Pistes pédagogiques pour une exploitation du mythe du "Politique" (Platon) avec des enfants

Sylvie (pour le texte) et Pascale (pour les illustrations) Queval viennent de publier pour les éditions du Cheval Vert Le mythe du Politique d'après l'oeuvre de Platon, ou Pourquoi les choses vont si mal ?Ce petit ouvrage présente pour les enfants une entrée intéressante dans la politique, par le biais du mythe platonicien.

La question politique est au coeur de la vie et de l'oeuvre de Platon ; quelques dialogues lui sont explicitement consacrés, mais elle est présente en filigrane dans tous les textes. Le mythe, qui est au coeur du dialogue intitulé Le politique, expose de façon imagée pourquoi il est difficile de trouver un bon gouvernant.

Le sens du mythe et sa portée

1) Contexte

Le Politique est d'abord un exercice de définition. Les interlocuteurs sont un adulte simplement désigné comme "l'Etranger" et un très jeune homme, homonyme de Socrate et donc appelé "Socrate le jeune". Ils cherchent à définir "ce qu'est un homme politique" : quelle est sa compétence, sa fonction ?

Au coeur du dialogue, alors que la définition cherchée semble s'enfuir, Platon fait appel à une "légende". Le mot grec employé ici est "mythos", et on a choisi de conserver la traduction de l'édition des Belles Lettres pour faire mieux percevoir le statut du récit qui suit. Platon dit explicitement qu'il introduit quelque chose qui relève du jeu, et demande qu'"on prête attention à cette fable - autre traduction possible du mot mythos - comme font les enfants".

On a là une invitation claire à proposer ce récit à des enfants et à le considérer sous un angle ludique. Platon sait que ce récit n'expose pas la vérité, mais seulement quelque chose de vraisemblable.

2) Plan du récit

Le récit est très long et il a fallu, ici, l'écourter mais sa structure a été fidèlement conservée.

On la donne ci-dessous en mettant en parallèles les pages du texte de Platon et celles de notre transposition.

Préambule 268d - 269c Pages 4 et 5
Les 2 mouvements de l'univers 269c - 270d Pages 6 à 9
Quand le monde tournait en sens inverse de maintenant 270d - 272d Pages 10 à 17
L'inversion de sens de rotation et le monde actuel 272d - 274e Pages 18 à 23
La leçon de la légende 274e - 275b Pages 24 à 29

L'étranger ponctue son récit de questions assez formelles, mais qui donnent les articulations logiques du texte. Certaines de ces questions ont été maintenues ici, elles sont en italique pour aider à une meilleure visualisation de la progression du texte, et pour inviter à des temps de pause et de discussion avec l'enfant.

3) La pointe du récit

Outre introduire un moment de répit dans la réflexion, la légende vise à pointer une idée force : si un dieu gouvernait les hommes, nous vivrions l'âge d'or, car un dieu saurait ce qui est bon pour nous, mais aucun dieu n'est là pour nous gouverner, nous sommes livrés à nous-mêmes et devons inventer nos solutions. Les moutons n'ont pas de problème de gouvernance, car des êtres d'une nature supérieure à la leur fixent leur conduite. Les hommes politiques ne sont pas de nature supérieure à leurs gouvernés, la vie politique est donc nécessairement aléatoire.

Ce que dit le mythe, c'est qu'il ne faut pas définir l'homme politique comme un berger, comme cela avait été fait plus haut dans le dialogue. La question est alors relancée : si le politique n'est pas un pasteur, qu'est-il ?

II. Utilisation du récit avec des enfants

1) Le préambule (pages 4 et 5)

"Eh bien, donc, écoute attentivement ma fable, comme les enfants. Tu n'es pas d'ailleurs si loin des années de l'enfance" dit l'Etranger au jeune Socrate en ouverture du récit. C'est cette atmosphère que nous avons cherché à rendre.

L'illustration et le texte insistent sur la difficulté que nous avons à comprendre le monde où nous vivons. Dans l'obscurité d'une nuit étoilée, un enfant et un adulte se sentent très petits. Platon insiste en bien des endroits de son oeuvre sur la nécessité de recourir à des histoires vraisemblables quand la vérité nous échappe.

On a choisi d'ouvrir le récit par la question "Sais-tu par exemple pourquoi les choses ne vont pas aussi bien qu'on voudrait ?", elle ne figure pas sous cette forme dans le texte, mais c'est elle qui en est le fil conducteur.

On pourra laisser l'enfant réfléchir un moment à cette question et le laisser formuler ses hypothèses.

2) Les deux mouvements de l'univers (pages 6 à 9)

Deux doubles pages étaient nécessaires pour rendre sensible le double mouvement de l'univers que l'Etranger présente en ces termes : "Cet univers, tantôt le dieu lui-même le dirige dans sa marche, et lui imprime un mouvement circulaire ; tantôt il l'abandonne à lui-même".

Pour rendre sensible cette conception cyclique du temps, tellement différente de notre conception linéaire, les deux pages d'illustration montrent le visage du dieu, une fois souriant et serein, une autre fois étonné et en recul. L'enfant saisira mieux l'alternance des cycles en commentant ces deux visages.

