Le coaching s'adresse-t-il à des adultes ? Réflexions philosophiques sur un présupposé

Résumé

Le coaching se présente le plus souvent comme l'accompagnement d'un adulte, capable de progresser de façon autonome, en raisonnant par lui-même et en devenant responsable de son propre devenir. Mais tout coaché est-il nécessairement adulte, ou bien a-t-il encore besoin d'une relation d'aide, comme un adolescent ? Et inversement, l'adolescent n'est-il pas un adulte en puissance ? Si ces questions ne sont pas tranchées, le coaching risque de se tromper de cible et de méthode. L'épistémologie du coaching doit donc s'interroger sur le mode d'accompagnement qui convient le mieux au coaché, en fonction de sa maturation réelle et non supposée : ce qui pose le problème des fondements théoriques et du cadre servant de référentiel aux pratiques d'accompagnement.

Le coaching est aujourd'hui reconnu comme une pratique d'accompagnement des adultes, en vue de résoudre des problèmes professionnels ou personnels. "Coaching" s'est imposé comme vocable pour désigner un accompagnement spécifiquement orienté vers un développement de solutions au moyen de l'autonomie et des ressources personnelles de la personne accompagnée.

Autrement dit, l'anthropologie du coaching suppose couramment que la personne faisant face à un problème est déjà suffisamment formée pour trouver en elle-même les solutions qui lui sont propres, et le coach est là simplement pour créer les conditions d'une prise de conscience conduisant à une amélioration.

Mais sur quoi repose ce présupposé, qui sert souvent de point de départ à un raisonnement hypothético-déductif dans les théories "fondatrices" du coaching ? Le coaché est-il vraiment un adulte, et qu'est-ce que cela veut dire ? L'adolescent qu'il était a-t-il complètement disparu en lui, et l'adulte qu'il est n'était-il pas déjà en germe dans l'adolescence ? Ces questions mettent en jeu le degré d'autonomie réelle des coachés considérés comme "adultes", et donc la pertinence d'une posture de "coaching" de préférence à celle de "conseil", de "mentorat", voire de "thérapie".

1. Je propose d'interroger philosophiquement la notion d'adulte, et la réalité d'une autonomie psychologique et cognitive du coaché "adulte".

2. Suivant le résultat de ces réflexions, je poursuivrai par la question épistémologique du "fondement théorique" du coaching.

3. Enfin, je proposerai une comparaison des pratiques d'accompagnement des adolescents et du coaching d'adultes, en cherchant à formuler des hypothèses, à la fois théoriques et pratiques, sur la "posture" que l'accompagnant doit adopter en fonction de la situation, de la personne et de l'objectif visé.

Qu'est-ce qu'un adulte ?

La question n'est pas anodine, à une époque où se développent simultanément la pratique du coaching et la durée des études, dans un contexte de mutation culturelle accélérée et mondialisée. L'adulte d'hier n'est peut-être pas celui d'aujourd'hui, ni celui de demain.

Au sens étymologique, l'adulte est celui qui, ayant accompli un cursus (une "course" suivant différents chemins, c'est-à-dire littéralement suivant différentes "méthodes"), est parvenu au point ultime de sa croissance. Un jeu de mots est ici possible entre le participe passé "adultum", "fini de croître", et l'expression "ad ultimum", "au terme ultime". Quel est ce point d'arrivée, et que vaut l'image de la ligne continue qui y conduit ? La question est également importante pour le coaching, qui met en question les schémas linéaires de la "biographie", et l'idée d'un "point final".

Couramment, la définition de ce stade ultime suppose un développement de l'individu humain, dont le propre est la perfectibilité (comme le remarque Rousseau, qui fonde son anthropologie sur ce principe). Cette image de la vie humaine date de l'Antiquité gréco-latine, où l'homme est défini comme la somme de ses actions, et comme un être au départ indéterminé, portant en lui la puissance de se cultiver en se donnant des formes (Aristote).

Avant d'être adulte, l'homme a d'abord été un "enfant" : littéralement, celui qui n'est pas encore capable d'une "parole", c'est-à-dire d'une parole rationnelle et responsable. L'anthropologie correspondante sera par exemple celle d'Aristote ( La politique, livre I), pour qui l'homme, dans sa forme finale, est à la fois un "animal rationnel" et un "animal politique", et toute éducation doit mener l'enfant à ce terme. L'accompagnement requis par ce stade de la vie est l'éducation ou formation ("paideia" : formation de l'enfant ; "pédagogie" : conduite de l'enfant). La méthode est tantôt autoritaire : mentorat de style directif (pédagogie antique et médiévale), tantôt constructiviste : laisser agir les facultés et l'environnement de l'enfant, construisant par lui-même son savoir ( Rousseau, L'Emile, livres 2 et 5).

