Typologie des difficultés et questions les plus souvent rencontrées quand on philosophe avec des enfants ... et pistes proposées pour les dépasser

Cette contribution a pour objectif d'accompagner les animateurs débutants, mais aussi plus confirmés, dans les difficultés qu'ils rencontrent le plus fréquemment lorsqu'ils veulent faire philosopher les enfants1. Certaines sont récurrentes, quelles que soient les méthodes, dispositifs, styles d'animation. D'autres sont liées plus particulièrement à tel type d'atelier...

Les difficultés préalables

C'est l'hésitation à se lancer dans une séance philo, soit parce que l'on est motivé mais non formé ou trop peu formé ou mal assuré, soit parce que c'est obligatoire dans le programme (ex : la Discussion à Visée Philosophique - DVP- en EMC) et qu'on n'y croit pas, ou se sent démuni...

On fait face à des objections, des réticences personnelles, ou entendues et reprises. Ex : "Ils sont trop jeunes, c'est trop compliqué pour eux, ils ne sont pas capables de réfléchir, c'est trop abstrait, ils ont un langage peu développé, pas assez d'expérience, trop peu de connaissances, les textes des philosophes, c'est trop difficile pour eux, les ateliers dits de philo, c'est pas vraiment de la philo, je ne suis pas formé pour animer ces séances, les discussions c'est problématique, ils sont inattentifs, ne s'écoutent pas, se moquent, sont trop dans le concret, se noient dans des exemples, leur vécu personnel, sont influencés par leurs parents, la télé, laissons l'enfance à son innocence sans lui prendre la tête avec des questions d'adultes etc.".

J'entends souvent cela : " Ils ne sont pas capables si jeunes d'apprendre à philosopher : ils ont un langage trop rudimentaire, les structures logiques ne sont pas en place pour raisonner, ils ont trop peu de maturité psychique, et fort peu d'expérience et de connaissances sur lesquelles s'appuyer...".

Comme s'il y avait un âge pour commencer à réfléchir ! Tous les animateurs de philosophie avec les enfants tranchent ces questions par la pratique, et sont étonnés par leur capacité de réflexion dès que l'on crée un espace réflexif ad hoc. Effet Pygmalion a contrario : si on ne fait rien pour susciter et accompagner leur réflexion, ces potentialités ne s'actualisent pas. En fait un enfant utilisant le langage, par l'abstraction de ses mots, peut exprimer une première vision du monde à partir de son expérience (par exemple de l'amitié, de l'amour, de la jalousie, de la colère etc.), rudimentaire certes, mais sur laquelle on peut travailler comme opinion pour la dépasser ou la fonder, notamment en la confrontant à d'autres et au professeur ou à l'animateur. Les enfants d'ailleurs en redemandent, parce que ce sont d'une part leurs questions (ce qui résout en partie l'obstacle de la motivation), et d'autre part parce qu'on les considère comme des "interlocuteurs valables" (Jacques Lévine), ce qui accroît leur estime d'eux-mêmes, surtout lorsqu'ils sont en échec scolaire.

J'entends souvent aussi : " Je ne suis pas capable d'animer une DVDP. Je n'ai pas été (suffisamment) formé pour ça ! Ils ne savent pas discuter, ne s'écoutent pas, se coupent, se dispersent avec leurs voisins. Ce sont toujours les mêmes qui parlent, sans demander la parole, et s'ils ne sont pas d'accord, ils se disputent, se moquent. Que faire ?".

Pour animer une discussion démocratique en groupe, il faut mettre en place un dispositif qui facilite la prise de parole pour tous ; établir des règles d'apprentissage (ce n'est pas spontané, ça s'apprend de différer son intervention et de demander à intervenir) ; instaurer un tour de parole ; aider les petits parleurs (règle de priorité). Et par ailleurs proposer une éthique communicationnelle (on ne se moque pas). Les mots-clefs du cadre à institutionnaliser (car il est un contenant des pulsions) sont la sécurité garantie quand on prend la parole, et la confiance en soi éprouvée quand on est entendu et respecté. Les fonctions diversifiées attribuées aux élèves les prennent en considération, leur font confiance et les responsabilisent.

En plus du cadre qui sécurise et donne une forme identifiable à l'animation, il faut que l'animateur identifie quelques gestes philosophiques, distincts de la distribution de la parole. Pour dépasser une croyance qui risque de le rendre impuissant et de l'immobiliser (je ne suis pas capable, c'est trop compliqué pour moi), il peut se donner des missions limitées et progressives et les analyser ensuite dans un processus réflexif qui ne cherche ce qui n'a pas bien fonctionné que pour se donner des pistes à tester lors d'une prochaine animation.

Quelle préparation ?

"Je ne sais pas comment préparer ces séances, alors que j'y vois plus clair en math ou français pour construire des séquences, avec les objectifs poursuivis, les compétences à développer, les connaissances à faire passer, les méthodes à mettre en place, le découpage du temps, l'évaluation de ce ce qui a été appris... Mais dans l'atelier philo, si je prépare trop, je risque de leur faire dire ce que j'attends, et si je ne prépare pas assez, la discussion me prend au dépourvu, et je ne sais comment canaliser, relancer quand ça tourne en rond, ou élever le débat...".

La question de la préparation d'un atelier philo est délicate, car l'enseignant change de posture, il devient animateur. Il ne vise pas un point auquel il devrait amener les élèves, dans une perspective de programmation d'acquisition de connaissances et de compétences passant par les étapes progressives d'un chemin visant un but prévu d'avance. Il accompagne plutôt le cheminement du groupe lui-même, sa dynamique sociocognitive, pour enclencher et entretenir des interactions entre élèves, où se déploie la créativité de leur pensée. L'animateur fait preuve d'une confiance dans les possibilités cognitives du groupe et l'inventivité intellectuelle que produisent d'eux-mêmes les échanges. Il fait le deuil de ce qu'il voudrait "leur faire dire" ou de toute piste avancée non empruntée (tant pis !), de ce qui lui parait incontournable sur le sujet (on est parti ailleurs que là où il voudrait qu'on aille, mais c'est peut-être aussi intéressant, si ce n'est pas totalement hors-sujet !). Il s'appuie par contre en permanence sur ce qu'apportent les élèves eux-mêmes (exemples, idées, arguments...), au lieu d'apporter lui-même les idées (on tomberait alors dans le cours, et les élèves n'en chercheraient pas alors eux-mêmes). Préparer dans le détail (ce qui rassure, car on ne sait pas où le groupe va aller et on aimerait avoir des points de repères), prévoir à l'avance des étapes ou des idées à trouver prédétermine l'écoute de l'animateur, et l'amène à orienter le groupe là où il voudrait le voir aller, ce qui amoindrit l'innovation cognitive des participants. Il faut donc se préparer à l'incertitude de ce qui jaillit, assumer le risque de l'imprévu, ce qui crée au début un peu d'angoisse, car on ne maîtrise plus ce qui surgit ; et au contraire (il y faut un peu d'habitude), accueillir comme une chance les chemins ouverts par les élèves ; ce lâcher prise réserve en effet de bien heureuses surprises, et fait vivre un atelier philo comme une aventure intellectuelle collective, professeur compris...

Cela ne veut pas dire pour autant que l'animateur ne prépare rien, ne serait-ce que pour se rassurer, ou faire face à l'essoufflement possible de la discussion. On peut se constituer une boite à outils : prévoir un ou des supports adéquats pour faire émerger au départ des questionnements ou illustrer la notion (album, affiche, BD, anecdotes...) ; avoir un petit stock de citations stimulantes sur le sujet ; des thèses contradictoires avec leurs arguments sur la question ; élaborer une liste de questions qui abordent le sujet sous différents angles, ouvrent des pistes (que l'on utilisera ou pas), car la question ouvre la réflexion et met en recherche, relance les échanges...

Le choix du sujet

"Je ne sais pas comment choisir ou faire choisir un sujet de discussion...".

