Rencontre sur la philosophie pratique : apprendre à philosopher dans les nouvelles pratiques philosophiques (25/26 juillet 2009)

Apprendre à philosopher dans les nouvelles pratiques philosophiques: café ou banquet philo, atelier philo, consultation philosophique, rando philo...25 et 26 juillet 2009 à Sorèze (81)

Apprendre à philosopher dans les nouvelles pratiques philosophiques : café ou banquet philo, atelier philo, consultation philosophique, rando philo...25 et 26 juillet 2009 à Sorèze (81)

SAMEDI 25 JUILLET

I - Problématique du séminaire (par Michel Tozzi, Narbonne)

On parle aujourd'hui de "pratique philosophique", de "nouvelles pratiques philosophiques", de "praticien philosophe". Comme si cette notion de pratique allait de soi. Or en philosophie rien ne va de soi ; à commencer par savoir ce qu'est vraiment la philosophie. Il serait donc de saine méthode de "savoir de quoi l'on parle et si ce que l'on en dit est vrai". Qu'est-ce donc au juste qu'une pratique philosophique ? Une "pratique", et une pratique "philosophique".

A) "Pratique" : du grec "praxis", l'action.

Il y a dans la pratique de l'activité. Quand la pratique est humaine, elle est consciente, volontaire, et a généralement pour but de modifier concrètement une réalité, une situation. Elle s'oppose ainsi à la théorie (la theoria comme visée contemplative chez Platon). Mais qu'en est-il d'une "pratique théorique", comme la réflexion ? Elle est une activité consciente qui modifie la vision du monde de celui qui s'y adonne, ou de ceux qui s'engagent dans cette pratique (c'est ce qui se passe souvent dans une discussion à visée philosophique).

Pour Aristote, une praxis détermine sa fin en elle-même, et non en se subordonnant à un but extérieur, utilitaire ; sinon on est dans la "poiésis", l'activité fabricatrice La pratique philosophique, même dans les cas où elle peut être rémunérée, n'est pas faite pour cela (contrairement aux prétentions des sophistes) : elle vaut en elle-même et pour elle-même, dans une fin librement posée, comme dit Sartre.

Une pratique traduit aussi l'exercice habituel d'une certaine activité (la pensée se travaille). Elle est contextualisée, s'exerce toujours en situation (par exemple dans une classe, un café...). Ce n'est pas une action ponctuelle, mais"pratiquée" dans le temps, qui s'entraîne, mature, donne une expérience. Elle est le résultat d'un apprentissage. Elle développe ainsi une habileté particulière qu'Edgar Morin dans La méthode nomme "compétence". Elle n'est pas une opération isolée : elle vise l'accomplissement d'un projet en tant qu'elle se réfère à un modèle, une norme, un usage, et opère dès lors conformément à des règles ou des principes qui lui donnent une consistance, une cohérence propre. Même dans les cas où elle n'est pas explicitement consciente du déroulement de son processus, elle procède avec une logique interne, lui venant d'un savoir et savoir faire incorporés : elle relève d'un certain habitus (Bourdieu). La pratique philosophique réflexive de celui qui pense (par opposition à la pratique philosophique de celui qui agit, que nous nommons praxéologique - quoique la pensée soit à sa manière une action), est en processus intellectuel stabilisé, qui procède avec méthode (ex : la maïeutique socratique). Le "praticien philosophe", en ce sens, a acquis par l'exercice d'une activité philosophique une certaine façon de penser et d'agir.

B) Pratique "philosophique". Qu'est-ce à dire ? Position du problème

1) On peut répertorier une diversité de pratiques philosophiques, c'est-à-dire travailler la notion en extension. Ces pratiques peuvent se différencier par exemple selon :

  • les lieux (école/cité ; maternelle/élémentaire/collège/lycée professionnel/ première/terminale/université ; classe/café/cabinet/entreprise ; public/ privé etc.) ;
  • le public (élève/étudiant ; enfant/adolescent/adulte...) ;
  • le degré d'implication (élève de terminale captif/participant à un atelier volontaire) ;
  • le degré d'institutionnalisation (école/association/initiative informelle) ;
  • les objectifs poursuivis : transmettre un savoir philosophique (historique, doctrinal), apprendre à philosopher, éduquer à une citoyenneté réflexive etc.

2) On peut aussi, tenter d'appréhender en compréhension quelques attributs desdites pratiques, en se demandant :- si on peut unifier le concept de pratique philosophique (subsumer cette diversité de fait sous une unité théorique), en donner une définition générale ; - ou si la définition d'une pratique philosophique dépend du champ d'application du concept (par exemple enseignement versus animation, maternelle ou SEGPA versus terminale, enfant versus adulte, école versus cité, etc.) ; - ou encore si cette tentative est aporétique (une impasse), compte tenu de la diversité des conceptions de la philosophie, du philosopher, de la didactique de la philosophie et de l'apprentissage du philosopher...

II - Table ronde : "Qu'est-ce qu'une pratique philosophique ?"

9h30 - 11h

Animation : Francis Tolmer (Toulouse)

A) Intervention de Romain Jalabert (Narbonne): la pratique philosophique à la lumière de la praxis

Dans "pratique(s) philosophique(s)" j'entends "faire". Faire de la philosophie, ou philosopher... Ce "faire" s'oppose-t-il à un "dire" ?, à une théorie ? Fait-on de la philosophie de la même manière dans une école primaire, dans une classe de SEGPA, dans un lycée, une université, un café philo, une université populaire, une rando philo, seul chez soi, etc. ? S'agit-il dans tous ces cas évoqués de "pratique" ?

