Care et cruauté dans l'animation d'un atelier philo

La discussion philosophique, dont cet article est en grande partie une synthèse, a été la première du séminaire de didactique de la philosophie tenu à Peyriac-sur-Mer en juin 2014. Ce séminaire s'est tenu autour de grandes questions sur l'animation des ateliers philo, la didactique du philosopher, les présupposés de la "philosophie avec les enfants" et les critères du dialogue philosophique.

La discussion sur le "Care et la Cruauté dans l'atelier philo" a été gérée sous la forme d'une Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP) par les membres de l'asbl et Organisation de Jeunesse belge PhiloCité : Ingrid Quoibion prend en charge le poste d'animation, Laetitia Lakaye celui de présidente de séance, Denis Pieret celui de reformulateur et Julien Bohet celui de synthétiseur. Un enregistrement audio existe. Cette synthèse écrite, relue par chacun des participants, s'éloigne le moins possible du fil conducteur de ce qui s'est dit oralement. Elle s'articule, comme l'a théorisé Michel Tozzi, autour des trois grandes actions philosophiques que sont problématiser, conceptualiseret argumenter. Nous terminons ce compte-rendu non par une conclusion mais un "mind map" des ouvertures sous forme de questions restées en suspens. Notes de bas de page et références bibliographiques servent à préciser ce qui a été dit, à l'interroger ou à prolonger la réflexion.

I) Problématiser

Classiquement, le Président de séance de la DVDP énonce la thématique philo du jour et présente plus ou moins longuement la problématique. Ici, seuls deux concepts ont été avancés. C'est ainsi que, pour lancer la DVDP, l'animatrice appelle à une cueillette de questions sur les deux notions proposées au groupe, careet cruauté, afin de circonscrire le problème. Une petite dizaine de questions ont été formulées, dans l'ordre ci-dessous, avant que les participants ne creusent certains aspects.

  • Comment faisons-nous progresser la discussion en Philosophie Avec les Enfants (PAE), en usant du care et de la cruauté ?
  • Si l'on ne philosophe pas naturellement comme on mange, à quelle condition de confort psychique ou de bousculement philosophe-t-on ? Comment se combinent ces deux conditions ?
  • Quelle attitude ou style d'animation en philosophie pour enfants facilite l'exercice de la pensée du groupe ?
  • A partir d'une comparaison entre les systèmes d'évaluation scolaire néerlandais et français, s'est posée la question suivante : l'animateur stimule-t-il en "cotant (notant) vache" ou en "cotant large" ? En "cassant" l'élève ou en le "mettant en confiance" ?
  • La cruauté ne serait pas de "casser", mais d'ébranler. Penser suppose-t-il d'être ébranlé dans ses certitudes ? Y a-t-il vraiment opposition entre la cruauté comme ébranlement et le confort psychique, cet espace de sécurité où on peut développer sa pensée ? Le confort et la confrontation ne sont-ils pas deux conditions à réunir harmonieusement pour penser ?
  • La philosophie n'est-elle pas cruelle par nature (comme discipline rigoureuse et critique) ? Mais est-ce la philosophie qui est une discipline cruelle ou y a-t-il cruauté par l'action d'un interlocuteur ? La cruauté est-elle interne ou externe ?
  • Qu'est-ce qui nous fait penser, particulièrement dans les ateliers philo, quelle que soit leur forme (la DVP, la DVDP, la CRP, la maïeutique, l'entretien, le café philo, ...) : des événements violents ? Un confort ? Si les deux sont bien nécessaires, comment s'articulent-ils ? Le groupe se recentrant autour de l'animation, ces questions générales ne seront pas abordées.

Le développement s'élabore petit à petit autour de la problématique des conditions nécessaires au penser mieux : faut-il être ébranlé dans ses certitudes ou être dans un confort psychique pour accueillir la confrontation ? Deux angles d'attaque sont d'abord distingués : le care et la cruauté peuvent se réfléchir au niveau de la formulation de la pensée philosophique individuelle ou au niveau didactique en PAE. Quelles sont les conditions favorables pour le développement de la pensée tant personnelle qu'en groupe ?