Un sujet, au sens philosophique du terme, cela peut être :

  • une notion que l'on va explorer (ex : l'amitié) ; une notion c'est une idée générale et abstraite. L'explorer philosophiquement, c'est la conceptualiser, tenter de la définir, en extension (par les exemples, les champs d'application qui l'illustrent (Valérie est mon amie), ou en compréhension (les attributs qui permettent de la comprendre : l'ami est un copain que j'ai choisi par affection et dont je suis suffisamment proche pour lui confier mes secrets) ;
  • une distinction conceptuelle (l'amour et l'amitié) : l'important est alors de savoir qu'est-ce qui leur est commun (être un sentiment) et ce qui est différent (s'embrasser sur la joue/sur la bouche) :
  • une question ("Une amitié, ça dure toute la vie ?"). La question appelle une réponse, il y en a généralement plusieurs, donc il faut chercher, individuellement et collectivement...

Il est souhaitable que ce soient les élèves qui choisissent le sujet, plutôt que l'animateur : on est comme cela sûr que cela les intéresse. Certains sujets qu'ils choisissent sont confus, ou avec trop de concepts, et demandent un travail de reformulation pour les simplifier ou les clarifier. On peut aussi proposer des sujets, car on sait par expérience, si on les a déjà testés, que certains ont toute chance d'intéresser les élèves... On peut récupérer les questions des élèves dans une "boite à questions", puis distinguer les questions philosophiques (générales, qui intéressent chacun, ont plusieurs réponses, demandent réflexion...) de celles qui ne le sont pas (on peut trouver la réponse sur internet...), et enfin voter pour en choisir une collectivement. On peut aussi partir d'un album, d'un roman, d'un mythe etc., et demander aux élèves de formuler des questions soulevées par ce support, puis en choisir une.

En EMC (Enseignement Moral et Civique), certains sujets de discussion sont proposés en DVP par le programme : il faut les articuler avec l'intérêt des élèves, ce qui ne pose guère de problème vu leur caractère souvent sensible. Dans le second degré, l'articulation avec les programmes disciplinaires est aussi souhaitable. Mais l'atelier philo peut se faire hors discipline (heure de vie de classe etc.). L'actualité donne l'occasion de nombre de situations problèmes qui sont bourrées de questions. Un des objectifs de cette approche, c'est qu'ils acquièrent l'habitude de regarder le réel pour y trouver des problèmes.

"Je n'ose pas aborder certains sujets, même quand les élèves me le demandent : sur l'actualité, la religion, la sexualité, la politique, la mort... Ils me semblent tabous. J'ai peur des débordements, de la réaction des élèves, mais aussi des parents, des collègues, de ma hiérarchie. La laïcité et la neutralité qui s'imposent me paralysent"...

D'un point de vue philosophique, il n'y a pas de sujet tabou : tout est discutable et mérite d'être discuté. La laïcité admet et garantit dans notre démocratie la pluralité des points de vue religieux et politiques, elle doit même à l'école préparer les élèves à se forger sur les questions controversées de la société civile un point de vue personnel par le débat. Elle n'interdit donc à l'école aucun sujet de discussion, mais implique la neutralité de l'enseignant pour ne pas influencer ou endoctriner ses élèves. La règle en la matière, c'est de se sentir prêt à traiter tel ou tel sujet selon le contexte où l'on est et les circonstances. Certains enseignants s'interrogent : pas de tabou certes, mais la neutralité de l'enseignant ne doit-elle pas s'effacer quand il y a écart par rapport à la loi : racisme par exemple ? C'est un débat...

Partir ou pas de supports ? Lesquels ?

"Pour les faire réfléchir, je ne sais pas comment démarrer. Comment peut-on susciter la réflexion des élèves ? Faut-il des supports et lesquels ?".

Tous les supports sont bons et utilisables, du journal aux débats publics, un film, une bande annonce, un texte... Et plus on varie, plus on obtient leur attention. Les enfants sont des puits de questions, car ils n'ont pas choisi de naître, et tout est pour eux questionnant quand ils sont jeunes ; ils sont avides de sens, chercheurs de connaissances et de vérité sur le monde. La question pédagogique, c'est de mettre en place les lieux et moments où ils peuvent poser leurs questions, en toute sécurité et confiance... On peut donc simplement les recueillir (boite à questions). On peut aussi s'appuyer sur des occasions, lorsque des événements locaux, nationaux ou internationaux les frappent. Les problèmes existentiels (grandir, aimer, le bonheur, la vie et la mort...) les concernent au premier chef : toute une littérature de jeunesse s'est désormais emparée de ces questions humaines essentielles ; on la dit "consistante" par son poids et sa valeur anthropologiques, et "résistante", car ces histoires portent à interprétations diverses, ce qui entraîne des discussions et affûte la réflexion. Avec les plus âgés, on peut exploiter la littérature lue en classe en cours de français, ainsi que les films qu'ils voient avec l'école. La lecture d'un album à comprendre suivi d'élaboration de questions à discuter est une démarche très porteuse... Les mythes (mythologie grecque et romaine notamment), sont également très formateurs, parce que l'on y trouve à exploiter les grands archétypes inconscients qui travaillent notre psychisme. J'utilise pour ma part les mythes des dialogues de Platon (voir mon livre sur ces mythes à la Chronique Sociale), qui sont philosophiquement très intéressants et dotent les élèves d'une préculture philosophique... Ce qui est intéressant dans les mythes, c'est la possibilité infinie d'exploitation, on y est plus libre que dans une question simple et somme toute limitée. Ils sont parfois déstabilisants, intrigants, voire même choquants. C'est libérateur, car ils mobilisent l'imagination. Mais on peut partir dans tous les sens, et il faut ne pas disperser la réflexion.

Dans les "enjeux de société", la difficulté est de se démarquer clairement des chemins rebattus, des problèmes ressassés. Il est parfois difficile par exemple de faire une discussion avec des lycéens sur la peine de mort, l'avortement ou l'euthanasie, car ils ont souvent déjà été traités en classe. Il faut pour en parler, aborder d'autres problèmes, proches mais différents.

Il y a aussi des textes didactiques ad hoc en philosophie avec les enfants :

  • pour les élèves (ex. les romans de M. Lipman, les Philo Fables de M. Piquemal chez A. Michel, les Goûters Philo de B. Labbé chez Milan, les P'tits philosophes de J.-C . Pettier chez Bayard), la revue Philéas et Autobulle en Belgique, la collection Chouette penser au seuil... Mais peu de références pour les lycéens ;
  • pour les maîtres (ex : les ouvrages de F. Galichet, E. Chirouter, J.-C. Pettier, M. Tozzi, O. Brénifier, J. Lévine, A. Lalanne, P. Tharrault, N. Go, F. Lenoir, Y. Michaud etc., la revue Diotime, gratuitement accessible.

Organiser l'espace

"Je ne sais pas organiser ma classe pour un atelier philo. Faut-il modifier l'espace ? Comment ? Ma classe est trop petite, ils sont trop nombreux pour déplacer les tables, ils ne se voient pas. Aménager la classe, ça fait du bruit, ça prend du temps, il faut tout remettre en place. Dans le second degré, un nouveau collègue va entrer tout de suite après la séance dans la salle avec sa classe".

Toute séance pédagogique se déroule dans un cadre spatio-temporel. L'espace pédagogique doit être pensé pour l'apprentissage, il s'aménage : blocs séparés pour le travail en groupes, cercle discussionnel en séance plénière. La condition optimale pour discuter, c'est de voir facilement les visages des participants, pour s'adresser à eux, à leur corps : car on sait qu'une partie du message ne passe pas à partir du simple contenu verbal, mais d'indices corporels, gestuels, visuels (regards, mimiques etc.). Il faut donc rechercher le face à face, et éviter les rangs alignés les uns derrière les autres. Le cercle est idéal, comme le carré, le rectangle, le U... Pour bien s'entendre, il ne faut pas être loin les uns des autres : on peut donc supprimer les tables, qui éloignent, ne garder que des chaises, ce qui diminue le diamètre du cercle, ou s'asseoir en rond. Si la salle est encombrée, la règle est de faire en sorte que les élèves se voient. Si elle est trop petite et que l'on ne peut rien bouger, il faut changer de salle (ce qui matérialise et symbolise aussi le changement de type d'activité). L'organisation de l'espace structure le réseau de communication dans la classe et la symbolique du pouvoir .