Qu'en est-il exactement de cette pratique que nous proposons d'interroger au cours de ce séminaire ? Pour y voir plus clair, faut-il substituer au terme français l'un de ces termes grecs dont on se satisfait la plupart du temps un peu vite ? Praxis est sans doute celui qui revient le plus souvent ; peut-être - mais pas seulement - parce que bien des langues l'ont déjà adopté. Si praxis et praktikê partagent une même acception, de l'ordre de l'action (prattein : agir ; prasso : faire, exécuter), le terme poïesis correspondrait plus à un "faire" de l'ordre de la création, de la fabrication, de la production. Sans entrer dans les détails de la distinction que l'on trouve chez Aristote entre praxis et poïesis, et qui ne nous serait pas forcément utile dans le cas présent, interrogeons plutôt la pertinence du recours fréquent - abusif ? - à la praxis pour éclairer nos pratiques ? Retenons toutefois qu'Aristote opposait la praxis à la poïesis - science pratique / science poétique - ; en cela que la première serait une activité de l'ordre de l'immanence, ne produisant aucune oeuvre distincte de l'agent et n'ayant d'autre fin que l'action intérieure (eupraxie) ; la seconde quant à elle serait activité transitive, science de la production visant la réalisation d'une oeuvre extérieure (technè).

Est-il donc pertinent - en termes d'éclairage et d'utilité notamment - de substituer la praxis à la pratique, ou n'est-ce là que variante, fantaisie - exotisme ? -, voire refus de préciser ? En plus du caractère immanent, qui pourrait nous aider quant aux finalités de nos pratiques, les divers usages, (ré-)appropriations et (ré-)interprétations du terme praxis pourraient nous intéresser. Si la plupart des dictionnaires français désignent la praxis comme une action tendue vers une certaine fin - voulue donc -, et qui s'oppose à la théorie, les interprétations quant à elles sont plus nuancées, faisant la plupart du temps de la praxis une dialectique entre raison instrumentale - ou pratique, dans une immédiateté qui n'autorise pas la réflexion - et théorique - le temps de la réflexion permet la formalisation de la raison par un discours. Ainsi pouvons-nous lire que "la praxis est la pratique en tant qu'elle instruit la théorie". Cela placerait la praxis dans la mouvance d'une causalité circulaire qui correspondrait au caractère immanent pointé par Aristote. Mouvance que l'on retrouve aussi chez Jean-Paul Sartre lorsqu'il oppose la praxis - en tant que champ de l'activité pratique - à l'hexis (pratique figée ; cf. Critique de la raison dialectique).

De l'ordre du mouvement, et même du risque en tant qu'espace ou lieu de l'exposition à l'autre (Cf. F. Imbert, Pour une praxis pédagogique), la praxis se distinguerait de la contemplation, tournée vers l'éternel et l'immuable. Marquée par le changement, la praxis désignerait toutes les activités humaines susceptibles de transformer, de modifier les rapports sociaux. Défiant tous les déterminismes (d'où sans doute l'opposition avec l'hexis). N'y a-t-il donc pas dans ce terme de quoi sustenter nos réflexions ?

B) Intervention de Gunter Gorhan (Paris) : cinq éléments de réponse

J'ai improvisé mon intervention à partir de cinq thèmes :

1) Je me suis présenté en énumérant les différents lieux de ma pratique philosophique : cafés philo, foyers de jeunes travailleurs, médiathèques, lycées, collèges, hôpital psychiatrique, etc. En tant qu'écoutant à SOS Suicide Phénix, j'ai également des échanges philosophiques faisant partie de ma pratique.

2) J'ai suggéré qu'il y a deux raisons pour pratiquer la philosophie différemment depuis l'invention de la psychanalyse : désormais, au-delà de l'argumentation rationnelle, d'autres apports doivent être pris en compte : l'association, la métaphore, l'analogie, etc. La "vérité" se manifeste aussi par ces chemins parallèles à la "logique" héritée.

La "vérité" est devenue aussi subjective (en réalité depuis Hegel), ce qui ne veut pas dire du tout, arbitraire.

3) J'ai cité un texte de Pierre Hadot qui dit mieux que moi ce qui me motive dans ma pratique philosophique (sauf le fait qu'il néglige trop la fonction politique de cette pratique) : "Pour les anciens, la philosophie n'était pas seulement une enquête, une investigation, une thèse sur l'être, c'était aussi et même avant tout un exercice. Elle consistait moins dans l'enseignement d'une théorie abstraite que dans une attitude concrète, dans un style de vie déterminé qui engage toute l'existence. L'acte philosophique, pour les stoïciens comme pour les épicuriens débordait, excédait l'ordre de la connaissance, il s'inscrivait dans l'ordre du soi, c'était un progrès qui nous faisait plus être, qui nous rendait meilleurs. C'était une conversion qui bouleversait toute la vie et qui changeait l'être de celui qui l'accomplissait en le faisant passer d'une vie inauthentique, obscurcie par l'inconscience, rongée par le souci, à un état de vie authentique dans lequel l'homme atteignait la conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieure."

4) Ceux qui viennent dans les lieux où je pratique étant des adultes, ou jeunes adultes, je pense que, contrairement aux enfants - dont il s'agit en priorité de structurer la pensée - il importe surtout de rouvrir la source de leur capacité d'imaginer, d'inventer d'autres mondes, d'autres façons d'être au monde. Ma pratique avec les adultes a pour objectif principal d'explorer les champs des possibles, dans tous les domaines, car il me semble qu'aujourd'hui "tout est permis mais rien n'est possible".

5) Ma "méthode" en découle : suivant en cela L. Wittgenstein, je rapproche l'élucidation d'une question philosophique de la découverte d'une ville inconnue dont personne ne possède le plan. Au début, il est fatal que nous errions un certain temps jusqu' à ce qu'un profil, une structure se dessinent : un centre avec des axes, des quartiers, etc. Si lors de cette découverte, l'un des participants (ou moi-même) fait l'expérience du "aha" (Aha-Erlebnis), d'un étonnement qui rompt une clôture épistémologique /idéologique / philosophique, il s'agit d'un "moment philosophique". Ces moments ne peuvent qu'êtres individuels, je ne cherche pas à faire avancer le groupe "comme un seul homme"...

