L'importance de l'accompagnement en classe dans la formation des maîtres en philosophie pour les enfants

Les accompagnements en classe constituent un complément à la formation offerte dans le cadre de la pratique de la philosophie avec les enfants. Ils sont une forme de soutien pédagogique visant à aider les enseignants1 à utiliser les outils du dialogue philosophique en situation. Nous voudrions mettre en évidence les principaux enjeux de ces accompagnements et en évaluer l'importance pour la formation des enseignants. Nous examinerons brièvement le rôle de l'animateur, ce qui nous conduira à décrire la structure et les enjeux des accompagnements, et à clarifier le mandat de l'intervenant lors des accompagnements.

Philosopher avec les enfants se définit comme une approche éducative visant le développement de la pensée critique et créatrice des élèves par la pratique. Lorsque l'on observe des enfants engagés dans la création d'une communauté de recherche philosophique (CRP), on les voit prendre la parole, poser des questions, formuler des hypothèses, chercher des exemples et des contre-exemples, envisager les conséquences de ce qu'ils avancent, définir certains mots et, surtout, entrer en dialogue les uns avec les autres. Toutefois, une simple discussion entre enfants ne saurait suffire à la formation de leur jugement critique. Encore faut-il qu'ils soient mis au défi de penser.

Dans le cadre d'un atelier de philosophie avec les enfants, les enseignants sont appelés à animer plutôt qu'à transmettre des connaissances positives. La formule pédagogique magistrale de la réponse fait place à une pédagogie dialogique de la question, de l'interrogation et de l'investigation. Il s'agit d'un virage pédagogique qui s'avère particulièrement difficile à réaliser pour certains enseignants. Ce dernier exige, en effet, de s'approprier de nouveaux outils pédagogiques qui sont orientés vers la pratique du dialogue plutôt que vers l'acquisition de connaissances. C'est dans ce contexte que certains enseignants ont senti le besoin de formuler une demande d'accompagnement consistant à accueillir un intervenant à quelques reprises dans leur classe dans le but de se familiariser avec le processus de mise en oeuvre de ces ateliers et de mieux comprendre les objectifs qui sont visés.

Le rôle de l'animateur

Il convient, avant d'examiner la structure de ces accompagnements et leurs enjeux, de définir le rôle de l'animateur d'une CRP, car c'est de la particularité de son mandat que sont nés ces accompagnements en classe. La pratique de la philosophie avec les enfants est une pédagogie du questionnement qui vise la formation de la pensée et du jugement. Dès lors, le rôle de l'animateur est d'encourager la recherche et le questionnement. L'animateur d'une CRP intervient le plus souvent de manière interrogative afin de susciter la réflexion chez les élèves et de favoriser leur développement sur le plan cognitif. Les questions qu'il pose visent essentiellement la création d'un dialogue philosophique cherchant à développer une idée de manière critique et créative. Il doit amener les élèves à s'engager dans une délibération et faire en sorte qu'ils puissent s'approprier, par l'exercice, les habiletés d'une pensée réflexive, critique et philosophique. Par exemple, il doit aider à problématiser lorsque le dialogue conduit à des évidences, assister les élèves dans la formulation de raisonnements et la conceptualisation de leurs idées, et travailler avec eux les relations partie/tout, cause/effet, moyen/fin, les différences de degré, les différences de nature, etc.

L'animation d'une CRP avec les jeunes se distingue d'une tâche d'enseignement traditionnelle. Elle est décrite, par Michel Sasseville, professeur de philosophie à l'université Laval à Québec, comme étant un geste lucide, complexe et subtil2. Selon Pierre Lebuis, professeur de philosophie à l'université du Québec à Montréal : "l'animation d'une discussion philosophique auprès d'enfants (...) requiert certaines habiletés et attitudes dont la coordination tient plus de l'art que de la science : ce n'est pas tout de savoir ce qu'il faut faire, d'être familier avec des techniques générales d'animation, de connaître la méthodologie particulière du programme; il faut avoir la possibilité de s'exercer, avoir l'occasion de se pratiquer afin de parvenir à une certaine maîtrise de l'art de conduire une discussion philosophique en classe. Et cet art implique ultimement la capacité de réfléchir sur sa pratique de l'animation3". Retenons de ce passage que l'animation d'une CRP se présente comme étant un art (au sens de technique) et que la maîtrise de cet art passe par la pratique ainsi que par une réflexion sur cette pratique. Or, c'est précisément là l'objet des accompagnements en classe. En effet, adéquatement encadrés, les enseignants ont la possibilité d'une part, de s'exercer à la philosophie avec les enfants avec leurs élèves, et, d'autre part, d'effectuer avec l'intervenant une analyse critique de leurs animations.

