Pratiquer les activités à visée philosophique : une professionnalisation différente des enseignants du primaire ? (Extraits du rapport)

NB : Dans un souci de clarté et de cohérence, cette synthèse nécessairement brève a conduit à exclure une grande partie des éléments du rapport, concernant d'une part les représentations des enseignants et autres personnels en début d'année (cf ci-dessous "le déclaratif" et analyses), et d'autre part le détail des résultats obtenus en fin d'année, pour ne garder que les analyses comparatives et interprétations faites en fin d'année de première année du travail concernant les enseignants. Le plan de cette synthèse ne reprend pas le plan du rapport.

I) Description de la recherche envisagée au départ

A) Les pratiques "à visée philosophique", mises en valeur par un rapport de l'UNESCO (Goucha, 2007), puis recommandées par cet organisme depuis la conférence de Milan (février 2011) se développent internationalement. En France, bien qu'apparues tardivement, elles se diffusent progressivement dans de nombreuses classes et ont fait l'objet, sous l'impulsion notable de M. Tozzi (notamment 1995, 2000, 2001, 2002, 2003, 2006...) de thèses en Sciences de l'éducation (Pettier, 2000 ; Auguet (2003), Connac (2004), Go (2006), Pilon (2006), Especier (2007), Usclat (2008), Chirouter (2008) ), et d'une en Philosophie (Pettier, 2008). Concernant les pratiques, l'Académie de Créteil est en pointe : plusieurs projets s'y développent, concernant à chaque fois entre 15 et 20 classes. La ville de Saint Fargeau Ponthierry, en Seine et Marne, a décidé de passer à une étape supérieure, proposant à terme le développement de ces activités : dans l'Ecole ; lors des activités périscolaire et associatives des enfants ; pour des publics d'adultes dans les différents lieux de la vie sociale et professionnelle.

À l'heure actuelle, les enseignants qui pratiquent dans leur classe affirment souvent que les pratiques à visée philosophique les conduisent à modifier leurs pratiques pédagogiques : évolution de la nature du rapport à l'élève, de l'exercice de l'autorité (horizontalisation) ; prise en compte grandissante de ses propositions et questions, sollicitation de l'esprit critique du "public" auquel ils sont confrontés, etc. Mais ces affirmations spontanées traduisent-elles la réalité d'une évolution dans la professionnalisation de ces enseignants ? Seule une étude s'est intéressée à la question, concernant spécifiquement les enseignants de SEGPA (Chirouter, 2011). Plus largement, les valeurs auxquelles les enseignants se réfèrent dans leur pratique restent-elles les mêmes ? Se traduisent-elles de la même façon dans les classes ?

Par son ampleur et sa nature, le projet de Saint-Fargeau-Ponthierry est une occasion de mieux identifier ces possibles représentations et évolutions, puisque l'expérience qui y est conduite concerne un nombre important d'enseignants (...).

Il s'agira de le mesurer :

  • dans les différents contextes où elles seront employées à Saint-Fargeau-Ponthierry (scolaire, périscolaire, associatif) ;
  • en fonction des publics rencontrés (enfants plus ou moins jeunes dans des espaces périscolaires et/ou associatifs ; élèves dans des cycles différents ; adultes dans des situations différentes (associations, maison de retraite, travail) ;
  • en cherchant à établir si d'éventuelles évolutions sont concordantes, au moins en partie, d'un secteur professionnel concerné à un autre (...)

II) Le projet de recherche

A) Cadre du questionnement

(...) Il s'agit ici de savoir si des pratiques à visée philosophique modifient le professionnalisme, (...) vers une professionnalisation différente, au sens décrit par le CEDIP : "Une modalité de professionnalisation est destinée à développer le professionnalisme de l'intéressé. Selon l'acception usuelle de ce terme, le professionnalisme constitue une qualité reconnue à celui qui associe compétence et efficacité dans l'exercice d'une activité, d'un métier. Une modalité de professionnalisation correspond à une activité qui favorise l'acquisition des ressources nécessaires à la mise en oeuvre de la compétence. Formulée ainsi, la professionnalisation ne se réduit évidemment pas à l'unique modalité "formation", même si cette dernière demeure incontournable : le fait d'organiser un accompagnement personnalisé (tutorat, coaching, compagnonnage...) lors de la prise de poste d'un nouveau collaborateur, permettra à ce dernier d'acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire, mais également d'intégrer un groupe humain, d'y établir des liens de collaboration." (CEDIP, 2009).

L'apparente évolution des enseignants, évoquée dans le descriptif initial, permet alors d'évoquer deux types d'interrogations :

- en termes de valeurs de références de la profession : y a-t-il ou pas évolution des valeurs de référence de l'action pédagogique ? Non que de nouvelles valeurs viendraient remplacer les valeurs traditionnelles de l'école républicaine, mais plutôt qu'un nouveau sens semblerait leur correspondre par rapport auquel des hypothèses seraient faites : la place donnée à l'élève deviendrait une valeur de référence, plus qu'une simple modalité pédagogique résultant de l'évolution des connaissances en psychologie cognitive. L'horizontalisation des rapports entre enseignant et élèves correspondrait à l'identification et la reconnaissance de la valeur d'une communauté de questionnement et de ses membres (une égalité du questionnement vers des tentatives de réponse en commun), tant de la part des enseignants (permettant alors de s'interroger avec les élèves) que des élèves (identifiant la continuité de ce questionnement entre leur professeur et eux-mêmes) ;

- en termes de pratiques professionnelles sensées, qui pour une part doivent traduire ces valeurs en action. Y a-t-il évolution des pratiques ? Ces évolutions correspondent-elles à de nouvelles significations données aux valeurs, à de nouvelles valeurs ? (...).

B) Organisation de la recherche

Les professionnels concernés étant formés dans l'unique cadre du projet de la municipalité de Saint Fargeau, on ne s'intéressera pas à la possibilité d'impacts différents selon des modèles de formation possible (pratiques opérées selon le modèle de J. Lévine, ou de M. Tozzi, ou de M. Lipman ou O. Brénifier). La question "Les pratiques à visée philosophique font-elles évoluer la professionnalisation (valeurs, pratiques correspondantes) des personnels qui les mettent en oeuvre ?" fait alors envisager :

  • de devoir évaluer l'évolution des valeurs et pratiques des différents professionnels concernés ;
  • de les comparer (...)
  • d'examiner ces évolutions d'un point de vue déclaratif, puis du point de vue des pratiques conséquentes, dans les faits jugés significatifs pour les professionnels concernés, à partir de la captation de moments de travail jugés "habituels".

La mise en oeuvre proposée par la municipalité se déroule en plusieurs étapes, qui constitueront autant d'étapes pour la recherche.