Propositions pour la DVDP : les coanimateurs peuvent se placer devant le tableau, lieu symbolique du savoir, de l'autorité et du pouvoir, le maître à côté de l'élève président de séance, car il coanime avec lui et peut l'étayer discrètement, avec de l'autre côté le reformulateur qu'il interroge de temps à autre. Le président de séance a de l'autre côté le synthétiseur, à qui il demandera de résumer les idées essentielles à la fin. Les participants sont tous autour du cercle, bien visibles du président qui leur donne la parole. Les observateurs sont derrière ce premier cercle. La forme du cercle permet aussi des tours de table avec un bâton de parole que l'on se passe. On cherche à combler tout espace vacant dans le cercle pour assurer la continuité à la fois esthétique et communicationnelle de la forme donnée au groupe. On peut avoir quatre élèves aménageurs/déménageurs, qui mettent en quelques instants la salle en place pour la discussion, puis remettent en ordre à la fin la salle.

Si l'animateur veut faire disparaître son pouvoir (au lieu de le déléguer comme dans la DVDP), il peut s'asseoir n'importe où sur une place du cercle, ou même se mettre discrètement en retrait, prendre des notes...

L'espace, c'est aussi le tableau (on peut écrire en grand, visible de tous, le sujet discuté, auquel on peut régulièrement ramener le groupe, et qui fait quoi). Ce sont aussi les murs : des traces des discussions peuvent être affichées (écrits, dessins, affiches...). Et encore le papier du reformulateur, du synthétiseur, parfois des participants... Pour être bien vu de tous, l'élève peut aussi se lever quand on lui donne la parole...

S'organiser dans le temps

"J'ai plein de questions sur la gestion du temps dans un atelier philo. Je ne sais pas comment gérer le temps des séances. Combien de temps pour une séance ; de séances philo dans la semaine, le mois, le trimestre ? Quel rythme ?".

Tout dépend du temps que je veux y consacrer, compte tenu du capital-temps global dont je dispose, de mes priorités, de l'articulation avec mes programmes (Ex : DVDP prévu dans l'EMC aux cycles 2 et 3 (donc y compris la 6e) ; maîtrise de la langue et articulation avec la littérature en français, temps accordé à l'oral dans son enseignement etc.). Il faut savoir que beaucoup de compétences développées dans les ateliers philo recoupent les référentiels des programmes et du socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Par ailleurs le développement de compétences réflexives et langagières demande un temps nécessaire d'exposition à l'apprentissage et de maturation. Une fois par semaine au primaire assure une régularité et continuité pour la gestation des compétences. Dans le second degré, c'est l'articulation avec les programmes qui est essentielle pour ne pas avoir l'impression de perdre du temps. Mais il y a aussi le travail possible en CDI, les travaux interdisciplinaires (TPE, EPI etc.), les heures de vie de classe...

"Quand dans la journée ?".

Au moment où les élèves semblent calmes et disponibles, compatible avec leur rythme chronobiologique... On peut en maternelle prendre les grands quand les plus jeunes font leur sieste. Au moment aussi où des décloisonnements sont possibles avec l'Atsem ou des collègues pour réduire le nombre... La pratique de l'attention est aussi souhaitable pour le retour au calme et les rendre disponibles...

"Combien de temps doit durer une séance ?".

L'âge des élèves est un facteur important. Il ne faut sous estimer ni la faible capacité d'attention de certains élèves (d'où l'intérêt de la pratique de l'attention pour les rendre disponibles), ni leur capacité élevée d'attention si l'activité les motive. En moyenne, on peut tabler sur 10'-1/4 h en maternelle ; 1/2 h en cycle 2 ; 45'-1h à partir du cycle 3, si l'on inclut après la discussion l'analyse du fonctionnement...

"Quand commence-t-on la discussion ? Les explications de ce que l'on va faire sont longues et il reste peu de temps pour discuter"...

On commence la discussion quand l'espace est aménagé, les rôles fixés, les règles de fonctionnement rappelées, le sujet inscrit au tableau et introduit. Ce moment est important dans les premières séances et prend du temps, car il faut tout expliquer ; il est de moins en moins long par la suite, car le scénario est intégré par les élèves. Il faut accepter cet investissement en temps au début pour ancrer la nature de l'activité, surtout quand elle est nouvelle. Si l'on commence par l'utilisation d'un support d'où surgira une question (album, roman, BD etc.), il vaut mieux procéder en deux temps, ou deux séances : une pour la compréhension du support et le choix d'une question, une pour la discussion elle-même.

"Je ne sais quand et comment arrêter un atelier philo"...

Comme toute activité pédagogique, un atelier philo dispose d'un certain capital temps, toujours limité. Le mieux pour donner des repères est de l'annoncer à l'avance. Dès que la mayonnaise a pris, l'atelier philo ne s'arrête pas parce que l'on a épuisé le sujet (une question en soulève une autre), ou trouvé la solution au problème (toute réponse est réinterrogeable), mais parce que c'est l'heure... Il y a toujours un élève encore inscrit qui veut parler et sera frustré s'il ne le peut. Souvent c'est la cloche qui sonne la fin de l'atelier. On peut avoir cependant des procédures pour terminer officiellement en temps et heure : le président de séance annonce la fin proche, ne prend plus d'inscription de parole, et passe la parole au synthétiseur. Il prononce à la fin le maître-mot performatif : "L'atelier philo est terminé" (et c'est effectivement terminé quand il le dit). On peut aussi avoir un responsable institutionnel du temps qui dit qu'il ne reste que 5', puis annonce la fin. C'est frustrant, mais la frustration alimente le désir de penser : quoi de plus joyeux que des élèves qui continuent de discuter en sortant de la classe ?

Le problème du nombre

"Les élèves sont trop nombreux, on ne peut aménager la salle, c'est difficile de gérer la parole, quelques leaders interviennent, beaucoup se taisent, il y a vite de la dispersion. Que faire ?".

La meilleure solution, c'est de diminuer le nombre d'élèves : couper en maternelle le groupe en deux avec l'Atsem, ou dans le cadre d'un décloisonnement avec des collègues. On sait en effet que dans un groupe important, des phénomènes de leadership se développent, entraînant une grande inégalité de la parole. On peut aussi diminuer le nombre de discutants, avec des observateurs, qui deviendront dans un deuxième temps ou à la prochaines séance discutants : on parle davantage quand on est moins nombreux à discuter. On peut aussi utiliser l'hétérogénéité du groupe : les CE2 écoutent dans un premier temps les CE1 puis réagissent dans un second temps à ce qu'ils ont dit. Des règles de circulation de la parole peuvent favoriser la parole de tous : exemple le droit des "interdits institutionnels de parole" (observateurs, reformulateur, synthétiseur, président de séance) de dire à la fin leur point de vue ; les "gêneurs" trois fois sont exclus pour aujourd'hui de la discussion. L'éthique communicationnelle est importante pour une gestion pacifique du groupe : confiance et sécurité, on ne se moque pas, n'interrompt pas, écoute, donne un argument au lieu d'insulter... Pourquoi pas pour certains sujets (par exemple pour travailler sur la sexualité ou le sexisme) ne pas travailler en séparant les garçons et les filles, ce qui permet ensuite de confronter les avis ?

"Mon groupe-classe est trop petit (de 5 à 10), il manque de répondant, d'idées, on peut vite s'ennuyer"...

On peut toujours avoir des discussions intéressantes avec peu d'élèves. Mais trouver que le groupe manque d'idées, de rebonds. On peut alors 'agréger pour être plus nombreux avec un autre groupe intéressé par l'activité ; le maître doit prévoir des supports motivants, diversifiés, des questions de relance ; on peut aussi s'arrêter de temps en temps pour fixer sa pensée par écrit, faire lire individuellement un autre album, organiser un petit travail de groupe...

"La coexistence de plusieurs niveaux dans une même classe (CP/CE1, cycle 2 ou CM1/CM2...) pose des problèmes d'inégale maturité, de maîtrise linguistique hétérogène etc.".