Les trois étapes de l'accompagnement

Trois étapes structurent ces accompagnements : la préparation de la période de philosophie avec l'enseignant, l'animation de la période puis un retour sur l'animation.

Le moment de préparation est consacré à examiner, avec l'enseignant, la question qui sera abordée avec les élèves4. On peut, par exemple, mettre en évidence les éventuels sous-entendus que celle-ci pourrait présupposer ou tenter de déterminer si la question suggère la mise en oeuvre d'une habileté en particulier5. Il s'agira aussi de clarifier les objectifs de la période ainsi que les différents moments de l'animation en fonction du temps disponible. Finalement, la préparation visera également à identifier dans les guides pédagogiques les exercices et/ou plans de discussion pouvant aider l'enseignant à amorcer un dialogue philosophique ou à préparer, au besoin, une activité en lien avec la question retenue. Ce moment de préparation avec l'intervenant contribuera à mettre l'enseignant en confiance et le disposera à passer à la pratique.

L'observation joue un rôle décisif dans les accompagnements. En effet, les enseignants peuvent choisir entre deux cas de figure: observer ou être observé.

- Dans le premier cas, l'enseignant observe l'intervenant en portant son attention sur sa façon de questionner et d'encourager les élèves à se questionner les uns les autres. L'intervenant proposera, dès le départ, un modèle d'animation d'un dialogue philosophique. En qualité d'observateur, l'enseignant aura tout le loisir de concentrer son attention sur des points précis tels que les différentes étapes d'une animation, les types de question à poser et le processus qui est en jeu lorsque les élèves dialoguent de manière critique et créative dans une ambiance coopérative et conviviale.

- Dans le second cas, c'est l'enseignant qui demande à être observé par l'intervenant. Le rôle de l'intervenant dans ce type d'accompagnement est d'une part, de participer à la discussion pour modéliser une attitude de chercheur, et, d'autre part, d'observer l'enseignant dans sa pratique pour ensuite lui en faire un compte-rendu. L'intervenant base son observation sur une série de critères en fonction des exercices qui sont proposés dans les guides pédagogiques et des habiletés à développer qui sont ciblées par les différents romans servant de support au questionnement. Ces critères varient, bien entendu, selon le niveau des élèves.

Par exemple, l'intervenant qui observe un enseignant à la maternelle cherchera à déterminer si ce dernier, dans sa pratique philosophique, encourage les élèves à s'exprimer clairement et à intervenir en lien avec la discussion et s'il les encourage à donner des raisons et à poser des questions.

L'enseignant du début primaire devra, quant à lui, encourager les élèves à formuler des hypothèses et donner des exemples, voire des contre-exemples, ainsi qu'à considérer plusieurs points de vue et trouver des alternatives.

Enfin, la tâche de l'enseignant de la fin du cycle primaire sera non seulement d'encourager ses élèves à développer toutes les habiletés mentionnées précédemment, mais aussi de les pousser à évaluer ce qui se dit et à en estimer les conséquences. De plus, l'enseignant devra encourager les élèves à dégager des présupposés et prendre appui sur des critères pour élaborer leur jugement. Il est à noter que les critères proposés par l'intervenant servent de base d'analyse. Ils ont pour fonction d'aider l'enseignant à se situer dans sa pratique et à porter un regard critique sur elle. L'enseignant ne saurait parvenir à rencontrer l'ensemble des critères proposés par l'intervenant.

Dans les deux types d'accompagnement, la rencontre entre l'enseignant et l'intervenant se conclut par un retour sur l'animation. Il s'agit d'un temps de réflexion et de discussion afin de dégager les points forts de l'animation et d'identifier ceux qui sont à améliorer. Ce moment de réflexion sur le déroulement de la discussion permettra à l'intervenant de souligner les forces de l'animation, tout comme de proposer des moyens pour ajuster la pratique en classe. De plus, il sera l'occasion pour l'enseignant de poser différentes questions. Il s'agit d'un moment crucial puisqu'il orientera les séances suivantes.