Après l'enfant vient naturellement l'adolescent, littéralement celui qui, n'étant plus un "enfant", est "en train de croître", de grandir, de se développer. Le mot "adolescent" vient du verbe "adolesco", croître. Le participe passé de ce verbe est "adultum", qui a fini de croître : c'est précisément l'étymologie du mot "adulte". L'adulte est donc la forme finale de l'adolescent, ce vers quoi tout son développement est orienté. Cette conception finaliste du développement humain est fréquente depuis l'Antiquité, en raison de l'influence d'Aristote sur les théories pédagogiques, notamment à travers la scolastique médiévale.

E. H. Erikson (1982) a montré que l'adolescence est une période où l'individu cherche à atteindre l'autonomie, en passant par un changement identitaire profond (corporel, sexuel, cognitif et social). Au terme de ce changement arrive l'âge adulte, où l'individu dispose d'un outil d'adaptation et de réussite considérable, qui n'est autre que son identité. Celle-ci n'est atteinte que si l'adolescent parvient à se situer dans une trajectoire et à construire un projet de vie qui lui soit propre.

Si l'on admet cette analyse, il semble inévitable que l'adolescent ait besoin d'un coaching spécifique, centré sur la construction identitaire, pour devenir un adulte, autrement dit pour parvenir à la forme "pour laquelle il est fait" (finalisme qu'il conviendrait de discuter, mais que nous prendrons pour prémisse).

J'ai pu constater, en vingt ans d'enseignement, que cette idée plaît à beaucoup d'adolescents et d'adultes : ils ont l'impression de ne pas avoir rejoint leur propre identité, voire leur propre destin. Une impression qu'ils retrouvent en lisant, par exemple, L'Alchimiste de Paul Coelho (plébiscité sur internet, dans les forums des libraires). Dans ce roman, le personnage principal, Santiago, cherche à réaliser sa "légende personnelle", et ne cesse de répéter : si tu as un destin en rêve, rejoins ton rêve.

Le roman de Paul Coelho repose sur un présupposé finaliste, sur fond de fatalisme : tout destin individuel s'inscrit dans un projet universel orienté par "l'âme du monde", et le "sage" est celui qui va initier Santiago à ses propres mystères, qui sont inscrits en son "coeur". Le parcours initiatique est celui d'un apprentissage guidé par un mentor. Comme dans la définition courante du coaching, l'individu accompagné progresse en "apprenant" quelles sont les ressources internes qu'il "doit" rejoindre :

"Qui que tu sois et quoi que tu fasses, lorsque tu veux vraiment quelque chose, c'est que ce désir est né dans l'Ame de l'Univers. C'est ta mission sur la Terre."

"Avant de réaliser un rêve, l'Ame du Monde veut toujours évaluer tout ce qui a été appris durant le parcours. Si elle agit ainsi, ce n'est pas par méchanceté à notre égard, c'est pour que nous puissions, en même temps que notre rêve, conquérir également les leçons que nous apprenons en allant vers lui. Et c'est le moment où la plupart des gens renoncent. C'est ce que nous appelons, dans le langage du désert : mourir de soif quand les palmiers de l'oasis sont déjà en vue à l'horizon."

Je me pose alors la question : que vaut cette schématisation linéaire du développement humain, et quelle chronologie lui est applicable ? Le coaching qui s'adresse aux adultes a-t-il résolu ce problème, ou bien a-t-il seulement évacué la question ?

Il est aujourd'hui courant d'admettre que l'existence d'un individu est découpée en séquences : enfance, adolescence, âge adulte. Pour chaque séquence est mise en oeuvre, des accompagnements spécifiques sont proposés, avec des méthodes différentes :

  • enfant : pédagogie (guidage hétéronome dans les apprentissages) ;
  • adolescent : mentorat (guidage de l'hétéronomie vers l'autonomie) ;
  • adulte : coaching (ouverture d'un espace de guidage autonome).

