Philosopher en classe à partir de Le bonheur selon Ninon (éditions Autrement)

Fiche Pédagogique

L'ATELIER DE PHILOSOPHIE

Qu'est-ce qu'un atelier de philosophie ?

Pour comprendre le principe d'un atelier de philosophie, il faut oublier un tantinet le schéma traditionnel de " la leçon de philosophie ", qui reste le format le plus courant du cours de philosophie, pour la France en tout cas, ce qui n'est pas nécessairement vrai sous toutes les latitudes. Car il ne s'agit plus de transmettre une culture sous la forme d'une érudition principalement ancrée dans l'histoire de la pensée, mais de mettre en oeuvre des compétences, d'inviter à certaines attitudes qui conditionnent la pensée. Ces compétences, ce sont par exemple l'approfondissement, à travers l'argumentation, l'analyse, la synthèse, l'exemplification, l'identification des présupposés, ou la problématisation, à travers le questionnement ou l'objection, ou encore la conceptualisation, par la reconnaissance, la production ou la mobilisation de mots-clés. Les attitudes, ce sont par exemple l'étonnement, l'ignorance acquise, l'écoute critique, la sympathie au discours d'autrui et la capacité de confrontation. On s'aperçoit dès lors que la philosophie n'est plus tout à fait une matière en soi, puisqu'elle renvoie à une transversalité cruciale : apprendre à penser par soi-même, à travers l'autre, en jouant à la fois sur les dimensions cognitives, existentielles et sociales.

À qui s'adresse-t-il ?

L'atelier de philosophie s'adresse à tout un chacun, comme le ferait un atelier artistique, seul le niveau d'exigence variera, selon l'âge et les capacités du groupe. De la même manière, il peut s'inscrire dans un cadre scolaire ou une activité de loisirs. Les orientations pourront contenir un souci didactique plus ou moins appuyé selon le cadre, mais dans tous les cas de figure, il s'agira tout de même d'un apprentissage. En effet, il ne suffit pas de discuter pour philosopher, même si le sujet porte sur la vie, l'amour, la mort ou un quelconque thème existentiel. Pour cette raison, l'animateur du l'atelier doit être un minimum formé à cet exercice, sans quoi il risque de se cantonner à un échange d'opinions et à la quête d'un petit supplément d'âme, ce qui au demeurant ne serait pas dramatique. On peut s'initier à ce type de pratique avec des ouvrages conçus à cet effet, et en pratiquant par tâtonnement, mais si possible il est recommandé de s'entraîner lors d'ateliers de formation. Les deux obstacles principaux à cette activité sont d'une part que la philosophie est trop souvent perçue comme une activité élitiste, et de l'autre, à l'inverse, la conviction que l'on philosophe très naturellement sans qu'il n'y ait rien à apprendre.

Pourquoi un atelier de philosophie ?

L'atelier philosophique, tout comme la philosophie, existe pour plusieurs raisons. La plus basique et générale est que tout être humain philosophe, car nous nous posons tous des questions sur l'existence des choses, la condition humaine, la vie en société, les causes et les circonstances. Certains sont plus doués que d'autres en ce domaine, certains y sont plus attirés que d'autres, certains y ont été initiés plus que d'autres, ce qui fait que l'on philosophe plus ou moins bien, mais tous philosophent à un certain degré. Plus spécifiquement, l'atelier de philosophie a pour but de développer le potentiel philosophique de chacun. Avant tout parce que penser est une activité importante en soi, pour le plaisir qu'on y trouve, pour son importance dans notre existence, pour accomplir notre humanité et remplir nos fonctions sociales. On peut aussi instrumentaliser la philosophie en affirmant qu'elle est un moyen de développer nos capacités cognitives, qu'elle favorise l'autonomie de la pensée, qu'elle réduit la violence en travaillant le lien social, qu'elle libère des lourdeurs sociales et idéologiques, qu'elle réconcilie l'individu avec lui-même et qu'elle l'éveille à une citoyenneté active.

Quels sont les outils utilisés ?