On s'intéressera principalement dans cette discussion à une opération de définition et à l'un des deux termes : la cruauté. Le dialogue s'organise autour du problème général suivant : la notion de cruauté suppose-t-elle qu'un animateur exerce extérieurement de la cruauté envers un participant ou la pensée philosophique est-elle cruelle en cela qu'elle bouscule nos certitudes ? Ensuite, le champ de la question est délimité par l'intérêt qui nous regroupe ici, c'est-à-dire les pratiques d'animation. C'est la dimension éthique de l'animation qui est interrogée : qu'est-ce qui fait penser ? Qu'est-ce qui fait peur ? jusqu'où aller entre encouragement et cruauté dans l'animation ?

II) Conceptualiser

C'est donc la dimension principalement ontologique de "care" et "cruauté" qui sera particulièrement explorée tout au long de la DVDP par un travail dialectique. Le champ sémantique des deux notions se dessine à la suite de la discussion, parfois comme une valorisation de l'un au détriment de l'autre, et parfois de façon plus descriptive, en dehors d'un jugement de valeur porté sur ces notions. Il convient de souligner que le champ du care a été complété a posteriori par rapport à ce qui a été avancé à propos de la cruauté.

CARE CRUAUTE
Confort psychologique Bousculement (sentiment)
"Coter large" "Coter vache"
Mettre en confiance Casser l'autre
Assistance Ébranlement
Entraide entre participants Sollicitation nominative, individualisée par l'animateur
Accueil Confrontation (moyen)
Travail général et par modélisation Radicalité dans la singularité de la parole
Modération, exigence psychologique et éthique Exigense philosophique (logique)
Arrêter quand la pensée ou les relations humaines coincent Pousser jusqu'au bout (jeu de mot se taire / se tuer)
Confort Inconfort
Stabilité déséquilibre
Bienveillance Intention de malveillance
Dialogue Hors dialogue
Bercer (sans endormir mais en créant des ouvertures) Maintenir l'égalité des procédures, même à l'égard des supposés fragiles
Condescendance Dérangement interne
"Caring thinking" Parrhesia (parole franche qui fait irruption)
(Garantir) la tranquillité Faire violence
Privilégier la parole accommodante Privilégier la parole qui cherche à faire du tort
Sécurité S'imposer comme animateur par la force
Valoriser Relever une faute de langage
S'effacer comme animateur pour laisser le groupe exister, et co-construire Diriger la discussion

III) Argumenter

Reprenons le fil de l'atelier pour faire apparaître les différents arguments qui soutiennent les champs sémantiques proposés ci-dessus, particulièrement celui de cruauté.

Care et cruauté sont d'abord mis en doute dans leur forme pure dans le contexte de la PAE. Ces deux qualificatifs sont trop forts. L'animateur ne fait pas souffrir. L'animateur ne porte pas une assistance médicale pour que tel ou tel participant pense individuellement quelque chose. Aide et sollicitation sont connotés plus positivement et sont préférés dans un premier temps pour qualifier le travail réalisé en groupe dans l'atelier philo. L'animateur n'est pas un violeur mais un accompagnateur.

"Le care, c'est super ; la cruauté c'est nul". Telle pourrait être l'opinion de départ. Or l'accueil et le confort psychique ne font pas avancer la réflexion. Pour penser, il faut être bousculé. En tant que personne qui réfléchit, je préfère l'ébranlement, comme mise en mouvement de la pensée. Mais en tant qu'animateur, le regard positif, l'accueil et la valorisation des paroles doivent primer durant les premiers ateliers philo surtout devant un groupe d'enfants. Il serait indélicat et contre-productif de remettre en question la première parole. Temporalité et dynamique de groupe sont donc à prendre en compte pour doser care et cruauté.