C) Intervention de Jean-Philippe Blanchard (Toulouse)

La question me surprend, parce que je ne la comprends pas. La formulation me semble pléonastique. Elle me paraît aussi inintelligible que si l'on me posait la question, par exemple : Qu'est-ce qu'une pratique navigatrice ? Je comprendrais mieux la question : Qu'est-ce que naviguer ? Qu'est-ce que la navigation ? Qu'est-ce qu'un navigateur ? Donc, je comprendrais mieux : Qu'est-ce que philosopher ? Qu'est-ce que la philosophie ? Qu'est-ce qu'un philosophe ?

Philosopher est un verbe, donc une action, donc une pratique de la philosophie. La philosophie peut-elle ne pas se pratiquer ? Oui, quand on fait autre chose que de la philosophie.

1) Qu'est-ce que la philosophie ?

Étymologie : du grec, Philo-sophia

Philos : Ami, Personne ayant un sentiment d'affection ou de sympathie pour un être ou un objet.

Philein : Amour, sympathie pour ce qui est le plus estimé, admiré.Sophia : Science, Ensemble de connaissances, plus ou moins systématisées, acquises par activité mentale, dont la relation entre le sujet et l'objet de pensée est admise véritable, parce que logique, expérimentable et communicable - à la différence de certitude, croyance et foi.

Sagesse, Connaissances et jugements raisonnables dans la conception et la conduite des êtres et des choses.

Donc la philosophie n'est pas seulement tendre vers le savoir, c'est aussi pratiquer la sagesse. Néanmoins, une pratique sans moyen a peu d'efficacité. Ces moyens sont-ils pratiques ?

Métaphore du Charpentier

Question : Qu'est ce qu'un charpentier ?

Réponse : C'est un être humain qui construit des charpentes.

Question : Qu'est-ce qu'une charpente ?

Réponse : C'est un assemblage qui soutient un plancher, un mur, un toit.Question : Cet assemblage est-il constitué d'épures, de haches, de scies, d'herminettes, tarières, de ciseaux, de maillets ?

Réponse : Ils ne sont que moyens, pas fin en elle-même.

C'est ainsi que la contemplation d'épures, la possession d'outils, le salaire pour contemplation et outillage, ne font ni la charpente, ni le charpentier.

A contrario, un charpentier qui serait démuni de la maîtrise de l'épure, de l'outillage et qui n'aurait pas de poutres à façonner et assembler, ni de lieu pour exercer son art, ferait piètre charpentier.

Conclusion : c'est ainsi que la contemplation ni l'enseignement des idées, la possession de la logique, dialectique, rhétorique, didactique, dissertation et discussion, ni la rétribution pour ses contemplation, enseignement et possession ne font ni la philosophie ni le philosophe. A contrario, un philosophe qui serait démuni de la maîtrise du savoir, de la thèse, des méthodes et techniques et qui n'aurait pas à assembler de valeurs pour la construction de sens ferait un piètre philosophe.

Ce ne sont donc pas les moyens ni les lieux qui définissent le philosophe mais le philosophe qui choisit ses moyens et ses lieux en fonction de sa pratique qui est singulière : celle de son propre exercice de la philosophie pour construction de sens et valeurs ; lesquels ont pour but d'être habités pour abriter une société.

Si donc moyens ne sont pas fin, quelle serait alors la fin de la philosophie ?

Pour éviter tout malentendu, précisons que le mot "philosophe" a été inventé par Pythagore de Samos (premier mathématicien-géomètre - VIe s. av. J.-C.) alors que Léon, Tyran de Philonthe, lui demandait qui il était.

Selon l'étymologie détaillée ci-dessus, le mot "philosophie" est composé des deux mots grecs : "philia" qui exprime l'amour, l'amitié, l'admiration et le désir des choses et êtres les plus élevés ; tandis que "sophia" exprime la connaissance (savoir + sagesse), non pas seulement la sagesse comme communément traduit. La philosophie est donc mère de la science et des sciences modernes - qui, elles, tentent de répondre à la question : comment ? Tandis que la philosophie, elle, tente de répondre à la question : pourquoi ? En autres termes, au sens du Monde, aux valeurs. Elle est donc concurrente de la théologie (comprendre le sens "révélé"). La philosophie s'appuie plutôt sur la science et se sert de la logique (logos), elle pose beaucoup de questions - l'essentiel étant de commencer par bien les poser - qui restent parfois sans réponse (métaphysique). Elle réfute la doxa qui exprime la superstition, la croyance, l'opinion, la conviction, les stéréotypes et les idées reçues, sans vérification, communément partagées. Elle encourage au doute, développe l'esprit critique, la logique, le discernement, le jugement (faits et valeurs), la liberté d'esprit, l'intelligence.Cependant, philosopher serait-ce affaire de spécialistes ? Un enseignant en philosophie, philosopherait-il ? Il enseigne plutôt la philosophie. Un étudiant en philosophie, philosopherait-il ? Il apprend plutôt la philosophie. Un philosophe médiatisé, philosopherait-il ? Il fait plutôt sa promotion pour être socialement reconnu en tant qu'intellectuel. Philosopherait-on au café ? On y tenterait plutôt le plus souvent d'y faire reconnaître des autres "sa vérité" ! Notons, néanmoins, que ces restrictions ne sont pas exclusives, car il est possible aux enseignants, étudiants, "intellectuels", et autres "piliers de bistrot" de philosopher par ailleurs. Il n'est donc pas nécessaire d'avoir fait des études de philosophie pour philosopher ; néanmoins, la connaissance des idées des "penseurs" qui nous ont précédés fait gagner du temps pour notre propre réflexion philosophique. Alors, à quoi servirait la philosophie ? À savoir pourquoi on se lève le matin, sur quelles valeurs va-t-on se référer pour prendre ses décisions quotidiennes ou exceptionnelles et assumer sa responsabilité devant les autres. C'est donc tous qui pourraient et devraient philosopher avec les moyens dont chacun dispose ; cependant, bien peu y consacrent le moindre temps, donc la moindre priorité, car cette activité réclame de dégager des moments habituellement consacrés à la survie et aux tentatives de maîtrise de la contingence. Cette motivation nécessite plutôt d'être en harmonie avec son affect, d'être courageux, loyal, honnête, exigeant et rigoureux avec soi-même.Y a-t-il des sujets de pensée et de réflexion exclusivement philosophiques ? Non, tous les sujets seraient philosophiques, c'est la façon dont on les traite qui est soit philosophique, théologique, scientifique, idéologique, dogmatique.Néanmoins, nombre de ces pensées et réflexions philosophiques sont fréquemment perturbées par l'affect qui s'y invite.