L'outil premier de la philosophie est l'esprit, à la fois le moteur et la matière première de cette activité. En effet, on ne saurait philosopher qu'à partir de ce que l'on pense ou sait déjà. On peut aussi prétendre philosopher en lisant un ouvrage où un auteur nous décrit son cheminement, ou en écoutant quelqu'un penser, mais on ne philosophera que dans la mesure où il y aura appropriation et transposition de ce qui est perçu. De la même manière, on philosophera en observant le monde, les objets et les êtres, en fréquentant les oeuvres de la littérature, à condition de ne pas se satisfaire d'une simple réflexion, aussi intéressante soit-elle : pour philosopher, il s'agit en effet que la pensée devienne un objet pour elle-même. Il faut que la pensée soit quelque peu consciente de ses propres processus pour qu'il y ait une activité philosophique. En ce domaine, l'histoire de la philosophie nous fournit bon nombre d'outils, sous forme de concepts, d'intuitions, de problématiques, de méthodes, de règles, de systèmes et de visions du monde, qui nous aideront à clarifier et élaborer notre propre pensée. Le dialogue demeure un des outils cruciaux du philosopher, car il nous permet de nous exercer en nous confrontant à l'autre, en émergeant de soi-même et des sentiers battus, en nous invitant à des basculements de perspectives.

Dans quel cadre pédagogique ?

Le premier cadre pédagogique où devrait théoriquement se pratiquer l'atelier philosophique est le cours de philosophie. Mais ce n'est pas là qu'il se pratique le plus, pour les raisons que nous avons déjà évoquées : souci premier de transmettre des connaissances, programme chargé, etc. Néanmoins, pour une majorité d'élèves qui n'entrent pas ou peu dans la démarche classique faute d'une capacité d'appropriation, le principe de l'atelier serait d'un grand secours. Quant aux " bons élèves ", cela leur permettrait d'envisager et de vivre un autre rapport au savoir que celui de la " reproduction à l'identique ". Le lieu où se développe le plus cette activité en France aujourd'hui est l'école maternelle et primaire, sous divers prétextes, puisque la philosophie n'est pas inscrite comme telle au programme de ces classes : apprentissage de l'oral, apprentissage de l'argumentation, vivre ensemble, citoyenneté, production d'idées écrites et orales, pensée critique, etc. L'avantage du professeur des écoles est qu'il a une vision plus globale de la formation de l'élève, où apprendre à penser peut trouver naturellement sa place. Au collège et lycée, où la vision pédagogique se trouve plus sectorisée et disciplinaire, il est plus difficile d'initier ces pratiques. Néanmoins, l'enseignant soucieux d'introduire une démarche active pourra être intéressé à introduire ce que nous nommons " Enseigner par le débat ". Cette pratique de la maïeutique consiste à inviter les élèves à mobiliser leurs connaissances et leurs capacités réflexives pour engager une discussion sur tel ou tel point de la matière étudiée. Cela permet entre autres d'identifier et traiter les obstacles cognitifs et méthodologiques, de mettre en oeuvre les concepts étudiés et les informations reçues, de préparer les thèmes à venir, de vivre l'esprit de la matière.

NINON

Comment utiliser l'ouvrage ?

On peut utiliser les " Petits albums de philosophie " de différentes manières. Comme ils présentent de manière simple et parlante bon nombre de problématiques philosophiques liées à la fois aux enjeux existentiels, cognitifs et à l'histoire de la pensée, l'enfant pourra le lire seul, s'y retrouvera et engagera une réflexion personnelle : il s'identifiera sans doute à des situations et des soucis qui ressemblent aux siens. La présentation imagée de l'ouvrage, presque sous forme de bande dessinée, en facilitera la lecture et l'appropriation. Autre possibilité, une lecture accompagnée d'une recherche rédigée : on pourra par exemple demander à l'élève de recenser les différents sens de la vérité dans La vérité selon Ninon ou du bonheur dans Le bonheur selon Ninon. Ou bien demander à l'élève d'identifier et de commenter un passage qui semble important, intéressant ou problématique, en justifiant le choix effectué. À noter que la différence que l'on pourrait proposer pour distinguer ici des questions " littéraires " et " philosophiques " serait que les secondes portent plus sur l'élaboration d'un jugement de valeur ou de sens accompagné d'une argumentation, et moins sur des questions factuelles, d'appréciation stylistique ou de compréhension, bien que le premier puisse présupposer certains aspects du second. En ce sens l'atelier de philosophie peut être conçu comme une extension du cours de français, bien qu'il puisse à partir d'autres supports être l'extension de n'importe quel cours. Une autre différence importante : le fait que toute erreur est potentiellement porteuse de sens sur le plan philosophique, connotant positivement le concept de problème, ce qui n'est pas tellement le cas en " français ".

Plus spécifiquement, on pourrait prendre un passage particulier de l'ouvrage en demandant à l'élève s'il est d'accord ou pas avec ce que dit ou fait Ninon, ou avec un autre personnage. Une fois que les élèves ont " pris position " et argumenté sur un point ou sur un autre, on peut alors examiner les diverses hypothèses, les comparer, les questionner, etc. Ce dernier exercice est plus aisé que les précédents : nous le prendrons comme exemple pour la séquence qui suit.