Mais ce découpage en séquences hétérogènes est-il fondé sur une théorie psychologique universelle ? On pourrait aussi brouiller les cartes, et proposer les hypothèses suivantes :

  • il existe des enfants qui sont déjà adolescents ;
  • il existe des adolescents qui sont déjà adultes ;
  • il existe des adolescents qui sont encore enfants ;
  • il existe des adultes qui sont encore adolescents ;
  • il existe des adultes qui sont encore enfants.

On peut retrouver un écho de ces nouvelles hypothèses dans plusieurs théories qui se présentent comme "fondements" du coaching. Je relève par exemple une contestation du schéma de croissance linéaire dans l'ouvrage de B. Hévin et J. Turner, Manuel de coaching (2004-2007), et une exploration méthodique de la confusion des âges dans l'analyse transactionnelle.

B. Hévin et J. Turner proposent plusieurs schémas de vie (p. 66 et suivantes), en opposant d'"anciens principes" aux "nouveaux principes" qui fondent le coaching.

Parmi les "anciens principes", on relève trois schémas de vie linéaires :

  • le principe linéaire ascendant : travail et honnêteté > succès > sécurité > joie > progrès ;
  • le principe de l'apprentissage à l'âge scolaire : apprentissage ascendant de l'écolier à l'étudiant, puis descendant du travailleur salarié au retraité ;
  • le principe de la constance, après un début de vie ascensionnel (en dents de scie) d'environ 30 ans.

Parmi les "nouveaux principes", on relève deux schémas de vie proposant une linéarité différente, qui introduira à l'idée de période, puis de cycle :

  • le principe de l'apprentissage à l'âge adulte : retour au schéma ascendant écolier > étudiant > travailleur salarié > retraité ;
  • le principe du changement perpétuel, alternant les "sommets" et les "vallées" par périodes (décennies par exemple).

La diversification des schématisations permet de poser le problème de la linéarité des progrès dans l'histoire personnelle et professionnelle d'un individu. Le coaching doit saisir le moment où se trouve la personne accompagnée dans le schéma individuel de son existence, qu'il est nécessaire de modéliser et d'analyser avant tout accompagnement vers des objectifs.

Dans un autre domaine, l'analyse transactionnelle comprend une typologie des "états du moi", servant d'outil pour interpréter la modalité des transactions effectuées dans la communication. A ce titre, elle est utilisée par le coaching en vue d'une prise de conscience par l'individu de son propre mode de communication et des blocages qu'il comporte. Eric Berne (2006, p. 226) distingue trois états du moi (émotions, pensées et comportements), pouvant être présents dans l'individu de façon synchronique ou diachronique :

  • parent : imitation des figures parentales ou éducative marquantes ;
  • adulte : adaptation à la réalité présente ;
  • enfant : résurgence de l'enfance à l'âge adulte.

On remarque que ces "états" ne sont pas des "séquences" successives, et n'impliquent pas nécessairement une diachronie. L'enfant peut adopter une posture de parent, par exemple en jouant au maître d'école. L'adulte peut inversement se comporter en enfant, par exemple en se soumettant à l'autorité d'un autre adulte. La relation idéale adulte / adulte n'est pas toujours atteinte par des personnes considérées comme "adultes".

Par conséquent, je reviens à cette question : qu'est-ce qu'un adulte, et sur quelle définition de l'adulte peut-on fonder le coaching ?

J'utiliserai ici la distinction éclairante proposée par E. Kant entre majorité réelle et majorité légale :

  • la majorité légale est l'âge minimum que les Etats fixent pour définir la capacité juridique et civique d'un individu ; elle est aujourd'hui de 18 ans dans la plupart des pays du monde, et va parfois jusqu'à 21 ans ;
  • la majorité réelle est la caractéristique propre des adultes, qui sont réellement devenus "les plus grands" (majores), ce qui implique une capacité mentale et morale à l'autonomie, aussi bien dans les actes que dans les pensées.

Kant nous fait remarquer que l'individu qui atteint l'âge de la majorité légale n'a pas forcément atteint une majorité réelle. Il existe en effet une tendance très forte à rester mineur, même après avoir atteint la majorité légale, et donc à retarder la majorité réelle.

Ce qui empêche l'homme d'atteindre les "lumières", nous dit Kant ( Qu'est-ce que les lumières ?), c'est sa "minorité", c'est-à-dire son incapacité, faute de courage et de décision, à "se servir de son entendement" sans la "direction d'autrui" (§ 1). Par "paresse" et "lâcheté", les hommes restent "volontiers, leur vie durant, mineurs", alors même que "la nature les affranchit depuis longtemps de toute direction étrangère" ; de sorte qu'il devient aisé à d'autres personnes (pas forcément majeures !) de se poser en "tuteurs" des personnes mineures (§ 2).