Il serait bon de marquer un temps de pause sur la question en italique de la page 8. Elle transpose fidèlement celle qu'on trouve dans le texte. L'Etranger vient en effet de dire "la chose plus extraordinaire est celle qui résulte du mouvement rétrograde du monde, lorsque, au cours actuel des astres, succède le cours contraire" et le jeune Socrate réplique "de quelle nature est cette chose ?".

Comme précédemment il est bon de laisser l'enfant imaginer des réponses pour ensuite les confronter à celle que propose la légende.

3) Quand le monde tournait en sens inverse de maintenant (pages 10 à 17)

Ces pages collent au plus près du texte de Platon très imagé dans sa description de l'âge d'or. On est vraiment là dans l'atmosphère des contes qui commencent souvent par "c'était au temps où les bêtes parlaient" et, effectivement, les bêtes parlaient en ces temps heureux (pages 16-17).

On pourra faire deviner les conséquences de l'inversion du sens de rotation de l'univers à partir des images et ne lire le texte qu'ensuite :

  • inversion du sens de passage du temps et donc de l'ordre de succession des âges de la vie (page 11) ;
  • naissance du sein de la terre et, surtout, dieu-berger (page 13) ;
  • nature généreuse, vie sans contrainte (page 15).

On insistera évidemment sur le fait que tous ces phénomènes sont le contraire de ce que nous vivons actuellement et, en particulier, que l'idée d'un politique-berger est ainsi renvoyée à la légende.

L'Etranger achève sa description par la question reprise ici (page 16) "était-on plus heureux alors que maintenant ?". Elle mérite encore un temps d'arrêt. Platon suggère clairement que le bonheur ne tient pas seulement à la facilité des conditions de vie, mais à l'usage qu'on en a. Il oppose deux modes de vie possibles, l'un philosophique, l'autre de plaisirs faciles.

4) L'inversion du sens de rotation (pages 18 à 23)

Il sera prudent de rappeler les pages 6 à 9 en arrivant à ce moment du récit et de bien souligner que le retrait du dieu (page19) nous plonge dans notre monde actuel. Si l'enfant demande pourquoi le dieu se retire, on ne pourra que lui répondre que la légende reste floue sur la question et dit seulement "quand le temps de toutes ces choses fut achevé". L'expression n'a pas été reprise car elle n'est guère éclairante.

Ce qui importe à Platon c'est d'opposer deux situations, il faut donc insister sur les différences :

  • on comparera la page 11 et la page 21, le fleuve paisible qui conduit de la vieillesse à l'enfance (âge d'or) et la succession des étapes de la vie encadrée par les animaux menaçants ;
  • on comparera surtout la page 15 et la page 23 qui permettent une approche simple de l'opposition nature/culture. On partira du bas à droite de la page 23 pour repérer les silhouettes cuisant leur nourriture (don de Prométhée) puis, en haut à droite, on montrera les silhouettes travaillant le fer (don d'Héphaistos) ; en haut à gauche on notera les silhouettes cultivant la terre (don de Déméter) et en bas à gauche, les silhouettes versant du vin et buvant (don de Dionysos).
    - Il sera sans doute utile de rappeler aux enfants l'importance du feu dans le passage de la nature à la culture ;
    - Avec les plus grands des enfants, on pourra noter que les illustrations reprennent la liste des dons divins cités par le texte dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, c'est-à-dire dans le sens de rotation de la terre.

5) La leçon de la légende (page 24 à 29)

La page 24 fait charnière entre le récit proprement dit et la leçon à en tirer en posant deux questions.

La première invite à comparer les illustrations des pages 17 dominée par le rouge et 25 dominée par le bleu, nouvelle visualisation de l'opposition nature/culture.

La seconde ouvre sur la fin du texte et relance la question initiale. Si l'enfant ne sait pas répondre à cette question, on pourra le ramener à l'illustration de la page 13 pour l'aider à retrouver l'origine de tout ce qui fait problème dans notre monde, à savoir l'absence d'un dieu-berger.

La page 26 pourra alors être lue, elle répond explicitement à la précédente question. Il y a dans le texte de Platon une évidente nostalgie d'un monde gouverné par les dieux, on y sent la désespérance politique mais aussi la conviction qu'un gouvernant-berger n'est qu'un mythe. Avec les enfants les plus âgés, on pourra donc aborder la valeur à accorder à la notion moderne "d'homme providentiel". Avec les plus jeunes, il est possible d'expliquer pourquoi les questions politiques sont si difficiles et matière à débats infinis.

Les pages 28-29 récapitulent la leçon du mythe et renouent avec le commencement. Sur l'illustration, les portraits de grands philosophes politiques ont remplacé les signes du zodiaque : le temps des légendes est terminé, les humains se posent toujours autant de questions mais ils ne cherchent plus les réponses dans un passé mythique, ils ont pris leurs affaires en mains et Platon marque un jalon important dans l'histoire de cette émergence de la pensée rationnelle.