C) Première étape : étude de l'évolution des enseignants dans les classes

La professionnalisation des enseignants de classe banale ayant été formés, puis ayant pratiqué, a-t-elle évolué au bout d'une année de pratique ?

Cette recherche envisage de le mesurer de deux façons :

a/ Identifier ce qui est dit : le déclaratif

Il s'agira d'établir, d'une part, ce que les enseignants concernés disent.

Constitution du corpus d'étude : chacun devra remplir un questionnaire en début, puis à l'issue de l'année scolaire. On s'intéressera plus particulièrement :

  • aux valeurs auxquelles il se réfère en termes de références professionnelles et institutionnelles : quelles sont celles qui sont revendiquées ? Comment sont elles décrites ?
  • à la nature de leur traduction pratique visée dans la classe. Par quelles stratégies pédagogiques prétend-on les traduire ? Dans quelle mesure influencent-t-elles le rapport aux élèves, le rapport des élèves entre eux ? Pour chacune de ces questions, on demandera aux enseignants lorsqu'ils le peuvent d'identifier un exemple concret, le plus précis possible, qui montrerait la pertinence de la réponse qu'ils fournissent.

Les réponses fournies à l'origine ne leur seront ensuite plus communiquées.

En fin d'année scolaire, on complètera ces questions pour s'intéresser, en plus d'un point statique, à l'évolution des rapports de l'enseignant aux élèves et à ses pratiques : ont-ils évolué ? Comment ?

Ces questionnaires seront anonymes (...).

Le questionnaire concernera l'ensemble des enseignants concernés par le projet. Ce nombre important semble de nature à fournir une première assise solide aux analyses.

Mais ce déclaratif n'est pas suffisant pour établir si ces évolutions sont réelles. On sait l'écart souvent manifeste entre la pratique déclarée de classe et la pratique réelle. C'est pourquoi il semble important de procéder selon une seconde entrée : en confrontant certains enseignants à leur pratique au quotidien.

b/ Confronter le dire et le faire : du déclaratif à la pratique de classe

Cette confrontation est plus complexe à mettre en oeuvre pour tous les enseignants (...).

À la fin de l'année scolaire (éventuellement de deux années successives par enseignant ?), plusieurs enseignants (...) seront filmés dans leur classe à l'occasion d'une séance, choisie par eux comme représentative de leur pratique au quotidien. Deux jours après ce tournage, chacun sera confronté à cette pratique filmée lors d'un entretien d'autoconfrontation (Y. Clot), destiné :

  • à mettre en évidence si (et comment) la référence aux valeurs professionnelles est mobilisée et revendiquée dans des moments jugés symptomatiques de la pratique;
  • à mesurer l'écart entre le déclaratif à l'issue de l'année et les pratiques observées ultérieurement dans la classe : évoluent-elles dans la réalité de la classe de la façon dont l'avaient déclaré les enseignants ? (...)

D) Deuxième étape : étude de l'évolution d'autres professionnels (deuxième année)

Le principe général de l'étude reste le même, en procédant d'une part par analyse du déclaratif, d'autre part par confrontation à une pratique professionnelle, avec autoconfrontation. (...)

S'agissant de faire de Saint Fargeau Ponthierry un laboratoire territorial, on propose de tenter de donner à la question posée un sens plus général que simplement celui d'une étude sur les enseignants. (...) À terme, des comparaisons entre les résultats obtenus dans chaque profession permettront de préciser si des valeurs de référence évoluent, et si ces évolutions sont communes aux différentes professions. À l'inverse, on pourra tenter d'établir si des valeurs apparaissent ou se modifient d'une façon spécifique pour certaines professions. (...)

III. Le cadre scientifique de la recherche : le GERPEF

On trouvera ?dans le rapport de recherche? des extraits du Projet scientifique 2010 du CEREP (dont fait partie le GERPEF) auxquels se réfère le travail de recherche proposé (...).

IV. Contexte dans lequel vient s'inscrire le projet de recherche : la ville de Saint-Fargeau-Ponthierry comme laboratoire territorial d'application des ateliers à visée philosophique

(...)

A) Contexte général du projet de la ville de Saint-Fargeau-Ponthierry

La municipalité de Saint-Fargeau-Ponthierry souhaite promouvoir et développer les pratiques philosophiques sur la commune (...). Il s'agirait que la ville puisse être le premier laboratoire territorial d'application d'ateliers à visée philosophique sur les différents publics et les différentes thématiques.(...)

Première phase : préparer le citoyen de demain.

Travail avec les enfants et adolescents de 2 à 14 ans, de la maison de la petite enfance au collège, incluant les écoles, les structures périscolaires, le centre de loisirs, le service jeunesse, la bibliothèque, le futur centre culturel.

Seconde phase : penser philosophiquement pour vivre.

Ouverture sur tous les publics afin que les 13000 habitants puissent être imprégnés de réflexions philosophiques. Il s'agirait ici d'investir le centre social et le centre municipal de santé, la maison de retraite médicalisée, le foyer de personnes âgées, le tissu associatif et les entreprises de la commune.

Dans ce cadre, un effort financier important est réalisé par la ville à travers le recrutement d'une chargée de mission. (...)

B) Une mise en oeuvre animée par une équipe de quatre experts, dans le cadre d'un partenariat avec l'association "Les enfants de la philo"

L'équipe est composée de quatre experts complémentaires de par leur parcours professionnel, spécialistes reconnus de la pédagogie des ateliers à visée philosophique avec les enfants et/ou adolescents :

  • Pascaline Dogliani, maîtresse-formatrice à l'IUFM de Créteil, conseillère pédagogique en arts visuels, animatrice d'ateliers à visée philosophique et co-conceptrice du Rallye-Défi-Philo, enseignante-référente dans le film Ce n'est qu'un début de Pierre Barougier et Jean Pierre Pozzi / Ciel de Paris Production, membre du comité d'experts pédagogiques (formatrice, animatrice d'ateliers à visée philosophique) auprès du Parc J-J. Rousseau à Ermenonville.
  • Isabelle Duflocq, ex Directrice Ecole d'Application et maîtresse-formatrice à l'IUFM de Créteil, co-conceptrice du Rallye-Défi-Philo, collaboratrice et intervenante dans le film Ce n'est qu'un début, membre du comité d'experts pédagogiques (formatrice, animatrice d'ateliers à visée philosophique) auprès du Parc J-J. Rousseau à Ermenonville, membre de l'Association Philolab chantier Philoécole.
  • Jean-Charles Pettier : ex instituteur spécialisé (option adolescents en grande difficulté scolaire), professeur certifié de Philosophie, docteur en Sciences de l'éducation et en Philosophie (les deux thèses concernant les pratiques philosophiques à l'école), conseiller philosophique et pédagogique des revues Pomme d'api, Astrapi, Philéas et Autobule (Belgique), (...), expert auprès du Parc J-J. Rousseau à Ermenonville, expert associé à l'UNESCO à la Réunion régionale de haut niveau sur l'enseignement de la philosophie en Europe et en Amérique du Nord, Milan, 14 et 15 février 2011, co-concepteur du Rallye-Défi-Philo.