Séquence de discussion

Prendre dans Le bonheur selon Ninon le chapitre " Pleurer sur son sort ", pages 15 et 16. Comme il s'agit d'un dialogue entre Ninon et sa mère, demander à deux élèves de le lire, en tentant autant que faire se peut de prendre le ton approprié, pour déjà mettre en oeuvre la compréhension. Demander ensuite à deux autres élèves d'en faire autant, histoire de bien s'imprégner du texte et de ses enjeux. Demander ensuite à chaque élève de déterminer s'il est plutôt d'accord avec Ninon ou plutôt avec sa mère, et d'en écrire la raison, en une phrase ou deux. Ensuite, demander à un élève de choisir celui qui lira en premier son travail. Ce dernier le lit, puis l'enseignant demande à main levée qui est d'accord, qui n'est pas d'accord, et qui ne sait pas. Il demande ensuite à cet élève de choisir un second élève, et l'on recommence la procédure. On peut faire cela une dizaine de fois, sauf si l'on considère qu'on a le temps de faire toute la classe. Ensuite, demander à chaque élève de sélectionner un travail lu à haute voix avec lequel il n'est pas d'accord, d'inscrire le nom de l'auteur, de reformuler ce que le camarade en question a dit et d'expliquer pourquoi il ne partage pas son avis. En une seconde étape, prendre au hasard (ou choisir par une procédure quelconque) un travail, que l'on inscrira au tableau afin de l'analyser. La classe en évaluera la clarté, la pertinence, la validité des arguments. Puis on fera de même avec un second travail, que l'on comparera au premier afin de percevoir les enjeux entre les deux thèses. On pourra procéder ainsi avec autant de travaux que l'on aura le temps de traiter.

Objectifs pédagogiques de la séquence

Les objectifs pédagogiques de la séquence sont divers. La première idée est de pénétrer le texte et se l'approprier, puisqu'il s'agit de prendre position face à un dilemme. Diverses compétences doivent être mise en oeuvres. L'élève doit problématiser, puisqu'il doit comprendre un problème et ses enjeux. Il doit ensuite émettre un jugement et s'engager face à ce dilemme. Puis il doit argumenter pour justifier sa position. En écoutant les divers travaux, il devra régulièrement se positionner, puis il s'engagera dans une position critique lorsqu'il choisira le travail qu'il souhaite analyser et critiquer. Il devra sans doute conceptualiser ce travail, car pour le critiquer il sera nécessaire d'identifier certains termes clés qui structurent la thèse qu'il choisit de critiquer. Lorsqu'une thèse sera inscrite au tableau, il faudra en un premier temps l'analyser et l'évaluer, en suspendant son jugement pour en déterminer objectivement le contenu spécifique. En un second temps, il s'agira de justifier cette thèse ou de la critiquer. Ensuite, lorsqu'une seconde thèse sera produite, que l'on comparera à la première, il s'agira de problématiser la différence et d'en synthétiser les enjeux. Bien entendu, l'enseignant ne joue plus ici le rôle de celui qui connaît les " bonnes " réponses, mais plutôt de celui qui sait questionner.

Problématiques de la séquence

Le passage cité a l'avantage de camper clairement deux positions, celle de Ninon et celle de sa mère, avec des enjeux bien déterminés qui permettent à l'élève à la fois d'articuler une problématique claire et de se positionner si besoin est. Toutefois articuler une problématique est en général plus difficile que de prendre position, car il est plus " naturel " de prendre parti à travers une opinion, presque réactive, que de présenter de manière relativement neutre des enjeux cognitifs ou un dilemme moral. Ainsi nous avons Ninon qui dit être malheureuse simplement parce qu'elle ressent un mal être et argumente qu'un tel ressenti est toujours personnel, qu'il ne saurait être raisonné, ni soumis à une quelconque comparaison, pas plus qu'il ne peut être compris ou partagé par autrui. Comme souvent l'adulte, la mère tente de raisonner ce mal être, de le relativiser, voire elle en nie la légitimité, ce qui pour sa fille est le comble de l'abus. Bizarrement, le fait que la problématique soit relativement articulée dans le texte rend plus ardue la production de nouveaux arguments et de nouvelles analyses par les élèves lorsqu'on leur demande de justifier leur position, contrairement à des passages moins explicites. Mais on pourra tout de même vérifier la compréhension des enjeux à travers la capacité de récapituler les différences " philosophiques " entre les deux parties, ce qui est une bonne initiation à la problématisation. Elles sont d'ailleurs assez classiques, et l'on pourrait s'attendre justement à une reconnaissance du vécu de l'élève sur le conflit entre générations : " les adultes n'écoutent pas - ou ne comprennent pas - les enfants ". Quant à ceux qui préfèrent critiquer Ninon, ils diront qu'elle est " égoïste " ou " égocentrique ", ce qui n'est pas dit dans le texte, mais tend à en extrapoler les implications. De manière générale, il est rare qu'une classe ne génère pas de nouveaux angles interprétatifs, dont il s'agit d'examiner la validité.