La "majorité des hommes" craint en effet le passage à la majorité réelle, et au libre exercice de la raison qui caractérise celle-ci :

"Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail (domestique) et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas, hors du parc où ils les ont enfermés, ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s'aventurer seules au dehors." (§ 2) Les hommes préfèrent ainsi être dirigés par des tuteurs au moyen de préceptes et de formules (§ 3).

La situation que décrit Kant est celle d'un mentorat prolongé, voire d'une pédagogie autoritaire. Alors que la devise des Lumières est "ose savoir" (sapere aude), "ose te servir de ton entendement", les tuteurs ne donnent aucune permission aux mineurs de s'y exercer librement.

Mais cette interdiction n'est fondée sur rien d'autre que le goût du pouvoir. On interdit à des personnes majeures de raisonner par elles-mêmes, en leur faisant croire que c'est dangereux, et que l'on peut faire des erreurs si l'on n'est pas "dirigé".

"Or, ce danger n'est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne ordinairement d'en refaire l'essai." (§ 2)

Kant fait ici une critique de la direction de conscience, et met en exergue la faculté de raisonnement autonome de l'homme devenu majeur. Mais cette critique même montre que la majorité n'est pas un acquis en rapport avec l'âge, et qu'elle est toujours à conquérir par un travail de la raison.

Comme dans le coaching, il se produit ici un événement ou une rencontre, par lesquels l'individu se met lui-même en chemin. Le travail du pédagogue et du mentor sont terminés depuis longtemps, et l'individu, par l'exercice de sa raison, atteint l'état idéal de l'autonomie dans ses pensées et ses décisions :

"La révolution la plus importante, dans le monde intérieur de l'homme, se produit quand "il quitte cette minorité dont il est lui-même responsable". Ce ne sont plus les autres qui pensent pour lui, et qu'il se contente d'imiter ; il ne se laisse plus mener par la lisière ; il ose maintenant avancer lui-même, d'un pas qui est le sien, sur le sol de l'expérience, même s'il trébuche encore" (E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, trad. M. Foucault, Vrin, 1994, p. 148).

On remarque que l'autonomie décrite par Kant résulte d'une maturation morale et mentale dont l'individu est le seul responsable - étant admis que sa paresse et sa lâcheté sont les causes qui le rendaient "fautif" de rester mineur. Il n'y a donc pas de place pour un coach ici.

Or le coaching a aujourd'hui affaire à des "adultes", qui sont censés avoir dépassé le stade de la minorité, et être capables de "penser par eux-mêmes", ce qui est un principe souvent admis sans discussion par les coachs. Mais la question se pose alors : le coach est-il le dernier passeur, après le pédagogue et le mentor, entre la minorité et la majorité réelle ?

En effet, de nombreux coachs s'adressent à un personnage idéal (ce qu'on appelle en philosophie un "sujet universel"), qui a atteint la majorité légale, mais non la majorité réelle, car il a encore besoin, pour devenir l'auteur de lui-même, d'imiter le savoir-être du coach (phénomène du "modeling"), d'écouter et d'expérimenter ses "interdictions" et "permissions", pour finalement "oser" agir sans coach.

L'analyse kantienne de la minorité est donc d'actualité, à la fois pour les jeunes devenus "légalement majeurs" et pour les "adultes" qui peinent à devenir "réellement majeurs".

On remarque par exemple, dans la génération actuelle des jeunes majeurs, que certains retardent le moment d'entrer dans la "vie active", c'est-à-dire dans la prise de responsabilité mentale et pratique par rapport à la conduite de leur propre vie. Ces personnes ne sont pas encore adultes, mais sont déjà démarquées de l'adolescence. On les appelle parfois des "adulescents" (Giral, 2002), et on a pu parler à leur sujet de la génération "Tanguy" (film d'Eric Chatiliez évoquant en 2001 l'éternel étudiant habitant chez ses parents).

Mais n'est-ce pas la société toute entière qui est marquée par une idéologie de l'inachèvement, propre à entretenir le mythe de l'éternel adolescent, toujours jeune même quand il vieillit, et d'autant plus que vieillir devient fréquent ? Le sociologue Alain Borredon (1995) avance la thèse d'un "adolescentrisme" des sociétés occidentales de la fin du 20e siècle.