    CodeDiplômesFormation initialeAnciennetéClasse d'exercice
    12345DEUG SVTEcole normale
    2 ans
    24 ansPS/MS
    L'horlogerDEUG anglais
    Licence Sc de l'éduc
    ?/métier9e année
    (8 ans ?)
    MS/GS
    1301Bac + 4 Droit privéIUFM 1 an15 ansCP
    1319Maîtrise des Sciences et et techniques en communication et animationÉcole normale
    (2 ans ?)
    24 ansCP
    AM 9DEUG PhiloÉcole normale
    2 ans
    24 ansCP
    61012Maîtrise Sciences du langageIUFM 2 ans9 ansCP
    8285Pas de réponseÉcole normale35 ansCP
    DSLicence Lettres modernesIUFM, 1 an après concours10 ansCE1/CE2
    Milky 137tirettiret16 ansCE1/CE2
    SB 77Maîtrise d'informatiqueIUFM (2 ans ?)5 ansCE2
    XXXÉducatrice spécialisée
    Nombre d'années après bac ???
    École normale 2 ans
    Déjà pratique du débat philo
    22 ansCE2
    FoggyDiplôme secrétariatEcole normale
    2 ou 3 ans ?
    29 ansCM1
    SIRBac + 2 LettresEcole normale (4 mois en 2) ans19 ansCM1
    ABCDELicence STAPSIUFM 2 ans4 ansCM1/CM2
    1701Maîtrise (sciences ?)IUFM 2 ans
    Déjà pratique d'atelier philo (modèle Lévine)
    13 ansCM2
  • Marie-Hélène Pruzina, maîtresse-formatrice, ex-coordinatrice du Centre Local de Ressources Lecture Ecriture des Circonscriptions de Dammarie-lès-Lys, Le Mée-sur-Seine et Melun Nord-et-Est, chef de projet chargée de développer la lecture et la littérature dans une centaine d'écoles des 3 villes, en partenariat avec les 3 municipalités, animatrice d'ateliers à visée philosophique, chargée de mission du projet philosophie sur la ville de Saint-Fargeau- Ponthierry (...).

Une convention lie la municipalité de Saint Fargeau Ponthierry et le GERPEF

(...).

V) Résultats

N.B : comme signalé en début d'article, après le descriptif des enseignants ayant participé au projet, on ne donnera ici que les éléments de la recherche portant sur le déclaratif de fin de première année.

A) Les enseignants

(...) Par souci de ne pas influencer les enseignants, on les a laissés entièrement libres d'énoncer leurs valeurs de référence (...). 13 enseignants de l'école primaire de la ville de Saint Fargeau-Ponthierry participent au projet de développement d'activités à visée philosophique dans les classes la première année, 2 nouveaux la seconde. (...)

Tableau n°1 : Profils des enseignants (ordonnés selon les classes successives)

TABLEAU

Globalement les enseignants ont fait des études (...) ; ont l'expérience (...) des élèves dans l'école élémentaire (...)

B/ Bilan initial : synthèse des questions apparues pendant l'étude initiale des questionnaires enseignants, à poser pour l'analyse des bilans de fin de première année de mise en oeuvre.

NB : Dans le rapport de recherche, ces questions apparaissent progressivement et sont tirées de l'analyse des résultats de début d'année. Ce sont ces questions qui vont structurer l'analyse des résultats de fin de première année (voir C/ ci-dessous. Elles concernent les différents points de la recherche, donc les valeurs des enseignants, leur description, la façon dont les enseignants revendiquent leur traduction dans les classes, et la façon dont cela se traduit dans leur rapport avec les élèves.

Par rapport aux valeurs revendiquées. Seront-elles :

  • Les mêmes par enseignant : certaines seront-elles abandonnées ? D'autres apparaîtront-elles ?
  • Certaines seront-elles plus souvent citées ? Par les mêmes enseignants ?
  • Celles de l'école républicaine ?
  • Celles de la philo pour enfants ?

Par rapport à leur description.

On a vu l'importance de la description de ces valeurs pour permettre de "corriger" certaines divergences apparentes. Les valeurs seront-elles décrites de la même façon ?

Par rapport à leur traduction pratique dans les classes.

  • Va-t-on voir se développer ou se réduire le nombre de modalités évoquées pour traduire les valeurs ?
  • Ces modalités seront-elles décrites avec plus ou moins de précision que dans l'état des lieux initial ?

Pour chaque valeur :

  • Va-t-on voir évoluer la nature des modalités pédagogiques proposées, ou bien resteront-elles identiques ?
  • Les valeurs évolueront-elles à l'identique ?
  • Va-t-on voir s'élargir ou se resserrer le nombre d'enseignants qui les emploient ?
  • L'hétérogénéité de la relation entre valeur et modalité va-t-elle rester identique ou bien évoluer ?
  • Les modalités seront-elles plus identifiées à certaines valeurs ?

Concernant le rapport entre valeurs et rapports aux élèves, et entre les élèves :

  • Le nombre de positions de principe évolue-t-il ?
  • La nature de ces positions de principe change-t-elle ?
  • Les réponses apportées comporteront-elles encore deux niveaux d'énonciation, ou bien un seul niveau sera-t-il désormais privilégié ?
  • Davantage d'exemples concrets seront-ils énoncés ? Une éventuelle évolution est-elle due à la pratique d'ateliers à visée philosophique ?

C/ Résultats obtenus en fin de première année : réponses aux questions et analyses (extraits) (...)

1/ Éléments d'évolution par rapport à ce qui était prévu dans la troisième étape

La portée du travail (et des analyses prévues) est réduite par rapport au projet initial (...)

- Quatre enseignants sur les quinze initiaux n'ont pas rendu leurs questionnaires de fin de première année (12345, DS, ABCDE, 1701). Cela amoindrit d'autant la portée des analyses qui seront faites dans cette étape, notamment au second moment, pour comparer entre début et fin d'année.

- Trois enseignants ont accepté d'être filmés et d'avoir un entretien : la base de ces échanges est donc le volontariat, et non pas un choix d'enseignants en fonction de caractéristiques particulières (cycles ou autres).

- Si d'autres lieux municipaux ont été investis par des activités philosophiques, elles n'ont pas été prises en charge par les professionnels concernés (donc pas d'évolution mesurable d'éventuelles évolutions de la professionnalisation, pas de recoupement possible entre les métiers concernés).

- Les intervenants prévus au départ n'ont pas tous pu poursuivre ce projet (...).

2/ Résultats chiffrés et commentaires

(...) Les valeurs revendiquées en fin de première année (...).