2) Affect et intellect

Névrose hystérique et névrose obsessionnelle sont-elles philosophie ? La question pourrait paraître provocation tant au psychologue, psychanalyste, psychiatre qu'au philosophe.Certes, quand l'émotion est catharsis (étym. : purification de l'affection), elle se veut libération de la souffrance. Pour autant, ce pathos n'a pas été curé, mais le plus souvent pallié. Cette rémission pourrait alors récidiver, devenir redondante et donc, par défaut, insatiable, hystérique. Assurément, cette stratégie de libération du pathos, pour peu qu'elle puisse momentanément soulager, n'est pas compréhension. L'hystérie en tentant vainement de combler l'angoisse, ne peut donner du sens et de la valeur. Il ne peut donc pas s'agir de philosophie.

Néanmoins, pourquoi vouloir questionner la relation hypothétique entre hystérie et philosophie ? Parce que la stratégie inverse de l'hystérie est l'obsession. Si la philosophie n'est pas hystérique, est-elle obsessionnelle ?

L'obsession est redondance par excellence. Il s'agit de rituels, de constructions cérébrales qui visent à ne laisser aucune lacune, aucun néant, qui serait cause d'angoisse. La logique par son exigence du raisonnement sans défaut, apparaît souvent comme une obsession. Or, la philosophie, avec son outil logique, pour compréhension du sens et valeurs, pourrait être exercice obsessionnel.Si hystérie et obsession tentent de calmer l'angoisse, si obsession et philosophie sont logiques, la philosophie est-elle aussi tentative pour calmer l'angoisse en cherchant à appréhender sens et valeurs ? La réponse est affirmative si la philosophie récuse toute question sans réponse, telle, par exemple, les questions métaphysiques auxquelles nombre de "philosophes" ont renoncé. La philosophie pourrait donc n'être que spéculation spécieuse pour avoir réponse à tout afin d'apaiser l'angoisse.

La philosophie peut-elle être véritablement recherche de sens et de valeurs ? La réponse est affirmative si le philosophe reste apaisé, alors que parfois son questionnement demeure sans réponse, car il ne tenterait alors pas de "tordre" la logique et d'ainsi transgresser sa quête de vérité pour calmer son angoisse ! Si, selon Michel Eyquem De Montaigne, "Philosopher n'est autre chose que s'apprêter à la mort [ ... ] c'est que toute la sagesse et discours du monde se résout enfin à ce point, de nous apprendre à ne craindre point à mourir." (cf. Essais, XX Que philosopher, c'est apprendre à mourir - 1580), a contrario, je pense plutôt qu'il faudrait apprendre à ne point craindre de mourir pour philosopher. C'est ainsi qu'à défaut de stoïcisme (version antique) ou de psychanalyse - ou auto-analyse, si c'est possible - (version contemporaine), toute spéculation ne pourrait être qu'exercice de névrose obsessionnelle pour vaine tentative d'apaisement de l'angoisse existentielle (Søren Kierkegaard), expression du "pathos".Si donc la mort est assumée, alors pourquoi philosopher ?

3) Philosopher aujourd'hui

Il me semble que les enjeux humains contemporains nécessiteraient l'engagement crucial de la philosophie dans de nouvelles pratiques, tant endogènes à l'institution qu'exogènes - y compris l'exercice philosophique en entreprise comme en libéral. En fait, depuis quarante siècles, il y a foisonnement religieux ou philosophique consécutif aux grands bouleversements sociopolitiques et culturels. Le XXe s. est celui de la disparition du foyer - vieux de plus de 150 millénaires -, lieu de socialisation, et du premier libre-échange planétaire sans État - brassage de populations, échanges mondiaux culturels, scientifiques et technologiques, économiques et écologiques sans efficace institution supranationale régulatrice. Ces récents bouleversements entraînent alors un besoin de nouvelle réévaluation de sens et des valeurs - transcendants ou immanents - : réponses historiquement données par les religions ou cherchées par les philosophies. Or, en fin de XXe s. et en début de ce XXIe s. il y a carence de ces fonctions historiques. Au cours des siècles précédents, les religions se sont enfermées dans le dogmatisme, voire l'intégrisme, rendant inadaptées leurs réponses traditionnelles et conformistes aux questions contemporaines, d'où l'émergence de nouvelles superstitions, ésotérismes et/ou sectes.Tandis qu'aujourd'hui, ceux qui bénéficieraient de la reconnaissance sociale pour porter le titre de "philosophe" se satisfont d'enseigner l'histoire des idées ou de poursuivre des spéculations obsolètes pour une nouvelle problématique de l'humanité, tout en tentant de construire ou d'entretenir jalousement leur notoriété médiatique afin de figurer tel "intellectuel" (cf. l'affaire Alfred Dreyfus : J'accuse, Émile Zola), d'où l'émergence de nouvelles pratiques philosophiques.

Néanmoins, à l'examen de la réalité, ces nouvelles pratiques religieuses et philosophiques ont en commun la diversité et la confusion. C'est ce qu'on appelle, en sciences physiques et sociales, une transition, instabilité ou crise : dynamique créative donnant lieu par la suite à un nouvel état de stabilité.

Ce serait donc, selon moi, l'intérêt de ces colloques sur les nouvelles pratiques philosophiques, parce qu'ils sont un évènement rendant visible ce moment historique de créativité philosophique. Cependant, selon moi, il ne se créerait encore rien de philosophique, car nous n'en serions qu'au début. Pour le moment, nous n'inventerions que de nouveaux moyens didactiques. Cependant, nombre d'acteurs, en cette période pour la philosophie, ont l'intuition de cette émergence créative en philosophie. Souffrant, pour la plupart, de manque de reconnaissance sociale - endogène ou exogène à l'institution -, plusieurs d'entre eux se voudraient alors "Le" promoteur, que l'histoire retiendrait pour la prospérité, de ces nouvelles pratiques philosophiques, d'où les rivalités dérisoires entre personnes.