Le problème du passage à la majorité s'est donc décalé vers l'âge de la "majorité légale", et concerne tous les "adultes" auxquels le coaching s'adresse.

La question épistémologique du "fondement théorique" du coaching

Cette hypothèse met en jeu toute l'épistémologie implicite du coaching des adultes, fondée sur le principe d'une autonomie de raisonnement et de décision du "coaché". Car si certains "adultes" sont en réalité d'"éternels adolescents", qui n'ont pas franchi le pas de leur majorité réelle, alors il faut admettre que le coaching d'adultes est en réalité un coaching d'adolescents.

Mais cette hypothèse est hautement problématique elle-même. Elle ne saurait être admise que si l'on pouvait prouver la persistance d'une structure psychique "adolescente" à l'âge "adulte" ; or la psychologie d'un "adolescent" est d'abord celle d'un être qui, biologiquement parlant, n'a pas atteint le développement morphologique et anatomique d'un "adulte". Et l'influence des transformations physiques de l'adolescent sur sa psychologie, qui n'est plus à prouver aujourd'hui, sert de critère distinctif entre l'adolescent et l'adulte.

Le champ de l'interrogation épistémologique est donc déplacé. De la psychologie et de la biologie de l'adolescent, il s'étend vers une psychologie et une biologie à l'échelle de la vie entière (de la naissance à la mort). L'épistémologie du coaching se doit donc d'être intégrative (ce que soulignent nombre de théoriciens, comme Vincent Lenhardt).

La question n'est plus seulement de savoir quelle est la méthode d'accompagnement qui convient à chaque âge - pédagogie, mentorat ou coaching - , elle devient également de savoir comment adapter la méthode choisie à la réalité psychique et comportementale de l'individu particulier qui demande un accompagnement. Pour être intégrative, l'épistémologie du coaching doit devenir une herméneutique, une modélisation et une interprétation de l'histoire psychique personnelle du "coaché", ou pour être plus exact, de "la personne hypothétiquement coachable".

Dans ces conditions, la pratique du coaching implique également une compréhension des différents aspects et moments de l'histoire personnelle du coaché par le coach. L'écoute active du coaching est une intégration mentale par le coach de ce que le coaché a pu exprimer dans l'espace d'ouverture à l'être constitué par le dialogue.

Or le dialogue, ce "tissu entre les pensées" (Merleau-Ponty), est essentiellement une construction commune, par l'intersubjectivité des interlocuteurs, d'un espace où chacun peut à la fois être "nous" et être "je". En tant que construction progressive d'une compréhension intersubjective, le coaching ne peut pas être considéré comme l'utilisation instrumentale d'une théorie universelle sur le "genre humain".

Le coaching, comme pratique d'accompagnement des individus ou des groupes, ne peut donc pas être assimilée à une action "fondée" par des thèses, principes, règles ou lois qui seraient les éléments d'une science "certaine". Ce n'est pas pour autant qu'il doit être déprécié, comme s'il était incapable de définir sa "valeur" autrement que suivant les critères scientistes d'une constatabilité et vérifiabilité de prétendus "faits objectifs", car :

  • l'humain auquel s'adresse le coaching n'est pas de l'objectif, mais du subjectif ;
  • la vérifiabilité et la falsifiabilité des hypothèses scientifiques est toujours intégrée dans un processus évolutif de construction et de relativisation de paradigmes (comme l'ont montré Karl Popper et Thomas Kuhn) ;
  • l'art du coaching peut réussir, comme la médecine, en s'aidant de la science mais avec surtout du tact et du savoir-faire.

La science elle-même n'utilise pas de "concepts fondamentaux" au départ de ses raisonnements, comme le remarque Sigmund Freud (on oublie souvent cette remarque de Freud, qui interdit de réduire ses topiques à un système dogmatique figé, et qui invite à considérer la psychanalyse comme une recherche philosophique) :

"Nous avons souvent entendu formuler l'exigence suivante : une science doit être construite sur des concepts fondamentaux clairs et nettement définis. En réalité, aucune science, même la plus exacte, ne commence par de telles définitions. Le véritable commencement de toute activité scientifique consiste plutôt dans la description de phénomènes, qui sont ensuite rassemblés, ordonnés et insérés dans des relations. Dans la description, déjà, on ne peut éviter d'appliquer au matériel certaines idées abstraites que l'on puise ici ou là et certainement pas dans la seule expérience actuelle. De telles idées qui deviendront les concepts fondamentaux de la science sont dans l'élaboration ultérieure des matériaux, encore plus indispensables. Elles comportent d'abord nécessairement un certain degré d'indétermination. (...) Ce n'est qu'après un examen plus approfondi du domaine des phénomènes considérés que l'on peut aussi saisir plus précisément les concepts scientifiques fondamentaux qu'il requiert et les modifier progressivement pour les rendre largement utilisables ainsi que libres de toute contradiction. C'est alors qu'il peut être temps de les enfermer dans des définitions." (Freud, Métapsychologie, cité par Perdijon, 1998, pp. 66 sq.)