Analyse des résultats

Des valeurs qui évoluent en cours d'année : aucun enseignant ne garde strictement l'ensemble d'un même "jeu" de valeurs, ce qui viendrait confirmer, comme il était envisagé comme base du travail, que les enseignants concernés évoluent au cours de l'année, tout au moins dans leur déclaration.

Quelle évolution quantitativement ?

Cinq enseignants connaissent une évolution "faible" correspondant à une seule valeur sur trois : 1301, AM9, SB77, XXX, Sir.

Trois enseignants connaissent une évolution plus forte correspondant à deux valeurs sur trois : 1319, 61012, Micky 137.

L'évolution n'est cependant totale que pour un enseignant : Foggy.

Quelle évolution qualitative ? Y a-t-il des points saillants, remarquables, concernant l'énoncé des valeurs ?

Peut-on, à partir de l'observation des pertes, des gains, des maintiens, identifier un resserrement des valeurs ? Selon quelle logique si c'est le cas : une logique "républicaine" qui serait celle attendue à l'école dans le cadre d'une professionnalisation renforcée ? Celles de la philosophie pour enfants ?

Quelles valeurs "républicaines" ? On identifiera ici comme valeurs républicaines celles qui sont identifiées comme telles par la République française telle qu'elle souhaite les faire apparaître à l'école, soit en les identifiant, soit en identifiant la façon dont elles se traduisent à l'école. On prendra ici comme référence la loi (Eduscol, 2014 : voir annexe 1 l'identification de ces termes (...) : liberté, égalité, fraternité ; laïcité ; refus de toutes les discriminations, vivre en société, citoyens responsables, conscients des principes et des règles, dialogue, nécessité du savoir, dépasser les préjugés, autonomie.

À la lecture des résultats, il ne semble pas possible de poser qu'une évolution vers ces valeurs "républicaines" s'opérerait de façon significative en cours d'année. Certes, des valeurs considérées comme "républicaines" ou proches du point de vue de la formulation apparaissent en fin d'année pour certains enseignants : égalité (l'horloger et Foggy) , fraternité (l'horloger), justice (1301), devenir citoyen (1319), responsable (1319), former le citoyen (8285), initier à se poser des questions (8285). Mais en contrepartie, d'autres, tout autant républicaines, ont disparu : responsabilité (Sir), justice (Foggy), coopération (Foggy), entraide (XXX), tolérance (SB77), critique positive (Milky 137), justice sociale/égalité (1319), autonomie de penser (1301), autonomie (l'horloger). Le nombre d'enseignants concernés est trop faible pour qu'une quelconque mesure permette d'identifier un accroissement ou une diminution significatifs.

Par ailleurs, même si le respect (à l'intersection entre valeurs républicaines et démocratiques), est une valeur qui majoritairement se maintient, les valeurs maintenues ne sont en général pas spécifiquement marquées, en majorité, par cette référence à la République.

Ces évolutions correspondent-elles plutôt aux valeurs et références de la philosophie pour enfants ?

Quelles valeurs ? Le constat de la diversité des pratiques (donc potentiellement, de la diversité de leurs valeurs de référence) peut sembler rendre difficile l'analyse. Mais, sachant que les mouvements les plus significatifs de philosophie pour enfants, chacun avec ses spécificités, participent aux rencontres internationales soutenues par l'UNESCO (en acceptent donc les fondements et valeurs), et/ou sont en contact étroit avec cette organisation internationale, il a semblé cohérent de fonder l'analyse sur les valeurs revendiquées par l'UNESCO concernant les pratiques de philosophie pour enfants. Ces valeurs sont exprimées dans le dernier rapport de l'UNESCO concernant la philosophie dans le monde : La philosophie : une école de la liberté (UNESCO, 2007).

Sous la plume de M. Tozzi, on trouve indiqué dans la partie "recommandations" du rapport les six valeurs et enjeux suivants :

  1. Penser par soi-même ;
  2. Éduquer à une citoyenneté réflexive ;
  3. Aider au développement de l'enfant ;
  4. Faciliter la maîtrise de la langue, de l'oral, du genre de l'oral qu'est le débat ;
  5. Conceptualiser le philosopher ;
  6. Construire une didactique.

Quels sont les constats ?

- Penser par soi-même : seuls deux enseignants mentionnent spontanément des éléments qui s'y rapportent mais dans un cas (1301), l'élément mentionné en début d'année, l'"autonomie de penser", n'est plus indiqué ensuite. Quand par ailleurs, on voit 8285 mentionner en fin d'année "initier les enfants à se poser des questions".

- Éduquer à une citoyenneté réflexive : davantage mentionnée (par cinq enseignants), les évolutions se constatent. Soit par la disparition en cours d'année pour trois enseignants (Horloger, 1301 et Milky 137) : avec la perte de "apprendre en réfléchissant", autonomie de penser", "critique positive". Mais l'apparition chez deux enseignants (1319 et 8285) de "devenir citoyen" et "contribuer à la formation de citoyen". On notera que le mot "citoyen n'apparaissait jamais en début d'année (les références à la citoyenneté étant indirectes), mais qu'il apparaît explicitement pour deux enseignants.

- Aider au développement de l'enfant : on notera qu'il est d'autant plus difficile d'observer des évolutions que, dans le cas de cette valeur, deux enseignants qui n'ont pas répondu en fin d'année indiquaient au départ des valeurs touchant le développement de l'enfant : 12345, avec l'idée d'"apporter à chacun selon ses besoins", et DS, avec l'idée de "faire progresser chaque élève". Quatre éléments touchant cet enjeu, présents en début d'année chez quatre enseignants, sont remplacés par d'autres : c'est le cas de l'"estime de soi" indiquée initialement par SB77, d'"apprendre à son rythme", indiquée initialement par l'horloger, de la "valorisation des réussites de chacun" par 1319 et du "souci de la réussite de chacun" par AM9. Une valeur subsiste, la "confiance", mentionnée en début et fin d'année par XXX.

- Faciliter la maîtrise de l'oral, du débat : seul Milky 137 y fait explicitement référence ("favoriser l'oral") dès le début de l'année et prolonge en fin d'année.

- Conceptualiser le philosopher et construire une didactique ne sont pas mentionnés. Ce qui n'est pas surprenant en soi : il s'agit là en effet d'enjeux "philocentrés", sans doute moins présents à l'esprit d'enseignants généralistes de l'école primaire.

Globalement, il n'apparaît donc pas, durant l'année, une modification significative (à cette faible échelle de résultat) vers la revendication de valeurs exprimées par la philosophie pour enfants. Quantitativement, même, le solde apparaît négatif, puisque huit mentions de valeurs touchant à la philosophie pour enfants disparaissent, quand seulement trois apparaissent.