Si l'époque philosophique était selon moi, historique, c'est en fait l'affect qui l'emporte pour le moment sur l'intellect alors que la philosophie se voudrait exercice de la raison et du discernement pour l'accès au sens et à des valeurs à politiquement se donner. Plutôt que s'asservir dans le consumérisme, alléguer aujourd'hui telle citoyenneté, ou chercher à se construire une notoriété dérisoire, philosopher deviendrait indispensable.

4) Philosopher, une pratique courageuse

Philosopher serait donc une interaction entre : être curieux, observer, étudier, discerner, réfléchir sa pensée, y exercer la logique, expérimenter, pour donner sens à sa vie et ses valeurs et s'y référer afin de professer (déclarer, non pas enseigner) et d'agir. Je ne pense donc pas qu'enseigner et apprendre seraient philosopher. Enseigne-t-on et apprend-on à créer, inventer, découvrir ? Ce que l'on peut enseigner et apprendre, ce sont les méthodes pour créer, inventer, découvrir. C'est ainsi que celui qui crée, invente, découvre est un créateur, inventeur, découvreur (chercheur). Ce que l'on peut enseigner et apprendre, ce sont les méthodes pour philosopher. C'est ainsi que celui qui philosophe est un philosophe.

C'est pourquoi la philosophie est pratique et que cette dernière s'évalue, non pas aux critères d'autres thèses, mais de la thèse singulière soutenue. Philosopher est donc cohérence en ce que l'on pense, réfléchit, sur le sens, les valeurs et ce que l'on professe, ce que l'on fait.

La philosophie n'est donc pas spéculation de l'esprit, car aimer (qui est un verbe) n'est pas contemplation ni dévotion, mais action. Que serait-ce un amour sans implication, engagement qui nécessite foi (confiance), sinon un fantasme, une idée pour lâches ? Car philosopher demande du courage, parce que l'action engage sa vie et nécessite d'en répondre devant soi et autrui.

D) Intervention de Georges Dru (Lyon). Et si Platon revenait...

"Qu'est-ce qu'une pratique philosophique?"

Critique de la "Critique de la raison pratique". Je ne voudrais pas aller dans le mauvais goût du Maître, que j'interroge avec mon désir et qui me renvoie son discours de la méthode, pour que je puisse adhérer à son obscurantisme. Jacques Lacan s'était lassé des philosophies de l'absurde à une époque. Il préférait les structuralistes aux existentialistes. J'y vais à reculons et je me dis que si je n'étais un lecteur assidu des séminaires de Lacan, je serais aussi par la pratique du discours, devenu un Maître. Maintenant, il y a aussi l'Université qui devance le Maître. Par ma pratique de philosophe, je m'efforce justement de ne pas tomber dans les aventures, par un travail constant de l'étude de l'histoire de la philosophie. Voilà où me porte la question de la pratique philosophique.

Pratiquer c'est se situer par rapport aux pratiques d'autrui. Pratiquer la natation nécessite que je puisse nager. Une pratique, cela peut se faire sans mon assentiment. La torture, en est un exemple. J'ai le souvenir de bonnes pages de Martin Heiddeger à ce propos. L'homme a beaucoup agi et peu pensé, constatait-il. La question de la philosophie aujourd'hui se pose pour son utilité et en plus, a-t-elle une véritable fonction? Ou bien, n'est-elle pas plutôt une collection d'écrits que l'on trouve dans les bibliothèques universitaires . Pratiquer la philosophie, la plupart n'y pensent pas. Si j'y pense, je cherche où celle-ci se trouve. Pour le sexe ou la mort, si je n'y pense pas, il n'y a aucune raison que je cherche à en savoir quelque chose. Donc, je peux supposer que c'est dans l'oubli et encore présent.Les philosophes pratiquent-ils pour savoir, ou pratiquent-ils pour produire des systèmes philosophiques ? Produire un système philosophique, est-ce toujours légitime et pour quelle finalité ? Aujourd'hui de quoi se charge un discours philosophique? Peut-être se charge-t-il de ce qui ne peut pas s'oublier. Autrement dit, ce fait même que Socrate fut condamné à une mort ignominieuse par des gens d'Athènes en mars 399 avant J.C. ; ou celui de l'histoire tragique que vécurent les juifs en Europe au siècle dernier. Depuis, il semble que nous ayons pu changer de discours, puisque la peine de mort est abolie en France. Mais pour ceux qui croient, quelque part dans le monde, que cet usage est bon, comme le supposait Kant, il leur faudra beaucoup de temps et un effort certain, pour qu'ils soient un jour convaincus du contraire.

À Louvain, Jacques Lacan disait à ses auditeurs: "Il faut croire à la mort, sinon l'on ne se sort pas d'un rêve éveillé de l'éternité". Il disait ailleurs à la même époque, vers 1973: "...que l'amour c'est le signe de ce que l'on change de discours". J'aimerais que cela soit un jour vrai pour nos pratiques philosophiques, ce changement de discours. Mais ce n'est possible que pour ceux qui savent de façon juste et précise, de quoi il est question et jugent qu'il y a à cela urgence et nécessité, pour rendre supportables les rapports sociaux. Mais, devrions-nous alors apprendre les leçons et l'usage de l'amour courtois et de l'art que connurent les médiévaux ?