Si l'enseignant est intéressé à creuser plus avant le sujet, chaque ouvrage de Ninon reprend au fil des chapitres la plupart des problématiques importantes de l'histoire de la philosophie portant sur le thème du titre.

Questions et réponses types

Les questions types sont en un premier temps principalement celles de l'enseignant, qui s'en sert pour faire travailler les élèves, afin qu'ils creusent leur propre pensée. Mais peu à peu l'élève s'initiera à l'art du questionnement, ce qui lui permettra de dépasser le stade de la simple affirmation et de l'objection, et il en viendra à se questionner lui-même ainsi que ses camarades. Voici une liste sommaire des questions principales que l'on est susceptible de poser dans un tel atelier.

As-tu entendu ? As-tu compris ? Es-tu d'accord ? Ces trois questions sont souvent confuses dans les discussions habituelles où l'on arrive à ne pas être d'accord avec un interlocuteur sans réellement l'avoir compris. La troisième doit, bien entendu, être accompagnée d'une justification.

Que dit ton camarade ? Question de reformulation qui assure une compréhension de la parole d'autrui. Cela peut s'ensuivre d'une question de vérification auprès de l'auteur : " Est-ce cela que tu as dit ? ".

Qui dit cela ? Identifier l'origine d'une parole, chez soi-même, un autre élève, un personnage... Cela évite le " on ", très indéterminé.

Est-ce que la réponse répond à la question ? Vérifier s'il y a un rapport de pertinence entre la question et la réponse.

Pourquoi dis-tu cela ? Demande de justification, d'argument, d'intention...

Quel est le problème ? Identifier une problématique, sous forme d'une opposition, d'une objection, d'une incohérence...

Quelle est la différence ? Déterminer si deux idées sont équivalentes ou non, en expliquant leur différence s'il y en a une. Cela peut être précédé de " En gros, ces deux idées sont-elles équivalentes ou non ? "

Quel est le mot-clé ? Cela demande de conceptualiser une idée, voire de comparer deux idées en distinguant leurs concepts.

Peux-tu résumer en une phrase ce que tu viens (qu'il vient) de dire ? Cela oblige à synthétiser un discours flou ou trop long en vue de clarifier son sens, sa raison d'être, son intention...

Comment peux-tu dire en même temps " ceci " et " cela " ? Demander de prendre en charge ou d'expliquer ce qui peut paraître comme une contradiction ou une incohérence.

Tu dis (Il dit) " ceci ", mais est-ce toujours vrai ? Recherche des limites d'une idée, en particulier à travers un contre-exemple.

Ce qui vient d'être dit a-t-il du sens ? Inviter tous les élèves à soumettre une proposition à l'analyse critique.

Y a-t-il une contradiction entre ces deux idées ? Déterminer si l'objection est réelle ou si l'on parle simplement d'autre chose : les fausses objections sont monnaie courante.

Qui a une question à poser à propos de " ceci " ? Inviter tous les élèves à questionner ce qui a été énoncé.

Cette liste n'est pas exhaustive, mais les questions citées sont parmi les plus utiles dans un atelier de philosophie.

Bibliographie d'Oscar Brenifier

- Collection " Les petits albums de philosophie ", Autrement (Dès 8 ans)

  • Le bonheur selon Ninon
  • La vérité selon Ninon

- Collection " PhiloZenfants ", Nathan (Dès 6 ans)

  • Les sentiments, c'est quoi ?
  • Savoir, c'est quoi ?
  • Le bien et le mal, c'est quoi ?
  • La vie, c'est quoi ?
  • Vivre ensemble, c'est quoi ?
  • La liberté, c'est quoi ?
  • Moi, c'est quoi ?
  • Le bonheur, c'est quoi ?
  • Le beau et l'art, c'est quoi ?

- Le Livre des grands contraires philosophiques, Nathan

- Questions de philo entre ados, (Seuil)

Manuels pédagogiques

- Enseigner par le débat (CRDP de Bretagne)

- À nous le français  CE1, CE2, CM1, CM2 (Sedrap)

- La pratique de la philosophie à l'école primaire  (Sedrap /Alcofribas Nasier)

Pour plus d'informations, voir le site d'Oscar Brenifier : www.brenifier.com