Conclusion

Les accompagnements visent, en somme, à créer, avec l'enseignant, des conditions favorables à la mise en place d'un dialogue réflexif avec les élèves et à le soutenir dans la tâche du questionnement. Ainsi, les ateliers qu'il anime deviendront de plus en plus philosophiques. Autrement dit, il s'agit pour l'intervenant d'accompagner l'enseignant dans le processus qui consiste à transformer la classe, une heure par semaine, en une CRP.

Sur le plan pratique, les bénéfices de ces accompagnements sont multiples. L'accès à une formation pratique en classe permet, par exemple, aux enseignants de gagner de l'assurance. Notons que ces accompagnements favorisent également une meilleure compréhension des paradigmes qui sont en jeu dans la pratique de la philosophie avec les enfants. Ils aident à acquérir une plus grande autonomie dans l'animation par le développement d'habiletés et d'attitudes associées à la recherche philosophique ainsi qu'une meilleure capacité à développer chez les élèves certaines compétences en lien avec cette pratique. Enfin, la possibilité d'obtenir un soutien personnalisé permettant d'observer des modélisations dans les conditions particulières de la classe de l'enseignant constitue un apport considérable. Remarquons aussi que l'implantation de la pratique de la philosophie avec les enfants dans les écoles ayant bénéficié de ce service est plus durable et mieux réussie.

Ayant réalisé plus de quatre cents accompagnements en classe avec des enseignants de la maternelle à la fin du cycle primaire au cours des trois dernières années, nous nous interrogeons sur la nécessité d'introduire ces accompagnements dans le cadre de la formation des enseignants. Nous observons que ces accompagnements en classe sont très appréciés par une forte majorité des enseignants qui en bénéficient. Ceux-ci apprécient grandement le caractère personnalisé d'un tel soutien pédagogique directement sur le terrain, avec leurs élèves et dans les conditions particulières qui sont les leurs. À l'inverse, d'autres enseignants ayant introduit la pratique de la philosophie dans leur enseignement après n'avoir participé qu'à quelques jours de formation en groupe avec des adultes, nous rapportent qu'ils auraient souhaité profiter de la présence d'un intervenant dans leur classe afin de mieux comprendre comment mettre en œuvre cette pratique.

Nous estimons qu'il est important que les enseignants puissent se faire accompagner dans le cadre de leur formation en philosophie pour les enfants car ce soutien pédagogique les aide à réfléchir sur leurs propres animations, à faire le pont entre les fondements théoriques et la pratique en classe et à développer des stratégies pour améliorer les ateliers. Maintenant, qu'en pensent les enseignants ? Entre 2004 et 2007, nous avons interrogé environ cent cinquante enseignants de la Suisse et du Québec. Parmi eux, soixante-dix-huit pour-cent jugent ces accompagnements essentiels dans le cadre de leur formation en philosophie pour les enfants. Certains estiment même qu'ils devraient représenter les trois quart du temps total de la formation. En sommes, nous croyons que ces accompagnements sont indispensables dans le cadre de la formation des maîtres en philosophie pour les enfants, et ce pour que les enseignants puissent acquérir les compétences associées à l'animation d'une CRP.


(1) Notons que l'utilisation du genre masculin tout au long de ce document doit être attribuée à un souci d'économie et de légèreté de structure et non à une intention discriminatoire.

(2) Sasseville, M. (1999). La pratique de la philosophie avec les enfants. Québec : Presses de l'université Laval, pp. 85-86.

(3) Lebuis, P. (1990). Animer une discussion philosophique en classe. Dans Philosophie et pensée chez l'enfant. Sous la direction d'A.Caron. Ottawa : Éd. Agence d'arc, pp.177-178.

(4) Il arrive que la période de philosophie ne consiste pas en un dialogue avec les élèves mais en une lecture de texte suivie d'une période de questions. Dans ce dernier cas, la préparation peut varier selon le niveau des élèves.

(5) Par exemple, la question : "Qu'est-ce qu'un ami ?" suggère la mise en œuvre de l'habileté à définir mais les élèves, en abordant cette question, devront vraisemblablement aussi s'engager dans une recherche de critères, formuler des hypothèses, fournir des exemples, distinguer et contraster.