Les deux paragraphes précédents correspondent aux premières prises de parole qui ont décrit petit à petit la paroi du problème qui se dresse naturellement devant nous. L'oreille vigilante de l'une des participantes va pointer un souci et donner un premier "coup de pioche" (dixit la Présidente). On a dit "ébranlement" et "confrontation" pour dire la cruauté d'un dialogue. D'accord mais ces qualifications sont trop floues. N'arrêtons pas notre réflexion sur ce qui semble être un îlot de sécurité stable. Le concept de cruauté est porteur d'une radicalité qui n'est pas épuisée dans ces deux autres mots. L' "ébranlement", c'est ce que l'on ressent. La "confrontation" ne dit pas non plus exactement ce que pourrait être la "cruauté de la pensée". Il y a du "aller au bout de" dans la radicalité1 d'un processus de questionnement. En philosophie, la confrontation doit être utilisée par l'animateur (et par soi-même) comme un moyen (et non pas comme une fin). La cruauté de la pensée, comme exigence philosophique, est d'aller jusqu'au bout d'une idée. L'animateur cruel appelle justement à ne pas se stabiliser trop vite autour d'un îlot de sécurité, parce qu'on a trouvé quelque chose de neuf et que cela oblige le participant à s'engager, à ne pas s'arrêter au premier coup de vent, à aller au bout du voyage qu'il a ouvert2. "Encore, encore, mais encore, ... ", dit l'animateur. Continuer dans la déstabilisation, ce serait ça la radicalité du questionnement philosophique et sa potentielle cruauté.

Le risque éthique de l'usage de la cruauté est mis clairement en évidence par un jeu de mot involontaire de traduction et de maîtrise de la langue française. D'une certaine façon, en obligeant le participant à continuer dans son bousculement, en explicitant ses idées, en soulevant ses contradictions internes, cet animateur cruel arrive à ce que "le participant se tue ... euh se taise". Cela demande un care extrême de donner, tout en demandant d'avancer encore et encore d'un pas après ceux déjà faits, les moyens de s'exprimer, de maintenir un espace ouvert, de laisser le micro branché, de laisser à la personne l'envie d'ajouter une parole à ce qu'elle a déjà dit.

Ce jeu de mots oblige à préciser la notion de cruauté qui manquerait de care. L'animateur cherchera à faire de l'inconfort, et non pas du confort, un lieu de la pensée. Une différence de nature est établie : l'animateur n'est pas cruel (c'est trop) mais il fait philosopher, il dérange, il fait avancer en maintenant l'inconfort, le déséquilibre. Ce qui est cruel et radical, est-ce le maintien d'une exigence de la pensée ou la manière dont l'animateur s'adresse à autrui ? Il est indispensable de condamner éthiquement la deuxième voie en tout cas : l'animateur ne disqualifie pas autrui et ne remet pas trop en question la parole prononcée : trop, c'est-à-dire au risque de blesser définitivement. L'enjeu est de penser mieux et pas plus du tout, parce qu'on a été rebuté par l'insistance exagérée de l'animateur. Il y a une déontologie qui encadre l'animation.

Care et cruauté sont donc présents mais restent à interroger dans un rapport de degré et de nature. Il y a, définie éthiquement, une limite à ne pas dépasser dans ses interventions, ses interrogations, son comportement, lorsqu'on est animateur de discussions philosophiques.

Un contre-argument vient toutefois éprouver cette supériorité éthique de la douceur sur la cruauté. Dans le souci de ménager le participant3, n'y a-t-il pas un préjugé sur les capacités de celui-ci ? Aller jusqu'au bout des choses n'est-il pas alors vraiment éthique, au sens où ça préserverait une égalité réelle des chances ? L'animateur doit mesurer ses actions mais faire confiance à son interlocuteur, même le timide ou le réservé. Et c'est cette confiance dans la capacité d'aller plus loin, et d'être confronté de la même façon que tous les autres, qui est éthique.

