Les ateliers philo au collège Vercors

Le collège Vercors est un petit établissement de 400 élèves situé en éducation prioritaire ; 58% des effectifs sont issus de classes socio-professionnelles défavorisées, dont une majorité de boursiers à taux 3. Le collège se situe dans le secteur 5 de Grenoble, à l'indice de précarité le plus élevé de l'agglomération, au carrefour de quartiers aux identités spécifiques.

I. A l'origine

Durant l'année scolaire 2013-2014, l'équipe enseignante (équipe plutôt stable et soudée, ayant l'habitude de mettre en place des actions interdisciplinaires), s'est rassemblée autour de projets communs : formation des élèves de cinquième à la médiation par les pairs ; formation établissement menée par le CLEPT (Collège Lycée Elitaire Pour Tous) sur le décrochage scolaire.

En parallèle, une collègue de lycée, Marion Boulnois, a proposé d' initier des élèves de sixième à la philosophie. Les quatre classes de sixième ont bénéficié de cette initiation, ainsi qu'une classe de quatrième.

Nourrie de ces réflexions, l'équipe du collège a élaboré un "projet sixième" pour la rentrée 2015, afin de favoriser une continuité entre le primaire et le collège. La volonté était aussi de partager entre les différentes disciplines des exigences communes ; de favoriser les pratiques coopératives (métiers, conseils) ; de mener des actions visant à élever les enfants, à leur donner le goût et le plaisir de la lecture ; de susciter leur intérêt pour le questionnement et de leur donner des outils pour développer leur propre pensée, à travers la discussion, l'échange avec l'autre. C'est dans ce cadre qu'une grande partie de l'équipe s'est lancée dans l'aventure de la philo pour enfants.

II. Les ateliers philo

Nous partagions le constat que le petit enfant s'interroge beaucoup, pose des questions. Mais au collège, les enfants grandissent ; et au fur à mesure de leur cursus, l'appétence pour le questionnement paraît s'effriter. L'élève est amené à acquérir des savoirs, souvent à travers des situations de travail dans lesquelles il répond à des questions. Le passage de l'adolescence et ses métamorphoses s'accompagnent souvent aussi d'un désintérêt pour l'école, de décrochage.

Un volet important de notre projet a donc été la volonté de mettre en place des Discussions à visée Philosophique (DVP). Ce n'est pas forcément le vocabulaire qu'on a utilisé, voire qu'on utilise (on a pris l'habitude de parler d'ateliers philo, voire de philo tout court).

Lorsque nous nous sommes interrogés sur les finalités des DVP au collège Vercors, c'est l'ambition d'élever les élèves vers des contenus philosophiques, à travers des pratiques exigeantes (celle du questionnement, du dialogue, de la réflexion), qui est ressortie.

La mise en place des DVP a nécessité des moyens : d'emblée, on a jugé qu'il était essentiel de travailler en co-animation, mais aussi d'être formés : aucun d'entre nous n'avait la prétention de maîtriser la discipline philosophique et nous avions en tête que si nous cherchions à mettre en place des Discussions à Visée Philosophique, il nous fallait être un peu plus au clair sur ce que cela signifiait, impliquait en termes de pratiques et de réflexions.

Nous avons reçu le soutien de la direction pour la mise en place de ce dispositif en ce qui concerne les moyens alloués, et les formations mises en place, qui ont concerné, et continuent de concerner un grand nombre d'enseignants au fil de l'année.

Ainsi, en 2014-2015, les "ateliers philo" ont concerné toutes les classes de sixième et peu à peu le dispositif s'est étendu. En 2016-2017, ils touchent toutes les classes de sixième et de cinquième (10 divisions, soit plus de la moitié des effectifs du collège).

III. Modalités

Une heure par quinzaine est dédiée aux discussions philosophiques pour chaque classe. En 6ème, chaque thématique abordée est introduite par une accroche, un support, qui conduit à la formulation de questionnements à portée philosophique. Les élèves sont acteurs de la réflexion qui se construit. La première séance est consacrée à la formulation de questions. A la fin de la séance, les élèves choisissent un des questionnements qu'ils souhaitent traiter. La séance suivante est consacrée à la discussion autour de la question choisie.

Les enseignants co-animent les séances de questionnement, et animent les DVP avec une demi-classe. Ils amènent les élèves à s'extraire de leur vécu pour les conduire vers une généralisation. Ils les aident à mieux formuler les opérations mentales effectuées, à opérer des distinctions. Ils tentent de relancer les échanges en introduisant de nouvelles questions, en essayant de mener les élèves vers un approfondissement de leur pensée. Ils les aident aussi à recentrer la discussion et à leur faire prendre conscience du propos de l'autre en nommant ce que chacun fait.

En 5ème, les thématiques abordées sont traitées sur trois séances environ. On part davantage des expériences concrètes des enfants (travail plus approfondi à partir d'exemples, de travaux pratiques et de lecture de textes par exemple autour des utopies, du rire...) avant de se lancer dans la DVP.

Neuf enseignants de disciplines différentes sont impliqués. Nous intervenons en binôme sur une même classe. Nous nous réunissons en amont pour préparer les séances, et nous sommes engagés dans un processus de formation allant de l'auto-formation (à travers notamment l'analyse de pratiques) à la participation à des stages dédiés : en partenariat avec l'équipe du séminaire "fleduc" du laboratoire LiDiLEM, axe de recherche "Sociolinguistique et acquisition du langage". Marion Boulnois, agrégée de philosophie, Anda Fournel, doctorante en sciences du langage et Jean-Pascal SIMON, chercheur au LiDiLEM, interviennent régulièrement au collège : observation, retours sur pratiques, apports théoriques etc. permettent d'avancer..

Conclusion

Ce qui est remarquable dans notre projet, c'est son échelle : la philo touche plus de la moitié des élèves du collège, près de la moitié de l'équipe éducative est aussi impliquée.

Les ateliers philo vont dans le sens d'un travail pour une éducation émancipatrice : ce qui est visé avant tout, c'est que les enfants soient encouragés à penser par eux-mêmes, et collectivement qu'ils coopèrent pour construire et raisonner.

Nos propres pratiques enseignantes évoluent aussi : pratiquer le questionnement a permis une réflexion plus large sur les pratiques au sein de la classe, sur le rapport enseignants-élèves.

Notre projet a été reconnu par l'Institution puisque le prix de l'Education Prioritaire nous a été remis par la Ministre de l'Éducation nationale le 3 mars 2016 dans le cadre des Journées de l'Innovation.

En cette rentrée 2016, les nouveaux collègues sont nombreux à vouloir s'embarquer dans l'aventure. Un club philo réunit les élèves volontaires qui ont envie de discuter davantage.