Certes, mais en matière de philosophie, il faut considérer l'hétérogénéité comme une ressource, non une contrainte : s'appuyer sur la diversité des âges, qui recouvre une diversité d'expériences, sur les niveaux différents de réflexion. On peut faire réfléchir un niveau observé par un autre, et demander au second de réagir, puis l'inverse... On peut aussi avoir comme règle de donner pendant un temps la parole aux plus jeunes...

La participation des élèves

"Je remarque une grande inégalité de parole entre élèves dans ma classe. Je pense à ce gros parleur qui intervient tout le temps, sans demander la parole, il coupe les autres, les intimide, il prend la place des autres, toute la place, les empêche de fait de parler, il ne sait pas se taire, il dit beaucoup de bêtises pour se faire remarquer, faire rire, il prend à partie certains... Tel autre au contraire est muet, replié, d'une timidité maladive, n'intervient jamais, même quand on le sollicite. Certains grands ados n'ont pas envie de parler de ce qu'ils pensent, ou disent des lieux communs et ne veulent pas s'exposer"...

Cette inégalité de parole nous gêne dans une discussion parce que l'on aimerait que tout le monde parle, s'exprime, et également : par souci démocratique que chacun s'exprime, pour sortir psychologiquement d'un blocage individuel à l'oral en groupe ; pour devenir politiquement un citoyen qui fait valoir son point de vue dans l'espace public ; pour avoir le maximum d'idées dans une discussion collective... On peut instaurer des règles de circulation plus démocratiques de la parole : on demande la parole pour intervenir, priorité à ceux qui n'ont pas parlé jusque là, perche tendue aux muets jusque là, droit de se taire qui débloque la parole, tour de table des "muets" avec jocker de non participation, lire ou faire lire ce que l'on a écrit dans un moment dédié, avant, pendant ou après la discussion...

La question des rites

"J'ai vu que certains allument au début une bougie et l'éteignent à la fin... Faut-il dans un atelier philo des rites, des symboles ?".

Les enfants ont besoin de repères pour reconnaitre et comprendre la nature de l'activité, sa finalité d'apprentissage et lui donner du sens. Repères spatiaux ex : pour l'atelier philo, on change de salle ; repères de temps : ça commence et ça finit par des maîtres-mots ("La discussion va commencer", "La discussion est terminée"), ou un rite (le silence collectif, la bougie, un exercice de pratique de l'attention...) ; repères de fonctionnement : les règles (lever la main, attendre son tour) ; qui fait quoi ? : c'est important d'installer chacun dans son rôle, pour vérifier s'il en maîtrise le cahier des charges, et pour signifier son rôle dans le groupe aux yeux des autres (Ex : le président de séance, c'est celui auquel il faut demander la parole pour pouvoir intervenir). Il y a aussi des objets symboliques : un album que l'on va lire, une marionnette ou un micro comme bâton de parole. Avec le micro, tout le monde m'entend (et j'ai une trace de la discussion). On peut se lever pour parler (tout le monde me voit), commencer en disant son prénom, qui est une façon de "signer" sa pensée... Tout cela donne du poids à des mots, des gestes, des objets (on ne parle qu'avec le bâton de parole etc.).

Le degré de guidage et la nature des interventions

"Je ne sais si je dois intervenir ou non dans la discussion, et sur quoi ? A quel rythme ? Si j'interviens trop, ils m'écoutent et se taisent. Si je ne dis rien, ils peuvent dire des bêtises, où des choses qui me choquent, ou la discussion s'arrête... Je n'arrive pas en fait à me taire. Est-ce nécessaire ? Lévine se taisait, Tozzi intervient sur les processus de pensée, Brénifier est directif sur la logique des interventions : je ne sais que choisir et pourquoi ?"...

Quand on est enseignant, il est difficile de se taire, parce que l'on veut "apporter", mais aussi "tenir sa classe" et la gérer (il faut que je m'impose ; s'ils parlent quand je parle, ça me gêne !)... Or plus je parle, moins il y a de temps de parole pour les élèves, plus j'apporte d'idées, moins ils en trouvent d'eux-mêmes. Se taire est donc un apprentissage, car on a peur du vide, de la dispersion... Il est important pour l'élaboration de sa pensée que l'élève parle, car il n'y a pas de pensée réflexive sans langage. Il faut donc laisser du temps et de la place à cette expression, cette perlaboration. Le tour de table en se passant d'élève à élève un bâton de parole permet l'enchaînement des paroles des élèves sans intervention du professeur ; comme la parole distribuée par un élève président de séance à ceux qui lèvent la main. Trouver de l'intérêt à ce que disent les élèves évite aussi d'intervenir trop souvent. On intervient en fonction du type de discussion, de dispositif choisi. Il y a des discussions de type AGSAS, de forme lévinienne, où l'enseignant intervient de façon minimaliste. J'interviens pour ma part assez souvent, mais seulement pour veiller aux processus de pensée et à une progression des échanges. Un premier pas serait d'intervenir moins de 50% du temps global de parole pour renverser la tendance...

Dire ou pas son point de vue ?

"Les élèves me demandent souvent ce que moi je pense. Je ne sais si je dois leur répondre"...

Il y a à ma connaissance plusieurs positions sur cette question, il faudra choisir. Pour Lévine, la parole est aux enfants et l'enseignant doit intervenir le moins possible, c'est aux enfants d'élaborer leur vision du monde, sans influence. Je soutiens pour ma part un principe méthodologique de non intervention sur le fond (j'interviens par contre pour activer des processus de pensée) : je reste méthodologiquement dans la posture volontaire de "maître ignorant" (J. Rancière) pour faire circuler le désir de penser des élèves, ne pas être le "sujet supposé savoir" (Lacan), pour que l'èlève soutienne son propre désir, sans être captif du désir de bonne réponse du maître. M. Lipman, M. Sasseville pensent que si la communauté de recherche au bout d'un certain temps est bien formée, l'animateur peut dire son point de vue, en tant que cochercheur, au même titre que n'importe quel autre participant. Point de vue que P. Usclat fonde philosophiquement sur la doctrine communicationnelle de J. Habermas, mais à condition cependant de modaliser son point de vue, présenté au conditionnel, ou comme venant d'un autre pour introduire un décalage, ou comme point de vue de l'avocat du diable, pour alimenter le débat sans trop l'orienter etc.

"Je ne peux supporter certains propos sexistes ou racistes : j'interromps l'élève, lui dit que ses propos sont inadmissibles, interdits par la loi. Comment se scandaliser de certains propos tenus (avec aussi la provocation de l'adolescent), et maintenir en même temps la liberté de la parole et de la pensée ?".

Il y a ici une tension entre :

- la visée philosophique de l'atelier philo, qui cherche à promouvoir une liberté totale et radicale de pensée chez l'enfant (on peut tout mettre philosophiquement en question, être sceptique, nietzschéen, anti-démocrate...) ;

- et une responsabilité d'éducateur, qui s'il est humaniste, veut transmettre les valeurs démocratiques et des droits de l'homme (Cf par exemple en EMC)... En philosophie, on peut discuter de tout (pas de tabou), et soutenir n'importe quel point de vue, pourvu qu'il soit rationnellement argumenté. Mais il faut "se le sentir" d'aborder certains sujets chauds, s'y préparer, et soumettre par exemple à discussion le sexisme ou le racisme, au lieu de simplement les condamner. Car il y a toujours des filles pour réagir sur le sexisme, et des élèves contre le racisme : il faut faire confiance aux ressources du groupe pour réagir à certaines thèses. Et s'il n'y a personne spontanément, on peut demander si tout le monde est d'accord, ou se faire l'avocat du diable sous forme argumentée, plutôt que de faire taire, ce qui arrête toute discussion et donc toute évolution possible des préjugés...

Être moralisateur, éthiquement ou politiquement correct pose philosophiquement problème dans un atelier philo, et en même temps il faut assumer sa responsabilité d'éduquer au vivre ensemble à l'école et en société. Pour moi, c'est ailleurs que dans l'atelier philo qu'il faut éventuellement reprendre les élèves, sinon on altère la liberté de leur pensée, qui suppose de travailler pour les faire évoluer sur les opinions qu'ils expriment.