Toute pratique nécessite un suppôt. Un terme de philosophie, nous dit le Littré. Ce qui sert de fondement, de soutien, de sujet comme le sont le désir et la mort. Pascal a écrit dans ses Pensées: Comment connaîtrions-nous distinctement la matière, puisque notre suppôt qui agit en cette circonstance, est en partie spirituel". Cette disjonction du spirituel doit être reconnue et préservée, puisqu'il est le suppôt pour les pratiques qui utilisent la matière et donne à celle-ci une finalité universelle pour faire le bien de tous les êtres vivants. La pratique philosophique peut être considérée comme un art. Les étudiants au 13° siècle s'appelaient des artiens. L'on peut certes pratiquer l'art d'un discours philosophique. Mais la philosophie ne peut pas être comparée à des pratiques religieuses ou à des sciences appliquées.

Je ne pense pas que la pratique du philosophe, puisse faire mieux que de transmettre un savoir inédit à ceux qui n'en veulent rien savoir. Mais la valeur de ce savoir ne saurait pouvoir passer la barrière des mots du "vulgus". La philosophie offre un différend, comme l'arbre qui symbolise la Vie au milieu du jardin d'Eden, dans l'allégorie de la Genèse. Après la sortie du jardin de l'homme et de la femme, Dieu l'Eternel, soutient une autre connaissance et annonce toutes les peines qui vont arriver au cours du séjour des êtres vivants et parlants sur la terre. Ce n'est pas le blablabla jaloux et tendancieux du serpent. Le philosophe par sa pratique, devrait aussi prendre la mesure de toutes ces peines, que rencontrent les hommes, les femmes et leurs enfants. Son action, devrait les aider à prévoir avec des perspectives qui consistent, les conditions sur lesquelles tous les citoyens fondent la vie des êtres vivants sur la terre.

J'avoue que cette question de la pratique philosophique m'a embarrassé et qu'elle appelle un discours inégal et utopique. Mais, c'est important qu'elle soit posée pour obtenir des enseignements et corriger les détournements. Merci à ceux qui l'ont posée.

III - Café philo : "Qu'est-ce qu'une pratique philosophique ?"

11h30 - 12h30

Animation : Francis Tolmar (Toulouse)

Synthèse des échanges : Romain Jalabert (Narbonne)

S'il est encore bien des questions qu'il conviendrait de se poser, celle-ci est sans doute de celles que l'on ne se pose jamais, ou trop peu. On "fait", on "pratique", on "s'exerce", on "joue", on "chemine", etc., sans interroger véritablement ce que l'on fait. Sans doute parce qu'on n'y pense même pas, par peur du pléonasme ou encore de la tautologie illustrée par ladite "pratique praxéologique".

Mais questionner la pratique philosophique, c'est questionner aussi le philosopher ; la source et le sens de ce philosopher ; tout ce qui occasionne et accompagne le philosopher : des désirs qui se jouent à l'espace de la pratique proprement dite.

La question de l'articulation de la pensée et de l'action est apparue importante, car là est sans doute la grande difficulté de cette pratique singulière - tout au moins de son exercice. Et le langage, qui se trouve bien entendu au coeur de ces pratiques - mais pas seulement -, illustre bien cette difficile articulation.

Si philosopher, comme l'écrivait Karl Jaspers, "c'est être en route", on ne sait alors pas forcément où l'on va ; et il serait bon, précisément, de s'y perdre : pour ne rien clore !

IV - Atelier philo : "Qu'est-ce qu'une pratique philosophique ?"

14h30 - 16h30 - Écriture, lecture et discussion

Animation : Michel Tozzi (Narbonne)

Présidence de séance : Jean-Paul Colin (Agde)

Synthèse des échanges : Romain Jalabert (Narbonne)

Toujours dans le cadre de notre question - "qu'est-ce qu'une pratique philosophique ?" -, pouvons-nous et devons-nous évaluer nos pratiques philosophiques ? ; et si oui, comment les évaluer ? Mais encore, ne faut-il pas prendre en compte le contexte matériel de cette activité, réflexive par nature... ?

C'est aussi le rapport entre vie et philosophie qui se pose, et les métaphores (intuition et coeur) semblent précieuses aux pratiques philosophiques et à l'activité humaine de manière plus générale. Pratiquer la philosophie, c'est aussi changer de langue en écoutant l'autre ; même si l'amoncellement des interventions ne fait que multiplier ces langues étrangères, complexifiant parfois plus encore la tâche.

Tout l'intérêt et en même temps la difficulté de la pratique philosophique résideraient peut-être dans cet exercice périlleux qui consisterait à "prendre de la hauteur sans perdre pied" ; s'abstraire sans céder à l'abstraction.Pratiquer la philosophie, en somme, pourrait revenir alors à grandir, étirer et augmenter sa pensée avec le concours de l'autre qui toujours nous tire vers le haut, nous aide à nous élever. Quelle souplesse, quelle grande élasticité il doit falloir à la pensée pour "prendre de la hauteur sans perdre pied" !

V - Table ronde : "Qu'est-ce qu'un praticien-philosophe?"

17h - 18h

Animation : Jean-Philippe Blanchard (Toulouse)

A) Intervention de Bruno Magret (Paris)

Dans le schéma descendant de la philosophie institutionnelle, celle-ci s'exprime dans un mouvement déductif et descendant. On y exerce une fonction institutionnalisée : "professeur de Philosophie". La formation institutionnelle se fonde principalement sur des "savoirs" issus de l'histoire de la Pensée, et sur l'acquisition d'une méthode (la dissertation philosophique).

Les points points forts de ce schéma sont : une formation vérifiable selon des normes institutionnelles ; le développement d'une capacité à revenir sur les formes de pensée qui nous ont façonnés historiquement (généalogie de la pensée) ; l'acquisition d'une méthodologie fondée sur l'écrit (dissertation).

Mais il y a des points faibles : des difficultés, liées à la forme déductive et descendante, de s'incarner dans la réalité à partir d'un principe ou d'une théorie ; une certaine déformation liée à la formation ; un enfermement dans le savoir ; une perte de l'intuition et de la créativité.

Par opposition, dans le schéma ascendant des "Nouvelles Pratiques Philosophiques", la philosophie pratique s'exprime dans un mouvement inductif et ascendant. ; on y exerce les métiers de formateur ou d'animateur socio-culturel ; on utilise la philosophie comme méthode de formation et de consultation ; elle est aussi un support pour l'animation socio-culturelle ; la formation est principalement fondée sur l'expérience de soi ; les "philosophes-praticiens" peuvent être issus d'une pluralité de formation : philosophique (bien entendu), psychothérapique, consulting, animation et travail social, etc.