Globalement, l'évolution des valeurs revendiquées par les enseignants est manifeste, sans que l'on puisse, à ce moment de l'analyse, identifier un mouvement qui se centrerait sur des valeurs clairement identifiables comme références républicaines du métier d'enseignant dans l'école primaire française et/ou par rapport aux valeurs directement véhiculées par la philosophie pour enfants.

La faible quantité d'enseignants interrogés ne permet pas d'en tirer des conclusions, mais juste de s'interroger.

Faut-il voir là l'absence réelle d'évolutions, ou bien soit :

  • un délai trop court pour que des évolutions se produisent et surtout soient perçues par les acteurs en termes de valeurs républicaines ou directement issues de la philosophie pour enfants ? Faudrait-il alors imaginer de reprendre ce questionnaire après quelques années ?
  • des conditions de passation qui ne permettraient pas de les mettre en évidence ? Un questionnaire ouvert, sans indication, suppose que l'évolution soit si importante qu'elle s'exprime clairement. Faudrait-il alors, compte tenu de ces résultats, envisager des méthodes d'identification (par questionnaire ?) plus fermées et guidantes, favorisant la détermination de lignes fortes d'évolution par des possibilités de choix préidentifiés ?

On a jusque là tenté d'identifier l'évolution des valeurs. Une autre entrée va nous permettre cependant de réinterroger les résultats obtenus : en cherchant d'abord à voir s'il se dégage des cohérences internes dans les valeurs de fin d'année, puis en les comparant au début d'année.

Quelles sont en fin d'année les valeurs les plus revendiquées ?

Classement des valeurs des enseignants en fin de première année, par nombre décroissant de mentions :

  • Respect : 5 fois (1301, AM9, 61012, SB77, Sir)
  • Égalité : 3 fois (horloger, AM9, Foggy)
  • Valoriser : 3 fois (1319, 61012 (de soi), Milky 137 (l'erreur)
  • Écoute : 3 fois (AM9, 61012, SB77 (de l'autre)
  • Citoyenneté responsable : 2 fois (1319, 8285 (avec socialiser) (...)

Nonobstant ce qui était dit précédemment, on constate que les valeurs les plus évoquées (trois fois ou plus) expriment une relation centrée sur l'élève. Un élève que l'on respecte (cinq fois) dans une classe où il est traité comme les autres (égalité : trois fois), un élève que l'on valorise (trois fois) et que l'on écoute (trois fois). Cela a -t-il évolué ? (...)

La comparaison entre début et fin d'année montre que c'est l'attitude de l'enseignant par rapport à l'élève qui est nouvelle : plus que simplement respecté (une position "de principe" que l'on retrouve entre début et fin d'année), l'élève semble à présent écouté, valorisé.

On aurait la tentation d'une interprétation un peu "forte" de résultats observés. On a l'impression qu'en fin d'année, en croisant les valeurs, ce qui était des positions "de principe" en début d'année se traduirait davantage comme des modes d'actions, des attitudes de l'enseignant. Il cherchait à favoriser l'estime de soi en début d'année, à présent, il écoute, il valorise l'élève. Ce serait l'action pédagogique qui serait d'abord modifiée, plus que la relation aux valeurs de l'école républicaine, ou celles directement issues de la philosophie pour enfants. On pourra quand même remarquer que les valeurs de fin d'année semblent faire référence à un statut d'"interlocuteur valable" (J. Lévine), un statut souvent revendiqué dans les pratiques à visée philosophique, dont on pensait voir la trace en début d'année, mais qui ici trouverait un début de concrétisation (qu'il s'agirait alors de vérifier dans une étude de plus d'ampleur) avec ce que l'on identifiait au départ comme des valeurs clés de la PPE.

(...)

La description des valeurs par les enseignants en fin d'année (...)

Analyse

La description des valeurs

  • Le respect : c'est une valeur qui ne va pas de soi et qu'il faut donc imposer (AM9). Respecter, c'est écouter (1301 et 61012), une écoute qui concerne tous les acteurs de la vie de classe : aussi bien les enfants entre eux que dans le cadre de la relation enfant/adulte (1301). Le respect concerne les opinions d'autrui, pour élargir ses propres opinions (SB77), car chacun doit pouvoir parler sans peur des moqueries (Sir).
  • L'égalité : c'est une égalité de traitement, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous (Foggy). Chacun doit pouvoir travailler selon ses possibilités (AM9 et l'horloger), son propre rythme (AM9). On essaye de faire réussir chacun, de donner l'égalité des chances en adaptant son enseignement (L'horloger).
  • Valoriser : c'est d'abord avoir des droits ; droit de dire ce que l'on pense, droit d'être écouté et reconnu, droit de ne rien dire (1319). C'est avoir confiance en soi et en ses capacités face aux apprentissages (61012). C'est donner aussi une place spécifique à l'erreur : faire comprendre aux élèves qu'il n'y a pas d'apprentissage possible sans erreur ; que l'erreur, après analyse, est un processus d'apprentissage (Milky 137).
  • Écouter : si l'écoute est parfois assimilée à l'écoute entre pairs (SB77), s'écouter les uns les autres (61012), c'est aussi une écoute partagée (de la part des élèves et de l'enseignant) (AM9). Il s'agit de savoir débattre (61012 et SB77), argumenter, expliquer ses opinions (SB77), échanger des idées (61012).
  • Citoyenneté responsable : elle passe par la socialisation, Il faut travailler sur les valeurs fondamentales de la vie en société, apprendre à écouter les autres, partager, respecter (8285). On donne à chacun la possibilité de faire émerger sa pensée, ses savoirs, par une réflexion et un questionnement (1319).

Commentaire

Une évolution de la compréhension des valeurs ?

Le respect : la valeur principalement identifiée en début comme en fin d'année est le respect. Que constate-t-on ? Respecter, c'était essentiellement avoir quatre attitudes :

  • entretenir un certain rapport à soi : se sentir bien en classe, se respecter soi-même, s'identifier comme quelqu'un avec des différences physiques et de culture ; pouvoir s'exprimer ;
  • respecter les autres, soit par action, en les écoutant, respectant une position différente de la mienne ; soit par "omission", en ne se moquant pas, pour vivre ensemble, avec des différences, en échangeant et dialoguant, entre enfants, mais aussi dans le rapport adultes/ enfants ;
  • respecter "la" personne en général ;
  • respecter les biens de la communauté, et ceux des autres, en prenant soin du matériel, des locaux".

On avait là, pour beaucoup, des positions de principe s'appliquant à une grande diversité de circonstances. Le respect est essentiellement vu à présent comme un rapport entre les personnes, ce qu'elles disent, car on va les écouter. Le respect, par ailleurs, est non seulement posé comme une valeur en soi, mais comme ce qui exprime la réflexion vers une citoyenneté responsable (pour 8285).