Le concept est toujours un moment dans la construction progressive d'une théorie, et ce moment apparaît quand la recherche a suffisamment progressé pour produire une idée complexe liée à un ensemble d'hypothèses, de définitions et de raisonnements, inséparables du concept.

Maïeutique, écoute active, modeling, neuro-linguistique, transaction, états du moi, enaction... : aucun des "concepts" fréquemment utilisés par le coaching n'est donc en lui-même un "fondement théorique" suffisant pour justifier une pratique ou une méthodologie. Une distinction pourrait éventuellement être faite entre "concepts opératoires" (définitions-outils, intermédiaires dans une action méthodique) et "concepts scientifiques" (éléments d'une théorie en progression), seuls les premiers étant effectivement utilisés dans le coaching.

Si le coaching prétend se "fonder" sur des théories scientifiques (à première vue les mieux fondées parmi toutes les théories concevables : systèmes d'idées, croyances, systèmes de valeurs...), et si la science elle-même ne "repose" pas sur un "fondement" mais "cherche" ce fondement, alors le coaching n'est pas "fondé" par les théories scientifiques.

Pourquoi les invoque-t-il donc souvent, si ce n'est pour rassurer psychologiquement le coach, le coaché et le commanditaire du coaching, par un ensemble de normes standardisées - souvent les grandes lignes des paradigmes scientifiques - permettant d'homologuer l'action de coaching ?

En dehors de cette normalisation exigée par le marketing et la contractualisation commerciale du coaching, l'appel à des théories scientifiques en vue de "fonder" le coaching serait ainsi une illusion de scientificité, pour une pratique d'accompagnement qui échappe, au bout du compte, à toute normalisation.

Quelle posture pour l'accompagnant ?

Si le coaching est l'art d'accompagner, aidé par une science qui ne saurait le fonder totalement, et si cet art requiert de comprendre les particularités de l'être humain en demande d'accompagnement, alors le maître en coaching sera celui qui, par une écoute compréhensive, parviendra à intégrer dans un portrait unique les traits qui motivent la demande du coaché et qui définissent la possibilité de co-construction d'un sens par le dialogue.

L'objet du coaching, entendu comme philosophie herméneutique, est en effet de chercher le sens du devenir du coaché, et ce "sens" étant construit par la relation intersubjective, n'aura rien à voir avec la "vérité" de la science, entendue comme établissement de relations constantes de causes à effets.

La question du sens, qui est au centre de la construction identitaire et temporelle produite par le coaching, rejoint celle de la maturité intellectuelle, affective et morale du coaché, et donc la question de son statut d'adulte. Si le coaching ne sait pas, au départ de la relation de dialogue, qui est réellement enfant, adulte ou adolescent, comment peut-il mettre en oeuvre des méthodes d'accompagnement adaptées à la situation réelle du coach et du coaché ?

La possibilité d'une intersection, d'une interversion, voire d'une confusion, entre les statuts d'enfant, d'adolescent et d'adulte, introduit pour le coach la question cruciale : comment connaître réellement autrui, au-delà du visage social qui m'est immédiatement donné au niveau de sa demande, et comment connaître ses besoins "profonds" ?

C'est à ce niveau de pénétration psychologique que se situe la véritable profondeur et le véritable "fondement" capable de faire du coaching une pratique d'accompagnement "assurée" (un savoir-être qui devrait sans doute faire partie du référentiel de compétences de toute formation au coaching), à défaut de pouvoir être une pratique scientifiquement fondée.

Sans prétendre donner une méthodologie ou une analyse épistémologique de la capacité du coach en matière de pénétration psychologique et d'analyse de parcours, je voudrais pour finir donner quelques exemples d'accompagnement des personnes, qui posent la question du modèle théorique et de son adaptation au profil, à la situation et aux besoins réels du coaché, hic et nunc. Je garderai comme fil directeur la distinction enfant / adolescent / adulte, pour établir des comparaisons et formuler des hypothèses.