Il faut peut-être situer dans le temps de l'appropriation de la Nouvelle Pratique Philosophique et dans le lieu (en classe ?) pour préserver ce caractère potentiellement éthique de la cruauté philosophique. En classe, la condescendance, le maintien de la tranquillité empêchent clairement que des choses se déplacent chez l'élève et dans le groupe. Dès qu'un climat de sécurité est reconnu de tous, le professeur, l'animateur, le participant à l'atelier philo, le groupe doit pouvoir réfléchir, mieux penser sans présager des capacités des uns et des autres. Il y a donc de la bienveillance à pousser tout le monde.

Deux formes d'éthique au moins apparaissent en PAE : non seulement aller jusqu'au bout avec tous de manière égale, mais aussi respecter l'autre dans sa personne. Cette dernière forme d'éthique pose le problème de la position de pouvoir de l'animateur.

La notion de cruauté comprend-elle l'intention4 de malveillance ou l'animateur est-il cruel s'il fait du tort, s'il a un impact psychologique négatif sur le participant ? Peut-on dire par exemple d'un prédateur qu'il est cruel et à partir de quelle conception de la cruauté le dit-on ?

Si c'est bien un excès de langage que de parler de la cruauté du chat envers la souris ou de celle des grands prédateurs, c'est qu'il y a dans la cruauté (humaine) une intention. Quelle peut être cette intention de l'animateur cruel ? Le groupe argumente autour de deux types, l'un conscient, l'autre insconscient.

- Le premier type d'intention cruelle est conscient. Ce peut être pour se valoriser, pour marquer des points sur le dos des participants5, ou pour faire avancer la pensée collective mais de son propre point de vue. Il se met en avant en étalant ses connaissances ou l'ignorance des participants. Il use de sa posture de pouvoir dans la forme (il est le Président d'une DVDP) et le fond (il a quelques années d'études, de recherches, de réflexion). L'animateur est cruel quand il n'est plus dans le dialogue avec de véritables interlocuteurs, qui sont au contraire comme des souris pour un chat !

- Le second type. L'intention de cruauté de l'animateur dans son faire-valoir peut être inconsciente. Il a à animer et à comprendre autant de pensées qu'il y a de participants. Or il se projette lui-même dans le sujet traité et dans la manière de tisser le fil conducteur de la discussion. Cela fait beaucoup de structures de pensée à coordonner et à mettre en mouvement de manière liée. Parfois l'animateur peut oublier des possibilités : ici un kairos (une occasion), là une idée nouvelle. Il peut aussi omettre sans le vouloir de souligner tel ou tel effort. Ainsi par ces actes manqués, est-il aussi de manière inconsciente cruel ?

L'intention du potentat est très visible. Peut-être est-ce moins dérangeant que les formes d'intentions inconscientes, moins visibles, mais qui trient aussi dans la réalité, écartant, négligeant telle ou telle idée, telle ou telle personne pensante. On aurait sans doute tort de sous-estimer ces effets problématiques en se focalisant uniquement sur l'animateur potentat.

Care et cruauté, à l'écoute de cette DVDP, ne s'opposent pas vraiment mais se combinent utilement dans une visée éthique de l'animation.

Le concept de cruauté dans ce contexte de l'animation de discussions philosophiques, prend encore plus d'épaisseur quand on le rapproche de la notion grecque de la "parrhesia"6, de l'usage de la franchise, de la parole brutale comme opérateur de transformation de soi. Les philosophes anciens considéraient que cette transformation était la condition de l'accès à la vie philosophique comme vie éthique. Si l'éthique signifie, comme chez les Grecs classiques, se modifier, transformer son ethos, son comportement, elle implique une certaine violence nécessaire à la conversion. Cette parole transformatrice doit arriver d'un horizon étranger pour révéler un profil qu'on n'a pas vu de soi-même. La parrhesia suppose cependant aussi de la bienveillance7, de la neutralité, car cette parole extérieure ne vient pas pour détruire mais pour offrir la possibilité de dire quelque chose que l'autre a vu en moi (il me "réfléchit") mais que je ne vois pas car je m'aime toujours trop.