Un professeur de CM2 m'a dit : "J'ai arrêté la DVP quand un élève a dit "toutes les femmes sont méprisables !". C'est dommage de lâcher ainsi la barre quand cela dérape : on peut poursuivre la discussion avec calme, en questionnant "En quoi ?", "Qu'est ce qui te fais dire cela ?", "Les autres sont-ils d'accord ?", afin de ne pas arrêter brutalement la séance.

Il y a du politiquement correct, et à coté, un monde de domaines non questionnés, acceptés sans penser, qu'il faut interroger. Par exemple la laïcité fait penser. Mais le fait que, dans chaque magasin Ikea ou la Redoute, il y ait des décorations comme des photos de Bouddha ou de personnes méditant devant des bougies en Inde, achetées sans réfléchir comme décoration... par des laïques, voilà une question intéressante...

Les difficultés des élèves selon les fonctions exercées

"J'ai donné différentes fonctions aux élèves, avec le cahier des charges de chacune. Mais ils n'arrivent pas à les tenir. Que faire ?".

Il y a difficulté du fonctionnement de l'atelier lorsque les élèves ne mettent pas en oeuvre (partiellement ou totalement) le cahier des charges relevant de leur "métier". Pour faciliter l'intégration du cahier des charges, chacun a celui-ci écrit en quelques phrases sur un cavalier devant et face à lui (avec son prénom effaçable sous sa fonction de l'autre côté, visible des autres)... Il doit le lire avant le début de la discussion (installation dans sa fonction). L'animateur veille au bon fonctionnement du dispositif et étaye les métiers mal assurés...

Le Président est trop autoritaire (il joue au petit chef en criant) : le calmer. Ou trop laxiste (il ne rappelle pas à l'ordre celui qui intervient sans l'avoir demandé) : lui rappeler la règle. Il ne voit pas qui demande la parole, en privilégiant celui qui est en face : lui demander de regarder sur les côtés. Il ne donne pas la parole dans l'ordre d'inscription, il privilégie un copain ou un leader : lui rappeler la règle d'inscription dans l'ordre où se lève une main. Il oublie de tendre la perche aux muets : le lui rappeler à l'oreille ; ou de donner la parole au synthétiseur (Idem). Il dit son point de vue : lui rappeler son rôle de donner la parole aux autres... D'où l'importance d'être à côté de lui !

Le Reformulateur n'a pas écouté celui qui parlait : lui conseiller de fixer son attention, de regarder la personne qui parle, de noter ce qu'elle dit. Il n'a pas compris ce qu'elle disait : demander à quelqu'un qui a compris de l'aider en reformulant, puis demander si maintenant il a compris et peut redire. Il ne peut redire un propos tenu : reformuler soi-même et lui demander de répéter. Il déforme ce qui a été dit, n'en retient qu'une partie : demander à celui qui a parlé de formuler autrement son propos pour qu'il rectifie. Il dit son propre point de vue : lui demander si c'est ce que l'autre a dit ou si c'est ce qu'il pense personnellement...

Le Synthétiseur n'a pas écouté, n'a pas compris, n'a pas eu le temps de noter, n'écoute plus quand il écrit, déforme les propos dans son compte rendu, fait intervenir son point de vue, n'arrive pas à se relire... Quand il n'a pas entendu ou compris, il peut lever la main pour que le discutant reprenne son propos. Il ne doit pas essayer de tout noter (c'est impossible), mais l'essentiel, en notant par exemple seulement ce qui répond à la question posée au tableau. Il peut y avoir deux synthétiseurs, l'un complétant l'autre. Un camarade peut l'aider à se relire.

Les Participants - Certains n'interviennent pas, n'arrivent pas à intervenir (sujet trop chaud ou non motivant) : les solliciter nominativement, et non à la cantonade (c'est plus efficace l'adresse ad hominem) ; les faire écrire puis lire... D'autres interviennent sans lever avant le doigt : rappeler la règle. Ils n'écoutent pas, se moquent, disqualifient un camarade ou applaudissent, haussent le ton et entrent en conflit personnel : exercer à la pratique de l'attention, établir la sécurité par des règles qui protègent, la confiance en considérant les élèves comme des interlocuteurs valables, donner à une opposition un statut intellectuel d'antithèse ou d'objection (pour éviter le conflit entre personnes), demander des arguments rationnels en cas de désaccord, et au groupe comment il se positionne par rapport à des points de vue différents reformulés sans affect. Ils ne comprennent pas ce qui est dit : en appeler au reformulateur, ou reformuler soi-même. Ils sont hors sujet : bien le vérifier, car ils mettent souvent des liens où l'enseignant ne les voit pas ("Quel rapport entre ce que tu dis et le sujet ?"). Ils parlent sans réfléchir, ne justifient pas rationnellement leur point de vue ou un désaccord, : demander une précision, une définition, une thèse, un argument, une objection... Ils ne décollent pas de leur vécu personnel ou d'exemples : demander les points communs à plusieurs exemples, un contre exemple, ce qu'on veut démontrer par cet exemple (une "thèse"), et pourquoi (argument). Ils répètent ce qui a déjà été dit, n'apportent pas d'idées nouvelles, ne font pas avancer la discussion : dans le cahier des charges du discutant, mettre : ne pas (se) répéter, apporter des idées nouvelles, faire avancer la discussion ; souligner toute idée neuve qui surgit pour la creuser ; faire un mini bilan de ce qui vient d'être dit et lancer une question ou une autre piste ; faire résumer par écrit ce qui vient d'être dit et se demander quelle question on pourrait maintenant (se) poser...

Observateur - Il n'observe pas, ne regarde pas, n'écoute pas, n'analyse pas ce qu'il a observé. L'observateur doit être occupé à une tâche précise, sinon il s'ennuie, se disperse. De petits outils lui sont nécessaires pour fixer son attention sur un objet d'observation délimité. Exemples :

  • Sur la répartition de la parole dans le groupe, il a devant lui la liste alphabétique des élèves : il coche chaque fois que tel élève parle. A la fin, l'addition des barres donne la liste des gros, moyens, petits parleurs et muets. On peut comparer l'évolution au cours des séances.
  • Pour l'observation des différentes fonctions, l'observateur a devant lui le cahier des charges de chacune : il note au fur et à mesure sur chaque ligne les points positifs et négatifs (ex. sur chacune des cinq règles que doit faire respecter le président de séance).
  • Sur les processus de pensée (à partir du cycle 3), il vaut mieux spécialiser un élève sur chaque processus, pour qu'il concentre son observation : pour l'état du questionnement dans le groupe (problématisation), noter dans un tableau à double entrée les questions posées par l'animateur/par un discutant au groupe/à un autre discutant/à lui-même à haute voix. Pour l'état de la conceptualisation, noter les distinctions conceptuelles opérées (ex : plaisir/joie/bonheur, ami/copain/amoureux, et les différentes définitions données (par exemple de "grandir"). Pour l'état de l'argumentation, les différentes thèses ou réponses à la question posée, avec les différents arguments pour chaque thèse (ou antithèse)...

L'autoanalyse de chaque fonction après la discussion et les remarques des observateurs aident à prendre conscience de ses faiblesses ; les autres peuvent aussi donner des conseils d'amélioration...

Toutes ces responsabilités sont riches de compétences à développer. C'est pourquoi il est nécessaire de donner du temps pour s'y former. Il y a des exercices à développer pour comprendre et apprendre les tâches de reformulateur et de synthétiseur. C'est plus simple de commencer par les observer. Dans une classe où l'on fait régulièrement ce genre de travail, chacun doit "y passer" donc tout le monde apprend. Expliquer à celui qui veut toujours être président qu'il n'est pas le seul, et à celui qui ne veut pas être reformulateur ou synthétiseur qu'on l'étayera...

L'attention, l'écoute

"Je ne fais pas de discussion parce qu'ils ne s'écoutent pas ! Ils sont incapables de se concentrer quelques minutes. C'est le désordre quand on essaie de discuter, et pourtant ils aiment ça !".