Les points forts sont ici :

  • le développement de savoir-faire cognitifs et de savoir-être, tels que la prise de conscience et un travail sur le corps (méditation, relaxation) ; la gestion des affects (maîtrise de soi) ; le développement de la puissance de la clarté du raisonnement ; la maîtrise de la logique et de l'argumentation ; la maîtrise des arts dialectiques ; un travail sur le comportement.
  • le développement de savoir-faire politiques et sociaux, tels que : la médiation ; un tissage de liens sociaux ; l'institution de pratiques démocratiques de proximité ; la création d'un espace laïc fondé sur une "sagesse" impartiale tendant vers l'universalité des valeurs ; une aide aux individus à se forger en tant que citoyen.Les points faibles sont par contre : une formation difficilement vérifiable ; l'atomisation des pratiques ; la difficulté à faire surgir une théorie générale à partir de l'expérience ; des rapports excessivement individualistes entre les philosophes-praticiens, et même à faire émerger la figure du philosophe-praticien.Quels savoir-faire développe le philosophe-praticien :
  • une connaissance de l'histoire et de l'actualité de la pensée sur un plan global (philosophie, théologie, religions comparées, psychanalyse, sociologie, sciences exactes...). Les participants aux débats ayant été formés, par principe, dans diverses disciplines culturelles, le philosophe-praticien, s'il veut être pertinent et gérer au mieux un débat, se doit d'être formé à différents types de pensée afin de tendre vers l'universalité des savoirs ; - la gestion d'un groupe, la connaissance de la communication ;- le développement de capacités cognitives et logiques, l'utilisation des outils du raisonnement (le doute, le questionnement, la problématisation, la reformulation, la synthése, l'induction, la déduction, le raisonnement causal, analogique, anagogique, la conceptualisation, etc.) ;
  • la connaissance des diverses méthode de raisonnement philosophique utilisées dans l'histoire (maïeutique, dialectique, entéléchie, méthode cartésienne, criticisme, phénoménologie, herméneutique...) ;
  • la rhétorique et argumentation ;
  • la médiation ;- l'écoute, l'empathie et la bienveillance.

B) Intervention de Fernand Reymond (Marseille)

Toute la question tourne autour de la différence entre théorie et pratique. Théoriser est déjà une pratique, c'est une pratique réflexive, le plus souvent abstraite. La théorie philosophique est une représentation mentale systématique qui tente de passer tout le réel à son tamis. Mais elle doit se poser la question socratique : " As-tu passé ta vérité aux trois tamis ?

- Tiens-tu cette vérité de toi ou d'un autre ?

- Cette vérité est elle bonne ?

- Cette vérité peut elle m'être utile ?

La théorie doit déboucher sur une praxis. Les écoles philosophiques antiques étaient avant tout des pratiques, pratiques réflexives suivies de leur application concrète, dans l'éthique et la techné. Exemples :

Thalès, le premier philosophe ionien, avait établi qu'à l'origine de l'univers le premier principe était l'eau dont tout découlait. Il se fit ingénieur hydraulicien, construisit des barrages et des canaux destinés à l'irrigation agricole et à l'alimentation en eau potable. Pythagore enseignait que l'arithmétique et les nombres étaient les principes de la musique des sphères et que le nombre était le fondement de la psyché ? Il a établi un nombre d'or, qui fut appliqué dans l'architecture, et il institua la musique comme pratique arithmétique sublime. Dans son école tous les ateliers de la journée philosophique étaient rythmés par la pratique de la musique.

Socrate, fils de sage-femme, imagina la maïeutique philosophique, il accouchait les hommes de la vérité sur l'agora.

Platon, persuadé que la cité devait être dirigée et gérée soit par un Roi philosophe ou un Philosophe Roi, allait à Syracuse former Denis le tyran à la philosophie pour faire de sa cité une cité idéale.

Epicure, adepte de la philia, l'amitié, l'amour tempéré ataraxique, réunissait ses amis dans son jardin.

Diogène, adepte d'une philosophie cynique et misanthrope, vivait dans son tonneau et usait et abusait de cynisme.

Lucrèce, qui pensait que l'ontologie était d'ordre symbolique et poétique, n'écrivait de traité philosophique qu'en poésie (Cf. le De Rerum Natura).Les philosophes du siècle des Lumières théorisaient et avaient une pratique sociale et politique conforme à leurs théories (Cf. Voltaire et l'affaire Calas, Diderot et l'Encyclopédie).

Karl Marx, créateur du "Capital", a milité pour l'instauration de l'Internationale socialiste.

Les surréalistes, forts des découvertes de l'inconscient ont tenté la gageure de la réalisation des phantasmes inconscients, contrairement à Freud qui disait lors de son voyage de conférences aux USA : "ils ne savent pas que je leur apporte la peste !".

Les temps contemporains sont ceux d'une philosophie désincarnée, abstraite, théorique. Les structuralistes réduisaient l'homme à un animal cybernétique binaire conditionné par le ternaire du symbole. Ils ont contribué à rendre statique la recherche et à désespérer le genre humain, ce qui a amené la réaction de Mai 68. Seul Jean Paul Sartre reste le dernier philosophe praxique, qui avec sa théorie du libre arbitre et de l'engagement a mis en pratique dans le militantisme politique sa théorie. Après lui les philosophes déconstructivistes comme Derrida n'ont fait que de la glose et de l'exégèse. Marc Sautet s'est institué contre cette déréliction philosophique, il voulut retourner aux philosophes antiques, à une philosophie populaire, sortant des cénacles feutrés d'experts pour descendre dans l'arène. Les nouvelles pratiques philosophiques sortent la philosophie de son statisme ronflant, la rendent dynamique.

