oui
VV C'est un monde terrible ce que tu me décris là. Vous voulez réagir sur les complots, que l'Etat serait derrière?
VV Je ne sais pas trop encore où vous avez eu toutes ces informations. Qui sont les personnes qui donnent ces théories ?
LZ Les gens qui n'aiment pas l'Etat.
VV Donc, là on revient aux opinions. Quand tu parles que c'est ton opinion ou c'est l'opinion de ta famille, c'est ton opinion mais est-ce qu'on peut se baser sur l'opinion des gens pour trouver la vérité d'un fait?
EL Ben, non.
VV Pourquoi ?
CZ Parce que ça reste une opinion, c'est un avis personnel
VV Est-ce qu'un avis personnel est valable ?
CZ Ben, non. On a chacun notre propre vision des choses

Ce débat sur le complot a duré un long moment car il m'a semblé important que les discutants prennent conscience qu'il y avait une différence entre les théories qu'ils avaient entendues, leur opinion et la vérité, en les faisant argumenter et en interrogeant leurs propos. Ce n'a pas été toujours simple.

Cette deuxième discussion a été très différente de la première. Dans la première, les discutants avaient réagi aux propos des autres en contre argumentant ou en exemplifiant et mon travail d'animateur était donc de faire préciser les propos de chacun et de veiller à la bienveillance. Dans cette dernière discussion, les discutants étaient tous d'accord sur les théories du complot et donc ma tâche a été bien différente et plus dure. Le choix des questions était délicat et mon questionnement devait être pertinent pour atteindre mon objectif.

Nous avons pu finir la DVDP sur le témoignage et les procès, et les élèves sont eux-mêmes arrivés à la conclusion que le juge ne pouvait se baser sur un seul témoin ("quand on raconte quelque chose il est très rare qu'on soit objectif"), sur l'opinion publique, il devait croiser les témoignages et juger sur les faits et les preuves. La discussion s'est conclue avec une discutante qui a dit que "pour se faire une idée, il faut plusieurs avis" et sur l'esprit critique qu'il faut avoir face à cette multitude d'opinions.

III) Difficultés et améliorations

J'ai manqué de temps à la fois pour la préparation et pour la suite de la discussion. J'aurais aimé utiliser des documents comme par exemple la caverne de Platon et/ou le Malin génie de Descartes pour accompagner la réflexion des élèves. Après la première discussion, j'ai demandé par écrit à mes élèves de définir la DVDP et d'expliquer quels étaient, selon eux, après avoir participé à une discussion, les objectifs de ces DVDP. Je leur ai également demandé de décrire leur ressenti et ce que cette discussion leur avait apporté. Cet exercice de retour écrit a été très difficile pour une grande majorité des élèves.

Au niveau des répartitions des rôles, les élèves voulaient tous exercer la fonction de président et très peu se sont portés volontaires pour les autres rôles. Mes élèves ont des difficultés à l'écrit, un manque de confiance et du mal à se concentrer. Le rôle de reformulateur et de synthétiseur leur a fait peur. Pour la première discussion, deux élèves se sont portées volontaires, mais pour la deuxième discussion, personne ne voulait faire ces rôles. Avec un peu de persuasion, une élève a accepté le rôle de synthétiseur et j'ai désigné une reformulatrice. J'ai choisi la personne la plus discrète de la classe. Elle a accepté mais en me prévenant qu'elle n'était pas sûre de pouvoir y arriver. Je l'ai rassurée en lui disant qu'elle devait faire de son mieux et que tout ce qu'elle dirait serait valable. J'aurais préféré ne pas avoir eu à imposer une fonction. Aucun des élèves n'a voulu être observateur car cela semblait pour eux être un rôle ennuyeux. J'avoue n'avoir pas su les convaincre de la nécessité de ce rôle. Si les élèves avaient été plus nombreux, j'aurais sélectionné deux observateurs et leur aurais donné des tâches d'observation bien précises.