Cet effet "thérapeutique" de la parrhesia est cependant conditionné par celui à qui elle s'adresse. Selon les qualités psychiques des uns et des autres, ces moments de transformation (violents par nécessité) seront plutôt destructeurs8. Qui suis-je comme animateur pour décider que tel ou tel participant doit être transformé par mon acharnement et suivre un cheminement déterminé ? Le bousculement mental doit rester le choix du participant. A chacun de s'autoriser ce qu'il veut, de cheminer à son rythme. L'animateur ne peut enjoindre un bousculement mental. Cette idée pourrait être le critère de la limite entre les manières intrusives de s'adresser à autrui et les exigences de la pensée.

La cloche ayant sonné, le groupe a ainsi juste eu le temps de mettre en oeuvre l'opposition entre les subjectivités de l'animateur et des participants face à la capacité et la visée de rationalité du propos avant de formuler plusieurs questions :

  • Pour qui la transformation est-elle destructrice ? Qui n'est pas capable d'être transformé ?
  • Comment intervient le non-verbal dans le care et la cruauté dans les ateliers philo" ? Qu'est-ce qu'il donne comme informations ? Ce non-verbal observé par l'animateur donne-t-il du souffle à la discussion ?
  • La posture de pouvoir est-elle la même dans les différentes écoles qui se dessinent petit à petit en PAE ?

L'animatrice mit fin à cette DVDP au bout d'environ 1h30 pour faire place à un moment d'analyse métacognitif de la DVDP.

IV) Ouverture

Les deux concepts opposés au départ ont engagé le groupe dans un travail dialectique qui aboutit petit à petit à mieux les articuler dans l'animation d'un atelier philo qui nécessite un minimum de rigueur attentive. Plutôt que de conclure ce compte-rendu, nous nous permettons de proposer en synthèse un "mind map" de cet atelier philo vécu à Peyriac-sur-Mer et de terminer par quelques références bibliographiques qui peuvent permettre de prolonger ce qui a été avancé.

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(1) O. Brenifier insiste sur l'"importance de la question, du dialogue, prise en compte du sujet, du penser par soi-même". Il appelle à se méfier de l'opinion individuelle, d'un dialogue sans rigueur, et à promouvoir la radicalité de la critique, la prise de risque, la logique de la pensée, l'articulation de l'expérience et du concept. C. Richard, de l'Institut de Pratiques philosophiques, théorisera plus tard ce portrait du philosophe praticien : vertu de la cruauté, qui rompt avec la sympathie, débusque la contradiction, cherche la faille, instille le doute. Intarissable questionneur, étranger jusqu'à lui-même, en abandonnant ses opinions dans le silence et l'aporie ; dramaturge qui se met en scène comme personnage dans la seule présence de l'acte déconstructif ; et même chamane qui soigne par la manipulation du feu ..." ( Sixième colloque sur les nouvelles pratiques à visée philosophique à l'école et dans la cité. Unesco - Paris - 15-16/11/06. Fragments de propos entendus, compte-rendu à plusieurs voix dans la revue en ligne Diotime, n°32, 01/2007
)

(2) L'analogie entre la marche et la pratique philosophique : "Le dialogue, au contraire de la conversation, renforce le déséquilibre afin de provoquer une progression. On ne peut s'empêcher de faire une analogie avec la marche, où l'on avance en perdant à chaque pas son point d'équilibre et où l'on n'a jamais les deux pieds à la fois sur le sol ; chaque pas permet le suivant. Dans le dialogue, chaque argument suscite un contre-argument qui dépasse l'autre et le pousse à aller au-delà de lui-même" selon Matthew Lipman, A l'école de la pensée, éd. De Boeck, 2001, p.93 ; Michel Sasseville et Mathieu Gagnon, Penser ensemble à l'école, 2e éd., PU Laval, 2012, p.30 ; Rebecca Solnit, L'art de marcher, éd. Actes Sud / Babel, 2002 ou Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, éd. Champs essais, 2011.