Personnellement, je développe une pratique philosophique en m'engageant comme animateur de cafés philosophiques dans des milieux très populaires d'immigrés, loin de l'élitisme. J'anime aussi en tant que psychanalyste des réunions de mères maghrébines pour leur donner des conseils psychopédagogiques. Pour moi la théorie sans praxis est vaine, stérile.

VI - Café philo : "Qu'est-ce qu'un praticien-philosophe ?"

18h - 19h

Animation : Jean-Philippe Blanchard (Toulouse)

Présidence de séance : Marcelle Frechou-Tozzi (Narbonne)Synthèse des échanges : Romain Jalabert (Narbonne)

C'est la figure de l'accoucheur qui est revenue le plus souvent, avec de plus cette idée qu'accoucher l'autre pourrait aider le praticien à accoucher lui-même : car l'altérité me modifie, me sort de nos propres cadres de pensée et donc me surprend. L'animateur, même expert - en méthode -, apprend toujours. Mais comment et où situer le praticien quant à la dynamique qui se joue ? Question importante, sinon cruciale. Lorsqu'il anime une discussion, le praticien doit-il se placer en technicien - sans pour autant céder à la dérive techniciste - ou en herméneute ? Plusieurs interrogations ont été posées : donner ou pas donner son point-de-vue ? Prendre une position de savoir ou de non-savoir ? Ou encore : qui du praticien ou du groupe impose le plus son style ? N'y a-t-il pas aussi un risque de domestication de l'homme et de sa créativité dans certaines approches ? Se pose alors la question du désir du praticien. Existerait-il autant de raisons de pratiquer que de praticiens ? Sont évoqués la passion, la nécessité, l'utilité sociale, le besoin de se former, etc. ; sans compter les motifs inconscients. Une certaine opacité demeure...

DIMANCHE 26 JUILLET

VII - Démonstration de consultations philosophiques et analyse de la méthode

9h30 - 12h

Par Bruno Magret (Paris) et Francis Tolmer (Toulouse)

VIII - Rando-philo dans la Montagne Noire (Rigole de la Montagne)

14h - 16h

Animation : Yves Pinel (Revel)

Groupes de trois à quatre personnes

16h - 16h45

Mise en commun des groupes à partir du thème de la rando-philo : "La pratique philosophique peut-elle nous aider à vivre ?"

Synthèse des échanges : Romain Jalabert (Narbonne)

Si elle ne les a toujours pas résolues, de manière ferme et définitive, la philosophie s'est néanmoins évertuée, depuis l'antiquité, à répondre aux nombreuses interrogations des êtres humains ; et notamment à celle du "bien vivre". Puisant dans toutes les autres sciences, elle fait figure de voie privilégiée pour accéder au bonheur et à la sagesse. Tandis que "bien vivre" peut s'entendre en terme de sensations physiques, la question du sens reste première. Effort de clarification sur soi et sur le monde, la pratique philosophique pourrait nous aider à construire du sens - construction opposée à l'autre mode d'accès au sens que serait la révélation -, à faire le tri entre l'essentiel et le superficiel, mais encore à constituer une véritable "unité narrative" de notre vie à partir des nombreux "plans" qui composent notre vie (on trouve ces concepts chez Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre). La pratique philosophique pourrait permettre de trouver du sens à la vie - ou à la mort - mais s'accompagnerait aussi d'un véritable plaisir lié à l'activité réflexive. Songeons au sage sorti de son ego pour atteindre enfin une plénitude de vie. À cette vision idyllique de la pratique philosophique vient s'opposer l'idée d'une pure illusion (nécessaire ?), quand cette même pratique peut devenir "torture" et même handicap. Certains n'auraient peut-être même pas besoin de donner du sens à leur vie pour connaître ces moments de plénitude qui rappellent que la vie vaut la peine d'être vécue.Enfin la question posée - "la pratique philosophique peut-elle nous aider à vivre ?" - appellerait plus une réponse personnelle que collective ; plus un "je" qu'un "nous", tant les façons d'aborder la philosophie semblent nombreuses et personnelles.

16h45 - 17h30

Intérêt de la pratique de la rando-philo

Synthèse des échanges : Michel Tozzi (Narbonne)

De l'expérience de rando-philo, il a été tiré l'analyse suivante :Beaucoup d'avantages. La modalité s'inscrit dans la tradition antique de la philosophie péripatéticienne. La marche, lorsque le rythme est choisi et n'essouffle pas (car on parle en marchant), oxygène le cerveau, ce qui le rend plus disponible, et ses idées plus fluides. Le pas à pas alternant la dialectique déséquilibre/équilibre introduit une dynamique du corps, qui influence la pensée. Les schèmes intellectuels, comme dit Piaget, s'étayent des schèmes sensori-moteurs. Le rythme de marche commun qui se cherche est cohésif pour le groupe, car il synchronise les postures et les rythmes individuels.La marche rend l'écoute plus favorable, si l'environnement est enveloppant (contenant psychique du groupe), le climat ni trop chaud ni trop froid. Il faut être par groupe de trois personnes (maximum quatre), pour ne pas perdre d'énergie à tendre l'oreille, et dans un endroit calme, non encombré par des obstacles naturels ou humains, qui perturberaient.Le petit groupe facilite la circulation de la parole, tous parlent, il y a moins ou pas besoin d'un répartiteur de parole, d'un animateur. Par contre, il est difficile d'écrire en marchant, il faut s'arrêter, notamment pour faire une synthèse si on doit rendre compte de la réflexion. L'implication personnelle à trois, le recours à l'expérience et au vécu sont plus faciles (mais ce n'est pas un "groupe de parole", au sens psychologique, il faut maintenir la visée philosophique). La triangulation (trois marcheurs) évite le face à face (le "duel") ; il y a toujours un tiers dans le dialogue à deux. Les marcheurs étant à côté (il faut un chemin assez large), le regard en face à face ne conforte pas en cas de désaccord la position de défi, on peut donc se concentrer sur l'écoute.

Le déplacement et le rapport à l'environnement favoriseraient-ils la spatialisation de la pensée et le recours au cerveau droit ?