L'égalité : elle était essentiellement un mode de description de l'équité en début d'année, que l'on décrivait de la façon suivante : "Positivement, elle passe par la prise en compte des compétences de chacun quand, négativement, c'est plutôt l'idée que les élèves ne devraient pas ressentir l'injustice qui est soulignée. L'équité passe par l'égalité devant les règles, les mêmes éléments matériels, et le fait de donner à chacun ce dont il a besoin pour progresser". Elle est donc à présent vue en soi, essentiellement comme une égalité de traitement, à base de droits et de devoirs identiques et ne semble donc pas, de ce point de vue là, avoir évolué.

Un point crucial, qui se confirme : la place singulière de l'écoute. À la lecture de cette compilation, un élément est frappant : confirmant ce qui était identifié par la comparaison des valeurs entre début et fin d'année, la description des valeurs montre que l'écoute qui, en début d'année, n'était une valeur que pour un enseignant, est davantage valorisée. Elle ne se présentait comme un mode de description, en début d'année, que pour deux enseignants (SB77 et XXX). Comme on l'a signalé dès le début de cette troisième partie, il faut rappeler qu'en tout, davantage d'enseignants avaient répondu, lors de ce moment initial, au questionnaire, qu'en cette fin d'année. L'écoute est davantage présente : écoute entre enfants, mais également écoute de l'enseignant et par l'enseignant. Une écoute qui, en dehors d'elle-même, illustre désormais le respect, la citoyenneté responsable, la valorisation.

Le développement de l'écoute (par rapport au nombre d'enseignants concernés), son lien au respect et à la citoyenneté (dans une moindre mesure) au bout d'un an de pratique, n'est qu'une tendance sur laquelle il conviendrait de porter une étude de plus d'ampleur. Telle que, elle ne nous paraît pas négligeable, et peut se révéler comme le résultat le plus marquant de l'enquête. Si cette tendance se vérifiait à une échelle plus large, ce serait en effet le signe d'une évolution majeure du modèle pédagogique, vers un modèle prenant en compte de façon forte l'élève, le plaçant de fait comme un "interlocuteur valable" : car est valable celui qu'on écoute. Ce n'est sans doute pas suffisant encore, car l'interlocuteur n'est valable que dans la mesure où ce qu'il dit est examiné, questionné, soumis à critique par les pairs, etc. Il ne s'agirait pas d'aller vers une écoute béate de ce qu'il dit, considérant que c'est forcément intellectuellement respectable. Mais un pas essentiel vers l'interlocution est cependant franchi quand il est écouté... (...)

La traduction pratique de ces valeurs dans les classes (...)

Va -t-on voir se développer ou se réduire le nombre de modalités évoquées pour traduire les valeurs ?

Il y a en moyenne plus de modalités évoquées pour traduire les valeurs (de 4,1 en début d'année à 6,8 en fin d'année). Ce nombre accru se comprend par le mode de comptage des modalités : on a en effet choisi de considérer comme modalités différentes ce qui, parfois, relevait d'une même explication. (...)

- Ces modalités seront-elles décrites avec plus ou moins de précisions que dans cet état des lieux initial ? La façon de compter les modalités (...) permet d'identifier qu'en cours d'année, les explications fournies s'amplifient, soit pour énumérer en moyenne plus de modalités distinctes, soit pour décrire avec plus de précision telle ou telle modalité (...). Les explications restent cependant plutôt brèves et succinctes, sans qu'on puisse identifier s'il y a eu un manque de temps pour répondre, ou un manque de place sur la feuille du questionnaire (une explication possible, au moins dans certains cas, puisqu'il apparaît en regardant les questionnaires que, pour cinq collègues, les espaces de réponse sont parfois complètement "remplis").

- Va-t-on voir évoluer la nature des modalités pédagogiques proposées, ou bien resteront-elles identiques ? Les valeurs évolueront-elles à l'identique ?

Les modalités pédagogiques proposées évoluent d'une façon qui ne nous semble pas anodine,. Le mot "écoute", le plus employé comme modalité, est utilisé, en tout, à six reprises (...), ce qui n'est pas beaucoup dans l'absolu, mais vient compléter les remarques faites précédemment dans l'étude, d'autant que, sur ces six fois, il est employé à quatre reprises pour décrire autre chose que la valeur "écoute" en soi.

On remarquera par ailleurs que, proportionnellement, beaucoup d'occurrences (...) semblent liées à un travail collectif d'échange, de débat (parfois d'ailleurs identifié comme tel, voir comme "débat philosophique", dans la classe, et qu'on les trouve présentes concernant les traductions pratiques de quatre des cinq valeurs mentionnées (rien concernant l'égalité). (...)

21 types d'occurrences sont ici employés pour désigner des modalités qui peuvent sembler dans la logique ou proches de celles voulues par les échanges à visée philosophique ; 23 en semblant plus éloignées. Soit un pourcentage de 47,7%. En début d'année, en faisant le même type de comptabilité, 17 occurrences sur 53 se rapprochaient des modalités proches du débat, soit 32,1%. On a donc un resserrement proportionnel non négligeable, puisqu'on passerait d'un nombre légèrement inférieur au tiers des occurrences à un nombre proche de la moitié des occurrences.

- Va-t-on voir s'élargir ou se resserrer le nombre d'enseignants qui les emploient ?

Compte tenu de l'évolution du nombre d'enseignants pris en compte pour l'étude, on peut donc penser qu'une évolution se produit d'une part pour, proportionnellement, réduire la variété des modalités évoquées, en se centrant davantage d'une part sur l'écoute, d'autre part sur des modalités apparemment plus cohérentes avec la perspective de l'échange et du débat dans la classe, sans pourtant qu'il en ait été directement question.

- L'hétérogénéité de la relation entre valeur et modalité va-t-elle rester identique ou bien évoluer ?

Aucune modalité n'est désormais citée à propos de plus de deux valeurs. Trois modalités sont employées pour rendre compte de deux valeurs.

  • l'écoute pour rendre compte du respect (pour 3 enseignants) et de l 'écoute (pour trois enseignants) ;
  • la confrontation des points de vue pour l'écoute et la citoyenneté responsable ;
  • l'atelier philosophique pour l'écoute et la citoyenneté responsable.

- Les modalités seront-elles davantage identifiées à certaines valeurs ?

La référence à l'écoute comme modalité se centre sur les valeurs de respect et l'écoute. C'est la modalité qui "groupe" des enseignants différents (trois pour chaque valeur). Seule l'idée de prendre en compte des opinions différentes est par ailleurs proposée à deux reprises pour illustrer le respect. (...)

Valeurs et rapports aux élèves (...)

Le nombre et la nature des positions de principe évoluent-ils ?