Prenons le cas typique d'un coaching professionnel auprès d'une personne qui doit prendre un poste à responsabilité, et qui se demande comment manager sa nouvelle équipe. Le passage à l'échelon supérieur de la hiérarchie est comme une figuration symbolique du passage de l'adolescence à l'âge adulte : autrement dit, avant de devenir "responsable", comme un adulte autonome en charge de ses enfants, le coaché était "en route vers la responsabilité", comme un adolescent, en transition de l'hétéronomie vers l'autonomie.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il a été recruté au poste de responsable, contrairement aux personnes non recrutées, qui sont restées - d'un point de vue symbolique, toujours ! - au niveau hiérarchique de l'enfant hétéronome (et je ne citerai pas ici les nombreuses organisations administratives, économiques ou éducatives où les gens sont effectivement infantilisés dans la vie quotidienne, par le jeu d'une hiérarchie où le niveau de "responsable" reste inaccessible).

Quelle est la situation du coaching dans cet exemple ? La demande de coaching s'exprimera d'abord comme une demande d'accompagnement dans un moment difficile de prise de responsabilités nouvelles, afin d'utiliser au mieux les compétences du coaché (savoir, savoir-faire, savoir-être) et d'être reconnu dans une position hiérarchique autonome, légitime et professionnelle.

Comment considérer alors le besoin réel du coaché ? Une analyse de sa personnalité et de son parcours serait nécessaire pour savoir s'il part d'une position d'adulte responsable ou d'adolescent, mais le coaching deviendrait à ce moment-là une séance d'analyse psychologique, qui ne serait plus un accompagnement de l'adulte.

Tout au plus le coach peut-il commencer par relever les formulations du coaché, et tendre un miroir fidèle de ces propos, afin que le coaché s'aperçoive de lui-même de sa position : enfant, adolescent ou adulte, et qu'il commence par lui-même à approfondir la formulation de son problème réel.

Par exemple, si le coaché exprime à ce moment-là une peur panique de ne pas être à la hauteur, ou de manquer d'assurance et de leadership face à ses collègues, avec lesquels il était auparavant dans une relation symbolique d'adulte à adulte (référence possible à l'analyse transactionnelle), il devient possible d'engager un dialogue sur le problème psychologique du passage de l'hétéronomie à l'autonomie, et sur le renforcement de la maturité de l'adulte en situation de responsabilité.

Plusieurs modes d'intervention peuvent alors surgir, en fonction des situations de dialogue et des objectifs visés : le coaching, le conseil, le mentorat ou la thérapie se font concurrence, et le coach devra articuler son intervention à ces approches.

Le problème est alors de savoir si l'accompagnement de l'adulte-adolescent vers l'adulte-adulte peut rester non-directif, comme le veut la déontologie généralement affirmée par les coachs. Car le coaché - le mot l'indique - est à ce moment-là en situation de dépendance mentale, voire affective, par rapport au coach, dont il attend une action (on remarque la formule passive : "coaché par un coach").

On admet généralement que le coach doit maintenir dans son accompagnement une position neutre, voire "basse", qui exclut les fonctions de conseil, mentorat ou thérapie. Inversement, les pédagogues, conseillers et thérapeutes refusent souvent le qualificatif de "coachs". Une fois de plus, l'épistémologie implicite du coaching (comme de ses concurrents) se fonde sur le principe d'une séparation hermétique des disciplines et des méthodes d'accompagnement - et les ouvrages sur le coaching sont légion à le répéter.

Je prendrai donc un autre cas, en apparence séparé du premier, et ne faisant pas appel au coaching, afin d'éclaircir ce problème de démarcation. C'est le cas, lui aussi typique, de l'adolescent qui manque de motivation et qui a de mauvais résultats scolaires.

Si ses parents s'aperçoivent du problème sans chercher à le culpabiliser, ils tentent de le coacher pour l'aider à s'organiser, à faire des choix, à gérer son stress et son temps ; mais l'adolescent ne parvient pas à améliorer sa motivation et ses résultats. On tente alors de le faire aider par un mentor, un conseiller ou un psychothérapeute.

Mais si la demande ne vient pas de l'adolescent, le problème réel de celui-ci n'est pas traité : l'adolescent n'a pas besoin de ne pas être adolescent, mais au contraire d'être entendu comme ce qu'il est. L'absence d'écoute inconditionnelle peut avoir pour effet morbide de transformer l'adolescence en maladie, alors qu'elle est une période de définition d'une nouvelle normalité, incarnée et individualisée.