(3) De le conforter ou de l'incommoder ?

(4) Un animateur peut-il être cruel si ce qu'il dit est vrai, dans une intention malveillante et dont les conséquences ne sont pas bénéfiques ? Un animateur peut-il être cruel si ce qu'il dit est faux dans une intention bienveillante et dont les conséquences ne sont pas bénéfiques ? Un animateur peut-il être cruel si ce qu'il dit est faux dans une intention malveillante mais dont les conséquences sont bénéfiques ? ... Pour enrichir cet épineux problème de l'intention sous ces trois critères, en philosophie avec les enfants, relire par exemple l'épisode 10 "Les trois têtes du géant" du roman philosophique de M. Lipman et A.M. Sharp, Lisa, éd. Peter Lang, 2011, p. 47-53 et son équivalent dans le guide d'accompagnement, p.181-183.

(5) En foot, ce serait : l'animateur est l'entraîneur et pas un joueur.

(6) FOUCAULT M., Le gouvernement de soi et des autres, Cours du Collège de France année 1982-1983, éd. Gallimard/ Seuil, coll. "Hautes Etudes", 2008 ; FOUCAULT M., Le courage de la vérité, Cours du Collège de France année 1984, éd. Gallimard/ Seuil, coll. "Hautes Etudes", 2009 ; JEANMART G., "La parrhèsia socratique", in Généalogie de la docilité, éd. Vrin, 2006, p. 17-57.

(7) cf. notamment dans le Gorgias de Platon, un des extraits les plus connus sur la franchise : "Socrate - Supposons, Calliclès, que je me trouve avoir une âme en or ! Ne conçois-tu pas quelle joie ce serait pour moi d'avoir trouvé une de ces pierres au moyen desquelles on fait l'épreuve de l'or ? La pierre de touche la plus parfaite : une grâce à laquelle, au cas où, mise en contact avec mon âme, je pourrais savoir que je suis de bon aloi et que je n'ai pas besoin d'autre épreuve ? (...) de tous les jugements de mon âme, ceux sur lesquels tu seras d'accord avec moi, ceux-là dès lors seront la vérité. J'ai idée en effet que, quand on veut sur une âme faire comme il faut l'épreuve, pour savoir si elle a ou non une vie correcte, il faut, somme toute, la réunion de trois conditions, lesquelles, toutes les trois, tu les réunis : savoir, bienveillance, franc-parler(epistèmèn te kai eunoian kai parrhêsian). Je rencontre en effet bien des gens qui sont incapables de faire sur moi l'épreuve souhaitée, parce qu'ils n'ont pas un savoir pareil au tien. Il y en a d'autre part qui ont le savoir, mais qui ne consentent pas à me dire la vérité, parce qu'ils n'ont pas pour moi une sollicitude pareille à la tienne. Enfin, les deux étrangers ici présents, Gorgias et Pôlos, (b) ils n'ont pas assez de franchise (parrhêsias), ils éprouvent trop de gêne - en tout cas, plus qu'il ne faudrait. Quelle autre explication donner ? Ils en sont arrivés l'un après l'autre à être tellement gênés qu'ils ont osé, à cause de cette gêne qu'ils ressentaient, dire le contraire de ce qu'ils avaient dit, et cela, en présence d'un public nombreux et à propos des questions les plus fondamentales qui soient" [ Gorgias, 486d-487a]

(8) - Il y a un âge pour tout : la parole franche est qualifiée de "maltraitance" par le Docteur House quand une gamine de 11 ans sait tout sur sa mère (saison IV, épisode 10).