Pour la pratique de l'attention, qui entraîne le calme individuel et groupal, la disponibilité à l'autre et à son discours, il existe des exercices simples, de recentration sur soi, de co-présence à soi, de concentration sur ses sensations corporelles et d'ouverture au monde et à autrui, très bénéfiques en début de séance, qui peuvent être vécus comme un rite d'apaisement pour entrer dans l'activité, sorte de sas entre l'agitation de la récréation et des pensées, et la présence à sa propre pensée (voir l'ouvrage de Frédéric Lenoir qui recommande la pratique de la méditation).

Pour la question de l'écoute, nous avons une approche "institutionnaliste". C'est le rôle de l'école d'apprendre aux élèves ce qu'ils ne savent pas faire... donc à s'écouter ! S'écouter s'apprend, il faut se taire, laisser la place de la parole à l'autre, essayer de le comprendre. Cela exige un effort. L'école exige d'abord que l'élève écoute le maître quand il parle, mais peu aux élèves à s'écouter entre eux ! Alors que c'est une compétence fondamentale pour discuter. Comment on apprend un élève à en écouter un autre ? En le faisant s'entraîner à l'écoute, en institutionnalisant son écoute, par l'instauration d'une fonction, la reformulation, avec un rôle, le reformulateur. L'idéal c'est que chaque élève soit un reformulateur potentiel. Il faut donc commencer par le fait que ce soit le métier d'un, puis d'un autre, avec la pratique coopérative de l'entraide à la reformulation quand on est en difficulté de compréhension...

Les moqueries - Les conflits entre élèves

"On ne peut pas discuter calmement : très vite ils se disputent, se moquent, voire s'injurient, parfois ils en viendraient aux mains ! Discuter, c'est pour eux comme souvent à la télé se disputer, vouloir avoir raison, être le plus fort"...

Le spectacle médiatique du débat, notamment électoral, et plus généralement sa pratique sociale donne de ce type d'échange une image de lutte, de combat (dé-battre/com-battre, con-vaincre), entre des adversaires aux points de vue antagoniques, qui ne s'écoutent guère et veulent chacun avoir raison (de l'autre). Rien de plus opposé à une discussion à visée philosophique, où la culture de la question prime sur une réponse toujours réinterrogeable, où c'est la recherche individuelle et collective qui donne du sens à un horizon possible de vérité, où c'est la pluralité des points de vue qui enrichit, permet le déplacement de perspective, l'intégration de la différence, la nuance, le doute, l'approfondissement... Il y a là un esprit d'ouverture à cultiver, d'élargissement de la pensée (Kant) au sein d'une "communauté de recherche" (J. Dewey, M. Lipman). Celle-ci implique une "éthique communicationnelle" (J. Habermas), un respect de l'autre à travers ses idées, parce qu'on le considère comme un "interlocuteur valable" qui pense comme moi, et peut m'apporter des idées par son expérience accumulée, ses connaissances acquises, sa capacité réflexive...

L'enjeu, le jeu dans un atelier philo, sa règle du jeu, c'est donc de se donner un objet commun de réflexion, dont on sait qu'il est important pour l'homme, pour chacun, où l'on a besoin de tous pour avancer, car c'est le sens et la recherche de vérité qui sont moteurs, et non son propre ego, sa force... D'où le besoin de sécurité et de confiance pour oser et pouvoir penser... Ici, on laisse au vestiaire sa violence, on désire savoir avec et par les autres. Et s'ils ne sont pas d'accord, on pense que cela ne nous détruit pas, mais que cela nous fait avancer : les objections ne sont pas une agression contre ma personne, mais un cadeau pour ma pensée...

Il serait naïf de croire que l'atelier philo a la vertu magique d'éviter les incivilités... On remarque cependant qu'il accroit souvent la cohésion sociale du groupe-classe. Probablement parce que chacun peut y trouver l'estime d'être reconnu comme être pensant ("pensêtre"), parce que l'autre n'y prend pas le visage de l'adversaire, mais celui du partenaire de recherche dont j'ai besoin pour mieux affronter ensemble les problèmes que me pose ma condition d'humain.

Les difficultés liées aux exigences intellectuelles

Une dérive fréquente est d'animer une discussion à visée démocratique ou citoyenne en ayant abandonné la visée philosophique, la vigilance sur les processus de pensée... On est heureux que les élèves s'expriment, osent parler en public, s'écoutent, ne se coupent pas, se respectent sans se moquer etc. On fait alors de la démocratie sans philosophie, alors qu'il ne suffit pas de parler pour penser, il y faut nécessairement des exigences rationnelles de rigueur, une "visée philosophique"...

"Ils donnent beaucoup d'exemples vécus, mais ils généralisent peu, n'arrivent pas à définir les mots qu'ils utilisent, affirment sans prouver ce qu'ils disent, ne savent pas pourquoi ils sont en désaccord. Ils répètent souvent ce qui vient d'être dit, en ajoutant des exemples similaires et la discussion tourne en rond".

Sur la visée philosophique de l'atelier, l'essentiel est d'avoir bien compris en quoi consistent les trois processus de pensée qui constituent la colonne vertébrale d'une réflexion (se questionner, définir les notions dont on parle et argumenter ce que l'on affirme), et d'être vigilant en tant qu'animateur sur leur mise en oeuvre :

1) Problématiser.

Tout en philosophie commence par un étonnement, une perplexité qui entraine le questionnement, qui initie la recherche réflexive. Problématiser, c'est d'abord questionner le réel : le regarder comme si on le voyait pour la première fois. Questionner nos évidences, douter de nos préjugés, car c'est le questionnement qui initie la recherche réflexive. Problématiser, c'est se questionner sur ses opinions, transformer ses affirmations en questions, s'interroger sur leur origine et leur fondement ; c'est comprendre pourquoi telle question est importante pour chacun et pour les hommes, pourquoi et en quoi elle pose un problème, à cause notamment de ses enjeux existentiels, métaphysiques, épistémologiques, éthiques, politiques, esthétiques ; clarifier pourquoi ce problème est à la fois urgent et difficile à résoudre (problema en grec signifie difficulté) ; dévoiler les contradictions ou obstacles qui empêchent de le résoudre (ex. définir qui est autrui, puisqu'il est en même temps le même et différent de moi) ; se mettre en recherche car il implique réflexion, plusieurs réponses étant possibles à la question posée ; analyser les présupposés (toujours criticables) et les conséquences (souvent préjudiciables) d'une thèse soutenue...

2) Conceptualiser.

Pour réfléchir et discuter, nous avons besoin du langage. Mais il faut savoir de quoi l'on parle, donc préciser les mots employés, pour neutraliser quelque peu la polysémie constitutive à toute langue. Conceptualiser, c'est commencer un chemin qui part d'une notion générale et abstraite du langage, souvent assez indéterminée ou à définition spontanée sans réflexion (ex : la liberté c'est faire ce qu'on veut), et progresse vers une définition plus consistante, prenant en compte l'épaisseur et la complexité d'un concept, situé par rapport à d'autres notions et prenant souvent sens dans une théorie. La conceptualisation est ce processus de clarification progressive d'une notion, afin de mieux comprendre le réel sans jamais épuiser son opacité (car le mot n'est pas la chose dit Lacan), qui procède par distinctions conceptuelles (ex ici liberté et désir), rapprochement et oppositions, recherche selon Aristote de points communs (genre prochain : l'homme est un animal) et différences (spécifiques : qui a une raison, parle et vit en Cité).

3) Argumenter.