La plus grande difficulté pour moi a été dans l'animation. Quand on est professeur, il est parfois difficile de ne pas être maître de la parole des élèves. J'ai souvent oublié que c'était le rôle de la présidente. Heureusement, la présidente n'a pas hésité à me reprendre. De plus, j'ai eu quelquefois des difficultés à poser les questions qui permettaient aux élèves d'accéder aux exigences intellectuelles. En relisant le verbatim, je me rends compte que parfois je posais une question pour relancer le débat au lieu de poser une question qui permettait aux élèves d'approfondir leur réflexion et de structurer leur pensée. Il est difficile en tant que professeur de laisser le groupe prendre le pouvoir et ne pas les diriger là où on veut qu'il aille. Je pense que parfois, j'étais trop concentrée sur les questions de la fiche et pas assez attentive à ce que disaient les discutants. Peut-être, dois-je plus laisser le groupe diriger la discussion ? Je pense également que j'aurais dû faire plus de pause de reformulation, et jalonner mes interventions de mots clés qui permettent mieux aux élèves de prendre conscience des processus mis en oeuvre dans les DVDP.

Quand on débute dans l'animation des DVDP, j'ai trouvé qu'il est difficile de tout gérer. L'animation nécessite d'être attentif à plusieurs aspects en même temps : veiller à ce que les élèves soient dans un environnement rassurant et puissent s'exprimer librement, que chacun respecte les règles, garder son rôle d'animateur et ne pas s'impliquer personnellement dans la discussion, et réagir aux propos des élèves pour les amener à développer les processus de pensée nécessaires à une discussion philosophique. Je dois avouer que ces exigences auxquelles je ne suis pas encore bien formée m'ont mis une grande pression. Cette vigilance intellectuelle malgré mon inexpérience m'a pourtant énormément plu.

IV) Analyse d'une DVDP animée par un collègue : "Comment savoir si une information est fiable ou non" ?

Cette DVDP a été proposée à des Terminales S pendant un temps de culture religieuse. Neuf élèves étaient présents. Pour favoriser les échanges, le professeur a décidé que seuls les rôles de synthétiseur et de reformulateur seraient représentés par les élèves, ce qui permettait d'avoir sept discutants pour les échanges. Un autre professeur a tenu le rôle de président et j'étais le seul observateur. Un discutant n'a pas pris la parole, trois sur les sept discutants sont intervenus plusieurs fois et de manière régulière. Les échanges se sont déroulés en majorité, du discutant vers l'animateur et de l'animateur vers le groupe ou vers un individu. Quelques échanges ont eu lieu directement entre les discutants mais peu se sont interrogés ou ont exprimé leur désaccord directement aux autres discutants. Ils attendaient souvent que l'animateur leur demande leur avis par rapport à ce qui venait d'être dit.

L'animateur a eu quelques difficultés à laisser le président donner la parole aux élèves. C'est un aspect que j'ai moi-même trouvé difficile. La dévolution de l'autorité à un autre est très difficile pour un professeur.

La discussion a débuté sur la définition de l'information, d'un fait et d'une opinion. Le début de la discussion a démarré lentement et l'animateur a dû inviter plusieurs fois les discutants à donner leur définition. La discussion a pu progresser vers la preuve, le témoignage, la vérité et l'interprétation des faits. Après chaque idée, l'animateur a fait une pause structurante pour synthétiser les idées et ainsi montrer que le groupe construisait ensemble une réflexion philosophique sur un sujet. Soit il a fait la synthèse lui-même, soit il a demandé au reformulateur de reprendre les idées essentielles du débat.

Les élèves ont eu du mal à entrer dans la discussion et l'animateur a donc dû intervenir souvent et longuement pour poser d'une autre manière ses questions, pour que les élèves puissent apporter des réponses en argumentant. C'est au moment où l'animateur a donné un exemple concret sur les incidents à la faculté de droit de Montpellier qu'une dynamique de groupe s'est instaurée et que les discutants ont pris plus facilement la parole.

J'ai pu remarquer que les discutants argumentaient de manière structurée en utilisant des connecteurs logiques pour apporter une cohérence à leurs propos et en faisant appel à leur culture générale. L'argumentation est un processus de pensée auquel ils semblaient bien entraînés. Par contre, aucun discutant ne s'est interrogé ou n'a interrogé le groupe. Problématiser, même si beaucoup de matières prennent comme point de départ une problématique, est un processus qu'ils n'ont pas automatisé dans une discussion. Ils sont donc restés, durant la discussion, très tributaires du questionnement de l'animateur. Avec l'aide de l'animateur, ils sont arrivés à construire ensemble une définition des termes liés au sujet de la discussion.