En apparence, l'adolescent a besoin de conseils, de directives et d'apprentissages hétéronomes pour se "construire", et ce besoin requiert un accompagnement spécifique distinct du coaching d'adultes.

C'est pourquoi on trouve des conseillers et des psychologues dans l'institution scolaire, mais rarement des coachs (malgré le rapport Glasman qui en montrait la pertinence en 2004) : ceux-ci préfèrent mettre en oeuvre un coaching scolaire privé, adaptant le coaching professionnel au contexte scolaire, faute de pouvoir appliquer autre chose que des outils standards, en temps limité, et faute de pouvoir mener au préalable une étude psychologique de l'adolescent.

Mais qu'en est-il en réalité ? L'adolescent est-il toujours celui qui est "à construire" par la médiation et par l'aide d'autrui - pédagogue, conseiller, thérapeute-, ou bien est-il déjà celui qui dispose en lui-même d'une autonomie d'apprentissage, permettant et justifiant le recours au coaching ? L'accès à la majorité réelle n'est-il pas déjà commencé avant la majorité légale ?

Si l'on revient un instant à la problématique pédagogique soulevée par J.-J. Rousseau, il est intéressant de remarquer qu'avant même l'adolescence, l'enfant dispose déjà en lui de la faculté de s'instruire naturellement au contact des choses, et de construire son propre parcours sur ce fondement, autant que possible, autrement dit jusqu'à la limite de son autonomie :

"La nature a, pour fortifier le corps et le faire croître, des moyens qu'on ne doit jamais contrarier. Il ne faut point contraindre un enfant de rester quand il veut aller, ni d'aller quand il veut rester en place. Quand la volonté des enfants n'est point gâtée par notre faute, ils ne veulent rien inutilement. Il faut qu'ils sautent, qu'ils courent, qu'ils crient, quand ils en ont envie. Tous leurs mouvements sont des besoins de leur constitution, qui cherche à se fortifier ; mais on doit se défier de ce qu'ils désirent sans le pouvoir faire eux-mêmes, et que d'autres sont obligés de faire pour eux. Alors il faut distinguer avec soin le vrai besoin, le besoin naturel, du besoin de fantaisie qui commence à naître, ou de celui qui ne vient que de la surabondance de vie." ( L'Emile, livre 2).

Si l'on relit maintenant le cas de l'adulte à la lumière de celui de l'adolescent, une question symétrique se pose : pourquoi l'adulte aurait-il moins besoin d'accompagnement hétéronome que l'adolescent, et pourquoi le coaching d'adulte devrait-il refuser de se combiner avec la pédagogie, le mentorat, le conseil ou la thérapie ?

C'est en raison du présupposé d'un "adulte idéal" que le coaching se présente, le plus souvent, comme un accompagnement "neutre", visant simplement à créer les conditions d'une prise en charge autonome par le coaché, à la fois au niveau de son auto-analyse, de ses raisonnements, de ses décisions et de ses actions. Mais ce présupposé n'est pas un fondement scientifique universel, et le coaching peut donc s'interroger lui-même, au cas par cas, sur la réalité d'un accompagnement neutre d'un adulte par un adulte.

En conclusion, je proposerai plusieurs hypothèses, non pas comme des "fondements théoriques" du coaching (impossibles fondements !), mais comme des axes d'interrogation nécessaires à une pratique d'accompagnement éveillée, diversifiée et adaptée :

  • le coaching d'adultes n'est pas toujours un coaching d'adultes, et il faut se souvenir de l'enfant et de l'adolescent qui vivent encore dans l'adulte ;
  • le coaching d'adolescents est possible et même nécessaire dans la mesure où l'adolescence est une maturation comprenant déjà en puissance l'autonomie de l'adulte ;
  • l'analyse psychologique est un préalable nécessaire à toute relation saine de coaching, où les individus se reconnaissent mutuellement
  • le coaching est un mode d'accompagnement pouvant être combiné avec d'autres, comme la pédagogie, le mentorat, le conseil ou la thérapie ;
  • la définition d'un coaching "purifié" de toute influence subjective, tant au niveau de l'interprétation des paroles du coaché qu'au niveau de la directivité, est un portrait idéal qui ne correspond pas nécessairement à la réalité du dialogue engagé.