Le point qui semble digne d'intérêt ici n'est pas à proprement parler ni le nombre, ni juste la nature des positions de principe mais bien plutôt qu'elles se centrent souvent, proportionnellement plus qu'en début d'année, sur la question de la place de l'élève dans la classe et la prise en compte de son rapport à lui même : le respect de l'élève (61012), le souci de valoriser (61012), de lui faire confiance (1319) et le mettre en confiance (61012), lui permettre de sentir que l'on ne va pas se moquer de lui (Sir), qu'il n'ait pas d'appréhension à aller au tableau (SB77), ne pas le mettre en échec (AM9), se mettre en retrait (1319).

- Les réponses apportées comportent-elles encore deux niveaux d'énonciation ?

On retrouve dans les réponses apportées les deux niveaux identifiés en début d'année.. Il ne semble pas qu'il y ait du point de vue des modalités d'énonciation une différence notable entre cette fin d'année et le début : on trouve des principes généraux, et des éléments plus directement pratiques.

Il n'y a pas non plus une hausse importante, remarquable, des exemples concrets identifiés. Mais on sera frappé, une nouvelle fois, par le nombre de fois proportionnellement élevé où le rapport à l'écoute (ou assimilé) est identifié : une fois sur deux (7 sur 14). En début d'année, seul SB77 employait le mot "écoute", puis évoquait la question de la participation à l'oral, Soit donc 2 fois sur 25 possibles, ou une fois sur 12,5.

La prise en compte de l'écoute est donc six fois plus courante qu'en début d'année, un facteur qu'il n'est pas anodin de voir se confirmer, puisqu'il s'agissait ici d'identifier d'éventuelles évolutions du rapport de l'enseignant à l'élève.

- L'évolution constatée est-elle due à la pratique d'ateliers à visée philosophique ?

Il y a bien une évolution : il est bien sûr difficile d'affirmer que cette évolution ne résulterait que de la pratique d'ateliers à visée philosophique. D'autres facteurs ont pu changer dans les classes en cours d'année, facteurs qui n'apparaîtraient pas ici... parce qu'aucun questionnement ne tente de les identifier.

On pourrait par exemple penser que l'évolution de l'écoute et la mise en place d'ateliers à visée philosophique résultent tous deux d'un même facteur, qu'ils sont concomitants sans être conséquents.

On pourrait aussi inverser, penser que le développement des activités à visée philosophique résulte d'une écoute plus active des élèves permettant d'identifier qu'ils se posent des questions philosophiques qu'il faudrait examiner en classe. Pourtant, on remarquera que le développement de ces activités n'est pas vraiment, au départ, un souhait spontané des enseignants, mais plutôt la réponse à l'incitation externe par la municipalité. D'autre part, en début d'année, l'écoute n'apparaît pas. Elle ne préexiste donc pas au développement des activités philosophiques. On a pu constater que le développement de l'écoute s'accompagne de références qui sont apparues à la place de l'élève dans la classe, au rapport qu'il pourrait entretenir à lui-même...

Ces éléments sont intéressants : sont-ils confirmés par l'analyse des commentaires d'enseignants, en fin de première année, concernant une séance"habituelle" ?

L'analyse d'une séance "habituelle" par quelques enseignants en fin de deuxième année

Pour confirmer ou infirmer ces résultats, identifier dans quelle mesure ils se traduisent dans les faits, il s'est agi de demander à trois des enseignants concernés d'accepter de commenter les moments significatifs pour eux d'une séance "habituelle" filmée dans leur classe. Les enseignants étaient volontaires : Foggy, DS, 12345. Le repérage s'est fait au domicile de chacun, avec des notations sur support papier des idées principales. Un support était proposé, que chacun pouvait utiliser ou pas.

L'entretien étant conduit quelques jours après la captation.

On tentera de voir si le mot écoute et des expressions équivalentes concernant les différents acteurs, sont d'une part soulignés dans la trame écrite prévue par chaque enseignant, puis employés durant l'entretien. (...)

En fin de deuxième année, l'écoute est donc encore, évoquée lorsqu'il s'agit de choisir, puis commenter les moments clés d'une séance considérée comme banale, habituelle. Une écoute des élèves entre eux, mais également de l'enseignant envers les élèves. Écoute qui est d'abord un temps durant lequel il apprend à différer les réponses qu'il aurait précédemment données immédiatement, comme s'il laissait venir la parole des élèves. Écoute qui leur permet de parler "librement", parce qu'ils ont confiance : il n'y aura pas de jugement, il n'y a pas de risque... Ce qu'entend l'enseignant, par cette écoute, ne lui est pas indifférent pourtant : c'est une forme d'écoute "active" qui est décrite, active au moins en ce que ce qu'il entend le touche, est pris en compte, le fait réagir parfois différemment de ce qu'il réagissait auparavant.

Ce gain, cette capacité de différer, n'est pourtant pas encore complètement assimilé, automatiquement appliqué. L'enseignant parfois continue de répondre rapidement, de ne pas laisser le temps de réfléchir. Pourtant, il n'est plus dans la même situation qu'auparavant, d'après ce qu'il décrit. D'une part parce que ne pas attendre est à présent perçu comme un défaut, un manque : il y a donc un affinement de la conscience de l'action par le professeur, une plus grande mise à distance. D'autre part parce qu'une réaction immédiate sous forme d'une réponse donnée lui arrive plus rarement qu'avant, où cette réaction de réponse rapide était plus systématique. Son action est donc organisée différemment, sans qu'on soit encore réellement à un niveau d'expertise où la réaction serait complètement intégrée et toujours mobilisable. Enfin parce que cette réaction est jugée désormais trop rapide, et regrettée. C'est donc ici la professionnalisation en tant qu'elle se réfère à des systèmes de valeurs qui semble avoir évolué... Cette évolution de la professionnalisation n'apparaît pas comme un basculement vers un modèle "philosophique" d'enseignement, mais comme une maîtrise accrue d'une pédagogie qui s'"horizontalise", au sens où la parole "verticale" de l'enseignant, descendant vers l'élève, est à présent une parole suspendue pendant un temps au moins, où nul ne va s'affirmer supérieur à l'autre. Cette horizontalisation voulue par la situation du débat à visée philosophique, s'exprime désormais davantage dans la classe, en dehors de la situation de débat où elle serait immédiatement identifiée comme condition du philosopher.

Pourtant, ce lien entre l'attitude de l'enseignant et le développement des activités à visée philosophique sera exprimé par certains enseignants, sans qu'ils y voient une relation de cause à effet, comme si la pratique des activités à visée philosophique avait dans ce cas favorisé cette évolution. Ici, les enseignants, dans leurs propos, vont décrire ce qu'ils présenteront comme des concomitances, plus que comme une relation de cause à effet, entre une pratique nouvelle et de nouvelles formes d'enseignement. On ne pourra que remarquer que cette concomitance est celle d'une forme d'écoute qui n'était que peu évoquée comme référence avant la pratique des ateliers à visée philosophique dans les classes.