Il a été difficile de tout observer. A la lecture du verbatim, je me rends compte qu'il est important, en tant qu'animateur, de doser ses interventions à la fois en quantité mais également en longueur. Je pense que certaines interventions au début de la discussion étaient trop longues et contenaient parfois plusieurs questions qui faisaient appel à plusieurs termes différents et cela a pu submerger les élèves et les empêcher de s'exprimer. Par contre, les pauses réflexives étaient opportunes.

V) Apports pour mes élèves et ma pratique professionnelle

Après la première discussion, mes élèves se sont exprimées sur leur ressenti. Pour les élèves, la DVDP est un "dialogue" qui "permet de réfléchir intelligemment", "de mieux s'exprimer", "dire ce que l'on pense", "bien formuler, bien s'exprimer à l'oral", "de donner son avis". Les rôles "permettent de bien structurer le débat". Ils ajoutent que la DVDP "peut nous aider à bien nous exprimer" et "à pouvoir garder notre propre avis sans être influencé par ceux des autres". La DVDP permet aussi "d'avoir l'opinion de chacun" et "peut nous apporter plusieurs avis sur la question après le débat et d'avoir l'esprit plus ouvert". "C'est une bonne expérience pour pouvoir développer notre esprit", "un débat est important pour notre connaissance" et "ça permet de bien nous exprimer"

Les élèves ont beaucoup apprécié les deux séances consacrées aux DVDP. Depuis, à chaque séance, ils me demandent quand nous pourrons en faire d'autres. Pour eux, cette discussion a été l'occasion de s'exprimer librement sur un sujet. Le cadre ne les a pas gênés. Au contraire, il leur a permis de s'écouter, ce qu'ils ne font généralement pas pendant les cours. La disposition des tables a favorisé leur parole et leur intérêt pour la discussion. Les élèves en baccalauréat professionnel ont des difficultés à s'exprimer, leur vocabulaire est assez pauvre et ils ont des lacunes en culture générale. Ils sont conscients de leur situation et préfèrent souvent ne pas s'exprimer. Cette DVDP a valorisé leur parole et j'ai pu remarquer plus de spontanéité dans leurs interventions lors de la deuxième discussion et également pendant les cours qui ont suivi. Notre discussion sur l'objectif de la DVDP les a fait réfléchir sur les processus engagés dans une discussion et l'importance de justifier et d'argumenter.

De plus, ce dispositif leur a permis de nuancer leur propos et de déconstruire eux-mêmes leur désinformation. Cet aspect a été particulièrement important lors de la deuxième DVDP sur la fiabilité de l'information. La discussion a permis d'interroger leur vision "complotiste" sur certains événements et m'a montré à la fois la difficulté d'animer une discussion sur de tels sujets et aussi l'intérêt de mettre en place une DVDP dans les lycées professionnels.

Pour moi, animer cette DVDP m'a permis de voir mes élèves autrement. En analysant le verbatim, j'ai pu à la fois être témoin de leur intérêt pour la réflexion, alors qu'il est difficile de leur faire approfondir leur pensée pendant le cours, et j'ai également pu noter leurs difficultés sur le questionnement et l'argumentation, processus de pensée auxquels il faut les entraîner plus régulièrement et différemment. Ces DVDP m'ont fait réfléchir sur ma pratique professionnelle alors que je débute ma carrière dans l'enseignement. Les lycées professionnels ne proposent pas d'enseignement philosophique aux élèves, c'est donc par l'enseignement du français que les élèves sont initiés à la réflexion philosophique. Intégrer des DVDP dans ma progression annuelle permettra à mes élèves d'acquérir des capacités réflexives nécessaires à la construction de leur pensée tout en leur apprenant à écouter et à respecter la pensée de l'autre. Animer des DVDP m'a permis d'améliorer mon rôle en classe, de ne pas trop diriger la pensée des élèves quand nous abordons un texte ou un concept. Cette expérience m'a fait également réfléchir sur le type de questions que je posais à mes élèves. J'aimerais continuer à me former en animation de DVDP non seulement pour mon enseignement, mais également pour proposer à mon établissement ce dispositif.