Dans la mesure où une discussion traite d'une question qui pose (un) problème, et où il y a (c'est généralement le cas en philosophie et dans son histoire), plusieurs réponses possibles, on se confronte souvent à la contradiction de points de vue, thèses et arguments. Une proposition n'est jamais vraie simplement parce que je la pense ou la dis (argument fallacieux dit d'autorité), mais parce qu'il y a de bonnes raisons de la penser. D'où pour pouvoir l'affirmer une exigence rationnelle de fondement, de justification, de preuve de ce que l'on avance ou critique. Un exemple illustre, mais ne prouve rien à lui tout seul. Le contre exemple par contre a statut épistémologique de preuve, car il empêche toute induction abusivement généralisatrice (Dès que j'ai vu un cygne noir je ne peux plus dire qu'ils sont tous blancs). L'argumentation doit être pertinente (coller quelque peu avec le réel et l'expérience) et cohérente (non contradiction interne du raisonnement) : elle s'approfondit dès qu'elle se heurte à la contradiction, car elle doit répondre de sa validité en répondant à des objections.

C'est intéressant les exemples vécus ou rapportés par les élèves, car c'est la matière de la réflexion quand elle part de la vie quotidienne. Un exemple est concret pour un enfant, et lui permet de faire le lien entre son vécu (Amandine est mon amie) et une notion abstraite (l'amitié). Il explore le champ d'application de la notion (les exemples auxquels elle s'applique). C'est en recherchant ensuite les points communs entre plusieurs exemples (par exemple d'amitié) que l'on trouve les attributs du concept, ce qui permet de le définir abstraitement en compréhension (quelqu'un choisi parmi tous ses camarades parce qu'on l'aime, en lequel on a confiance et à qui l'on peut dire ses secrets).

Par rapport à une question, on leur demande de dire quelle serait leur réponse, et c'est ce qu'ils font, sous forme d'affirmations. C'est à l'animateur de leur demander pourquoi ils pensent ce qu'ils disent, de le justifier rationnellement ; si les autres pensent pareil ou non, et "pourquoi ?" (mot bref, mais incitant à argumenter) ; qu'est-ce qu'ils répondraient à cette objection... Le contre exemple est intéressant, parce qu'il est encore concret pour un enfant, mais a statut de preuve.

On considère en philosophie qu'il n'y a pas de mauvaise réponse en soi, dès lors - et c'est important face aux préjugés, affirmations sans réflexion préalable - qu'elle est argumentée. L'ignorance du maître est méthodologique : elle évite que l'enfant ne s'aligne sur la pensée de l'animateur, ne soit pas dans "le désir de bonne réponse du maître" ; elle creuse le désir de trouver sa propre réponse pour apprendre à penser par soi-même.

Un enfant qui répète, c'est une stagnation au niveau collectif, mais un nouveau participant qui entre dans le débat. On peut l'inciter à aller plus loin : "Peux-tu le dire autrement ?" ; on peut l'interroger sur son exemple pour qu'il le développe. Une des consignes pour éviter les redites, c'est "Ne répétez pas ce qui vient d'être dit, donnez des idées nouvelles sur la question" ("Y a-t-il d'autres réponses, arguments, un contre exemple, une objection, une autre définition ?").

Quand on a l'impression que l'on dérive, il faut demander quel est le rapport avec la question traitée, que l'animateur parfois ne voit pas mais qui existe souvent pour l'élève. Sinon, il faut recadrer, recentrer les propos, relire la question écrite au tableau et demander d'y revenir...

Si les échanges s'épuisent, on peut relancer par une question, car une question a l'avantage de mettre à nouveau le groupe en recherche, et il y a toujours un élève qui voudra y répondre. Le mieux est d'avoir préparé une liste de questions par rapport au sujet, que l'on utilisera ou non, et non des réponses attendues, ce qui amènerait l'animateur à trop orienter le groupe (Ex. sur grandir : quelle différence entre une personne grande et une grande personne ? Grand par la taille ou dans sa tête ? Arrête-t-on de grandir ? Envie ou pas de grandir ? Avantages et inconvénients ? Qu'est-ce qui fait grandir ? Etc.). C'est bon aussi d'avoir quelques repères, distinctions conceptuelles, pistes de réflexion (grandir par l'âge, la taille, dans sa tête ; grandir et murir, vieillir ; grandir et les épreuves).

Être animateur d'un atelier philo

"J'ai l'impression que c'est très difficile d'être animateur d'atelier philo. C'est un Maître-Jacques qui fait trente-six choses à la fois : choisir et mettre en place un dispositif, des supports, animer une discussion, gérer un groupe, instaurer un fonctionnement démocratique, donner une visée philosophique aux échanges, gérer l'espace et le temps, faire analyser la discussion etc. C'est trop complexe, je ne suis pas assez formé, je n'y arriverai jamais !".

Il faut déjà bien prendre conscience des différentes fonctions qu'il assume, notamment :

  • mettre en place un dispositif : lui donner du sens par ses objectifs, la description de son déroulement et des différentes fonctions occupées par les élèves, choix volontaire (ou étayé) des fonctions, phase d'installation dans chaque fonction...
  • veiller sur son bon déroulement, étayer des fonctions en cas de dysfonctionnement...
  • analyser la discussion sur la forme et le fond, méthodologie d'analyse (toujours commencer par l'acteur avant son observateur)...
  • évaluer la séance.

En fait, comme toute démarche pédagogique, c'est un apprentissage, en bonne partie sur le terrain, par essais et erreurs... Le préalable, c'est la motivation : est-ce que c'est formatif pour les enfants, leur avenir d'homme et de citoyen ? Accrochent-ils à cette activité ? Généralement, on le fait et on poursuit parce que l'on pense d'une part que c'est utile pour les élèves, d'autre part parce qu'ils y prennent et j'y prends du plaisir, le plaisir de penser, de penser ensemble...

Les gestes professionnels de l'animateur philosophique se développent dans sa pratique quand il saisit l'opportunité (les grecs parlaient de kairos) de tout moment potentiellement philosophique : celui où un élève se pose à lui-même une question ou interroge un camarade, celui où pointe une définition à creuser (le courage c'est...), où s'esquisse une distinction conceptuelle (le plaisir et le bonheur...), celui où émerge un désaccord propice à argumenter deux thèses répondant contradictoirement à la question du jour. L'animateur saute alors sur l'occasion philosophique qui se présente, et c'est cette exploitation par le groupe sous sa conduite qui rend philosophique l'orientation du dialogue.

Le problème de la formation est réel, car il s'agit de gérer un groupe, de pratiquer une pédagogie active et coopérative, d'adopter une posture d'animation plus que d'enseignement, ce qui s'apprend ; et de donner une allure philosophique aux échanges. C'est ce dernier point qui crée surtout de l'appréhension : qu'est-ce que la philo et suis-je bien sur d'en faire, quand je ne suis pas philosophe moi-même ? Je peux me sentir illégitime.

Pour animer un atelier philo, il ne faut pas avoir fait le cursus complet du professeur de philo, connaître l'histoire de la philosophie et les doctrines des grands philosophes. La preuve, c'est qu'on peut avoir l'agrégation de philosophie et ne pas savoir le faire (Ex. : pratiquer le cours magistral et ne pas savoir faire discuter ses élèves). L'important est de savoir comment assurer une visée philosophique à des échanges dans un groupe : en veillant à la mise en oeuvre par les élèves des trois processus de pensée décrits ci-dessus, donc en ayant compris en quoi ils consistent...

Certaines connaissances peuvent aussi être utiles pour approfondir : ce que dans la programme de philosophie on appelle des repères, c-à-d. des distinctions conceptuelles opératoires pour la pensée. Ex. : distinguer le légal et le légitime (une loi peut être votée mais être injuste), pour ne pas confondre le domaine du droit positif et celui de l'éthique ; distinguer "croire et savoir" est important pour la notion de laïcité ; nécessaire dans les faits et obligatoire en droit, pour bien discerner le fait et le droit ; juridique (concernant les lois) et éthique (concernant la conscience morale) etc.

En EMC (formation du jugement moral), il est utile de connaître quelques grandes conceptions morales : morale du sentiment et de l'intérêt ; approche par la sensibilité ou la raison ; morale de la vie bonne (la sagesse d'Aristote), du devoir universel (Kant) et de l'utilitarisme (jugement par les conséquences de l'acte)...

Tourner en rond - La progression dans les échanges

"Parfois, la discussion tourne en rond, s'épuise, les élèves répètent ce qu'a dit le précédent, on s'enlise dans des exemples personnels ou concrets sans élargir, généraliser, il n'y a plus d'idées nouvelles, de progression dans les échanges, c'est laborieux, on commence à s'ennuyer ou se disperser"...