VI) Brève conclusion générale sous forme d'hypothèses

La pratique des activités à visée philosophique dans les classes de l'école primaire, si elle peut sembler répondre aux attendus d'une école républicaine et démocratique, ne semble pas d'après l'étude modifier en un an la professionnalisation des enseignants vers une articulation plus conséquente des pratiques enseignantes à des valeurs de la République, de la démocratie, ou de la philosophie pour enfants.

Pourtant, l'étude (dans les limites de sa pertinence) indique qu'une évolution réelle a bien lieu dans les représentations des enseignants et dans les classes. Une évolution qui est loin d'être anodine puisqu'elle nous semble concerner le modèle pédagogique. Le modèle exprimé désormais, que l'on cherche à mettre en oeuvre dans les classes (dont il constituerait une des expressions d'un idéal de référence), est un modèle ou l'écoute est centrale, tant comme valeur de référence que dans les modalités cherchées dans le travail de classe, ou comme une clé même de la mise en oeuvre réelle.

Dans ce "nouveau" modèle, c'est parfois même le maître qui écoute l'élève, non pas pour le plaisir d'écouter, mais parce qu'il y a là une clé nécessaire de la pratique pédagogique. Une clé qui prend en compte ce que l'on peut lire comme un statut d'"interlocuteur valable" reconnu à l'élève. On pourrait faire l'hypothèse ici que l'idée sous jacente est que l'écoute serait pour une part non négligeable l'essence même de la pratique pédagogique, tant elle est mentionnée souvent au bout d'un an, puis dans la pratique de fin de deuxième année. Pourtant, au-delà d'un modèle de l'horizontalité des rapports maître/élèves dans la classe, c'est presque parfois un modèle d'une nouvelle verticalité qui est ici exprimée, de l'élève vers le maître, de l'élève qui parle et s'exprime au maître qui écoute.

Ce parfois traduit l'idée que rien ne nous montre, dans ce qui est exprimé, que ce modèle vertical de l'élève vers le maître, un modèle d'écoute, serait le seul présent dans la classe et résumerait le rapport de classe. C'est peut-être, nouvelle hypothèse, davantage une nouvelle combinaison qui prend forme entre, comme dans le modèle classique d'enseignement, d'une part des moments de verticalité maître/élèves, d'autre part des moments d'horizontalité élèves/élèves ou maître /élèves, enfin des moments de verticalité élèves/maître.

Annexe 1 - Les valeurs de le République (site Eduscol, le 6 janvier 2014)

L'École transmet les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité ; laïcité ; refus de toutes les discriminations. Les élèves étudient les grands textes qui les fondent.

Le socle commun de connaissances et de compétences intègre cette mission fondamentale : il s'agit de préparer les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables, conscients des principes et des règles qui fondent notre démocratie.

Il appartient à l'ensemble des adultes qui interviennent auprès des élèves dans l'exercice de leurs fonctions de faire partager ces valeurs.

"Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre [...] d'exercer sa citoyenneté" (Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École du 23 avril 2005 - art.2).

Valeurs républicaines et enseignements

Les valeurs de la République sous-tendent l'ensemble des disciplines, chacune leur donnant sens dans le champ du savoir qui est le sien. L'éducation civique, de l'école primaire au lycée, permet la pratique du dialogue, montre la nécessité du savoir pour dépasser les préjugés, développe l'autonomie.

Annexe II Recherche - Pratiquer les activités à visée philosophique : vers une professionnalisation différente ?

Protocole de l'entretien d'autoconfrontation

Filmer une séance

Avant le tournage

1/ On demande à l'enseignant retenu d'accepter d'être filmé dans une séance qu'il considère a priori comme, à tous points de vue, "banale".

2/ on lui signale qu'à l'issue de ce tournage, quelques jours après, il aura un entretien pour commenter trois ou quatre points clés de cette séance qu'il choisira entre temps en les repérant dans le film (pas d'autres précisions au départ).

Durant le tournage

La caméra doit essayer de prendre l'ensemble de la classe, inutile qu'elle suive l'enseignant en principe (sinon, par exemple si problème de son, se focaliser sur l'action de l'enseignant).

Immédiatement après le tournage

Consigne donnée à l'enseignant : d'ici notre entretien, vous allez regarder ce film pour choisir trois ou quatre moments clés de cette séance, qui expriment (ou a contrario qui ne rendent pas compte !) d'une façon ou d'une autre, même brève, vos valeurs de référence professionnelles"

Entretien

Il doit être enregistré, avec comme support le film dont on n'observera que les moments clés retenus par l'enseignant.

On rappelle à l'enseignant :

  • le déroulement prévu : il indique les moments retenus, il va les commenter librement ; puis, éventuellement, des questions lui seront posées ;
  • on lui rappelle la consigne qui lui était donnée pour le choix : "vous allez regarder ce film pour choisir trois ou quatre moments clés de cette séance, qui expriment (ou a contrario qui ne rendent pas compte !) d'une façon ou d'une autre, même brève, vos valeurs de référence professionnelles" ;
  • il ne s'agit pas de le juger, mais juste de mieux comprendre les ressorts de son action, ses valeurs de référence professionnelles et leurs éventuelles évolutions.

Pour chaque moment retenu :

  • l'enseignant le commente d'abord librement ;
  • l'interlocuteur peut intervenir ensuite :
  • pour d'éventuelles demandes de précisions, par exemple par rapport au sens donné à certains mots, pour lui permettre d'être le plus précis possible ;
  • pour lui faire formuler la ou les valeurs de référence si cela n'a pas été fait spontanément ;
  • pour lui faire exprimer le sens qu'il donne à cette valeur dans ce moment de la séance ;
  • pour lui faire exprimer, préciser, le rapport exacte entre cette ou ces valeurs et le moment décrit ("en quoi ce que tu dis te semble bien s'illustrer dans ce moment que tu as choisi) ;
  • si cette valeur, ou le sens donné à cette valeur (dans sa définition comme dans sa mise en oeuvre à ce moment en particulier) lui semble avoir évolué depuis qu'il a commencé les pratiques à visée philosophique : avait-il déjà cette valeur forte avant ? ; lui donnait-il le même sens lorsqu'il se la représentait ? L'exprimait-il de la même façon dans la pratique de classe ?

À la fin de l'entretien, demander le papier support du choix (pour bien identifier les moments sélectionnés). Rappeler :

  • que le film initial ne sera pas diffusé, ne sera pas communiqué à d'autres chercheurs sans accord explicite de l'enseignant, puis lui sera rendu ;
  • que les analyses seront anonymes ;
  • que les résultats de la recherche seront communiqués à chaque participant.