Conclusions de l'équipe des professeurs débutants

La mise en place de DVDP dans des classes de collèges, de lycées et de lycées professionnels nous a permis de confirmer l'intérêt d'intégrer ce dispositif dans l'enseignement secondaire.

En effet, l'analyse des discussions proposées aux élèves dans nos matières respectives montre que la DVDP favorise l'expression des élèves en leur proposant un environnement sécurisant où leur parole est valorisée. D'autre part, les règles mises en place et les différents rôles offrent aux élèves un espace démocratique où l'écoute et le respect de l'autre permettent de construire ensemble une réflexion. La DVDP, par ses exigences intellectuelles, développe également chez les élèves des capacités réflexives et métacognitives qui leur font prendre conscience des processus de pensée engagés dans une discussion philosophique. Ainsi, en interrogeant leur pensée et en la confrontant à celle des autres, les élèves déconstruisent eux-mêmes leurs désinformations, recherchent avec les autres des vérités et apprennent à penser par eux-mêmes.

En somme, cette expérimentation des DVDP dans nos classes nous a permis de remplir une des missions de l'enseignant, celle qui consiste à accompagner les élèves vers l'émancipation dans la société. En offrant ce cadre de discussion et des sujets portant au débat, les élèves ont pu se construire une opinion qui leur est propre, soit en confortant la leur où en la faisant évoluer face aux contradictions. Ainsi les élèves ont été sensibilisés à la pratique du compromis et de la nuance des idées face à la diversité des points de vue. Toujours dans l'optique d'ouvrir les élèves à une culture universelle, la pratique de la DVDP a pu ainsi faire prendre conscience à nos élèves l'origine de leurs opinions et la mise en confrontation a pu remettre en question tout début de dogmatisme susceptible de toucher des jeunes non sensibilisés à la diversité des cultures et des pensées. Les mécanismes métacognitifs d'argumentation et de contre argumentation mis en oeuvre lors des DVDP sont des processus de pensée et d'expression qui peuvent donc prévenir la violence et la radicalisation dans la mesure où ils sensibilisent chacun des participants à la remise en question. C'est donc ainsi que l'expérimentation des DVDP a enrichi notre pratique professionnelle d'un aspect commun présent derrière chacun de nos enseignements, mais parfois difficile à mettre en oeuvre. Tous les acteurs ayant participé à cette expérimentation ont donc eu l'opportunité d'en bénéficier.

Mettre en oeuvre les DVDP a été une expérience nouvelle pour nous car nous avons découvert un dispositif que nous ne connaissions pas, qui nous a permis d'améliorer nos pratiques professionnelles et que nous pourrons intégrer dans notre enseignement.

Malgré les contraintes logistiques (emploi du temps) et géographiques, faire ce mémoire à 5 a été une vraie richesse. De même qu'au cours d'une DVDP, la discussion gagne en profondeur grâce aux apports de chacun, ce mémoire fait en commun a profité du fait que nous avons enregistré des élèves de profils et âges différents. Les niveaux (de la sixième à la première), les contextes (en EMC, en culture religieuse et français), les conditions (en classe entière, en demi-groupe) et les configurations (salle disposée en arc de cercle, salle "classique") donnent, à notre sens, de l'épaisseur aux conclusions de notre travail. Nos échanges réguliers nous ont permis d'améliorer les aspects qui nous posaient problème.

Cette analyse a été d'autant plus approfondie grâce à l'observation mutuelle des discussions et grâce à la richesse des articles et ouvrages sur la DVDP qui ont étayé notre expérimentation d'un cadre théorique et méthodologique qui a participé à la réussite de notre recherche.

Parmi les éléments négatifs, on peut regretter qu'il paraisse très difficile d'inclure certains élèves dans la discussion même quand ils sont nominativement invités à prendre la parole. Peut-être que donner des documents en amont aux élèves timides permettrait de leur donner des arguments pour intervenir pendant le débat.