Si l'on ne conduit pas le groupe où on veut qu'il aille, mais comme dit Lipman "l'accompagne où il va", on rebondit sans arrêt sur ce qui est apporté pour approfondir. Le problème, c'est quand c'est pauvre. Il faut enrichir. Mais comment ? En relançant ! Oui, mais comment ? Par des questions que l'on a prévues dans sa préparation (mais que l'on ne sort que lorsque la discussion faiblit) : une question d'approfondissement, ou une nouvelle piste à ouvrir, une notion proche de la notion traitée menant une distinction conceptuelle à creuser (ex amitié/amour)... Car l'intérêt de la question est de remettre individuellement et collectivement en recherche, et celle d'une notion de susciter de nouveaux liens à explorer. On peut aussi diversifier les supports en rapport avec le sujet : que pensez-vous de telle citation ? De ces deux positions ou arguments contradictoires ? Je vous raconte maintenant une anecdote ou une petite histoire sur le sujet : qu'en pensez-vous ? Je montre un dessin, une BD, un petit film qui traite du problème. Cela suppose une boite à outils sur le sujet, qui se confectionne à l'avance (ex : plusieurs albums sur la notion d'amitié)...

Quelle place pour l'écrit ?

"Certains élèves bons à l'écrit ne participent pas ou peu aux discussions. Comment les faire participer, car ils doivent avoir des choses intéressantes à dire ! Et inversement pourquoi certains élèves faibles à l'écrit participent à l'oral ? Comment les valoriser ? La discussion est essentiellement orale. Mais les paroles s'envolent ! Faut-il des traces écrites ? Pourquoi ? Lesquelles ? Faut-il et si oui comment articuler oral et écrit ?".

Comme l'atelier philo subvertit en partie le cadre scolaire habituel (changement de posture du maître, pas de "bonne réponse" attendue, oral privilégié, interactions entre pairs plus qu'avec le maître etc.), certains élèves "scolaires", qui se situent spontanément dans le désir du maître, bons à l'écrit, sont déstabilisés par ces changements de repères, et se mettent en retrait. Le recours à l'écrit pour bénéficier de leurs idées peut être utile. On peut les valoriser par un rôle de reformulateur ou de synthétiseur. Inversement certains élèves faibles à l'écrit voient dans l'oralité de l'atelier philo une façon d'être valorisés, une occasion de s'exprimer propice à construire leur pensée : l'atelier philo leur donne leur chance...

Pas d'activité réflexive sans langage. Mais la langue a deux codes, l'oral et l'écrit, chacun avec leurs avantages formatifs et leurs limites. L'écrit, qui selon Goody, a formalisé il y a 5000 ans l'apparition de la raison dans l'humanité, a pour lui la cohésion et la cohérence du texte, utiles pour construire la consistance d'une pensée, et la rature, qui permet par la relecture la précision du propos. Mais s'il garde mémoire et trace, il est comme remarque Platon figé... L'oral a une légèreté éphémère, mais sa "parole vive" comme dit Ricoeur, son incarnation, lui donne une co-présence qui provoque la réflexion, car il stimule la réaction, appelle au positionnement, nourrit le dialogue et donc le dialogisme (Bakhtine) de la pensée... L'atelier philo, en privilégiant l'oral, instaure une communauté dialogale où la pensée "s'épaissit", s'élargit (Kant) par confrontation directe à l'altérité plurielle. Mais si "les paroles s'en vont, les écrits restent" : d'où l'intérêt d'un secrétariat de séance comme mémoire intellectuelle du groupe. De même, il est utile de jouer pour la richesse de la pensée sur les deux codes de la langue : écrit individuel à la maison ou avant la discussion sur la question choisie ; point écrit personnel à un moment précis et limité pendant les échanges ; écrit de synthèse de la discussion ou de mise au point personnelle après la discussion (d'où l'intérêt d'un "Cahier de philosophie", ou "Cahier de mes pensées")... On peut écrire ce qu'on voulait ajouter, écrire deux arguments essentiels qui n'avaient pas encore été faits, écrire à la maison ce que l'on pense de cette discussion, de cette problématique, ou sur quel problème on est maintenant arrivé et qui devrait faire l'objet d'une prochaine discussion...

Quelle place pour le corps dans l'atelier philo ?

"Comment faire entrer dans la réflexion et la discussion des élèves qui ont des difficultés à conceptualiser et pour qui l'accès à la langue est problématique ?".

Les ateliers dansephilo2, développés par Evelyne Clavier, ont été mis en place à cet effet et permettent d'ancrer la discussion à visée démocratique et philosophique dans le corps qui est notre "en-commun" (J.-L. Nancy). La question est dégagée à partir de situations vécues dans l'espace de la danse et notamment de la danse contact improvisation, qui a des similitudes dans son fonctionnement et dans sa philosophie avec la DVDP. Les rôles y sont également interchangeables et les deux dispositifs font faire aux participants une expérience de la démocratie où "le lieu du pouvoir est un lieu vide" (C. Lefort). Ils sont fondés tous les deux sur la recherche de relations non violentes où il ne s'agit pas de prendre le pouvoir et de considérer l'autre comme un adversaire. Il s'agit de le considérer comme un partenaire sur lequel on peut prendre appui et à qui on peut offrir support et élan. Ainsi, on n'entre ni en concurrence ni en compétition avec les autres, et on peut parvenir à construire une danse et une pensée collectives où la rationalité entre en résonance avec la sensibilité. Le dispositif s'appuie sur la verbalisation des émotions, des sensations et des sentiments individuels générés par les interactions avec le groupe et permet d'explorer de nombreux concepts dont celui de l'altérité, centrale pour l'école refondée inclusive. L'atelier apparaît ainsi comme un lieu alternatif à la violence de l'exclusion grâce aux compétences sociales développées : respect de soi et de l'autre, respect de règles et de cadres non coercitifs intégrés par corps, autonomie et responsabilité.

Progressivement, les élèves en grande difficulté scolaire reprennent confiance en eux et en l'institution grâce au cadre rassurant proposé par un double dispositif qui valorise d'autres formes d'intelligence : l'intelligence kinesthésique, l'intelligence inter et interpersonnelle (Howard). Les ateliers dansephilo s'appuient également sur les recherches en neurosciences qui ont dégagé le rapport entre le cognitif et le corporel "Le cerveau ne travaille pas isolément mais fait partie d'un tout organique qui inclut le système nerveux et les sensations kinesthésiques du corps en action" (Gibbes). Echauffer son corps et le mouvoir permet ainsi d'entraîner sa pensée et de la mettre en mouvement. Il s'agit par le biais du corps de rendre accessible à chacun-e la philosophie et ainsi de la démocratiser.

S'arrêter trop vite

Tout ce qui est dit ici ne peut pas être pensé et acquis en une fois. Plus on multiplie les exigences qu'on se donne, plus on risque de s'y noyer ou de se laisser décourager par l'ampleur de la tâche. Ce qui compte, c'est de se mettre dans un processus de conscientisation de ce qu'on fait, différent de ce qu'on a préparé, voire même de ce qu'on croit avoir fait (s'enregistrer, par exemple, se filmer ou être observé par un collègue sont des pratiques très utiles) et d'amélioration. Ce qui permettra qu'on ne juge pas trop sévèrement les premiers essais, c'est effectivement qu'on se sera fixé des objectifs précis, limités et par conséquent atteignables. C'est aussi le fait de ne pas être seul dans cette aventure. Que d'autres collègues soient intéressés, que l'on puisse préparer à plusieurs et s'observer mutuellement est un encouragement inestimable.


(1)  : Je remercie chaleureusement Nathalie Frieden, Jean-Pierre Fournier, Evelyne Clavier, Gaëlle Jeanmart et Marie-Odile Plaçon pour leurs utiles remarques sur la première version de ce texte, qui ont permis de l'améliorer...

(2) Voir ses articles dans Diotime n° 71 et 73.