Animatrice de philosophie pour enfants : un parcours personnel

Aussi longtemps que je me souvienne, je me suis sans cesse posée des questions. Je passais des heures à réfléchir, à méditer, d'autres diront à rêvasser. À coté de cette effervescence, j'ai redoublé le CP parce que je ne savais pas lire. Après quelques cours de rattrapage avec les soeurs qui enseignaient à l'époque, j'ai lu tout ce qui tombait à ma portée, le plus souvent sous mes draps, à la lumière de la lampe de poche... La vie m'interpelle avec ses problèmes de relation avec les autres, de méconnaissance de moi-même, d'absence de réponse à mes interrogations. J'ai cherché des réponses dans les livres : j'ai ainsi rencontré en premier Épicure, A. Comte Sponville qui a été le " prof de philo " que je n'ai jamais eu, Montaigne, Spinoza, H. Arendt, K. Jaspers, Platon et bien d'autres...

Aujourd'hui, je dirais que c'est mon questionnement perpétuel qui m'a donné à la longue une attitude philosophique. Il se compose d'un étonnement continuel, d'une remise en question, et de la recherche de réponses de plus en plus justes, d'une expérimentation dans ma vie de tous les jours. Cette recherche s'est faite d'abord à travers les livres puis, au fil des rencontres, avec des personnes, toutes différentes. L'atelier-philo, que j'anime depuis 1998, à raison d'une fois par mois à Huningue, m'a permis d'une part l'acquisition de connaissances philosophiques, par mes recherches sur les thèmes donnés, et d'autre part la rencontre avec d'autres, m'apportant une connaissance concrète.

Quand j'ai voulu faire de la philo avec les enfants, la question de la formation s'est imposée à moi, comme éthique et apprentissage, et aussi reconnaissance d'un nouveau métier peut-être ? J'ai d'abord lu ce que faisaient Oscar Brenifier et Michel Tozzi, que j'avais rencontrés à un colloque des cafés-philo à Noisy-le Grand en 2002, et j'ai lancé le 18 juin 2003 mon premier jeu-philo.

Alors qu'il n'existe guère de formation en France, j'ai trouvé par une amie, qui m'a donné une coupure de presse d'un journal genevois, une formation en Suisse avec Michel Sasseville (professeur de philosophie à l'université de Laval au Québec). Je l'ai suivie à plusieurs reprises, et je continue le cycle (prochainement le thème est " la prévention de la violence "), ainsi qu'une formation via Internet avec l'université de Laval au Québec intitulée : " Observer des enfants qui philosophent "1.

Qu'est-ce qu'une animatrice philo ?

C'est une personne qui instaure un cadre de bienveillance avec les enfants et développe une communauté de recherche philosophique. Elle anime la discussion avec les enfants par son questionnement. Elle tisse des liens entre ce qui se dit entre les enfants.

Quelle est la nature de son questionnement ?

  • Ce sont avant tout des questions ouvertes, qui permettent plusieurs réponses, des questions de précision, de définition : ex : " Quand tu utilises ce mot, que veux tu dire ? Ou " Peux-tu définir le sens du mot que tu viens d'utiliser? ".
  • Des questions de recherche de ce qui est à discuter : " Est-ce que ce dont tu veux parler c'est ...? Quels sont les points dans ce que tu viens de dire sur lesquels tu voudrais que l'on mette l'accent ? ".
  • D'explicitation de présupposés (ce qui vient logiquement avant) : " Ce que tu dis ne repose-t-il pas sur la notion de ..., ou ... ? " ; " Ce que tu viens de dire n'est-il pas basé sur la croyance que... ? ".
  • De ce qui est impliqué (ce qui vient après, comme conséquence) : " Es-tu en train de suggérer que...? Ou ce que tu dis implique-t-il que...? ".
  • Recherche de raisons : " Sur quoi t'appuies-tu pour dire que... ? Qu'est-ce qui te fait penser que..., pourquoi dis-tu cela ?... ".
  • Ainsi que la recherche de la cohérence, du comment on sait (ce que l'on prétend savoir), la recherche d'alternative(s): ex "  Est-ce quelqu'un d'autre a une vision différente ? Supposons que quelqu'un veuille vous contredire, quelle position devra-t-il avoir ? ".

Qu'est-ce qu'une communauté de recherche philosophique?

Une communauté de recherche philosophique est un groupe de personnes qui s'engagent dans un dialogue vers des objectifs déterminés par un but ultime : celui d' aider les enfants à développer leur habileté à juger d'une manière raisonnable, critique et créatrice.

Ces objectifs visent à développer :

  1. Des habiletés cognitives comme raisonner, rechercher, organiser l'information, traduire.
  2. Un ensemble de dispositions affectives comme le respect, l'écoute, l'entraide, la coopération.

C'est la base que j'utilise à chaque jeu-philo, que j'anime à raison d'une fois par mois, à la bibliothèque de Huningue, avec la méthode Lipman basée sur une histoire à lire, des idées, des thèmes à relever par une cueillette de questions qui vont ouvrir le dialogue, où les enfants vont développer les habiletés cognitives et affectives nécessaires à leur rythme.

Depuis peu, j'ai varié la façon de faire, en expérimentant la méthode décrite par Michel Tozzi pour débattre à partir des mythes. À partir d'un texte réécrit pour les enfants, il y a une phase de lecture avec compréhension du récit du texte. Puis il y a une phase projective, c'est-à-dire qui implique l'enfant dans l'histoire, par exemple par la question : " Que ferais-tu à la place du héros? As-tu déjà observé ceci ou cela ? ". Puis une phase interprétative: " Que veut nous faire comprendre l'histoire ? ". Et bien sûr il peut avoir plusieurs interprétations différentes, divergentes même ou complémentaires, qui se confrontent dans un dialogue entre les enfants.

Une base, un fil rouge, mais que dire de la richesse de leurs interventions, des silences éloquents où l'on entendrait presque les rouages de leur pensée ? Leur réflexion leur appartient, et c'est comme un cadeau que j'écoute leurs interventions, avant de la faire rebondir comme un jeu ... un jeu-philo.

Si l'on veut conduire les enfants à mieux penser (pas seulement plus, mais mieux), si on accepte l'idée que l'objectif de l'éducation est de rendre les enfants capables de penser par et pour eux-mêmes, alors il importe que les enfants s'engagent personnellement dans l'acte de penser, et construisent ainsi, avec le temps et la maturation, la puissance de produire eux-mêmes des résultats. La communauté de recherche avec un animateur philo met en place les moyens de parvenir à cet objectif, s'il y a un atelier-philo d'une heure en moyenne par semaine pour chaque classe.


(1) On peut avoir des informations sur cette formation en ligne : http:www.fp.ulaval.ca/philoenfant