Quelques soient les classes, les élèves ont été motivés à l'idée de participer à cette recherche. Il faut noter que le dispositif rigoureux ne les a pas repoussés et dans l'ensemble ils l'ont plutôt bien apprécié. Ce cadre leur a permis d'être attentifs à la parole des autres, de réfléchir avant de s'exprimer et de ne pas être agressif envers les autres, notamment sur des sujets polémiques tels que la religion ou les théories du complot. Ils ont été moins enthousiastes quand à l'attribution des rôles. Alors que le rôle de président a suscité dans toutes les classes un engouement, ils ont été plutôt effrayés par les autres rôles qui, pour eux, et notamment les élèves de lycée professionnel, paraissaient une tâche au-delà de leurs capacités. Ceux qui se sont portés volontaires pour ces rôles ont pourtant réussi avec brio, quelles que soient leurs difficultés individuelles.

Au niveau de l'animation, nous nous sommes appuyés sur les fiches fournies par notre directeur de recherche et elles ont été très utiles car l'abondance de questions proposées nous a permis d'être bien préparés pour relancer le débat. Cette multitude était cependant pour nous également un obstacle car d'une part, certaines questions étaient communes aux deux fiches, et d'autre part, il a été difficile d'utiliser certains exemples car nous n'avions pas assez de temps et certaines situations, notamment dans la fiche "Croire et Savoir", étaient plus destinées à des élèves du primaire qu'à des adolescents. Peut-être serait-il nécessaire de faire une fiche en distinguant les niveaux de classe et adapter les questions à la maturité des élèves.

Animer une fiche "Comment gérer ses réseaux sociaux" est facilité par les nombreux exemples qui y figurent, directement empruntés de situations vécues d'adolescents. Néanmoins, cette fiche nous semble ne pas suffire pour animer une discussion pendant trente cinq minutes d'autant qu'elle pourrait être enrichie par l'utilisation des autres fiches "Qu'est-ce qu'une information fiable ?" et "La Théorie du complot". Notre difficulté a été de ne pas savoir comment utiliser ces fiches. Aurait-il fallu les compléter les unes par rapport aux autres ? Lorsque nous avons voulu animer une discussion autour de la question des réseaux sociaux, nous n'avons pas su quelle(s) fiche(s) choisir. A la suite de l'animation de la DVDP portant sur la fiche "Comment gérer ses réseaux sociaux", les élèves ont été frustrés et ont eu l'impression de ne rien avoir appris. A contrario, la fiche "Qu'est-ce qu'une information fiable ?" a inspiré les élèves et permettait d'avoir une discussion suffisamment longue et dynamique.

L'animation de DVDP est un exercice très exigeant qui, nous pensons, nécessite de l'entraînement et une formation spécifique. L'animateur ne doit pas s'impliquer personnellement et doit veiller à favoriser l'émergence des processus de pensée chez les élèves, il ne doit pas guider les discutants mais seulement les aider à faire avancer la discussion et à développer leur pensée. Tout cela nécessite une grande expérience qui nous a peut-être manqué, mais ce rôle nous a incités à nous impliquer pleinement et à faire surgir en nous des capacités intellectuelles indispensables dans notre métier d'enseignant.

Pour répondre à notre problématique "En quoi la pratique de débats permet-elle d'avoir une activité métacognitive ?" nous pouvons dire que la DVDP facilite le questionnement commun, l'écoute active et le cheminement intellectuel qui ne doit pas déboucher sur une réponse définitive, mais mettre l'accent sur l'intérêt de co-construire une pensée d'autant plus riche qu'elle est le résultat d'une réflexion commune.

Concernant l'aspect civique, la DVDP permet aux élèves de se sentir appartenir à un ensemble commun. Ce qui est recherché ici est plus le cheminement que le but, métaphore intéressante de la République et de la démocratie, qui sont des idéaux qui restent toujours à perfectionner par la communauté nationale. En ce sens, la DVDP donne un but commun aux élèves : co-construire une pensée cohérente en s'enrichissant des opinions de chacun. N'est-ce pas là une belle formule citoyenne ?